2007 06, Marie Tézé, Représentations, pratiques et consommation des fruits et légumes des enfants de 6 à 11 ans

Université Paris-Descartes

Faculté des Sciences Humaines et Sociales

Sorbonne

Département de Sciences sociales

Master 1 de sciences sociales

Magistère de sciences sociales appliquées à l’interculturel

 

 

Représentations, pratiques et consommation des fruits et légumes des enfants de 6 à 11 ans

par Marie Tézé

 

 

Dirigé par : Professeur Dominique DESJEUX, anthropologue
Jury : Isabelle GARABUAU MOUSSAOUI, anthropologue, ingénieur expert à EDF

 

 

Marie Tézé

35 bd Lefebvre

75015 PARIS

Téléphone : 06 74 74 35 09

E-mail : teze.marie@hotmail.fr

 

Résumé

 

Comment et pourquoi faire manger des fruits et légumes aux enfants ?

Aliments santé, les fruits et légumes sont également des aliments symptôme. Symptomatiques des relations de l’enfant avec lui-même, de son adhérence ou de son refus des normes de ses parents et de ses pairs.

L’affirmation de ses goûts et dégoûts permet à l’enfant de s’affirmer et de se mettre en scène.

Les pratiques liées aux fruits et légumes tels que leur achat, préparation et présentation à l’enfant sont fondamentales dans l’appréhension que ce dernier a de ces aliments.

L’enfant ne mangeant presque jamais seul, le contexte affectif des repas a lui aussi une part très importante dans la formation du goût.

A travers l’analyse d’ateliers cuisine proposés aux enfants, nous étudierons comment et pourquoi  l’activité de cuisiner peut modifier le rapport de l’enfant aux fruits et légumes.

 

REMERCIEMENTS

 

Je voudrai tout d’abord remercier D. Desjeux, pour m’avoir proposé ce sujet et soutenu durant toute l’élaboration de ce mémoire, ainsi qu’à Isabelle Garabuau-Moussaoui qui a accepté d’être ma seconde directrice.

Merci également à l’équipe d’Aprifel et à Christophe Spotti. Merci pour tous les moyens et aides mis à ma disposition, cela m’a été vraiment très utile pour pouvoir faire ce mémoire.

Je tiens aussi à remercier le personnel de l’école Milton et tout particulièrement son directeur.

Sans eux ce mémoire n’aurait pas été possible.

Merci aussi à Jérémie, à ma famille et mes amis pour m’avoir supporté, pour leurs idées, expériences et esprit critique. Spéciales dédicaces à Françoise et David pour leurs relectures et à Sam pour son expérience !

Et aussi à Annama, Marianne, Meyriam, Hugo, Emma, David, Eline, Rosalie, Yannice, Daouda, Arthur, Jules, Daniel, Hyppolite, Timothée, Marisol et les autres qui m’ont accordé de leurs temps pour répondre à mes questions et me livrer leurs histoires.

 

SOMMAIRE

 

RESUME

 

Introduction

 

1. Goûts et dégoûts des enfants envers les fruits et légumes

1.1. Facteurs biologiques et culturels

1.1.1. L’inné

1.1.2.  Aliments comestibles culturellement

1.2. Facteurs sensoriels : mélange de biologique et de culturel

1.2.1. Le goût de l’aliment

1.2.2. L’aspect et l’odeur de l’aliment

1.2.3. La préparation de l’aliment : familiarisation et sécurité

1.3. Facteurs extrasensoriels : pratiques, normes et construction de soi

1.3.1. Connaître c’est aimer ?

1.3.2. La force de l’habitude

1.3.3. Construction et représentation de soi : facteurs symboliques et identitaires

1.3.4. Normes dominantes contre normes enfantines

1.4. Entre néophobie et néophilie

1.4.1. Les enfants néophobiques

1.4.2. Les enfants néophiles

1.4.3. Combat contre la néophobie : faire passer l’aliment du statut d’ « Objet Comestible Non Identifié » (OCNI) à celui d ’ « Objet Comestible Identifié » (OCI)

1.5. Préférence enfantine pour les fruits : représentations, pratiques et consommations différentes des fruits et légumes

1.5.1. Caractéristique du « goût enfantin »

1.5.2. Normes et représentation enfantines

1.5.3. Habitudes de consommations

 

2. Influence du cycle de vie et du milieu SOCIOPROFESSIONNEL dans les préférences alimentaires des enfants

2.1. Influence du cycle de vie

2.1.1. Des répertoires alimentaires variables selon l’âge

2.1.2. Des expériences culinaires évoluant avec l’âge

2.1.3. Dépendance et autonomie

2.2. Indices de l’influence de la catégorie socioprofessionnelle et de l’origine culturelle des parents

2.2.1. Pas le même accès à la consommation

2.2.2. Différents répertoires alimentaires

 

3. Importance de lA DIMENSION affectiVE dans le rapport à la nourriture :

les repas

3.1. La cuisinière, plus importante que la nourriture elle-même ?

3.1.1. La mère, la cuisinière par excellence

3.1.2. La dévalorisation de la cuisine des « étrangers »

3.2. Les interactions au cours du repas : entre ennui et amusement, confiance et peur

3.2.1. Un moment convivial et chaleureux

3.2.2. Un moment tendu et conflictuel

3.2.3. Un moment dépourvu de paroles

2.2.4. Un moment marqué par l’absence de l’être aimé et les conditions matérielles

3. 3.Goûter et petit déjeuner, des repas à part ?

3.3.1. Le triomphe du sucre et la valorisation de l’énergie

3.3.2. Entre autonomie et dépendance

3.3.3. L’absence des parents : entre liberté et insécurité

3.4. Vers des repas déstructurés ou vers une

nouvelle structure ?

3.4.1. Pratiques et imaginaires par rapport à la télévision à table

3.4.2. Parents absents, parent divorcés : vers l’éclatement familial ?

 

4. LE Rôle de la famille dans LES préférences ALIMENTAIRES envers les fruits et les légumes

4.1- Les parents familiarisent leur enfant aux fruits et légumes ou non

4.1.1. Les parents cuisinent souvent des fruits et des légumes : rôle de l’habitude

4.1.2. Les parents impliquent leur enfant dans le choix des aliments : rôle du supermarché

4.1.3.  Les parents impliquent leur enfant dans la préparation du repas : rôle de la cuisine

4.1.4. Les parents demandent à leur enfant de goûter : découverte et familiarisation

4.2. La consommation des légumes : un enjeu de pouvoir et de lutte entre parents et enfants

4.2.1. Stratégies et pratiques des parents face aux légumes que leur enfant n’aime pas

4.2.2. Réactions et stratégies des enfants face à pression des parents

4.3. Rôle de la fratrie dans l’affirmation des goûts

4.3.1. Affirmation d’une communauté de goût

4.3.2. Affirmation d’une spécificité

 

5. DES ALTERNATIVES A L’APPRENTISSAGE FAMILIAL

5.1. La cantine, l’altérité

5.1.2. Comparaison implicite avec le repas familial

5.1.2. Influence des pairs prédominante : le triomphe du « goût enfantin »

5.2. Les ateliers alimentaires, entre altérité et complémentarité

5.2.1. Découvertes et apprentissages

5.2.2. Intégration de l’atelier dans le cercle familial

 

CONCLUSION

 

BIBLIOGRAPHIE

 

ANNEXES

1. Tableau récapitulatif des origines sociales et culturelles des enfants interrogés

2. Guide d’entretien

3. Guide d’observation pour la cantine

4. Guide d’observation pour l’atelier cuisine

 

Introduction

 

 

En France 81 % des enfants de 3 à 14 ans mangent moins de trois portions de fruits et légumes par jour[1]. Ce qui est bien en dessous de leur besoin nutritionnel. Pourquoi les enfants ne consomment-ils pas plus de fruits et légumes ? Ce problème est devenu celui de certains parents et des institutions, telles que l’école, la santé qui en ont fait leur cheval de bataille. Parce que ces aliments ne sont pas seulement des « aliments-plaisir » mais également des « aliments-santé », présentés comme indispensables. La peur de l’obésité est aussi là. Les enfants y sont d’ailleurs sensibilisés, que ce soit par les médias, la famille, les pairs ou l’école. Leur non-consommation de fruits et légumes apparaît donc comme un danger envers l’enfant et l’adulte qu’il va devenir.

Un programme d’apprentissage alimentaire a été mis en place par APRIFEL (Agence Pour la Recherche et l’Information en Fruits et Légumes Frais)[2] avec une école primaire. En quoi ce programme peut-il modifier le comportement alimentaire des enfants ? Quelles influences peuvent avoir sur la formation du goût de l’enfant de nouvelles connaissances et pratiques en matière d’alimentation ?

Selon Kaufmann (2005 : 29) « Il ne suffit pas qu’une information soit considérée comme juste pour pouvoir rectifier les comportements alimentaires. ». Quels sont alors les facteurs pouvant déterminer un changement de comportement et de représentation face aux fruits et légumes ? Quels sont les facteurs influant sur les goûts, les représentations et pratiques alimentaires des enfants ?

 

Etudier les enfants et leurs relations aux fruits et légumes, c’est tout d’abord s’interroger sur les rapports et représentations que les enfants ont à ces aliments, leur système de classification, leurs goûts et dégoûts. Dans un premier temps nous étudierons donc comment se forme leur goût, dans quelles mesures les facteurs biologiques, culturels et symboliques agissent. Peut-on trouver des indices, à défaut de preuves, de l’influence de l’origine socioculturelle de l’enfant, ainsi que de son cycle de vie ? Puis à travers l’analyse des repas tels qu’ils sont vécus par les enfants, nous verrons la part de l’affectif dans le rapport que les enfants ont à l’alimentation et aux fruits et légumes en particulier, mais aussi l’enjeu de pouvoir que ces aliments représentent pour les enfants et leurs parents. Nous étudierons le rôle de la famille, des parents et de la fratrie, les logiques et stratégies qui la sous-tendent et auxquelles les enfants s’intègrent.

Mais l’enfant ne se socialise pas que par son cercle familial. Il y a aussi le cercle des pairs et le cercle scolaire. La cantine peut être appréhendée, comme un mode de socialisation alimentaire différent, un monde où les normes enfantines semblent avoir plus de poids. Les ateliers d’éducations alimentaires peuvent également être vus comme une alternative aux pratiques et représentations familiales mais peuvent aussi, et c’est leur force, lui être complémentaire.

 

Pour mener à bien ces recherches j’ai choisi la technique qualitative car elle permet de faire apparaître la diversité des profils face à l’alimentation et plus particulièrement face aux légumes et aux fruits.

J’ai mené seize entretiens semi directifs avec des enfants de CE1 et de CM1-CM2 (appelé classe CMC) en essayant d’avoir un échantillon représentatif des deux classes d’âge, des différentes catégories sociales et des sexes. Ces enfants ont tous suivi un atelier cuisine d’Aprifel et ont été interrogés un à trois mois après, afin de pouvoir l’évaluer. Pour plus de détails sur les caractéristiques des enfants interrogés voir le tableau récapitulatif (annexe N°1 pp.88-89). J’ai également fait quatre observations ethnographiques, dont trois en atelier cuisine et une en cantine.

Pour l’identification des enfants interrogés en entretiens semi directifs, il y a tout d’abord le prénom de l’enfant, sa classe et sa réponse à la question : « Aimes-tu les légumes ? » On obtient par exemple : (Annama, CM1, oui). Pour ceux qui ont été questionnés à la cantine, cela donne (Martin, CM1, cantine) et pour les autres que j’ai observé à l’atelier : (Victor, CE1)

Suivant la volonté des enfants j’ai modifié certains prénoms.

1. Goûts et dégoûts des enfants envers les fruits et légumes

 

Dans la formation du goût enfantin pour les fruits et légumes, plusieurs facteurs en interactions vont jouer car le goût «  résulte d’une combinaison d’informations qui procèdent de plusieurs sens » (Fischler 1990 : 89). Nous verrons tout d’abord l’importance du biologique et de l’inné. Puis dans quelle mesure les facteurs culturels, sensoriels et extrasensoriels ont leur part dans la formation du goût.

1.1. Facteurs biologiques et culturels

 

Les activités biologiques humaines élémentaires, telles que se nourrir et se reproduire sont également des activités très marquées culturellement, « nos activités biologiques les plus élémentaires, le manger, le boire, le déféquer, sont étroitement liés à des normes, des interdits, valeurs, symboles, mythes, rites, c’est-à-dire à ce qu’il y a de plus spécifiquement culturel. » (Morin 1973 : 146, cité par Poulain 2002 : 173).

1.1.1. L’inné

 

                    Il y a tout d’abord le facteur biologique. Comme l’a montré l’étude de Chiva (1985) les enfants aiment « naturellement » le doux et le sucré. Et les enfants n’ont pas tous la même sensibilité au goût. Il y a ainsi des « hypergueusiques » (grande sensibilité gustative), des « normaux » et des « hypogueusiques » ou « agueusique » (faible sensibilité gustative). Les hypogueusiques ont moins de problèmes alimentaires.

Néanmoins si les goûts des enfants sont influencés par des facteurs biologiques, ils le sont aussi par des facteurs sociaux et culturels, par leur milieu et leurs interactions. Car l’acte de manger lui-même, s’il obéit à une nécessité biologique, est régit par des règles culturelles.

1.1.2.  Aliments comestibles culturellement

 

                    On peut distinguer l’influence de la culture du groupe qui définit ce qui est comestible ou non. Comme le fait remarquer Fischler: « si nous ne consommons pas tout ce qui est biologiquement comestible, c’est que tout ce qui est biologiquement mangeable n’est pas culturellement comestible. » (Fischler 1990 : 31). En effet si, pour reprendre l’exemple de Marie Watiez, qui a fait sa thèse sur l’Approche psychosociologique du processus de socialisation alimentaire chez l’enfant français, nous ne mangeons pas d’insectes en Occident « Il ne s’agit pas d’une aversion de nature sensorielle mais d’un dégoût idéel cognitif (..) acquis dans l’enfance par « habitude » au sein d’un groupe culturel. » (Watiez 1992 : 53-54).

Mais parmi les aliments déclarés comestibles, certains vont être refusés par l’enfant. Quels sont les autres facteurs influant sur ses goûts et comportements alimentaires ?

1.2. Facteurs sensoriels : mélange de biologique et de culturel

 

 

         Dans l’appréciation que l’enfant va faire d’un fruit ou d’un légume entrent en compte le goût lui-même mais aussi l’aspect et la préparation de cet aliment.

1.2.1. Le goût de l’aliment

                    Les facteurs de dégoût les plus courants pour les enfants interrogés sont l’amertume, le piquant et l’insipidité. A cela s’ajoute les allergies alimentaires.

Le rejet de l’amer, de l’acide et du piquant semble caractériser le goût enfantin français:

« [Les oranges] j’aime pas trop. (…) Parce que je trouve ça amer et acide. » (Marianne, CM2, oui)

 

« [Les oignons] Ça pique trop, j’aime pas » (Yannice, CE1, oui)

 

Le piquant semble surtout être un problème pour les enfants les plus jeunes. Seuls les CE1 en font état pour expliquer leur dégoût. Tandis que pour les plus grands, le croquant et la saveur forte d’un légume ou un fruit vont au contraire être un atout :

« [Le radis est mon légume préféré] Ça a un bon goût. Et parce que ça croque ! » (Marianne, CM2, oui)

 

Quant aux facteurs d’appréciation ils résident dans le sucré, facteur d’appréciation universel chez les enfants (Chiva) :

« Parce que quand c’est des bonnes cerises, elles sont supers sucrées et c’est super bons » (David, CM1, moyen)

 

Le juteux est très apprécié aussi :

« [J’aime les clémentines] Parce que c’est juteux et que c’est bon. [Et les oranges ?] J’aime moins. (…)Parce que des fois elles sont sèches »  (Valentin, CE1, cantine)

 

Et il y a d’autres enfants qui ne sont pas capables d’expliquer pourquoi ils aiment ou pas : 

«  Je sais pas. Je trouve que c’est pas bon. (…) C’est le goût. (…)Heu bah il est mauvais » (Hyppolite, CM2, moyen)

 

 On peut penser que si l’enfant ne peut expliquer son goût c’est peut-être parce qu’il manque d’expérience ou d’éléments de comparaison. Selon Puisais 1987,  « Le langage des saveurs et des odeurs s’établit par ressemblance, par analogie. L’odeur émanant de ce fruit, de cette fleur nous rappelle tel fruit, tel fleur. Si elle n’a jamais été sentie, il est impossible d’entendre son message. On ne peut l’identifier. On dira seulement ‘ça sent  bon, ou ça sent mauvais’. »  Dans les enfants s’arrêtant au « c’est pas bon » ou « c’est bon » il n’y en a aucun qui fait partie de ceux qui déclarent aimer les légumes. Peut-être parce qu’ils ont une alimentation moins variée ou y prêtent moins d’attention que les autres.

Grâce à l’observation que j’ai faite lors de l’atelier cuisine des CMC (classe regroupant des CM1 et des CM2) j’ai pu vérifier si les déclarations des enfants correspondaient à leurs réactions, à leurs rapports aux différentes saveurs.

Lors de l’atelier cuisine, la cuisinière a fait goûter un aliment sucré et tous les enfants l’ont aimé, certains ont même dit : « Miam ! ». Puis elle leur a fait manger un aliment très salé. Certains enfants l’ont recraché, d’autres ont fait la grimace :

 « Beurk » (Victor, CMC)

« C’est de l’eau de mer en pire » (Hadia, CMC)

Ensuite la cuisinière leur a proposé un goût amer via du café. Les enfants ont fait des mimiques de dégoût :

« Beurk ! »  (Daniel, CM1, moyen)

 

 Mais certains ont semblé apprécier :

 « Oh c’est trop bon le café » (Michael, CMC)

 

A-t-il l’habitude d’en boire ? Est-ce dû au statut d’adulte qui entoure la consommation du café ? Je n’ai malheureusement pas pu l’interroger ensuite.

Et lorsque la cuisinière leur a proposé du poulet au chocolat, ils se sont tous exclamés :

« Beurk ! » (collectif)

 

Nous ne sommes plus ici dans un dégoût d’ordre sensoriel mais dans un dégoût cognitif. Les enfants n’ont probablement jamais goûté du poulet au chocolat mais l’association des deux leur semble mauvaise. Pour reprendre l’expression d’un célèbre anthropologue, ce qui est bon à manger est ce qui est bon à penser.

         Rozin avait classé les dégoûts en trois catégories. Le dégoût sensoriel (distaste), qui est au niveau du goût lui-même, comme nous l’avons vu dans cette partie où nous avons en quelque sorte traité du « goût sensoriel ». Mais Rozin distingue encore deux autres formes de dégoûts, le « dégoût cognitif » (disgusts) où « le rejet ne se fait pas en fonction du goût de l’aliment, mais en fonction de sa nature, de son origine ou des associations qu’il suscite. » (Rigal 2000 : 61) et les « dégoûts associés » qui sont « associés » aux conséquences de l’ingestion (indigestion, vomissement)

1.2.2. L’aspect et l’odeur de l’aliment

 

Lors de l’atelier avec la diététicienne, les enfants de CM1-CM2 devaient deviner un légume ou un fruit. Ils posaient des questions sur la forme, la couleur mais jamais sur le goût. Ce qui semble premier dans leur identification de l’aliment c’est son aspect. Et pour certains l’aspect est directement lié à leur appréhension du goût de l’aliment.

Ainsi l’aspect de l’aliment peut provoquer une répulsion. L’enfant va, par exemple associer une couleur à un goût :

« [Pourquoi au début tu pensais que c’était mauvais la tomate ?] Parce que je croyais que ça avait un goût fort comme le poivron ! (…)Parce que c’était rouge comme le poivron» (Rosalie, CE1, oui)

Ou encore :

« Ca n’a pas de goût. (…) Non j’en ai jamais mangé.[C’est ]Parce que c’est blanc.(…)Ben si c’est blanc ça n’a pas de goût ![Pourquoi ?] Parce que ! » (Mike, CE2, cantine)

 

Et il va peut-être aussi associer la couleur à une propriété de l’aliment. On peut penser que pour certains enfants, le noir sur un légume ou un fruit est assimilé à du pourri :

«  [Les endives] Quand  on les voit, ça n’a pas l’air bon, y a du noir quand  on essuie (…) les bananes quand y a du noir c’est pas bon (…) c’est pourri ! » (Sara, CM2, cantine)

 

         Mais l’aspect peut également être un facteur d’appréciation. Ainsi certains enfants apprécient particulièrement les « petits » légumes car ainsi ils peuvent en manger plus :

« [J’aime les petits pois et les lentilles car] (…) on peut en avoir beaucoup parce que c’est petit. » (Hugo, CM2, moyen)

 

Pour d’autres, un légume « joli » est égal à un légume bon :

« [Qu’est-ce que tu aimes dans les haricots verts ?] Les petits grains et la peau.  (…)Parce que je me dis que c’est ce qu’il y a de plus bon. Parce que c’est le plus joli. » (Arthur, CE1, moyen)

 

On peut néanmoins se demander si le fait qu’il trouve le légume bon n’influe pas sur sa perception du légume.

L’odeur joue un grand rôle sur nos perceptions du goût. Néanmoins les enfants ne l’invoquent pas ou alors seulement lié à l’aspect visuel :

 « [Les épinards]  Ça sent mauvais. C’est comme les choux de Bruxelles. C’est vert. » (Miama, CM2, cantine)

1.2.3. La préparation de l’aliment : familiarisation et sécurité

 

         La préparation, l’accompagnement qui va avec le légume et le fruit est primordiale dans l’appréciation que les enfants vont en faire.

Ainsi la sauce allant avec les épinards ou les concombres peut déterminer le goût ou dégoût pour cet aliment :

« J’adore les épinards avec de la crème fraîche !(…) Les concombres [avec de la sauce]aussi »( Eline, CE1, non )

 

 « Mais heu oui mais les épinards à la cantine j’aime pas vraiment. (…)   Ma mère elle les fait différemment (…) Elle donne du goût, c’est vraiment avec du goût. » (Annama, CM1, oui)

 

Donner du goût c’est-à-dire rajouter un goût connu, familier à l’enfant. Les légumes préparés avec des sauces connues des enfants vont leur faire plus apprécier le légume ou le fruit car elles vont rendre celui-ci moins étranger. Ceci est confirmé dans la thèse de Nathalie Rigal « l’assaisonnement d’un plat nouveau par le principe de flaveur permettrait de le rendre plus familier et ainsi plus acceptable. » (Rigal 1996 : 55). Par exemple le principe de flaveur méditerranéen va être le mélange de tomate – huile – ail.

Pour Fischler également la cuisine est un moyen « d’introduire du familier dans l’inédit », « Les systèmes culinaires fourniraient donc bien des critères de référence dans l’exercice des choix alimentaires, critères de nature à résoudre ou résorber l’angoisse de la double contrainte et à autoriser l’incorporation en lui donnant un sens. » (Fischler 1990 : 79)

 

La cuisson va être importante car en cuisant les aliments changent de saveurs et ont tendance à devenir plus sucrés.[3] Or comme nous l’avons vu les enfants ont tendance à aller vers le sucre :

« [J’aime les carottes cuites] parce qu’elles sont un peu sucrées. Râpées j’aime pas trop, ça manque de sucre. » (Julien, CM2, cantine)

 

Certains enfants préfèrent les fruits « tout prêts », c’est-à-dire épluchés et dénoyautés, mélangés avec d’autres fruits, plutôt que pour les fruits « tout seuls » :

« [La forme sous laquelle je préfère] les  fruits c’est plutôt dénoyautés et froids. [Donc les oranges tu préfères quand il n’y a plus la peau ?] Ouais. Dans les salades de fruits. [Tu préfères en salade de fruits plutôt que tout seul ?]Oui » (Timothée, CM1, oui)

 

 

Jean, animateur de cantine, explique ce phénomène en partie par la « fainéantise » des enfants :

«  Oui là y autre chose qui entre en jeu, c’est la fainéantise du gamin. Si on lui coupe son orange il la dévore Quand on coupe les oranges aux gamins ils en redemandent. Mais si elles sont entières ils ne les mangent pas ou en mangent moins. » (Jean, animateur cantine)

 

Une solution pour faire manger plus de fruits et légumes aux enfants semble donc résider dans leur préparation.

Le goût ou dégoût pour un fruit peut ainsi être justifié non pas par le fruit en lui-même mais par ce qui l’entoure.

1.3. Facteurs extrasensoriels : pratiques, normes et construction de soi

 

                    La connaissance et l’habitude peuvent avoir un rôle sur la formation du goût enfantin pour les fruits et légumes. La « pensée magique » et le symbolisme que les enfants attribuent à certaines propriétés des fruits et légumes ont également une influence. En affirmant et justifiant ses goûts et dégoûts l’enfant peut s’inscrire dans une histoire, montrer son adhérence ou son rejet aux normes.

1.3.1. Connaître c’est aimer ?

 

On peut se demander si il y a un rapport entre les connaissance théoriques  (pouvoir citer et classer les fruits et légumes) et le goût pour les fruits et légumes. A l’analyse des entretiens, il semble qu’il y a un lien entre connaître et aimer les légumes mais celui-ci n’est pas mécanique.

La connaissance des légumes semble jouer un rôle pour certains enfants dans leur goût pour les légumes. Ainsi dans la catégorie de ceux qui connaissent plus de sept légumes, on ne retrouve que des enfants déclarant aimer les légumes. Néanmoins dans la catégorie de ceux qui connaissent moins de quatre légumes on retrouve aussi des enfants qui disent aimer les légumes. Il faut cependant ajouter que l’âge semble jouer un rôle, car ce sont uniquement des enfants en CE1 qui représentent cette catégorie.

Et dans la catégorie de quatre à sept légumes connus on retrouve aussi bien des enfants « légumophiles » que « légumophobes » ainsi que les « modérés ». Donc à part pour ceux qui ont une grande connaissance des légumes, la corrélation connaitre-aimer n’est pas évidente.

Plus que la connaissance théorique, ne serait-ce pas l’habitude qui serait décisive dans le goût des enfants pour les fruits et légumes ?

1.3.2. La force de l’habitude

 

L’habitude semble jouer un rôle :

« J’ai goûté plein de fois et j’ai aimé. » (Meyriam, CM1, non)

 

Selon Zajonc (1968) un stimulus même désagréable devient acceptable puis apprécié à la suite d’expositions répétées. Cette thèse est à nuancer car cela dépend tout de même du contexte dans lequel l’aliment est présenté comme nous le verrons dans la troisième partie.

La théorie de Zajonc a été très controversée. Pour certains auteurs l’exposition répétée entraîne au contraire la lassitude de l’enfant par rapport à cet aliment. Il semble que la différence se joue sur l’échelle de durée, du moins selon Nathalie Rigal, docteur en psychologie, qui a fait sa thèse sur la mise en place du répertoire enfantin : «  L’exposition permettrait la mise en place de préférences à long terme et de phénomènes de lassitude à court terme. » (Rigal 1996 : 91). Néanmoins pour elle,  « la présentation de l’aliment à long terme entrecoupé de la présentation d’autres aliments (…) semble favoriser la mise en place d’une réponse hédonique positive ; » (Rigal 1996: 71-72)

Dans les entretiens que j’ai eu avec les enfants l’habitude parait effectivement jouer un rôle dans l’acceptation d’un aliment et l’établissement du goût :

« [Et pourquoi est-ce que tu préfères être un fruit plutôt qu’un légume ?] Je sais pas. Parce qu’un fruit j’en mange souvent. Je mange plus souvent des fruits que des légumes. (…)Je sais pas c’est l’habitude !  [C’est pas au niveau du goût ?] Non c’est l’habitude » (Annama, CM1, oui)

 

Dans les enfants qui ont répondu qu’ils n’aimaient pas les légumes, lorsqu’on leur demande leur(s) légume(s) détesté(s) ils ont tendance à n’en citer qu’un seul. Tandis que les enfants aimant les légumes en citent plusieurs. Est-ce parce qu’ils ont une expérience plus riche et variée au niveau des légumes ? On peut le penser…

1.3.3. Construction et représentation de soi : facteurs symboliques et identitaires

 

Manger est un moyen de se nourrir mais aussi de se construire. En affirmant ses préférences et ses dégoûts, c’est un peu sa personnalité que l’enfant affirme et construit. En parlant de ses goûts c’est un peu de sa « structure logique » qu’il dévoile.

                    Mettre quelque chose dans sa bouche, c’est incorporer  un aliment extérieur, étranger à soi. Quand cet aliment étranger semble suspect il peut provoquer une certaine peur, donner l’impression d’être envahi par quelque chose de nuisible :

«  Les carottes cuites c’est tout mou et quand ça va dans la gorge c’est comme si y avait un truc qui nous mangeait » (Arthur, CE1, oui ) 

 

La bouche semble véritablement être « le check point de l’incorporation.»[4] (Fischler 1990 : 71)

                    En affirmant certaines préférences les enfants affirment leur identité, leur origine culturelle.

Lorsque l’on demande à certains enfants quels plats ils cuisineraient s’ils avaient le choix, ils optent pour un plat directement lié à leur origine et affirment leur identité et leur filiation:

«  J’aurai bien aimé aussi qu’on fasse de la tomme de brebis avec de la cerise noire. (…)Oui j’adore. Parce que comme je suis née au Pays Basque… [Tu es née où ?] Je sais plus. Faudrait que je demande à mon papa(…) » ( Marianne, CM2, oui )

 

Ainsi Marianne dit adorer la tomme de brebis avec la cerise noire (plat typique basque) car elle est née dans cette région. En parlant avec elle je me rends compte qu’elle n’y est pas retournée souvent mais son père, à qui elle voue un culte, aime le Pays Basque et y avait une maison. Avec cette déclaration Marianne s’inscrit dans son histoire familiale.

Cette tendance se retrouve chez d’autres enfants :

« [Je cuisine] Des repas indiens. (…)[Et tu cuisines quoi dans le repas ?] Les gâteaux. Enfin je les fais avec ma mère. Je fais des gâteaux au chocolat mais pas indien ! [Et par contre les plats que tu cuisines c’est indien ?]  Non c’est français. Je fais des gâteaux et des pâtisseries. [Des pâtisseries indiennes aussi ?]  Non » (Annama, CM1, oui) 

 

Les parents d’Annama sont Indiens et en affirmant, mêmes si les faits sont contraires, qu’elle cuisine « indien », c’est son origine culturelle qu’elle revendique.

 

                    Les enfants semblent s’identifier facilement aux fruits et légumes. Durant l’entretien j’ai demandé aux enfants à quels fruits ou légumes ils s’identifiaient et j’ai été surprise par leur facilité à répondre rapidement à cette question.

Face à cette question on distingue trois tendances différentes : s’identifier à ce que l’on aime, à ce qui va permettre de vivre le plus longtemps et à ce qui rappelle des événements positifs.

Certains s’assimilent à ce qu’ils aiment :

« La clémentine ! (…) Je serai juteuse et bien à manger ! » (Eline, CE1, non)

 

D’autres choisissent un fruit qui leur rappelle leur anniversaire, la célébration de leur jour de naissance:

« Je serai une cerise. Parce que les cerises c’est en juin. [comme son anniversaire] » (Daniel, CM1, oui)

 

D’autres, au contraire, s’identifient à des fruits et légumes abhorrés pour ne pas être mangés :

« Je serai un légume. Parce que comme les enfants aiment moins bien les légumes, ils ne me mangeront pas. Je choisirai l’épinard comme ça y en n’a pas beaucoup qui me mangeront ! » ( Hugo, CM2, moyen )

 

Le discours des enfants sur les légumes et leurs goûts révèlent parfois l’imaginaire qui y est lié, mais ne peut-il pas aussi dévoiler la démarche symbolique qui permet à l’être humain d’organiser le monde ?

 

Pour certains enfants, tel légume va être le signe d’un autre élément. Par exemple le brocoli qui ressemble à l’arbre, va le représenter  et donc avoir son goût :

 «[J’aime pas les brocolis] On dirait des arbres qu’on mange ! Ça a le goût de l’herbe ! » (Annama, CM1, oui)

 

Le discours sur le goût peut ainsi agir comme un révélateur de la « logique pratique »[5] et semble régit par elle.

La logique pratique est très différente de la logique ‘logique’. Cette dernière est caractérisée par sa constance et sa rigueur, elle est capable de réflexivité car ses principes sont explicites. Alors que la logique pratique, elle, est caractérisée justement par son imprécision, sa souplesse, son économie de logique et son caractère implicite qui font son efficacité.

Elle est organisée selon un rapport d’analogie pratique organisé par quelques grandes oppositions fondamentales. Cela crée une taxinomie qui va varier selon les situations et les besoins pratiques. Car ses analogies ne se font pas sur un mode unique, elles peuvent se faire selon le sens, la couleur, l’aspect  etc. ce qui permet à un même terme d’entrer en relation avec une multitude d’autres termes. Ainsi une même chose va avoir des propriétés qui vont se transformer selon les différents univers pratiques. Et c’est parce que cette logique est floue, générale, souple qu’elle peut s’adapter à des situations toujours différentes, générer une multitude d’actions et donc être efficace. On peut se demander si le goût n’est pas régit par cette sorte de logique qui va faire que tel aliment va être apprécié et relié à un autre dans certains cas et peu apprécié dans un autre contexte. Ainsi pour reprendre la très célèbre phrase de Claude Lévi Strauss « Pour être bon à manger, un aliment doit être bon à penser. » (Lévi-Strauss 1962) Ici, le brocoli est relié par analogie visuelle à l’arbre. Or l’arbre n’est pas jugé comestible pour les humains donc le brocoli ne va pas l’être non plus. C’est dans le cadre de cette logique pratique que se trouve la « pensée magique » du mangeur. «  La pensée magique longtemps considérée comme une des caractéristiques de la mentalité primitive apparaît comme un mode de fonctionnement normal de la cognition alimentaire cohabitant avec la pensée rationnelle chez les mangeur contemporain. (Fischler, 1994, Rozin 1994, Chiva 1994) » (Poulain 2002 :175) Le mangeur en incorporant l’aliment va incorporer les propriétés qu’il lui prête.

         Nous sommes ici en présence de ce que Rozin a conceptualisé sous le terme de « disgusts », dégoût cognitif. C’est lorsque «  le rejet ne se fait pas en fonction du goût de l’aliment, mais en fonction de sa nature, de son origine ou des associations qu’il suscite. » (Rigal 2000 : 61)

1.3.4. Normes dominantes contre normes enfantines

 

Il semble y avoir une sorte de combat entre différentes normes.

En effet il y a la norme « enfantine » sensée caractériser le comportement des enfants, qui rejette les légumes :

« (…) tous les enfants vont vous dire qu’ils n’aiment pas les légumes. » (Miama, CM2, cantine)

 

Et il y a les normes dominantes actuellement dans la société, qui promouvoit la consommation des fruits et légumes frais, considérés comme des aliments sains :

« (…) [Les fruits et les légumes] ça donne des vitamines. » (Béatrice, CM1, cantine)

 

L’argument santé semble venir surtout du milieu familial :

 

«  [J’aime les clémentines]Parce que il y a de la vitamine C et j’adore le jus. [C’est important la vitamine C ?] Oui parce que il y a beaucoup de vitamines.[ Pourquoi c’est bien qu’il y ait beaucoup de vitamines ?] Parce que… je sais pas trop en fait, maman me l’a pas dit. » (Rosalie, CE1, oui) 

 

« Ainsi, en mangeant, en observant et en participant, l’enfant construit son goût et apprend à différencier les aliments selon leurs définitions sociales et les classifications qui en sont faites : produits sains / produits gourmands, produits d’adulte/ produit d’enfants. » (Garabuau-Moussaoui et al. 2002 : 312)

Et l’enfant peut être « tiraillé » entre deux types de normes sociales différentes, celui de ses pairs et celui de sa famille.

Ce tiraillement est visible dans la différence de choix entre le plat préféré à la maison et à la cantine. Ce ne sont souvent pas les mêmes. Dans le plat préféré à la cantine, les enfants répondent quasiment tous « les frites ». Ils correspondent ainsi parfaitement aux normes enfantines. En effet, l’étude de Chiva (1995) rapporte que les aliments préférés des enfants français de neuf à onze ans sont les frites (92%), les plats sucrés et gras.[6] Bref l’exact opposé des normes diététiques (à l’exception des fruits) !

Tandis que les réponses sont bien plus variées concernant le plat préféré à la maison, comme nous le verrons dans la cinquième partie

 

Un autre élément semble caractériser le goût enfantin, c’est la néophobie, la méfiance et le rejet des nouveaux aliments[7].

Nous verrons dans quelle mesure cette affirmation est exacte et se raccroche à un contexte.

 

1.4. Entre néophobie et néophilie

 

                    Selon Fischler et d’autres auteurs (Fischler et al, 1985) il existe un goût enfantin différent de celui de l’adulte. Pour eux la formation gustative chez l’enfant est caractérisée par trois phases: la période « pré-néophobique » qui dure jusque l’âge de deux ans, la période de néophobie alimentaire qui va jusqu’à l’âge de dix ans et la période « postnéophobique» où l’enfant s’ouvre à la nouveauté.

Mon échantillon concerne donc la période de néophobie alimentaire caractérisée par une méfiance envers tout ce qui est inconnu.

Au vu de l’analyse des entretiens il semble que la néophobie ne touche pas tous les enfants. Certains, de tous les âges et sexes, sont mêmes néophiles.

1.4.1. Les enfants néophobiques

 

« Moins l’aliment est sensoriellement familier, plus il suscite une réponse néophobique forte. L’aliment qui ne peut être comparé à quelque chose de connu perd en identité (…). Or les enfants ont moins de facilité que les adultes à rapprocher l’inconnu du familier (…) » (Rigal 2000 : 92). Certains enfants sont très méfiants envers les nouveaux aliments et déclarent ne pas les aimer alors qu’ils ne les ont pas goûtés :

« Mais c’est plus  que j’aime pas  parce que je connais pas alors je dis ‘ non j’aime pas’ alors que j’avais pas goûté » (Jules, CE1, oui)

 

Selon eux cette méfiance est justifiée par le risque de goûter quelque chose de mauvais :

« [Tu aimes goûter les nouveaux aliments ?]  Pas trop. (…)Parce que je me dis si c’est pas bon et tout alors j’aime pas. [Tu préfères ne pas tenter parce que ça risque d’être mauvais?] Oui  [Dernier aliment goûté?] Les nems. [C’est bon ?]  Oui »  (David, CM1, moyen)

 

Malgré des expériences positives, la peur du nouvel aliment demeure. Pourquoi ?

La théorie de Fischler, « le complexe de l’omnivore », peut peut-être nous apporter une réponse.

Selon cette théorie l’humain est tiraillé entre la nécessité de diversifier son alimentation pour survivre et le danger que peut représenter cette diversité, en sortant des cadres culturels par exemple. L’innovation alimentaire est à la fois nécessaire et dangereuse, ce qui provoque chez l’homme une angoisse.

La néophobie est une tendance universelle et porte sur ce que Fischler appelle les O.C.N.I. (Objet Comestibles Non Identifiés). En effet « L’homme, de tout temps, rejette l’inconnu car il a besoin de savoir ce qu’il mange ; il doit pouvoir identifier ses aliments. » ( Rigal 2000 : 84).  Il semble donc que « L’angoisse et le plaisir font partie intégrante de la relation de l’homme à ses aliments. » (Garabuau-Moussaoui et al. 2002 : 69)

         Mais pour les enfants la néophobie peut prendre un sens plus large. Au rejet des légumes inconnus, va s’ajouter celui des légumes connus et certains enfants vont ainsi réduire leur répertoire alimentaire (Rigal 2000) :

«  Quand j’étais petite j’aimais tout mais maintenant j’aime pas les légumes. [C’est quand que tu t’es mise à ne plus aimer les légumes ?] Vers 4 ans. (…) Je sais pas [pourquoi je n’aime plus ça]. [Il t’est arrivé quelque chose ?] Non. (…) » ( Eline, CE1, non )

1.4.2. Les enfants néophiles

 

                    Pour certains enfants néanmoins, goûter de nouveaux aliments n’est pas un problème, voire est valorisé.

Tout d’abord goûter permet de faire des découvertes positives :

« [Tu aimes  goûter de  nouvelles choses ?] Heu oui.(…) Parce que

peut-être que c’est bon. » (Daouda, CE1, non)

 

Cela permet aussi d’élargir son répertoire alimentaire et devenir « grand » :

« [Tu goûtes souvent ?] Tout le temps.(…)Quand je goûte tout après j’aime. Quand je serai grande je vais tout aimer. » (Héloise, CE2, cantine)

 

Cette néophilie peut aussi être le fruit de l’incorporation des normes dominantes et familiales :

[C’est ta maman qui voulait que tu goûtes ou c’était toi ?]  Ben au début je voulais pas mais après je me suis dis qu’il fallait que je goûte parce que je me rappelais à la télé  et dans les magasines qu’il fallait toujours goûter. » (Rosalie, CE1, oui)

 

Les médias paraissent donc avoir une influence sur la néophilie de certains enfants. Mais les parents peuvent eux aussi en avoir.

 

1.4.3. Combat contre la néophobie : faire passer l’aliment du statut d’ « Objet Comestible Non Identifié » (OCNI) à celui d ’ « Objet Comestible Identifié » (OCI)

 

« O.C.N.I » et « O.C.I. » sont des termes employés par Fischler. Face à un Objet Comestible Non Identifié l’enfant va devoir se l’approprier pour que ce dernier devienne comestible. Il faut que le légume « non identifié » devienne « un aliment qui est sien (s’insère dans des schémas connus) et qui lui convient (est apprécié) » (Rigal 2000 : 115)

Pour ce faire différentes pratiques et stratégies vont être mises en place par les parents et l’école comme nous le verrons dans les parties suivantes.

Une façon de faire changer l’aliment de statut est la cuisine. Selon Fischler la cuisine, la préparation, est une réponse au « paradoxe de l’omnivore ». « La cuisine d’un groupe humain peut être conçue (…) comme un corps de pratiques, de représentations, de règles et de normes reposant sur des classifications : l’une des fonctions essentielles de cette construction, c’est précisément la résolution du paradoxe de l’omnivore ». (Fischler 1990 : 65).

Nous l’avons vu, la préparation des aliments est très importante pour les enfants.

Mais outre préparer et cuisiner des plats les parents ont un autre rôle primordial : celui d’inciter les enfants à goûter de nouveaux aliments :

«J’aime pas trop goûter nouvelles choses mais dès que je les ai goûté je trouve parfois que c’est bon et parfois que c’est pas bon.(…) [Si tes parents ne  te disent pas de goûter, tu ne goûtes pas ?] Oui. » (Jules, CE1, oui)

 

Le rôle des parents ne s’arrête pas là comme nous le verrons en troisième partie.

Cette néophobie semble néanmoins plus concerner les légumes que les fruits.

1.5. Préférence enfantine pour les fruits : représentations, pratiques et consommations différentes des fruits et légumes

 

 

                     Pour les enfants fruits et légumes ne semblent pas avoir le même statut. Unanimement, ils déclarent aimer les fruits. Ce qui n’est pas le cas des légumes… Comment s’intègre cette différence dans leurs représentations et leurs consommations de ces aliments ?

1.5.1. Caractéristique du « goût enfantin »

 

                    Les études quantitatives faites à propos du goût enfantin confirment la préférence des enfants pour les fruits. Selon l’étude Chiva (1985) les fruits sont plébiscités à 92 % par les enfants, tandis que les légumes font l’objet d’un dégoût enfantin. Les études de Chiva et Fischler 1986 : « permettent de tracer les contours d’un consensus relatif dans l’expression d’un ‘dégoût enfantin’ concernant les abats (…), la plupart des légumes (endives cuites, tomates cuites, céleris, choux, choux-fleurs, poivrons, épinards, navets, courgettes) et enfin certains produits à la flaveur très prononcée ou stimulant le nerf trigéminal (olives, fromages forts, oignons, poivre). » (Rigal 2000 :57). A quoi est due cette différence de statut entre fruit et légumes pour les enfants ?

 

Il y a tout d’abord le fait que généralement les fruits sont plus sucrés que les légumes or les enfants sont « naturellement attirés » par le goût sucré.

De plus un autre facteur qui joue en défaveur des légumes réside dans le fait que les enfants ont tendance à aller vers ce qui est le plus nourrissant, le plus calorique. Ils ressentent peut-être plus fortement la sensation de faim et cherchent à la combler, ce qui leur procure du plaisir :

« Bah le matin c’est bien parce que on meure de faim, le midi aussi. » (Marianne, CM2, oui)

 

Or les aliments qui procurent une sensation de satiété rapide sont souvent très caloriques. Ce n’est pas vraiment le cas des légumes. Pour Nathalie Rigal, cette recherche de rassasiement «  pourrait expliquer la préférence des enfants pour les produits qui apaisent rapidement les sensations de faim (notamment les féculents), et a contrario leur tendance à rejeter les légumes. » (Rigal 2000 : 56)

En effet certains enfants semblent classer les légumes du côté de ce qui sain, bon pour la santé et les aliments gras et caloriques comme ce qui est bon :

« Des fois tout ce qui bon c’est avec de la graisse. » (Virginie, CE1)

 

Or de nombreuses études (comme par exemple celle de Pliner 1995) ont montré que l’argument santé était bien moins stimulant que l’argument hédonique (« c’est bon »)  pour donner envie aux enfants de goûter et manger les aliments.

1.5.2. Normes et représentation enfantines

 

Les enfants vont justifier leur préférence pour les fruits en utilisant de façon contradictoire l’argument du goût :

« [Les fruits et les légumes ça a trop de goût ?] Non, y a que les légumes qui ont trop de goût » (Martin, CM2, cantine)

 

« Oui j’aime tous les fruits mais pas les légumes. (…)Je sais pas, j’aime pas. J’ai pas de raison. Je trouve ça pas bon.(…) Les fruits ça a plus de goût, c’est pour ça que je préfère. » (Pablo, CM1, cantine)

 

Tantôt les légumes ont trop de goût, tantôt pas assez. Cela dépend peut-être des légumes… Ou peut-être que l’explication réside au-delà du goût, dans l’imaginaire des enfants « les légumes c’est pas bon, les enfants n’aiment pas ça »…

A cela s’ajoute aussi le statut du fruit donné en dessert ou en goûter, moment « ludique » du repas, comme nous le verrons ultérieurement.

1.5.3. Habitudes de consommations

 

Il semble aussi que les enfants consomment plus de fruits, en ont plus facilement à disposition (pas besoin de les cuisiner comme pour les légumes) ce qui pourrait expliquer leur préférence :

« Je préfère les fruits ! Parce qu’un fruit j’en mange souvent. Je mange plus souvent des fruits que des légumes. (…) Je sais pas c’est l’habitude ! » (Annama, CM1, oui )

 

Néanmoins les fruits sont rudement concurrencés par les gâteaux comme nous le verrons dans la quatrième partie et bien souvent ne sont pas consommés « purs », seuls :

« [Et la pêche, les fraises et l’ananas tu les préfères comment, tout seuls ou en salade ?] En gâteau et puis en yaourt » (Daouda, CE1, non) 

 

         Dans la formation du goût de l’enfant entrent donc divers facteurs. « La relation entre patrimoine culturel et patrimoine biologique forme le goût de l’individu, comme être unique. » (Garabuau-Moussaoui et al. 2002 : 65).

Mais dans quelle mesure le milieu socioculturel peut-il avoir une influence sur la formation du répertoire alimentaire de l’enfant ?

2. Influence du cycle de vie et du milieu SOCIOPROFESSIONNEL dans les préférences alimentaires des enfants

 

 

                     La question de l’influence du milieu socioprofessionnel sur les pratiques et représentations est fondamentale en sociologie. Particulièrement visible dans les études macro sociales, elle est plus difficilement décelable dans les études mezzo et micro sociales. C’est pourquoi je cherche seulement à appréhender des « traces » d’influence de la classe sociale sur le comportement alimentaire des enfants.

 

Dans divers domaines de la vie quotidienne, on observe une modification du comportement à mesure que la personne grandit puis vieillit. Ces modifications ont notamment été étudiées par M. Desjeux dans le domaine de la consommation et sont connues sous le nom de cycle de vie. En fonction de ces cycles, les pratiques et représentations vont évoluer. Isabelle Garabuau Moussaoui dans son ouvrage a mis en évidence le rôle du cycle de vie dans l’alimentation des jeunes.

Comment l’effet cycle de vie se retrouve-t-il chez les enfants, sur quoi agit-il ?

2.1. Influence du cycle de vie

 

                    Selon les animateurs de la cantine, on peut distinguer deux étapes chez les enfants entre six et onze ans.

Pour Jean, l’animateur de la cantine, c’est un élément biologique et morphologique qui va être le facteur déterminant du changement de consommation :

« Plus ils sont grands, plus ils ont faim et donc plus ils mangent de tout..» (Jean, animateur cantine)

 

Alors que pour Valérie, animatrice elle aussi, c’est plutôt un facteur psychologique qui domine :

« Mais les petits c’est plus facile de les influencer, alors que les grands si ils aiment pas, ils aiment pas (…) Y a des stades. Je ne vais pas parler pareil avec les CP qu’avec un CE2. » (Valérie, animatrice cantine)

 

Dans ces cas, l’effet cycle de vie est composé de facteurs biologiques mais aussi psychologiques. Selon Nathalie Rigal  «  Le rejet des légumes (…) débuterait vers deux ans, atteindrait son apogée entre cinq et sept ans, et subirait une diminution tout à fait notable à partir de douze ans. » (Rigal 2000 : 69)  L’âge semble donc jouer un rôle dans la consommation des fruits et des légumes. C’est pourquoi j’ai choisi d’observer et d’interroger des enfants du CE1 (âgés de sept ans environ) et des enfants de CM1-CM2 (de neuf à onze ans).

2.1.1. Des répertoires alimentaires variables selon l’âge

 

                    A première vue l’âge ne semble pas avoir d’influence sur le goût pour les légumes et fruits. On retrouve des enfants détestant les légumes aussi bien chez les CE1 et les CM1-CM2 que des enfants déclarant les aimer. Le sexe ne semble pas jouer non plus.

Néanmoins en examinant de plus près leurs pratiques et consommations on s’aperçoit que les enfants plus âgés ont un répertoire moins enfantin, ont accès et ont du goût pour des plats plus « raffinés », des plats ou des aliments d’« adulte ».

Ainsi lorsque l’on demande aux enfants quel est leur plat préféré à la maison, les CE1 ont tous opté pour des plats « simples » tels que les pâtes avec du poisson (Emma, CE1, oui) ou la purée avec de la viande (Rosalie, CE1, oui). Tandis que des CM1 et CM2 vont déclarer raffoler par exemple de la sole au beurre (David, CM1, moyen) ou encore de plats exotiques comme des sushis (Hugo, CM2, moyen).

2.1.2. Des expériences culinaires évoluant avec l’âge

 

                    L’âge joue un grand rôle dans l’expérience culinaire de l’enfant.

En effet en CE1 beaucoup d’enfants n’ont jamais cuisiné tandis que la tendance s’inverse en CM1-CM2.

De plus ce ne sont pas toujours exactement les mêmes plats qui sont préparés suivant l’âge. Si tous les enfants qui cuisinent déclarent faire des gâteaux, seuls les CM1-CM2 préparent également des plats salés.

Or savoir cuisiner ou non semble modifier le rapport que l’on a à l’alimentation en général et aux légumes en particulier. Les enfants qui savent cuisiner des légumes sont aussi parmi ceux qui disent les aimer.

2.1.3. Dépendance et autonomie

 

                    Les enfants plus âgés semblent également être plus autonomes. Certains d’entre eux peuvent déjà faire des repas pour eux et leurs frères et sœurs en l’absence des parents (Daniel et Marianne). Ils peuvent également faire les courses seuls, ce qui semble être pour eux une grande source de fierté car ainsi on reconnaît implicitement leur statut de « grand » :

« [Tu aimes bien faire les courses seul ?]Oui. Je me sens grand ! » (Hugo, CM2, moyen)

 

Tandis que les enfants de CE1 ne peuvent faire de course ou cuisiner seuls. Le seul moment où ils vont pouvoir se préparer tout seul leur nourriture va être le petit-déjeuner. Pour certains enfants c’est une raison d’apprécier ce repas, comme nous le verrons dans la troisième partie

2.2. Indices de l’influence de la catégorie socioprofessionnelle et de l’origine culturelle des parents

 

                    L’échantillon des enfants est très diversifié. Je me permets de vous renvoyer au tableau récapitulatif (Annexe N°1 : pp.88-89) qui rend plus lisible les origines sociales et professions des parents des enfants interrogés.

Ces enfants viennent de milieux socioprofessionnels et sont d’origines culturelles très divers. Ainsi il y a par exemple Daniel dont les parents sont réfugiés du Kazakhstan et sont au chômage et il y a Marisol dont le père vient de l’Aveyron, est banquier et la mère journaliste

Cela a-t-il une influence sur leur pratiques et représentations alimentaires ?

 A première vue il semble que non, on retrouve des enfants aimant et n’aimant pas les légumes dans toutes les catégories. Il n’y a aucune preuve de l’influence de la catégorie socioprofessionnelle. Néanmoins en affinant un peu, on se rend compte qu’il y a des indices.

2.2.1. Pas le même accès à la consommation

 

Dû à la disparité des revenus entre les parents des enfants, on peut penser qu’ils n’ont pas tous le même accès aux produits de consommation.

Pierre Bourdieu dans La distinction montre que les choix alimentaires des classes populaires et ceux des cadres et professions libérales sont bien différents. Les personnes issues de classe populaire vont avoir tendance à aller vers une nourriture riche et lourde, tandis que les cadres et les  professions libérales iront plutôt vers des nourritures légères, raffinées et exotiques. A cela s’ajoute le prix. Les aliments destinés à la nourriture légère et raffinée sont en général plus chers que les aliments riches et gras. Les classes populaires « ont le goût de ce à quoi elles sont de toute façon condamnées ».

          Le plat de base chez Daniel est, selon ce dernier, « des frites avec du saucisson ». Les enfants issus de classes sociales défavorisées partagent avec les enfants de CE1, le goût pour les plats simples. Par plats simples, j’entends ceux qui sont basiques et sont souvent situés en bas de la hiérarchie sociale des aliments. Les enquêtes alimentaires de l’INSEE (1967-1991) montrent que les plats utilisant des produits de luxe, des crustacés, des poissons frais ainsi que de la viande de boucherie étaient surconsommés par les classes sociales supérieures et sous consommés par les classes inférieures. Et vice-versa en ce qui concerne les plats contenant des féculents, pommes de terres, pâtes etc.…

Les enfants qui citent des plats ou des aliments « raffinés » appartiennent à la classe sociale supérieure.

Ainsi David qui veut cuisiner de la sole au beurre, Marianne qui raffole des langoustes ou Hugo dont le plat préféré chez lui est le sushi ont des parents qui appartiennent à des catégories sociales professionnelles supérieures[8]. Il n’est pas certain que les parents de Daouda, qui sont à l’hôtel social ou ceux de Daniel, qui sont au chômage, aient les moyens d’acheter de la sole ou des langoustes.

Parmi l’échantillon, un enfant possède un jardin et y fait pousser ses légumes préférés. Avoir un jardin à Paris requiert probablement d’avoir des relations ou des revenus importants. Ce qui semble être le cas du père et de la belle-mère de cet enfant. Au cours de l’entretien l’enfant parle souvent de ses plantations. C’est également celui qui connaît le plus de fruits et légumes et semble avoir la plus grande expérience culinaire de l’échantillon. Le capital social ou économique peut parfois être un moyen dans la familiarisation aux fruits et légumes.

Ainsi « Au-delà des dimensions identitaires, l’alimentation agit comme un marqueur social, parce qu’elle est l’expression du jeu des ressources et des contraintes caractéristiques de positions sociales, ainsi que des représentations qui sont attachées à ces positions. »  (Régnier, Lhuissier, Gojard 2006 : 8).

 

Néanmoins l’âge semble jouer un rôle niveleur. Les enfants de CE1, quelque soit leur classe sociale d’appartenance ont tous une préférence pour les plats « simples ». Cette homogénéisation se retrouve à un stade encore plus poussé à la cantine où on assiste à la victoire éclatante du goût enfantin. Or le goût enfantin tel que le définit Fischler concerne des enfants toutes classes sociales et sexe confondus.

 

De plus l’origine culturelle des parents, notamment ceux qui sont immigrés peut avoir une influence sur le répertoire alimentaire de l’enfant. Les enfants d’immigrés interrogés viennent tous d’une classe sociale défavorisée. Cependant les origines culturelles de leurs parents leur permettent d’avoir accès à d’autres connaissances et sensibilités alimentaires. Or l’exotisme en cuisine est très en vogue parmi les classes supérieures. Les frontières se brouillent.

 2.2.2. Différents répertoires alimentaires

 

         Dans mon échantillon il y a cinq enfants dont les parents sont immigrés. Il n’y a là aussi aucune preuve que leur origine culturelle influe sur leur répertoire alimentaire mais on note toutefois des petites modifications explicables peut-être par la culture d’origine.

Par exemple pour Meyriam qui n’aime guère les légumes, exceptés les lentilles et les épinards. Ces deux légumes sont des légumes de base dans la cuisine indienne. Or il se trouve que les parents de Meyriam sont Indiens.

La religion a une influence sur le répertoire alimentaire. Ainsi pour les enfants musulmans, le porc est exclu du répertoire alimentaire.

Certains enfants semblent aussi avoir des sensibilités et des connaissances culinaires un peu différentes de celles de leurs camarades :

« [Je voudrai être] Un citron. (…)Parce que on peut le mettre des fois dans la viande qui a pas de goût »( Yannice, CE1, oui) 

 

 En effet les citrons macérés dans le vinaigre et de la saumure donnent une légère acidité à la viande et lui enlève toute l’aigreur qui déplaît aux enfants. De plus le citron dénature les protéines de la viande, ce qui la rend plus digeste, plus souple et plus facile à mastiquer. Au Maroc on trouve facilement des citrons dans les souks et les cuisiner avec de la viande est une pratique usuelle. On peut alors se demander si cet apprentissage là ne lui vient pas de sa mère d’origine maghrébine.

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Mais il n’y a pas que les influences nationales, il y a aussi les influences régionales. Si l’exotisme en cuisine est à la mode, le goût pour le terroir  l’est également, « En relation compensatoire à la mondialisation des marchés alimentaires, les produits de terroirs se parent de milles attraits. » (Poulain 2005 : 22) et pour certains influencent leur répertoire alimentaire :

« [J’adore] L’aligot. (…) C’est de l’Aveyron, mon père est de l’Aveyron alors… » (Marisol, 10 ans, oui)

 

         Il semble donc y avoir des indices de l’influence de la catégorie socioprofessionnelle et de l’origine culturelle, qui parfois même se contrebalancent, mais due à la taille réduite de mon échantillon, ce ne peut être que des indices et non des preuves.

Par contre, à défaut de preuve de l’influence du contexte matériel, le contexte affectif qui entoure le repas semble lui primordial.

3. Importance de lA DIMENSION affectiVE dans le rapport à la nourriture :

les repas

 

 

                    Les repas et leur contexte affectif sont très importants dans la manière dont l’enfant va apprécier la nourriture mais également assimiler les règles et normes alimentaires. Comme l’écrit Kaufmann « (…) les meilleures régulations viennent des contextes où s’inscrivent les mangeurs. » (Kaufmann 2005 : 61). En effet malgré la tradition de bonne chère et le repas comme institution, les Français ont moins d’obèses que d’autres pays, c’est ce que Rozin appelle le « French Paradox » (Rodin et al. 2003).

3.1. La cuisinière, plus importante que la nourriture elle-même ?

 

         Selon un proverbe finnois «  Une chemise de toile cousue par sa mère est chaude, une chemise de laine cousue par une étrangère est froide », il semble qu’il en aille de même pour l’appréciation de la nourriture de la mère et de celle des étrangères.

3.1.1. La mère, la cuisinière par excellence

 

La mère semble être la cuisinière par excellence tant sur le plan pratique qu’affectif.

En effet il n’y a aucun père qui se charge complètement de la cuisine. Dans le meilleur des cas il aide la mère à cuisiner ou prépare des repas festifs et exotiques :

«  C’est différent. Chez ma maman c’est plutôt des pâtes, des légumes et de la soupe, chez mon papa y a plus des repas mexicains, des trucs comme ça avec des barbecues dans le jardin. » (Marianne, CM2, oui)

 

Ou bien il cuisine en cas de nécessité, lorsque la mère n’est pas là. Mais son expérience semble plus limitée que celle de la mère et parfois l’enfant doit l’aider :

«Mon papa il s’énerve beaucoup parce qu’ il arrive pas à faire cuire les légumes ! [Donc il fait la cuisine parfois ?] Oui, quand il est obligé.[Et tu l’aides ?] Heu oui mais j’aime pas trop l’aider parce que quelques fois il s’énerve et il me fait peur. » (Marisol, 10 ans, oui)

 

Son inexpérience peut parfois être cause de tensions. Ce qui peut expliquer que l’enfant préfère les repas avec sa mère :

« [Et avec ta maman ?] Ça se passe bien, mieux qu’avec mon père. (…)Y a des trucs bien dans les deux mais je préfère avec ma maman. » (Marisol, 10 ans, oui)

3.1.2. La dévalorisation de la cuisine des « étrangers »

 

La cuisine familiale semble être la plus appréciée lorsqu’il y a comparaison.

En effet certains parents travaillent beaucoup ou font des activités nocturnes qui les empêchent de manger avec leurs enfants. Dans ces cas-là, bien souvent la cuisine de la mère va être exaltée au dépend de celle de la belle-mère, de la nounou ou de la grand-mère :

« Avec la nounou elle les prépare trop chaud ou trop froid, jamais normal alors c’est pas très bon. Alors qu’avec maman c’est bien. (…) »  (Timothée, CM1, oui)

 

L’appréciation de la cuisine est en même temps une appréciation de la cuisinière. A travers son appréciation c’est en fait ses affects que l’enfant dévoile. Cette situation est particulièrement flagrante en cas de divorce par exemple. La nourriture de la belle-mère peut alors dans certains cas être jugée très durement. La nourriture peut devenir une « nourriture-symptôme, c’est-à-dire une certaine façon d’exprimer un malaise. Si l’enfant ne mange pas, c’est au-delà des ‘caprices’ et du plat détesté, qu’il veut exprimer un problème qui se situe ailleurs. Il tente, par un comportement, de rendre audible quelque chose de non dit, qui l’inquiète, qui menace sa position dans la famille ou ailleurs et qu’il ne peut, ou ne veut traduire en mots. » (Favre-Bonnet 1985 : 47).

 Dans le cas de David, nous sommes dans l’affirmation de son conflit avec sa belle-mère, de son malaise et de sa nostalgie de la situation pré-divorce :  

« J’aime beaucoup moins [manger chez mon père] que chez maman, parce que maman elle me fait toujours des trucs frais alors que depuis que mon père est avec ma belle-mère, ma belle-mère elle fait des plats surgelés, j’aime pas. [(…) avant que ton père soit avec ta belle-mère, chez ton père c’était un peu comme chez ta mère ?] Oui. (…) Bah on mangeait pas de surgelés, on parlait(…) » ( David, CM1, moyen)

 

La mère de David travaille dans le domaine  des fruits et légumes frais et selon David ne cuisine qu’avec des aliments frais. Le surgelé est donc l’antithèse de la cuisine de sa mère donc quelque part de sa mère. Tandis que le surgelé semble représenter sa belle-mère et est diabolisé. Les conceptions alimentaires  cristallisent l’opposition entre la mère et la belle-mère. Le discours sur le repas est ici révélateur des situations familiales.

Selon Rozin dans  l’« association entre le plaisir de l’interaction avec une personne modèle appréciée et le stimulus alimentaire, l’enfant pourrait apprendre à accepter cet aliment. » et inversement comme nous le voyons avec l’association belle-mère et surgelé !!

3.2. Les interactions au cours du repas : entre ennui et amusement, confiance et peur

 

Les deux critères de jugements du repas sont le goût des aliments (bons lorsque c’est la mère qui cuisine, mauvais quand c’est un étranger) et l’ambiance qui règne à table :

« C’est bien ! (…) parce qu’on mange et parce qu’on parle. » (Emma, CE1, oui) 

 

«  En se nourrissant, l’homme n’assouvit pas seulement un besoin calorique, il cherche à satisfaire aussi son besoin de chaleur humaine »[9]. Le repas semble ainsi combler des besoins naturel (manger) et affectif (parler).

3.2.1. Un moment convivial et chaleureux

 

                    Le repas peut être un moment agréable qui permet aux enfants d’échanger avec leurs parents, leurs frères et sœurs autour d’un « bon » plat. Image d’Epinal ? Pas si sûr…

« [J’aime le repas du soir] Parce que souvent c’est bon et j’aime bien parler. » ( Hugo, CM2, moyen)

 

Hugo et Emma sont frères et sœurs et si ils ont parfois des points de divergences sur un même événement, sur le repas ils sont en revanche unanimes.

 

Pour certains le moment du repas est le moment privilégié pour parler de soi :

 

 « On parle des problèmes, des trucs qui vont bien, de tout. [De l’école aussi ?] Oui. [T’aimes bien ?] Oui » (David, CM1, moyen)

 

  Mais aussi pour parler des petits événements du quotidien, bref pour maintenir et construire le lien entre les membres de la famille :

« Souvent [on parle] de comment on part la semaine prochaine à Juranville dans notre maison de campagne, de la boulangerie et aussi des employés.[Et l’école ?] Des fois j’en parle et eux me disent de montrer mes devoirs et mon cahier de correspondance. [T’aimes bien ça ?] Oui. «  (Timothée, CM1, oui)

 

Suivant l’heure du repas et les activités parentales, les enfants vont manger entre eux ou avec leurs parents.

« Je mange tout seul avec ma sœur des fois quand y a pas la pizza. (…) Sinon elle mange après ou elle [sa mère] sort et elle va manger avec des copains. (…) » (Yannice, CE1, oui)

 

« Bien.(…)Clara est pas là. Elle dort. Ça dépend si on mange tôt ou tard.[Tu manges avec tes parents ?] Quand ils sortent je mange avec mon frère(…)» ( Hyppolite, CM2, moyen )

 

Certains préfèrent quand toute la famille est réunie. Cela leur permet d’apprendre des choses sur leurs parents :

« Oui. Mais c’est mieux avec mes parents parce qu’on parle plus. (…)La dernière fois c’était sur comment c’était l’école avant (…) » (Hippolyte, CM2, moyen)

 

Et vice-versa, car la discussion du repas du soir tourne souvent autour du sujet de l’école. Certains enfants apprécient, d’autres moins.

Soit parce qu’ils ne savent pas quoi dire :

[Et vous parlez de l’école aussi ?] Oui [Tu aimes bien ?] Non pas trop. (…) Parce que je sais pas quoi raconter. Parce que j’arrive pas à me remémorer tout ce qu’on a fait dans la journée ». (Marianne, CM2, oui)

 

Soit parce que la conversation ressemble moins à une discussion qu’à un interrogatoire :

 « [(…) T’aimes bien parler de l’école?] Pas trop non. C’est plutôt eux qui me posent des questions sur l’école. » (Marisol, 10 ans, oui)

 

Le repas peut aussi être un moment ludique, bien que le sens de l’humour des enfants et celui de leurs parents puissent être légèrement divergents:

« C’est trop rigolo parce que mon petit frère comme il a cinq ans il est encore petit et il peut loucher et des fois il fait des bêtises sans le faire exprès. (…) [Tu parles de quoi à tes parents ?] Des trucs drôles, je fais des grimaces. [Ils trouvent ça drôle ?] Pas trop. » (Arthur, CE1, moyen)

 

Manger entre frères et sœur est un moyen de créer une complicité fondée sur le rire mais aussi d’échapper un peu à la surveillance parentale :

« [Tu préfères quoi ?] Quand je mange avec quelqu’un (…) Je préfère les deux [juste avec son frère/ avec son frère et ses parents].Y a pas trop de différence, c’est pareil. Avec mon petit frère tout seul on mange et on rigole, et puis aussi avec les parents A part qu’ils nous  surveillent pas, ben si, ils nous surveillent mais ils mangent pas ». (Jules, CE1, oui) 

 

Néanmoins les enfants font parfois le reproche à leurs parents de faire « bande à part » :

« C’est les parents. Ils disent qu’on doit pas discuter alors que eux ils discutent trois heures à table.(…) »  ( Arthur, CE1, oui )

 

« (…) Avec notre parents on parle des choses, des fois ils parlent tout seul tous les deux et on met la télé en même temps. (…) » (Timothée, CM1, oui)

 

La télévision peut alors être une alternative.

Mais la discussion, qui sert à créer des liens, peut aussi être un moyen thérapeutique :

« Je fais des discussions parce que j’ai orthophoniste, je dois avoir des discussions de vingt minutes. (…)Je parle de ma journée. [Ton petit frère fait pareil?] Non parce que lui il a pas le droit. C’est à partir de cinq ans.(…)Il parle pas trop. [C’est à partir de cinq ans que tu peux parler plus ?] Bah c’est à partir de cinq ans que tu peux aller à l’orthophoniste. » (Jules, CE1, oui)

 

Là aussi apparaît le thème de la reconnaissance du statut de grand. Avoir le droit de parler à table et être reconnu est très important pour les enfants.

 

Il semble donc que « La table, d’une certaine manière, met en forme la vie de famille.» (Muxel 1996 : 64, cité par Kaufmann 2005).

Nous avons vu ici la face « positive », mais il y a également la « face sombre » des repas. Quand les parents se disputent souvent, le repas peut tourner à la corvée voire au cauchemar pour les enfants.

3.2.2. Un moment tendu et conflictuel

 

On peut diviser les disputes et tensions en trois catégories, celles intra parentales, celles entre frères et sœurs et celles entre parents et enfants.

Les enfants semblent avoir du mal à supporter les disputes qui éclatent entre leurs parents, peut-être parce qu’ils sont impuissants face à ces tensions et qu’elles menacent la famille :

« Ça se passe bien mais parfois mon père et ma belle-mère ils se disputent (…) j’ai horreur de ça (…) » (Marianne, CM2, oui)

 

Il y a également les chamailleries fraternelles. Certains les redoutent :

 

« Y a pas trop de disputes avec mon frère. Au début j’avais peur qu’on se dispute mais ça va. » (Rosalie, CE1, oui)

 

Chez d’autres, elles sont fréquentes et débouchent d’ailleurs par des tensions avec leurs parents :

« (…) Des fois ils nous grondent. [Vous vous bagarrez souvent ?] Non, si, pas souvent mais un peu souvent quand même. [T’aimes bien te disputer à table avec ton frère ?] Non pas du tout » (Arthur, CE1, moyen)

 

Les disputes peuvent être destructrices et anéantir toute discussion. Le repas, au lieu d’être convivial et détendu, devient un moment stressant :

 «  Ça dépend des fois (…). Quelques fois y a une très grosse dispute c’est pas très marrant parce que tout le monde a peur de parler. (…) » (Marisol, 10 ans, oui)

 

Le moment du repas est celui des échanges mais aussi des gronderies et des punitions puisque parents et enfants sont en interaction :

« [Tu aimes le moment du repas ?]Quand c’est normal oui, quand je me fais pas gronder »  (Héloise, CE2, cantine)

 

         C’est aussi là que les normes sociales et familiales vont être intégrées et il va y avoir un jugement de valeur apposé à celui qui ne les respecte pas :

 «  Oui j’ai un frère, il est au collège, il est un peu cochon, il fait des prouts à table.(…) » (Héloise, CE2, cantine)

 

Ainsi « Le repas, comme l’école, reste aujourd’hui encore une institution, un cadre de socialisation transmettant des valeurs et construisant les individus par l’imposition des contraintes. » (Kaufmann 2005 : 113)

3.2.3. Un moment dépourvu de paroles

 

Dans les familles où on parle à table les discussions sont valorisées. Mais dans celles où on ne parle pas ?

On peut voir face à cette situation trois réactions différentes.

L’enfant intègre la norme familiale et trouve cela « normal » de ne pas parler à table :

« [Vous parlez à table ?]Pas trop. (…) Parce que on mange ! (…)On parle de heu presque rien puisqu’on parle presque pas. (…)[Tu trouves ça bien ?] Oui parce que quand il y a du bruit j’aime pas. » (Eline, CE1, non)

 

Là où il y a souffrance c’est lorsque cette norme n’est pas acceptée, comme pour Marisol qui souffre du silence à table :

[On ne parle pas à table]Surtout le week-end parce que comme mon père il parait qu’il est très stressé par son travail il veut se reposer alors il veut pas parler à table (…) comme il parle pas et qu’on parle pas trop après on arrête. [Des fois n’y a personne qui parle à table?] Oui, mais ça arrive pas souvent. J’aime pas trop. » (Marisol, 10 ans, oui)

 

Peut-être aussi parce que c’est un silence « tendu », les disputes étant fréquentes chez Marisol, comme nous l’avons vu précédemment.

Une troisième stratégie consiste à « boycotter » le repas en prétextant ne pas avoir faim :

« Non, ils [mes parents] ne disent rien. Des fois ma mère me dit ‘arrête de parler et mange’ et voilà.(…)[Mais tes parents ne te posent pas de questions ?] Non. [Et ta petite  sœur ne parle pas ?] Non (…) Parfois je ne mange pas.[Tu ne vas pas à table ?] Non.(…) Parce que j’ai pas faim (…)je sais pas, j’ai pas faim c’est comme ça. [Donc tu préfères rester dans ta chambre toute seule ?] Oui » (Meyriam, CM1, non)

2.2.4. Un moment marqué par l’absence de l’être aimé et les conditions matérielles

 

Il peut y avoir souffrance lors du repas pour l’enfant lorsqu’une personne familière et aimée (par exemple le père ou la mère) n’est plus là. Le repas est alors qualifié d’ « ennuyeux » :

« (…)C’est ennuyeux quand on est que trois, moi, ma maman, mon petit frère parce que mon papa était en Amérique. C’est un petit peu ennuyeux parce qu’il n’y a pas toute la famille » (Jules, CE1, oui)

 

 Pour d’autres la présence familiale ne suffit pas et l’absence des pairs se fait ressentir :

« Ennuyeux. Parce que y a pas d’amis. » (Daouda, CE1, non)

 

Contrairement à ce que l’on pourrait croire au vu de ce verbatim, Daouda n’est pas enfant unique mais à au contraire quatre frères et sœurs. Néanmoins son repas préféré reste la cantine car il y a là ses amis. A ceci s’ajoute probablement les conditions de vie de la famille de Daouda. Lui et sa famille vivent dans un hôtel social dans des conditions plutôt difficiles.

 

         Le repas du soir est un repas fortement marqué par le contexte affectif. C’est surtout lui qui va servir d’étalon de valeur pour juger le repas et le trouver soit « bon » soit « ennuyeux ». Le repas du soir est aussi le moment où normalement toute la famille est réunie. Lorsque ce n’est pas le cas l’enfant déplore l’absence et le repas perd de sa saveur.

Mais le moment du repas c’est aussi celui de la construction du lien familial, de la famille, le moment où les normes parentales vont être inculquées aux enfants.

Qu’en est-il des autres repas ?

3. 3.Goûter et petit déjeuner, des repas à part ?

 

En France, le petit-déjeuner et le goûter sont les deux repas où les aliments sucrés prédominent. De plus, contrairement au déjeuner et dîner, les enfants peuvent se passer de la présence des parents pour préparer leurs nourritures.

3.3.1. Le triomphe du sucre et la valorisation de l’énergie

 

                    Contrairement au dîner, les aliments consommés aux petit-déjeuner et goûter sont primordiaux dans le jugement du repas. Peut-être parce que ce sont les seuls repas où les gâteaux et les sucreries sont permis :

« [Le petit-déjeuner est mon repas préféré] Parce que des fois tu peux avoir des Dooaps [brioche chocolatée] et moi j’aime bien les Dooaps et des fois je mange des clémentines. » (Rosalie, CE1, oui)

 

Au petit déjeuner sont consommés des laitages et des fruits, des céréales, des toasts (notamment au Nutella), pains et brioches. Au goûter se rajoutent à cette liste les gâteaux et les barres chocolatées dont les enfants semblent très friands. Cela touche aussi bien les enfants disant aimer les légumes et les fruits que ceux qui ne les aiment pas, les enfants issus de classes sociales favorisées et défavorisées. On retrouve ici le goût universel des enfants pour le sucre :

« [Et c’est bien le goûter à la maison ?]  Oui parce que on s’achète des gâteaux cocomiel et des pains au chocolat. » (Marianne, CM2, oui)

 

« Parce que c’est bien [le goûter]. (…)Je mange des gâteaux à la fraise. » (Daouda, CE1, non)

 

Une autre raison est avancée pour cette consommation de sucre, celle du besoin de prendre de l’énergie pour pouvoir grandir :

« [J’aime le petit-déjeuner parce que] C’est là que je peux le plus manger pour prendre de l’énergie. [Tu manges parce que tu aimes ça ou pour prendre de l’énergie ?]Pour prendre de l’énergie et parce que j’aime bien. [C’est important pour toi de grandir ?] Oui ! » (Hugo, CM2, moyen)

 

On retrouve ici une des obsessions enfantines : grandir !

3.3.2. Entre autonomie et dépendance

 

                    Un autre avantage du petit-déjeuner et du goûter pour les enfants est qu’ils ne nécessitent en général pas l’intervention d’un tiers. Les enfants peuvent le préparer eux-mêmes.

Ainsi certains enfants aiment le petit-déjeuner malgré leur état second dû au réveil :

 

« Oui [j’aime le petit-déjeuner]. J’arrive, je suis à moitié endormi et je fais mes toasts. » (Hippolyte, CM2, moyen)

 

Et le fait de devoir prendre son goûter à l’école peut être mal vécu car là l’enfant perd sa liberté de choix, il doit manger ce qu’il y a :

« C’est plutôt pareil sauf le goûter qui est pas bien (…) Parce qu’on mange que des gâteaux au chocolat, j’aimerai bien manger plus de fruits. [Tu le prends où le goûter?]Ici à l’école. » (Timothée, CM1, oui)

 

On peut se demander si la plainte de Timothée de ne pas pouvoir manger de fruits est bien sincère car d’autres enfants m’ont dit qu’il y avait des fruits au goûter scolaire :

 « (…) et puis [je mange] des fruits secs au goûter de l’école. » (Jules, CE1, oui)

 

On peut même supposer que cette plainte est formulée stratégiquement pour mieux convaincre les adultes de l’aspect négatif du goûter. En effet en opposant le gâteau au chocolat au fruit, les normes diététiques parentales ne font qu’un tour !

3.3.3. L’absence des parents : entre liberté et insécurité

 

                    L’absence des parents pour certains enfants est vécue de façon ambivalente, à la fois source de liberté (pouvoir manger devant la télévision) et d’insécurité.

En effet le petit déjeuner peut être vu comme un repas privilégié pris entre frères et sœurs, sans les parents et donc hors de leur surveillance directe. Même le lieu peut être différent de celui du repas du soir. Ce dernier est pris dans la cuisine alors que parfois pour des raisons pratiques (la télévision) le petit-déjeuner est pris dans le salon. Et alors que la télévision est interdite le soir, là, ils vont pouvoir la regarder :

« [Vous regardez la télévision lors du repas du soir ?] Non (…)  Moi je le [le petit-déjeuner] prends devant la télé avec mon frère [Ta maman n’est pas là ?] Elle est dans la cuisine [la télévision est dans le salon] » (Emma, CE1, oui)

 

Le goûter, s’il n’est pas pris à la maison, se passe à l’école, ce qui peut être source de contentement ou de mécontentement, selon les enfants.

Pour certains le goûter à l’école permet de pouvoir partager ce moment avec des pairs choisis, les amis :

« [Tu aimes bien prendre le repas à l’étude ?] Oui parce qu’on est avec des copines. » (Marianne, CM2, oui)

 

Pour d’autres, comme nous l’avons vu, l’impossibilité de choisir ternit ce repas.

Si les petits déjeuners se passent toujours à la maison, le goûter lui, peut être pris uniquement à la maison ou à l’école mais aussi suivant les jours de la semaine, va être pris en alternance (soit à la maison, soit à l’école pendant l’étude) :

« Je prends plutôt le goûter le lundi et mardi à l’école. Et le jeudi et vendredi je le prends à la maison parce que je reste pas à l’étude. »  (Marianne, CM2, oui)

3.4. Vers des repas déstructurés ou vers une

nouvelle structure ?

 

                    Selon l’ouvrage de Kaufmann, la tendance actuelle va vers la destruction et la mort du repas. «  Des indicateurs matériels marquent le glissement progressif vers la mort du repas comme architecture de la vie familiale. » (Kaufmann 2005 : 129)  et parmi ces indicateurs il met en première ligne la présence de la télévision. Mais celle-ci est-elle si destructrice que cela ? N’y a-t-il pas plusieurs pratiques de la télévisons possibles, dont certaines qui loin de détruire le repas et le lien familial peuvent le souder ?

3.4.1. Pratiques et imaginaires par rapport à la télévision à table 

 

                    Pour le directeur de l’école étudiée, « La forme de repas qu’on leur sert à la cantine n’est pas en adéquation avec celle qu’ils [les enfants] ont chez eux ». Il parle ensuite des enfants de « bobos » [bourgeois bohêmes], issus de famille recomposées, qui ont souvent des repas déstructurés, devant la télévision.

On peut néanmoins se demander si le fait que le repas ne se passe pas à table mais devant la télévision « marque le glissement progressif vers la mort du repas comme architecture de la vie familiale. » (Kaufmann 2005 : p.129). Ou si plutôt, comme le note D. Desjeux « l’enjeu du débat ne porte pas sur la disparition des dispositifs de socialisation, mais sur la transformation de leur formes, de leurs effets et leur plus ou moins bonne maîtrise en fonction des groupes sociaux. ». (Garabuau-Moussaoui et al. 2002 : 42) 

N’y a t il pas plusieurs pratiques de la télévisons possibles?

Des enfants regardent la télévision régulièrement :

« (…) Nos parents comme ils veulent regarder des films et qu’ils en voient pas souvent parce que ils travaillent tard et que quand ils arrivent ils se couchent, ils les regardent à table » (Timothée, CM1, oui)  

 

Certains enfants ne regardent la télévision à table que lors d’occasions festives :

« On a le droit de la regarder pour les anniversaires. » (Hugo, CM2, moyen)

 

Ou de façon ponctuelle :

« Oui [je regarde la télé] tous les dimanches soir. J’aime bien. » (Jules, CE1, oui)

 

Pour ce dernier, le fait de regarder la télévision donne beaucoup de valeur en plus à son repas puisque le repas du dimanche soir où il a le droit de regarder la télé est son repas préféré :

« [Plat préféré ?]Le couscous. Parce que on le mange le dimanche soir. » (Jules, CE1, oui)

 

La télévision peut même être une stratégie parentale pour détourner l’attention de l’enfant et lui faire manger des légumes :

« Parce que parfois j’en ai un peu marre de manger alors maman pour m’encourager elle met la télé pour que je mange.(…) [Elle vous encourage souvent avec la télé ? ] Pas souvent. » (Rosalie, CE1, oui) 

 

Souvent les enfants qui critiquent la télévision n’ont de toute façon pas le droit de la regarder. On peut alors se demander dans quelle mesure ils ont intégré les normes parentales qui interdisent la télévision à table :

 « Non parce que quand tu manges et que tu regardes la télé c’est pas bien.(…)Comment on peut manger et regarder la télé en même temps ?! » (Daniel, CM1, moyen)

 

Selon ces enfants, tout d’abord la télévision empêche de manger :

« Oui parce que la télé ça hypnotise et on peut pas manger si on la regarde. » (Daouda, CE1, non)

 

De plus cela peut être vu comme une forme d’irrespect envers la nourriture :

« C’est pas très bien quand on mange en même temps que de regarder la télé parce que c’est comme si on s’en fichait un peu de la nourriture et qu’on préférait la télé. » (Annama, CM1, oui)

 

Nous sommes ici plus dans le domaine de la représentation que de la pratique puisque ces enfants ne regardent pas la télévision à table.

Les critiques de ceux qui regardent la télévision à table sont qu’elle gêne la communication entre les membres :

 « Mais quelquefois j’aime pas trop parce que quand j’ai quelque chose d’important ils sont tous collés devant la télé, sauf ma mère (…) » (Marisol, 10 ans, oui)

 

Mais même quand il n’y a pas de télévision la communication dans la famille de Marisol lors des repas est difficile, conflictuelle voire parfois inexistante. Alors que dans la famille de Timothée où il semble régner une ambiance chaleureuse, solidaire, la télévision n’est alors pas un facteur de désintégration.

Pour certains enfants la télévision peut même être un support à la conversation, le moyen de passer un long moment à table en famille. Par exemple pour Timothée et sa famille qui regardent des films ensemble et ensuite en discutent ou pour Marianne et son père qui regardent Thalassa le vendredi soir. Bref ce n’est pas la télévision à table qui est un problème c’est son utilisation et la fréquence avec laquelle elle est regardée.

Cela dépend aussi des liens familiaux eux-mêmes, s’il règne ou non une ambiance chaleureuse dans la famille.

Le cas de Timothée est intéressant parce qu’il regarde la télévision avec sa nounou et avec ses parents mais suivant la personne avec laquelle il la regarde, il ne lui attribue pas le même rôle, son jugement de valeur varie.

Avec sa nounou il trouve que c’est négatif, qu’ils ne parlent pas, alors qu’avec ses parents la télévision n’empêche pas la communication.

 

La télévision est peut-être plus alors à considérer comme un élément révélateur que déclencheur de la désintégration ou intégration familiale. Ce n’est pas l’objet en lui-même qui importe mais les pratiques qui s’y rattachent et donc le contexte affectif qui l’entoure.

3.4.2. Parents absents, parent divorcés : vers l’éclatement familial ?

 

                    Dû à l’organisation du travail des deux parents ou/et aux divorces parfois les enfants ont une journée éclatée en plusieurs structures, entre l’école, l’étude, la nourrice et enfin les parents :

« [Et tu manges souvent avec ta nounou?] Tous les soirs de la semaine sauf le week-end et un vendredi sur deux. [Et tu vois tes parents avant de te coucher ?] Oui pendant cinq minutes à vingt minutes. (…)C’est difficile parce qu’on voit pas notre père souvent, il travaille beaucoup, il est fatigué. » (Timothée, CM1, oui)

 

Mais même si affectivement cela n’est pas toujours facile pour les enfants, cela ne semble pas empêcher la famille d’exister et les liens familiaux d’être forts.

Là aussi il semble que l’on ne va pas vers un « éclatement » mais vers de nouvelles formes d’organisations familiales.

 

Quels rôles et influences ces nouvelles et « traditionnelles » familles ont-elles dans les pratiques et représentations que les enfants ont des fruits et légumes ?

4. LE Rôle de la famille dans LES préférences ALIMENTAIRES envers les fruits et les légumes

 

                    Selon les études de Rozin (1998) et d’autres[10], la famille semble avoir un rôle primordial dans les préférences alimentaires des enfants et dans leurs socialisations alimentaires. Lors des repas et de leurs préparations, l’enfant «apprend le type d’aliment consommé en fonction du type de repas (petit-déjeuner, déjeuner, goûter, dîner) et aussi en fonction d’occasion (quotidienne ou festive). L’enfant acquiert par conséquent une vision du monde et, plus particulièrement, une vision des rôles sociaux lorsqu’il voit comment se partagent les rôles au sein de sa famille» (Garabuau-Moussaoui et al. 2002 : 312-313). Dans quelles mesures cela se vérifie-t-il dans cette enquête ? Par quels biais s’exerce cette influence ? Quelles en sont les bases ?

Il aurait été extrêmement intéressant de pouvoir interroger les parents pour connaître leurs représentations et pratiques des stratégies pour faire manger des fruits et des légumes à leurs enfants. Malheureusement pour des raisons pratiques il n’a pas été possible de les interroger.

4.1- Les parents familiarisent leur enfant aux fruits et légumes ou non

 

                    Il y a plusieurs façons de familiariser l’enfant avec les aliments. Les pratiques entourant la préparation du repas, qu’elles lui soient antérieures comme lors des courses ou de l’élaboration du menu, concomitantes lors de l’intégration ou non de l’enfant à la cuisine ou postérieures lors les incitations à goûter, jouent un rôle dans la perception que l’enfant a de ces aliments.

4.1.1. Les parents cuisinent souvent des fruits et des légumes : rôle de l’habitude

 

                     «  Pour être habituellement consommé un aliment doit faire l’objet d’un rapport banalisé, c’est-à-dire n’entraîner plus aucune crainte liée au caractère nouveau de l’objet »  (Rigal 1996 :1). Si les parents cuisinent souvent des fruits et des légumes, les enfants vont pouvoir s’habituer à eux, les rendre familier et ensuite pouvoir les apprécier. 

Et inversement, si les parents ne cuisinent pas de légumes, les enfants ne vont pas s’y habituer et donc vont avoir du mal à surmonter leur néophobie, à aller vers ces aliments et à les manger:

 «[ Et ta sœur, elle aime bien ?] Elle aime tous les légumes ! (…)C’est parce que elle est habituée (…) » (Annama, CM1, oui)

 

En effet selon Zajonc (1968)  un stimulus même désagréable, devient acceptable puis apprécié à la suite d’expositions répétées. « Ainsi au sein de l’environnement alimentaire de sa famille et sur la base de ses sensibilités gustatives personnelles et instinctives, l’enfant intégrera de façon relativement inconsciente et progressivement, ces règles de comestibilité transmises simplement à partir de l’exposition régulière aux choix alimentaires parentaux. » (Watiez 1992 : 94-95)

4.1.2. Les parents impliquent leur enfant dans le choix des aliments : rôle du supermarché

 

                    Selon Kaufmann, l’enfant est devenu « un agent prescripteur très actif pour une bonne part de qui est mangé en famille (…). » (Kaufmann 2005 : 113). On peut observer cette influence lors de deux moments distincts : celui des courses et celui de l’élaboration des menus. L’influence enfantine semble néanmoins plus forte dans la prescription des courses que dans l’élaboration du menu.

 

En ce qui concerne les courses, si les parents n’acceptent pas toujours les demandes enfantines, aucun enfant ne déplore des échecs systématiques.

« [Tu peux décider de ce que vous achetez ?] Pas trop… Enfin quelque fois oui, quelque fois non. (…)  Je demande des pêches, des pommes, des clémentines et des bananes aussi. (…) Des carottes, des pommes de terre et puis des épinards. » (Annama, CM1, oui)

 

Mêmes les enfants qui disent ne pas aimer les légumes en demandent parfois à leurs parents. Mais à part Marianne et Marisol, qui sont celles du lot qui semblent le plus ouvertes aux légumes (expériences culinaire et connaissances des fruits et légumes plus poussées que les autres enfants) les interrogés ne demandent que leurs fruits et légumes préférés.

Dans certaines familles les parents exaucent toujours les demandes de leurs enfants :

 

« [Ils le font ?] Quand ils peuvent. On fait une liste et celui qui fait les courses il prend la liste et après il va acheter si il trouve. On passe et on marque sur la liste ce qu’on veut. » (Hugo, CM2, moyen)

 

Emma, sa sœur confirme :

 

 « [Ils achètent ce que tu demandes ?] Oui [Tout le temps ?] Oui. » (Emma, CE1, oui)

 

Dans d’autres cas cela est moins systématique, les parents semblent hésiter entre le désir de laisser son autonomie à l’enfant et l’envie de formation passant par l’imposition de contraintes. (Kaufmann 2005).

Ainsi certains parents n’accèdent pas à toutes les requêtes de leurs enfants car ils veulent que ces derniers diversifient leur alimentation :

 « [Ils achètent les clémentines que tu demandes ?] Pas toujours (…) Parce que comme j’en mange beaucoup ils veulent  que je mange autre chose. [comme] Les poires, les bananes, les pommes(…).» (Eline, CE1, non)

 

Les autres causes de requêtes infructueuses sont l’oubli et la volonté des parents de ne pas tout passer à leurs enfants :

« Parfois.[ils n’achètent pas] (…)Parce que parfois ils ont oublié, parfois ils ont pas envie. » (Arthur, CE1, moyen)

 

Certains enfants disent ne pas aimer aller faire les courses, c’est pour eux une corvée :

 «[T’aimes bien faire les courses avec eux ?] Non je déteste ! (…)Y a rien d’intéressant. (…)J’y vais le moins possible, même que des fois je me cache dans la maison pour ne pas y aller(…) » ( Arthur, CE1, moyen )

 

A l’inverse, d’autres déclarent adorer aller faire les courses. Quelles sont leurs raisons ? Quelles fonctions remplit le supermarché (car c’est là que les enfants disent faire les courses) ?

On peut distinguer cinq fonctions différentes, la fonction « pratique », affective, cognitive, sociable et statutaire.

Tout d’abord aller faire les courses permet aux enfants d’obtenir plus facilement les produits qu’ils désirent :

 « [Tu aimes aller faire les courses ?] Oui parce que là je peux lui demander ce que je veux. [Ça marche ?] Oui. » (Hippolyte, CM2, moyen)

 

Pour ceux dont les parents suivent la liste qu’ils leur ont élaborés, aller faire les courses leur permet d’être sûrs que les parents ne vont pas se tromper d’aliments :

« [Tu vas avec eux des fois ?] Oui (…)  parce que je peux choisir ce que je veux vraiment. Parfois ils se trompent dans les céréales. » (Hugo, CM2, moyen)

 

Mais outre ces raisons pratiques, il y a également des raisons affectives. Faire les courses peut aussi être vécu comme un moment partagé en famille, un moyen d’être ensemble :

« [Avec qui  fais-tu les courses ?] Avec les deux.. Et des fois qu’avec mon père et d’autres qu’avec ma mère. (…)Quand c’est avec les deux, c’est mieux. (…)Parce que c’est en famille ! » (Annama, CM1, oui)

 

Cette activité peut aussi être un prétexte pour un moment privilégié avec une personne aimée :

«  [Tu aimes bien y aller seule avec ton papa ?] Oui » (Marianne, CM2, oui)

 

Le supermarché peut aussi être le prélude à une autre activité familiale :

« Oui avec ma maman et mon frère. (…)Au supermarché. (…)Parce que comme ça on a du temps, après on prépare la cuisine » (Timothée, CM1, oui)

 

C’est aussi l’occasion de passer un moment ludique avec un membre de la famille :

«  Des fois j’aime bien aller avec lui [beau-père] parce qu’il a un chariot qu’on déplie, j’aime bien le tirer. Et dans les descentes, je le fais descendre tout seul. » (Marianne, CM2, oui)

 

De plus le supermarché peut être un lieu de découverte de nouveaux aliments, notamment de fruits et de légumes :

 «[J’aime bien faire les courses] Parce qu’on peut découvrir des choses au supermarché, par exemple des fruits et des légumes qu’on ne connaissait pas (…) [Il y a des légumes que tu as découvert au supermarché ?] Oui. [Et tu les as goûté ensuite ?] Oui ! » (Eline, CE1, non)

 

Il peut également être un lieu de rencontre :

« Oh oui ! J’adore faire les courses ! Des  fois y a des petits garçons ou des petites filles et on peut devenir amis. Moi j’aime bien me faire de nouveaux amis ! » (Rosalie, CE1, oui)

 

Faire les courses tout seul est aussi très apprécié. C’est une marque d’indépendance et de reconnaissance par la famille du statut de « grand » :

«  [T’aimes bien faire les courses seul ?] Oui. Je me sens grand ! » (Hugo, CM2, moyen)

 

Ainsi faire les courses dépasse la seule fonction pratique. C’est aussi un moyen d’intégrer l’enfant dans les activités familiales, de créer du lien avec lui et de reconnaître son statut. Le supermarché peut également être un lieu de découverte de nouveaux aliments et permettre une autre approche des fruits et légumes.

        

                    Mais il y a aussi d’autres moyens d’impliquer l’enfant dans le choix de la nourriture. Faire participer l’enfant au choix du menu est une façon de l’intégrer au repas familial et de le reconnaître comme une personne à part entière en lui donnant un peu de pouvoir sur le repas et sur son alimentation :

« [Ton repas préféré ?] C’est le soir parce que c’est moi qui décide ce qu’on mange ! (Elle rit) On mange toujours des pâtes parce que  j’adore » (Emma, CE1, oui)

 

Pour Emma, nous l’avions vu,[11]  le repas du soir est à la fois satisfaisant sur le plan affectif et gustatif, ce qui lui permet peut-être aussi d’avoir un rapport plus décontracté aux fruits et légumes.

Mais il y a d’autres familles où les enfants n’ont aucun pouvoir de décision sur le menu :

« On mange tous les cinq mais on mange pas toujours ce qu’on  a envie de manger. [Ta belle-mère ne te demande pas avant ?] Non » (David, CM1, moyen)

 

Nous l’avons vu précédemment, David n’apprécie guère les repas avec sa belle-mère. Le fait qu’il n’ait aucun pouvoir n’améliore pas la situation.

« [Tu manges souvent ton plat préféré ?] Oui. Heu non pas souvent » (Meyriam, CM1, non)

 

Or Meyriam a elle aussi un rapport conflictuel aux repas familiaux qu’elle boycotte parfois.

On peut alors faire la supposition qu’intégrer l’enfant au processus de choix permet une meilleure acceptation du repas et des aliments proposés. Dans les limites du raisonnable car « on demande de plus en plus tôt aux enfants de se montrer autonomes, de prendre des décisions, certainement dans l’espoir de les rendre autonomes, mais également derrière le motif du respect de l’individu. » (Rigal 2000 : 121) or l’enfant n’est pas un adulte miniaturisé, il a besoin d’être guidé. L’intégrer au processus de choix, oui, mais ne pas en faire le chef.

Une autre façon d’intégrer l’enfant dans le repas et de le familiariser avec les aliments est de le faire participer à la cuisine.

4.1.3.  Les parents impliquent leur enfant dans la préparation du repas : rôle de la cuisine

 

                    Parmi les enfants qui n’avaient jamais cuisiné avant de suivre l’atelier cuisine, on retrouve des CE1 mais aussi des CM1 légumophobes. Parmi ceux qui déclarent faire de la cuisine régulièrement, on ne retrouve aucun légumophobe.

Quels liens peut-on alors faire entre le rapport que l’enfant a avec la cuisine et celui qu’il a avec les fruits et légumes ? Quels sont les différents contextes où cette pratique est exécutée et quelles fonctions remplit-elle auprès des enfants ?

Tout d’abord les enfants ne cuisinent pas à la même fréquence ni dans les mêmes contextes.

Il y a ceux qui ne cuisinent que périodiquement :

« Pendant les vacances des fois et souvent toutes les trois semaines. » (Timothée, CM1, oui)

 

Ceux qui cuisinent lors d’occasions festives :

« Pas souvent, pour les anniversaires ou les fêtes de mariages. » (Hippolyte, CM2, non)

 

Ceux qui cuisinent de façon régulière :

«  Oui (…) Toutes les semaines » (Marisol, CM2, oui)

 

 Et pour des raisons utilitaires, pour remplacer les parents absents :

« Je cuisine souvent chez mon papa, le week-end. Je m’approprie le mixeur.[Et chez ta maman tu cuisines ?] Je cuisine aussi un petit  peu. Que quand je dois garder mon petit frère ». ( Marianne, CM2, oui )

 

Plus loin Marianne va déclarer préférer cuisiner chez son père. Peut-être parce que la cuisine chez sa mère est surtout utilitaire car elle consiste à remplacer sa mère absente et à nourrir son frère et elle-même.

 Mais aussi parce que la « cuisine utilitaire » est moins créative et n’est pas faite pour s’amuser mais par nécessité :

« Je sais pas moi,  [je cuisine] des œufs, des trucs comme aç . (…)Des Croustibats [poissons panés], des trucs comme aç [aç : ça]  [Des plats déjà préparé ?] Oui » (Daniel, CM1, moyen) 

 

Tous les enfants qui cuisinent avec leurs parents déclarent cuisiner des gâteaux !

« (…)  je cuisine que des gâteaux avec ma maman » (Jules, CE1, oui)

 

Dans ceux qui cuisinent en plus des plats, il n’y a aucun légumophobe, certains cuisinent même des légumes :

« Du gratin de choux fleurs des fois et heu…une boulette de viande et heu des avocats et des salades de fruits. (…) » (Timothée, CM1, oui )

 « J’aide ma mère à faire des quiches, à cuisiner des légumes, des courgettes, oignons et tomates » (Marisol, 10 ans, oui)

 

On peut penser que cuisiner des légumes les aide à se familiariser avec et à les apprécier, vu que tous deux sont légumophiles.

 

Nous avons vu le contexte et la fréquence des pratiques culinaires des enfants. Ainsi «  (…) dès les premiers apprentissages culinaires, on retrouve la dichotomie entre la cuisine fonctionnelle de la semaine et la cuisine ludique du week-end qui restera très marquée à l’âge adulte. » (Garabuau-Moussaoui et al. 2002 : 309). Nous allons maintenant passer aux fonctions que les enfants attribuent à la cuisine. On peut distinguer la fonction hédonique, la fonction pratique et cognitive et la fonction statutaire : affirmer et pouvoir prendre son indépendance.

Tout d’abord une des raisons avancées pour justifier leur amour de cuisiner est l’aspect ludique de cette activité. On peut distinguer deux dimensions.

Il y a la dimension sensuelle, toucher et goûter les aliments :

 « Bah j’aime bien manipuler les aliments, je trouve ça drôle. Par exemple, pour l’oignon, j’aime bien le dépiauter en petits ronds. » (Marianne, CM2, oui)

« Dans le gâteau au chocolat, j’aime bien faire les œufs. (…)Parce que c’est drôle quand on les casse et les met dans le pot. Et parfois je le goûte miam.  (…)J’adore faire ça !» (Rosalie, CE1, oui)

 

Mais il y a également le plaisir de créer et bâtir :

 « Parce que c’est trop marrant. Quand on fabrique j’aime bien » (Emma, CE1, oui)

 

Pour d’autres la cuisine est envisagée dans l’optique du partage, du don :

 « Je veux être cuisinier. (…)Parce que c’est bien. Parce que je fais plaisir à des gens. » (Daouda, CE1, non)

 

D’autres appréhendent le fait de cuisiner sous un angle utilitaire :

« (…) Ça apprend à mémoriser des recettes, à pas toujours faire les mêmes plats » (Malicia, CM1, cantine)

 

Et se projettent ainsi dans le futur :

« Parce que ça m’apprend des choses. (…)Ca m’apprend à cuisiner pour quand je serai grand. [C’est important pour toi ?] Bah oui sinon comment je vais faire pour manger quand je serai grand ? » (Arthur, CE1, oui)

 

De plus la cuisine est un moyen d’affirmer son statut de « grand » :

« Oui.Parce que c’est bien de se préparer un déjeuner tout seul.[Comme un grand ?] Oui !(…) » ( Daouda, CE1, non )

 

Et permet de se distinguer de sa fratrie :

« [Et ton frère ?]Il cuisine mais quand on fait une tarte aux pommes, il coupe des bouts de pomme mais il prend un petit couteau. Moi j’ai le droit d’avoir un grand couteau mais pas trop dangereux quand même. » (Jules, CE1, oui) 

 

C’est aussi une façon pour l’enfant d’être valorisé :

« [Et maintenant tu cuisines toute seule ?]  Oui, sauf pour le four (…) mon papa il a tendance à me laisser plus souvent faire la cuisine parce qu’il aime bien que je prépare des gâteaux, il les trouve très bon ! (Elle rit) » (Marianne, CM2, oui)

 

On retrouve ici les deux interdits faits aux enfants, manier  des objets très tranchants et utiliser le feu.

L’expérience culinaire permet même d’inverser les rapports en transmettant des connaissances à ses aînés :

« [Qu’est-ce que tu aimes bien dans la cuisine ?] Apprendre des recettes pour les transmettre aux autres (…) Bah des fois à ma mamie, à mon oncle, à tout ça… » (Timothée, CM1, oui)

 

                    La cuisine remplit donc de multiples fonctions selon les enfants et semble être une activité « statutaire ». Mais c’est également une pratique « sensuelle » qui permet à l’enfant de développer ses sens.

Dans le développement des sens de l’enfant, les parents remplissent une autre fonction, primordiale, celle de faire goûter les aliments aux enfants.

4.1.4. Les parents demandent à leur enfant de goûter : découverte et familiarisation

 

                    Il y a des enfants qui goûtent spontanément, comme nous l’avons vu dans la première partie qui concernait les néophiles. Mais pour les autres, la seule force qui les pousse à goûter malgré leur méfiance reste l’injonction parentale :

« [Si il  y a quelque chose de nouveau, tu ne vas pas goûter ?] Voilà. [Tes parents te demandent de goûter ?] Oui, quand même un  petit morceau. [Et tu obéis à chaque fois ?] Oui. » (Emma, CE1, oui)

 

Mais il y a des cas où l’enfant refuse de goûter. Dans d’autres, l’enfant affiche clairement son dégoût pour certains fruits et légumes. Comment les parents réagissent-ils à ces situations ? Pourquoi le fait que leur enfant ne veuille pas manger certains fruits et légumes leur tient tant à cœur ? Autour des fruits et légumes semble se tisser parfois une lutte sourde entre les parents et l’enfant.

4.2. La consommation des légumes : un enjeu de pouvoir et de lutte entre parents et enfants

 

                    Les parents vont avoir diverses stratégies pour inciter leurs enfants à manger des légumes ou des fruits. On peut les classer suivant deux catégories, celles appartenant à la « méthode douce » et celles qui relèvent des « méthodes dures ». Face à ces pressions, l’enfant ne reste pas passif et va lui aussi développer des stratégies. L’enjeu derrière la consommation des fruits et légumes dépasse celui de la santé et s’inscrit dans une dimension statutaire, d’identification et de construction.

4.2.1. Stratégies et pratiques des parents face aux légumes que leur enfant n’aime pas

 

                    D’après les enfants, ce sont surtout les légumes qui sont un objet de conflit potentiel entre eux et leurs parents car c’est souvent la seule catégorie d’aliment qu’on leur demande au moins de goûter :

« [Autres choses que tu dois goûter ?] Non, juste les légumes. » (Daniel, CM1, oui)

 

Dans leur motivation à faire manger des légumes à leurs enfants les parents ont à coeur leur santé. Il suffit de voir le nombre de forums consacrés aux mères de famille inquiètes devant le refus de leurs enfants à manger des fruits et des légumes et à la recherche désespérée de solutions. En effet les légumes ont la particularité d’être des « aliments santé ».  Nous assistons actuellement, selon Poulain à une « médicalisation de l’alimentation » où le critère de la santé est plus important que celui du plaisir.

 Or selon l’étude Pelochat et Pliner (1995) [12] l’argument “c’est bon” marche mieux auprès des enfants que l’argument “c’est sain” dans  la volonté de goûter.

Comment manoeuvrer alors pour faire manger des légumes à des enfants récalcitrants ? Plusieurs stratégies sont possibles….

Mais outre la santé de leurs enfants, dans la volonté parentale se cache peut-être aussi une raison statutaire (« être de bons parents »). Et il entre probablement une part d’affectif qui se voit bafouée quand l’enfant refuse le plat préparé : “ Bien que cela ne soit pas conscient, la nourriture exprime l’affection et l’identité du donneur, et lorsque cette nourriture est rejetée, le donneur l’est aussi.” (ma traduction [13], issus de Lupton 1996 : 54)

La problématique de l’identité se retrouve en effet dans les raisons et stratégies des parents envers leurs enfants au niveau des fruits et légumes.

On peut schématiquement distinguer trois types de stratégies parentales : la méthode douce, la méthode dure et l’absence d’obligation.

 

Comment faire changer d’avis un enfant sans l’attaquer de front et faire de cet enjeu un objet de tensions ?

Dans la méthode douce utilisée par certains parents on distingue plusieurs pratiques. On est ici dans une « lutte symbolique » dans le sens de Bourdieu [14] où les parents par la discussion, le changement de préparation, en utilisant des stratégies de diversions et de remplacement et par l’inculcation de leurs normes vont tenter de faire changer leur enfant d’avis.

 

Ainsi les parents vont demander à leur enfant, à défaut de tout manger, d’au moins goûter les légumes qu’il dit ne pas aimer.

Cela permet aux enfants qui ne mangent pas de légumes d’en manger un peu, sans que pour l’instant cela ne fasse changer leur comportement :

 «[Légumes qu’ils te forcent à manger?] Les carottes. [Tu en manges ?] Oui [Mais tu n’aimes pas ça ?] Non. Et y a aussi les aubergines qu’ils veulent que je mange. [Et tu leur obéis ?] Oui.[Donc tu manges un peu de légumes mais pas souvent ?] Oui » (Eline, CE1, non)

 

Et à ceux qui n’aiment pas un aliment de le regoûter, car ils ne le feront pas d’eux-mêmes :

« [Et tes parents t’obligent à manger certains fruits et légumes ?] Heu oui. (…) Quelquefois l’avocat. Comme j’aime vraiment pas ça, ils m’obligent un petit peu. Et le chou fleur. » (Marisol, 10 ans, oui)

 

Tous les ans certains enfants doivent goûter à nouveau le légume ou le fruit honni pour « vérifier » l’évolution de leur goût :

« Ils [les parents]  me forcent pas complètement mais ils veulent que j’en mange. [Ils te demandent de goûter ?]Par exemple tous les ans comme ils savent que j’aime pas ils me font regoûter pour voir si maintenant j’aime bien. [Ca avance des fois ?]Non. [Ils font ça avec le chou mais pas avec la tomate ?] Oui » (David, CM1, moyen)

 

David n’aime pas le chou mais déteste viscéralement la tomate notamment depuis un épisode « traumatisant » avec son oncle. Ses parents semblent respecter ses dégoûts « profonds » tout en tentant de faire évoluer son goût pour les légumes.

 

                    Quand l’injonction : « Goûtes !» ne marche plus, une autre stratégie pour essayer d’amener l’enfant à des sentiments plus positifs envers le légume est de modifier sa préparation.

Certains parents le font en ajoutant de la sauce :

« Si ils me demandent de goûter je goûte, mais si j’ai déjà goûté une fois et pas aimé, je goûte pas une autre fois. A part si ils ont rajouté des sauces, un truc comme aç(…) » ( Daniel, CM1, moyen ) 

 

D’autres rajoutent des légumes que l’enfant aime :

«  (…) mais les épinards à la cantine j’aime pas vraiment. (…)   Ma mère elle les fait différemment. Elle donne du goût, c’est vraiment avec du goût. [Et comment elle fait ta mère avec les épinards pour mettre du goût ?] Elle met des lentilles je crois. [Tu aimes bien les lentilles ?] Oui » (Annama, CM1, oui)

 

Dans les deux cas c’est la même stratégie : ajouter une saveur connue et appréciée de l’enfant pour, par association, rendre l’autre aliment en contact plus familier et donc mangeable. Chiva dans son étude (1990) relève aussi le changement de préparation comme une façon de faire accepter le légume rejeté : « une mère attentive fait des essais. Un légume refusé en petits morceaux sera peut-être accepté en purée ou vice-versa (…). Sans parler de l’atmosphère du repas qui est si importante : gare aux décibels et aux disputes. » (Chiva 1990 : 19). Les repas familiaux ont donc une grande influence sur les goûts des enfants et leurs rapports aux aliments.

 

         D’autres parents adoptent une autre stratégie : si l’enfant ne veut pas manger tel légume, il doit en manger un autre qu’il aime, en remplacement. Ainsi l’enfant récalcitrant aura tout de même mangé des légumes pendant son repas :

«  [Grondé ?] Si quand même. Enfin je dois manger autre chose à la place.  (…) Je dois le faire moi-même. Je fais des flageolets. Eux ils mettent l’eau et moi les flageolets. [T’aimes bien quand tu fais des flageolets ?]Ben c’est normal, comme je mange pas le chou fleur. » (Hugo, CM2, moyen)

 

Il existe d’autres méthodes, moins classiques.

Comme cette mère qui se sert de la télévision pour faire manger des légumes à ses enfants! Elle utilise le « pouvoir hypnotique » de la télévision pour amener ses enfants à manger des aliments que normalement ils n’aiment pas ; mais comme ils sont absorbés, ils y prêtent moins attention et avalent leur assiette :

« Parce que parfois j’en ai un peu marre de manger  alors maman pour m’encourager elle met la télé pour que je mange. (…) [Elle vous encourage souvent avec la télé ?] Pas souvent. » (Rosalie, CE1, oui) 

 

Néanmoins cette méthode reste marginale.

 

Une autre façon de faire manger des légumes aux enfants est d’employer l’argument « santé » et la menace de l’obésité.

Lors des ateliers alimentaires d’Aprifel avec l’école, il y a une séance avec la diététicienne. Les enfants sont séparés en deux groupes de quatorze. Lorsque la diététicienne a demandé aux enfants pourquoi ils mangeaient des fruits et légumes, ceux-ci ont répondu :

« Pour les forces ! » (Raouf, CE1)

« Pour grandir ! » ( Solal, CE1)

« Pour vivre » (Anna, CE1)

 

Aucun n’a dit : « pour le plaisir ! ». Et lorsque la diététicienne leur a demandé si on mangeait des aliments pour grandir, la réponse fut la suivante :

« Non y a des trucs pas bon pour la santé. Comme le Nuttella. Ça fait grossir .Oui mais c’est aussi pour le plaisir. » (Sophie, CE1)

 

Ainsi les enfants semblent être sensibilisés aux arguments santé. Si aucun n’a spontanément associé les légumes au plaisir, c’est peut être aussi dû au contexte dans lequel ils se trouvaient, avec une adulte, une professionnelle de la santé, lors d’une activité scolaire. Les enfants ont peut-être plus tendance à donner des réponses de l’ordre du théorique plus que du sensuel dans le cadre scolaire. Mais c’est peut-être aussi parce que ce sont les arguments qu’on leur donne pour leur faire manger des légumes, les assimilant ainsi à des aliments santé mais pas à des aliments plaisir.

Durant les entretiens, je me suis aperçue que certains enfants semblaient avoir bien intériorisé les arguments « santé »:

« [Et ils veulent que tu en manges ou c’est toi qui décides ?]  C’est moi qui décide ou si j’aime pas trop, ils me disent un peu d’en manger parce que c’est bon pour la santé.[C’est important pour toi que ce soit bon pour la santé ?] Oui. » (Annama, CM1, oui)

 

 «  [Et chez toi tu manges des légumes ?] Oui tous les jours. Faut que je mange bien ! » ( Pablo, CM1, cantine )  

 

Parfois les parents « assouplissent » le concept santé qui devient celui des forces nécessaires pour grandir. Argument pouvant faire mouche auprès des enfants obsédés par l’envie de grandir, quand nous l’avons vu précédemment :

« [Y a des fruits et légumes que tes parents veulent vraiment que tu manges ?] Les clémentines, les pommes, les poires et les haricots verts. (…)Parce que c’est pour grandir et avoir des forces » (Malicia, CM1, cantine)

 

Et il y a la menace de l’obésité qui plane :

«De temps en temps, j’en mange quand je fais pas assez d’exercices je suis obligée d’en manger. (…)Oui ils veulent que j’en mange de temps en temps sinon je deviens énorme. » (Héloïse, CE2, cantine)

 

Néanmoins parmi les enfants que j’ai observé pendant les ateliers, seulement un était en surpoids (et pourtant c’était lui qui semblait connaître le plus de fruits et de légumes) et lors des entretiens semi directif que j’ai mené avec les seize enfants, aucun n’avait de problème de poids. Je n’ai donc pas pu analyser les différences de perceptions et de pratiques aux fruits et légumes des enfants souffrants de surpoids. L’obésité est cependant une maladie à laquelle les enfants semblent être sensibilisés, notamment par les médias et la famille et qui peut modifier leurs pratiques alimentaires au niveau des fruits et des légumes :

« Moi je mange des fruits à chaque dessert.(…)Parce que aux infos on a vu une école avec des enfants obèses alors maintenant on mange que de la salade, des carottes. » (Léon, CE1)

 

Dans nos sociétés occidentales, les obèses sont stigmatisés et cela depuis l’enfance. La minceur est érigée en idéal. C’est aussi une forme de contrôle social sur les corps des individus.

 

                    Il peut également y avoir affrontement, si enfants et parents restent braqués sur leurs positions. La situation peut alors dégénérer en menaces, punitions et dégoût profond créant des blocages chez l’enfant.

C’est ce qu’essayent à tout prix d’éviter Valérie et Jean les deux animateurs cantines :

 « (…) Les faire goûter ça c’est notre rôle. Les forcer ça ne l’est pas. [Où places-tu la différence ?] Je leur demande si ils en ont déjà mangé, je leur explique que là, la cuisson est différente, que c’est pas les mêmes sauces, que ça a pas le même goût.  Si ils sont dégoûtés quand ils mettent dans leur bouche ils ont envie de recracher. Dans ce cas-là j’insiste pas. » (Jean, animateur cantine)

 

Ainsi Jean  reste dans les méthodes « douces » afin de ne pas dégoûter les enfants.

 

Ce n’est pas le cas de tous les parents. Certains parents menacent de privations (desserts ou sorties) et de punitions si l’enfant ne mange pas les légumes qu’il dit ne pas aimer :

« Bah tous les légumes qu’il y a dans la ratatouille ma belle-mère me force à manger ça ! (…)Bah il faut que je mange sinon je vais au lit des trucs comme ça.[Tu le fais ou tu préfère aller au lit ?] Je le fais mais … » (David, CM1, moyen)

 

L’enfant semble garder quelques rancunes envers le procédé utilisé ce qui ne l’amène pas à mieux apprécier les légumes.

D’autres menacent mais expliquent à l’enfant pourquoi ils veulent qu’il goûte :

« [Même si t’aimes pas, des fois tu les manges ?]Oui (…) Parce que ma maman me force. Non mais après elle me dit « si tu les manges pas, tu seras privé de dessert ![Elle te force à manger de tout ?]Elle veut au moins que j’ai goûté à tout dans la vie (…) » (Timothée, CM1, oui)

 

Néanmoins ce n’est peut-être pas une méthode très efficace. Les aliments présentés comme des récompenses par les parents sont plus appréciés par les enfants. Le problème étant que dans notre société ce sont les sucreries que l’on donne comme récompense. Le « si tu ne manges pas tes légumes, tu n’auras pas de dessert ! » peut avoir comme conséquence que l’enfant aime de moins en moins les légumes et de plus en plus les desserts puisque les parents reconnaissent implicitement que le dessert est meilleur.

Utiliser les légumes de façon instrumentale n’est pas une bonne façon de les faire aimer des enfants. L’expérience de Birch (1984) montre qu’un aliment utilisé de façon instrumentale fait baisser l’envie envers lui. Dans cette expérience les enfants sont invités à boire du jus de fruits pour pouvoir aller jouer ensuite. Le résultat est qu’au bout d’un certain temps la préférence pour le jus de fruit utilisé de façon instrumentale baisse pour neuf enfants sur douze. Ces résultats sont confirmés par l’étude de Newman et Taylor (1992).

 

Certains parents vont jusqu’aux punitions corporelles :

 

« Oui, maman, elle me tape. Je mange pas quand j’aime pas mais je goûte. » (Daouda, CE1, non)

 

Elles ne semblent pas spécialement fructueuses puisque l’enfant déclare toujours ne pas aimer les légumes.

 

Lorsque l’on demande à l’enfant s’il se rappelle la première fois qu’il a mangé le légume qu’il déteste le plus, quand l’enfant s’en souvient, c’est parfois parce qu’il y a des souvenirs éprouvants,  marquants qui s’y rattachent :

« [1ère fois ?]Les tomates, je m’en rappelle. J’étais en Corse et c’était mon oncle qui m’avait forcé à manger toute une assiette entière.(…)J’avais quatre ans.(…)Non, j’en n’ai jamais remangé (…). [C’est quoi que tu n’aimes dans la tomate ?]Bah je sais pas parce que ça fait longtemps que j’en n’ai pas pris. » (David, CM1, moyen)

 

De cette obligation « brutale » naît un blocage durable puisque l’enfant n’a jamais voulu en regoûter, alors même qu’il a oublié le goût du légume détesté :

« [1ère fois pour carottes chaudes ?] Oui. J’avais 3 ans (…) Avec ma mère. Elle a voulu que je goûte moi j’ai pas voulu je l’ai tapé après elle m’a obligé à les manger. [Mais elle t’a quand même forcé]? Oui (…)Et j’ai vomi trois fois après en avoir mangé. [T’en as remangé depuis ?] Non » (Arthur, CE1, oui)

 

Quant à cet enfant son dégoût a provoqué ses vomissements. En effet pour lui les carottes chaudes lui font l’effet dans la gorge d’un corps étranger qui cherche à l’envahir. Il est alors compréhensible qu’il le vomisse. L’obliger à en manger sans en discuter avec lui n’était probablement pas la stratégie la mieux appropriée pour atteindre leurs objectifs. D’autant plus que le légume appartient désormais pour l’enfant à la catégorie des « dégoûts associés » (dégoûts provoquant des vomissements) et que « De cette association naît un rejet très puissant, difficilement surmontable. » (Rigal 2000 : 63)

 

                    Dans les raisons aux pratiques parentales il y a nous l’avons vu des raisons statutaires et des inquiétudes pour la santé de l’enfant, mais il y a également le thème de l’identification.

Certains parents veulent que leurs enfants aient une alimentation « variée », c’est-à-dire la leur :

« (…) Et mon père veut que je mange plus de légumes. (…) Les artichauts, les heu… tout ce qu’il mange. Il veut que je goûte. » (Meyriam, CM1, non)

 

«  La pratique valorisée est d’apprendre à son enfant à « manger de tout », pourtant malgré ce discours, les parents n’offrent pas un panel exhaustif de tous les  aliments à leurs enfants. Ils les sélectionnent selon leurs propres goûts, leurs propres habitudes. » (Garabuau-Moussaoui et al 2002 : 311) Ainsi certains parents comprennent quand leurs enfants refusent un légume ou un fruit qu’ils détestent aussi :

« [Ils [tes parents] n’essayent pas de te faire goûter ?] Si ! Ils essayent mais de toute façon mon papa a horreur de ça. [Donc il comprend ?] Oui » (Marianne, CM2, oui)  

 

Et donc n’essayent pas à toute force d’en faire goûter à leur enfant, d’autant plus qu’ils n’en achètent et n’en cuisinent donc pas :

«  J’en ai mangé une seule fois à l’école et pas à la maison parce que on n’en achète jamais (…) Parce que j’aime pas, ma maman non plus et mon petit frère non plus. Y a que mon papa qui aime (or c’est la mère et les enfants qui font les courses). »  (Jules, CE1, oui)

 

D’autres parents autorisent leur enfant à ne pas manger un légume parce qu’il mange autrement de tout :

« [Regoûté ?] Dès qu’on mange une pizza avec des oignons, on enlève tous les oignons.[Ta soeur aussi ?] Oui, elle aime pas aussi ». (Yannice, CE1, oui)

 

A cela s’ajoute les aliments que les enfants ont à disposition ou non. Si les parents n’en n’achètent jamais, les enfants ne peuvent en goûter et donc élargir leur répertoire alimentaire, à moins qu’ils ne le goûtent à la cantine ou chez un tiers :

« Oui, j’en n’avais pas goûté du tout, c’est la première fois. (…) Parce que maman en n’a pas acheté, je sais pas pourquoi. » (Rosalie, CE1, oui)

 

L’héritage familial en matière de goût se construit aussi comme cela.

 

4.2.2. Réactions et stratégies des enfants face à pression des parents

 

                    Les parents ont donc une grande influence sur le répertoire alimentaire de leur enfant, sur ses goûts et dégoûts. Mais cette influence n’est pas toujours « positive ». Les enfants ne restent pas passifs face aux pressions parentales. On peut observer trois réactions différentes, dans la première l’enfant se « soumet », dans la seconde il se rebelle et dans la troisième il biaise.

 

Dans certains cas l’enfant obéit aux injonctions parentales :

« [Tu manges des radis parfois ?] Oui, un peu.(…) Parce que mes parents me demandent d’en manger un ou deux alors je le fais. » (Emma, CE1, oui) 

 

D’autres obéissent car ils ont intégré les normes parentales et s’obligent eux-mêmes à en manger pour être en forme :

 « C’est vraiment le brocoli que je déteste !(…) [Tu n’en manges pas ?] Quelque fois mais j’aime pas trop… Mais mes parents ils me forcent pas (…) Je me dis souvent qu’il faut en manger mais j’aime pas trop le goût. (…) Parce que les légumes c’est bon pour la santé, c’est pour ça. » (Annama, CM1, oui)

 

Ou pour grandir plus vite :

 

 «Je m’oblige. Il faut manger  des légumes variés pour grandir ! (…) » (Hugo, CM2, moyen)

 

Ainsi les discussions entre enfants et parents et les arguments portant sur la santé peuvent avoir une incidence sur le rapport à la consommation de fruits et de légumes de l’enfant. Ou du moins une meilleure influence que les méthodes plus brutales face auxquelles l’enfant peut se rebeller.

Lorsque l’enfant ne veut vraiment pas manger d’un légume, il n’attaque pas de front car il sait qu’il sera perdant, aura de plus en plus de punitions et devra manger. Alors il use de deux stratégies.

 Soit il fait semblant de goûter :

« Ils me forcent un peu(…) [pour] Les courgettes [T’aimes pas ça ?] Pas trop (…) Des fois j’ai pas du tout envie. Je fais semblant de goûter, enfin je goûte un tout petit bout après je dis voilà j’ai goûté, j’ai plus envie.[Une fois que tu as goûté, tu as le droit de ne pas manger ?] Heu ils me secouent un peu mais tant pis. Sauf si ils crient  vraiment je mange, ça sert à rien. » (Arthur, CE1, oui)

 

Devant l’échec de sa stratégie il se résigne à manger.

Une autre stratégie consiste à utiliser un argument « biologique », se dire « allergique » au légume honni et menacer de vomir :

« (…)Des concombres, des épinards, mais j’en mange pas sinon je vomis » (Martin, CM2, cantine )

 

« Ca me donne envie de vomir » (Julia, CM1, cantine)

 

D’autres enfants acceptent de manger le légume détesté mais hors de la maison. Ainsi ils sauvent la face, ils n’ont pas vraiment cédé à leurs parents :

« [Tu en as remangé depuis ?]Des fois à la campagne et à l’école.(…)Des fois j’en mange toute mon assiette, ou la moitié ou je les laisse. » (Timothée, CM1, oui)

        

                    Les légumes semblent donc avoir une part importante dans les tensions entre les enfants et les parents lors du repas. Peut-être parce qu’ils remplissent différentes fonctions (santé, statutaire et identitaire), cela en fait un enjeu de prix aussi bien pour les parents que pour les enfants.

En effet, si l’enfant sent que pour ses parents il est important qu’il mange des légumes, cela lui donne un peu de pouvoir. En refusant de manger des légumes il peut s’opposer à ses parents. L’analyse de Nicolletta Diasio a montré que les déviances aux normes imposées par les parents étaient aussi un moyen pour les enfants d’affirmer leur liberté. « les astuces enfantines (…) dessinent aussi une arène entre contrôle et soumission, la gourmandise évoquant d’autres transgressions, d’abord celle sexuelle et ensuite l’empiétement de rôles et d’âges : qui, quand et comment peut juger du bon usage de son corps ? » (Diasio 2004 :108). Ainsi dans son article « L’enfant gourmand entre dextérité et infortune » Nicoletta Diasio étudie la réglementation alimentaire envers les enfants et leurs réactions face à cela. La limitation étant vue comme un principe pédagogique et sa transgression comme la construction de soi de l’enfant.

Mais dans d’autres cas l’enfant intègre les normes parentales et affirme ainsi son appartenance à sa famille.

4.3. Rôle de la fratrie dans l’affirmation des goûts

 

                    Si les enfants intègrent les normes parentales et partagent les mêmes dégoûts que leurs parents, cela ne veut pas dire qu’ils aient les mêmes goûts qu’eux. Je n’ai trouvé aucun enfant dans ce cas dans mon enquête. Les études menées là-dessus montrent que l’enfant va plus avoir des goûts similaires à ceux de ses pairs et de ses frères et sœurs qu’à ceux de ses parents.

4.3.1. Affirmation d’une communauté de goût

 

                     Plus l’enfant grandit et plus il devient autonome. Il ne se contente plus uniquement de ce qui lui est imposé, mais il va imiter les autres (Chiva, 2001). L’apprentissage se fait alors par imitation et est un moyen d’intégration de l’enfant au sein du groupe (la famille mais également les pairs). L’étude Pliner et Pelchat (1986) montre que les ressemblances entre les préférences alimentaires sont plus fortes entre frères et sœurs qu’entre enfants et parents. Trois explications sont données. Tout d’abord les frères et sœurs sont exposés et donc se familiarisent aux mêmes aliments. De plus l’enfant peut avoir tendance à imiter le comportement de ses aînés. « L’enfant se montre également sensible aux exemples de ses aînés : il acceptera plus facilement d’essayer un produit nouveau quand un grand, enfant ou adulte le mange devant lui au préalable. » (Rigal 2000 : 110). Ensuite affirmer les mêmes dégoûts leur permet de se distinguer des adultes. Et donc de se construire comme groupe face aux adultes.

Pour l’enfant qui n’aime pas trop les légumes, la similitude de ses goûts avec sa fratrie se fait sur le mode négatif, ils n’aiment pas les mêmes choses. Affirmer ses dégoûts communs permet de s’opposer symboliquement aux parents et d’affirmer un lien avec son frère :

« Yvan il adore les choux fleurs, épinard et radis, Kirille il les déteste comme moi. Mes parents les adorent. [T’as un peu les mêmes goûts que Kirille ?]Oui, on a les mêmes goûts. » (Daniel, CM1, oui)

 

Ce processus d’opposition aux parents et de ressemblance au frère permet aussi à l’enfant de se construire ; «  Les hommes marquent leur appartenance à une culture ou à un groupe quelconque par l’affirmation de leur spécificité alimentaire, ou, ce qui revient au même, par la définition de l’altérité, de la différence des autres. » (Fischler 1990 : 68)

 

Il y a aussi des enfants qui définissent leurs ressemblances avec leur frère et sœur sur le mode négatif et positif, affirmant des goûts et dégoûts communs :

« [Et tes frères et sœurs aiment bien ?] Non[ Et le céleri ils aiment ?]

Non plus. [Donc là-dessus vous êtes pareil ?]Oui. Tous les deux ils aiment l’ébli et moi aussi (…)» (Marianne, CM2, oui)  

 

Quant à Timothée qui mange de tout la similitude avec son frère se fait sur le mode positif :

« [Ton frère mange de tout aussi ?] Ouais. Il mange comme moi. (…) [C’est son plat préféré aussi?]Oui. (…) [Même goût que ton frère pour la nourriture ?] Oui. » (Timothée, CM1, oui)

 

Timothée et son frère se ressemblent extrêmement sur le plan physique, je les ai souvent confondus.

4.3.2. Affirmation d’une spécificité   

 

                    En se distinguant de ses frères et sœurs, l’enfant peut obéir à plusieurs motifs.

Certaines fratries semblent illustrer parfaitement l’évolution des goûts en fonction de l’âge :

« Ma sœur elle mange que des yaourts et de la purée, tout ce qui est en compote. Et mon frère il aime pas les épinards. [Mais il aime les brocolis et les choux fleurs ?]Oui(…) [Mêmes goûts que ton frère?] Non(….)Lui il est plutôt légumes et moi plutôt fruits. »  (Hippolyte, CM2, moyen)

 

Les attirances de ces trois enfants correspondent à leur cycle de vie. Clara, la plus petite, deux ans, ne mange que de la bouillie et de la compote, Hyppolite, le moyen aime plus les fruits, quant à Dorian, le plus grand (quatorze ans et demi), il apprécie également les légumes. On retrouve dans la même fratrie les différentes étapes et évolutions par rapport au goût.

Il y a aussi des enfants qui reconnaissent que leur frère ou sœur mange plus de légumes qu’eux, même s’ils soulignent au début les dégoûts de l’autre :

 « Y a des trucs qu’elle aime pas. (…) Elle aime pas le chou. [Comme toi. Vous aimez des goûts un peu pareil tu penses ?] Non (…) Les tomates elle adore, les épinards elle aime bien ! [Elle aime plus de légumes que toi ?]Oui (…) [Tout le monde aime la tomate dans ta famille ?] Oui » (David, CM1, moyen)

 

Affirmer sa différence de goût par rapport à toute sa famille ne peut-il pas être vu comme un moyen d’affirmer sa personnalité ? Une façon de se montrer comme différent et faire respecter sa différence ?

 

Et pour d’autres, l’affirmation d’une distinction obéit à une stratégie de valorisation.

Prenons le cas de Hugo et Emma, frère et sœur, et qui ont pourtant une définition différente de leurs goûts et dégoûts communs. Pour tout deux leur différence de goûts se fait au niveau d’un dégoût de l’autre envers un légume que lui-même ne ressent pas :

« [Ta sœur aime lentilles et petits pois ?] Oui, sauf elle aime pas trop les petits pois.[Vous avez les mêmes goûts, à part pour les petits pois ?] Oui.(…)» ( Hugo, CM2, moyen )

 

« [Tu as les mêmes goûts qu’Hugo ?] Pas trop parce qu’il (Hugo, son frère) aime pas les épinards et moi j’adore ! » (Emma, CE1, oui)

Dans les distinctions, les enfants se différencient de leurs frères et sœurs sur les aliments que ceux-ci n’aiment pas et se servent de leur fratrie comme d’un repoussoir leur permettant de se valoriser eux :

 «[Vous avez les mêmes goûts ?] Pas trop parce qu’il aime pas beaucoup de choses. [Alors que toi tu aimes beaucoup de choses ?] Oui. » (Rosalie, CE1, oui)

 

Pour d’autres, la figure du frère (ou de la sœur) est ainsi une sorte de miroir déformant :

« [Vous avez les mêmes goûts ?] Non, pas du tout ! (…) Il aime pas goûter et il vomit à chaque fois qu’on lui donne un truc. (…)Non, j’aime bien goûter. C’est juste les trucs que j’aime pas que je vomis.» (Arthur, CE1, moyen)

 

Car manger de tout et goûter sont des pratiques très valorisées par les parents. En affirmant ses goûts et dégoûts, l’enfant se livre en quelque sorte à une mise en scène de lui-même.

 

Et lorsqu’ils parlent de leurs frères et sœurs, certains enfants évoquent des différences de traitements :

« Mon frère on l’oblige beaucoup à manger des fruits et des légumes mais il en mange très peu. [Et toi on t‘oblige aussi ?] Moins que lui beaucoup moins. (…)Parce que moi j’aime beaucoup plus de choses que lui. » (Marisol, 10 ans, oui)

 

         C’est alors un cercle vicieux : l’enfant qui aime les fruits et légumes n’aura pas de problème à table et aura donc un rapport décontracté à ces aliments. Tandis que l’enfant qui n’aimera pas trop les légumes aura sur lui une pression plus forte durant les repas et ses rapports aux légumes se tendront, seront probablement plus crispés et donc il refusera de plus bel entraînant des pressions plus fortes.

 

                    «  A un niveau microsocial, l’alimentation révèle la socialisation des individus, leur apprentissage des règles sociales, l’incorporation des normes et de la culture (ou des sous cultures de classe), mais également comment les acteurs sociaux réagissent aux normes, aux incorporations, dans leurs mises en pratique, comment ils puisent dans les différentes sous cultures pour créer une culture alimentaire propre. » (Garabuau-Moussaoui et al. 2002 : 69). Ainsi le repas en famille est constitutif de cette socialisation et révèle sa mise en place et son ressenti. Mais il n’y a pas qu’au sein de la famille que l’enfant a une socialisation alimentaire. Les repas pris en collectivité à la cantine ou chez les pairs peuvent constituer des alternatives aux repas familiaux que ce soit au niveau des pratiques, des représentations et des normes. A cela s’ajoute les activités proposées à l’extérieur de la famille, comme les ateliers cuisine où l’enfant va avoir une approche de la cuisine donnée par une personne extérieure à son cercle familial.

5. DES ALTERNATIVES A L’APPRENTISSAGE FAMILIAL

                   

                    La cantine et les ateliers alimentaires d’APRIFEL peuvent constituer des expériences alimentaires alternatives.

 Mais suivant les contextes, elles peuvent soit s’opposer, soit compléter les pratiques et normes familiales.

5.1. La cantine, l’altérité

 

                     L’école Milton où j‘ai fait mon terrain a un restaurant scolaire original par rapport aux autres écoles parisiennes : la nourriture y est faite sur place.

De plus, pour des raisons pratiques (les entretiens se faisaient dans une salle prêtée par l’école pendant la pause du midi), tous les enfants que j’ai interrogé mangeaient à la cantine. Néanmoins étant donné que sur les quatre cent élèves, trois cent cinquante mangent à la cantine, l’échantillon est assez représentatif. Il aurait été néanmoins instructif de pouvoir également interroger des enfants ne mangeant pas à la cantine pour pouvoir constater dans quelle mesure la cantine pouvait modifier ou non les représentations et pratiques liées aux fruits et légumes. Ce sont là les contingences du terrain…

Selon Mme Favre-Bonnet, qui a étudié la cantine, le rôle du restaurant scolaire est certes de nourrir mais aussi d’apprendre à manger aux enfants. Désormais le terme officiel pour cantine est « restaurant scolaire ». « Ces changements de vocabulaire ne sont pas anodins : ils montrent qu’une nouvelle façon de considérer le repas à l’école est en train de naître. » (Favre Bonnet 1985 : 14).

En effet l’étymologie du mot « cantine » révèle que cela vient de l’italien cantina qui désignait une buvette pour ouvriers et soldats. Quant à « réfectoire », il appartient au vocabulaire des communautés religieuses. L’appellation « Restaurant scolaire » peut être vue comme une tentative de « changer les mots pour changer la réalité : du repas-caserne au repas-plaisir ». (Favre-Bonnet 1985).  Et c’est pareil pour ses surveillants qui sont devenus des animateurs et qui se vivent comme tels :

« Le contact avec les enfants c’est super important. Je peux influencer quelque chose dans leur vie. Il faut aller vers l’enfant au lieu de lui crier dessus. C’est important de beaucoup parler, discuter. Moi c’est là-dessus que je me base. » (Valérie, animatrice cantine)

 

         Néanmoins le mot restaurant scolaire ne semble pas être encore passé dans le langage courant ; les enfants n’ont jamais utilisé ce terme, préférant « cantine ». C’est pourquoi je continue à employer ce terme dans ce mémoire.

 

Le cadre scolaire et le cadre familial sont à la fois en opposition et complémentaires. Cela se retrouve également au niveau des repas pris dans ces deux cadres.

En effet l’école, et à travers elle la cantine, est un espace de totale dépendance où l’enfant doit obéir à des règles qui le dépassent, l’école étant « l’institution qui porte par excellence la logique de soumission de l’enfant à un projet qui le dépasse et qui suppose un détour éducatif dont la finalité ne peut être immédiate » (Brougère).

Mais en même temps l’école et la cantine, où l’enfant va manger en compagnie de ses pairs, sont aussi un accès à l’autonomie par rapport à la famille. La cantine, où les normes et pratiques sont différentes de celles du repas familial, offre une alternative à l‘enfant dans la formation de son répertoire alimentaire.

5.1.2. Comparaison implicite avec le repas familial

 

                    Ce rapport ambigu et complémentaire entre école et famille se retrouve dans le discours des enfants sur la cantine, qui est bien souvent une comparaison implicite avec le repas familial

 

   Certains enfants préfèrent le repas familial à celui de la cantine.

« Je préférerai manger chez moi. » (Arthur, CE1, moyen)

 

En effet ils trouvent que la nourriture n’est pas bonne. Mais est-ce uniquement la nourriture en elle-même ? Là encore derrière le « j’aime pas, c’est pas bon » semble se cacher d’autres raisons, telles que la non familiarisation, l’attachement au cercle familial et à la liberté et sécurité qu’il procure versus la dépendance et l’insécurité que certains enfants ressentent à la cantine.

En effet pour certains, la préparation n’est pas « bonne », n’est pas comme celle à laquelle ils sont habitués chez leurs parents :

« Bah c’est fait que avec de l’eau c’est un peu pas bon à manger (…) [Ma mère] Elle fait avec des sauces et tout ça. » (Timothée, CM1, oui)

 

Ils déplorent également le fait de ne pas avoir le choix des aliments :

 « J’aime pas ce qu’ils mettent, c’est pas du tout bon ! (…) Des fois ils mettent des frites poulet ça j’aime bien mais ils mettent souvent des épinards. » (Arthur, CE1, moyen)

 

L’enfant ne peut choisir, comme chez lui, ce qu’il va mangerIl y a «  l’opposition entre la maison et l’école avec d’un côté la négociation, la prescription, l’autorité des adultes exercée dans un contexte relationnel contre la même autorité exercée dans un contexte de normes institutionnelles, l’enfant comme acteur et sujet versus l’enfant comme projet et objet. » (Brougère)

Pour exprimer son malaise, sa difficulté à assumer la différence entre le milieu familial (et notamment maternel) et scolaire, l’enfant a une stratégie, ne pas manger :

« Non, je mange pas, enfin presque rien» (David, CM1, moyen)

 

Selon le directeur de l’école, derrière le refus de manger se dresse un rapport problématique au monde scolaire, à un refus de sortir du monde familial (et plus spécifiquement maternel):

« J’ai toujours été préoccupé par les enfants qui ne mangeaient pas. Il y a des enfants hermétiques en classe et à la cantine. Souvent c’est des enfants qui sont encore dans leur bulle, pas encore entrés dans le monde. Leur lien c’est leur mère. » (M.Jean, directeur)

 

Pour d’autres enfants, la cantine est également un moment d’insécurité.

Certains semblent avoir des problèmes relationnels avec leurs pairs :

« J’aime pas y en a plein qui jettent des trucs. [Tu manges avec tes copains ?]Oui parfois. (…)[Et parfois non] Parce que des fois ils sont méchants et je préfère manger seul. » (Arthur, CE1, moyen)

 

Isolés car ils mangent seuls, ils sont une proie facile pour les autres enfants et se sentent victimes d’injustices :

 «  (..)Je mange souvent tout seul. (…) Des fois on me balance de la nourriture et c’est moi qui me fais punir et on m’amène chez le directeur. » (Timothée, CM1, oui)

 

 

   Pour d’autres, au contraire, la cantine est une alternative positive à la maison.

En effet le restaurant scolaire est un moyen de découvrir de nouveaux aliments, que les parents n’achètent pas. C’est aussi et surtout le moyen d’être avec ses pairs.

La cantine, en variant ses menus, permet aux enfants de découvrir des aliments, auxquels ils n’ont pas accès chez eux :

« Bah aujourd’hui [à la cantine] y avait du kiwi. (…)[Avant] j’en n’avais pas goûté du tout, c’est la 1ère fois (…) Parce que maman en n’a pas acheté, je sais pas pourquoi» (Rosalie, CE1, oui)

Certains enfants aiment la cantine car ils sont avec leurs amis. La cantine est un lieu de nutrition mais aussi d’interactions. Selon les familles, les repas à la cantine peuvent être vécus comme plus libres et détendus qu’à la maison :

« A la cantine, c’est pas comme à la maison, on peut discuter avec les copains. C’est bien parce qu’on peut discuter alors qu’à la maison on n’a pas ses copains pour discuter avec. » (Yannice, CE1, oui)

 

On voit ici l’importance que les pairs peuvent avoir dans l’appréciation du repas.

«  (…) [J’aime bien la cantine parce que] au moins là on a des copains à côté de nous. (…) [Le plus important quand tu manges c’est d’avoir tes copains à côté de toi ?] Oui. » (Daouda, CE1, non)

 

Une des caractéristiques de la cantine, c’est qu’au lieu de prendre ses repas avec les membres de sa famille, c’est avec ses pairs que l’enfant mange ; au lieu de subir l’influence familiale, c’est l’influence des pairs qui prédomine à la cantine. « (…) on ne peut traiter les questions liées à l’enfance sans rencontrer l’école. L’enfant est sans doute en partie un produit de l’école (…) qui en séparant celui-ci du monde adulte a fait émerger sa spécificité. Il y trouve une activité différente, une culture, le monde de ses pairs, des adultes dont l’activité est de prendre en charge l’enfance. » (Brougère) 

5.1.2. Influence des pairs prédominante : le triomphe du « goût enfantin »

 

                    Cette prédominance se ressent notamment dans la modification du goût et du répertoire alimentaire. De plus « n’y a-t-il pas, également, [dans] l’expérience d’une individualisation des goûts par rapport à l’adulte (même si c’est en retrouvant ceux de ses pairs), le développement d’un espace d’autonomie dont on peut souligner au moins l’intérêt en terme d’apprentissage (…). » (Brougère)

         La cantine peut être vue comme l’apothéose du « goût enfantin ». Le goût enfantin selon Fischler est un «  (…) ensemble d’aliments connus et appréciés de la plupart des enfants, dans tous les groupes d’âge, mais particulièrement les plus jeunes, et au-delà des distinctions de sexe, d’origine sociale ou géographique (…) » .  En France, l’étude de Chiva (1995) rapporte que l’aliment préféré des enfants de neuf à onze ans est les frites. Or lorsque l’on demande aux enfants quel est leur plat préféré à la cantine, ce sont les frites qui semblent avoir toutes leurs faveurs.

Mais certains enfants disent n’avoir aucun plat favori à la cantine, car tout y est mauvais :

« Y en aucun, à part une fois le repas indien pendant la semaine du goût. » (Marianne, CM2, oui)

 

Cependant certains ne résistent pas à l’attrait des frites :

« [Ton plat préféré à la cantine ?](Silence)J’en n’ai pas (…) Si, les frites ! » (David, CM1, moyen)  

 

J’ai demandé aux enfants quel était leur plat favori chez eux puis quel était leur préféré à la cantine. A l’exception de ceux dont le plat préféré à la maison est un plat correspondant au goût enfantin :

« Des frites et le poisson pané. » (Meyriam, CM1, non)

 

« Poulet frites » (Arthur, CE1, moyen)

 

Pour les autres, ce n’est pas le même plat. Le plat préféré à l’école est un plat typiquement « enfantin » :

« Les pâtes ou les frites. » (Hippolyte, CM2, moyen)

 

Chez lui ce sont les lasagnes son plat préféré.

On assiste ici à un calquage des goûts, presque tous les enfants mettent les frites dans leur plat préféré alors que ce n’est pas toujours leur plat préféré chez eux. Influence des pairs, tendance à l’uniformisation ?

L’étude de Birch (1980) a montré qu’à la cantine le légume le moins aimé à la base est plus apprécié et consommé ensuite si les pairs l’aiment et le consomment.

Les animateurs, experts du repas à la cantine, reconnaissent l’influence des pairs :

«Faut leur faire goûter, en discuter avec eux, avec leurs copains. [Et ça marche ?] Une fois sur trois ou quatre. (…) [Qui a de l’influence pour faire goûter ?] L’animateur et les copains » (Jean, animateur cantine)

 

 Sous l’influence des pairs l’enfant peut élargir ou rétrécir son répertoire alimentaire. En effet à la diversité des goûts semble correspondre la maison et à l’uniformisation l’école. Est-ce parce que la cantine étant destinée aux enfants, les plats qui y sont proposés correspondent plus au répertoire enfantin ? Il ne semble pas. Les enfants déplorent la rareté de leurs plats préférés et la dominance des légumes :

« Moi j’aime aucun légume. [A la cantine] On mange que des légumes. Je préfère la viande. Les bêtes, on n’en fait pas assez ici. » (Georges, CM2, cantine)

 

                    Si pour certains la cantine à tendance à réduire leur goût au répertoire enfantin, pour d’autres, c’est l’endroit où ils vont manger de tout (peut-être parce qu’ils sont libérés des pressions familiales) :

«  (…) à la cantine je mange presque tout, je mange des choses qu’à la maison, j’ai pas envie de manger. (…) Par exemple je mange des épinards à la cantine mais à la maison j’ai pas envie d’en manger. (…) C’est juste que [à la cantine] j’ai envie de finir mon assiette. (…) Parce que c’est comme ça, pour heu pour heu je sais pas. » (Eline, CE1, non)

5.2. Les ateliers alimentaires, entre altérité et complémentarité

 

                     Les ateliers proposés par Aprifel (Agence Pour la Recherche et l’Information aux Fruits et Légumes Frais) que j’ai observé, semblent avoir fait l’unanimité auprès des enfants. Tous ont dit l’avoir aimé et ils veulent renouveler l’expérience.

Ces ateliers étaient composés de deux parties, une avec la cuisinière et l’autre avec la diététicienne. Un débat semble opposer éducation sensorielle et éducation nutritionnelle. L’étude Pliner (1995) qui réunissait quatre-vingt enfants entre trois et huit ans a montré que l’argument « c’est bon » marchait plus avec les enfants que l’argument « c’est sain », ce qui fait conclure à Nathalie Rigal que cela « milite évidemment pour l’éducation sensorielle des enfants, et non pour une éducation nutritionnelle qui concerne davantage les adultes. » (Rigal 2000 : 138). Mais pourquoi ne pas allier les deux, ne pas faire bénéficier les enfants de ces deux types d’informations ? C’est ce qu’a choisit de faire l’atelier alimentaire d’Aprifel.

Pour certains les ateliers ont été un moyen de découvrir la cuisine, d’apprendre à reconnaître les caractéristiques respectives des fruits et légumes, d’avoir une nouvelle approche des fruits et légumes. Pour d’autres cela est un perfectionnement, ils découvrent d’autres techniques et cuisinent sans leurs parents.

Mais il y a également complémentarité entre les ateliers et la maison car les enfants vont faire découvrir leur nouveaux savoir-faire à leur famille, permettant ainsi de le pérenniser.

Une des cuisinières de l’atelier, Martine Camillieri, fonde ainsi sa cuisine pour les enfants sur le mode ludique, en jouant sur le détournement. Dans son livre[15] elle a ainsi écrit : «  Par le biais de l’autonomie, ce livre veut développer la curiosité pour l’aliment, l’envie de tester, de goûter à tout, aux crudités (…), aux fruits(…) parce que plus on apprend à connaître ces aliments indispensables, plus on a de chances de les aimer. (…) Toutes ces petites farces délicieuses donnent ensuite lieu à des dîners, apéros ou fiestas, car rien n’est plus drôle que de cuisiner pour les invités, et de recevoir des tonnes de compliments. » (Camillieri 2006 : 3).  Et en effet dans leur évaluation de l’atelier, les enfants font état de la dimension ludique de la cuisine mais également de leur fierté à cuisiner ensuite pour leur famille.

5.2.1. Découvertes et apprentissages

 

                    Pour certains enfants, notamment les CE1, l’atelier a été leur premier contact à la cuisine. Contact plaisant selon leurs dires :

« (…) [J’ai aimé l’atelier] Parce que on avait fait de la cuisine et ça m’avait bien plût » (Eline, CE1, non)

 

Ils ont également apprécié le fait d’acquérir de nouvelles connaissances sur les fruits et légumes. Ces connaissances sont différentes de celles dispensées à l’école, car au lieu d’être uniquement théoriques, elles sont également sensuelles:

 « J’ai bien aimé quand on devait sentir les choses et deviner ce que c’était. (…) J’ai appris des choses mais j’ai oublié quoi. J’ai juste appris que les légumes ça sentait un peu plus fort que les fruits. » (Yannice, CE1, oui)

 

                    Mais l’atelier est également un moyen d’approcher de façon ludique les fruits et légumes, de modifier leur perception auprès des enfants et de les rendre plus familiers.

Par exemple lors de mon observation de l’atelier des CMC (CM1 et CM2) j’ai interrogé Steven qui disait détester les avocats :

«  J’aime pas. [Pourquoi ?]  Je sais (…) Je peux en manger un peu mais  après ça me dégoûte. [T’en manges souvent ?] Non jamais » (Steven, CMC)

 

A la fin de la séance, lors de la dégustation Steven a mangé son avocat en entier et déclaré que c’était très bon. Cela semble être le cas de nombreux enfants.

Fait remarquable ce goût soudain pour le légume semble pouvoir se stabiliser puisque l’enfant demande ensuite à sa mère d’en acheter et se met à le préparer :

« Les avocats. Avant j’aimais pas les avocats, on m’a dit « goûte » et c’est trop bon.(…)Non normalement j’aime pas. [Mais là t’as bien aimé ?] Oui. (…) j’en ai cuisiné encore. J’ai dit à ma mère d’en prendre et après je les ai cuisiné. » (Daniel, CM1, moyen)

 

En effet l’enfant apprend à cuisiner des fruits et légumes qu’il n’a pas l’habitude de manier sous un biais ludique :

« Oui ! Qu’on pouvait par exemple au lieu de prendre un bol, prendre la peau de l’avocat. (…)Oui c’est marrant ! » (Marianne, CM2, oui)

 

Cet aspect ludique passe par le plaisir de la manipulation mais aussi par l’effet visuel :

« Ah oui j’ai adoré ! (…)J’aimais bien faire les petites décorations avec la pâte d’amande. » (Rosalie, CE1, oui)

 

 

 

(Photo prise lors de l’atelier d’éducation alimentaire proposé par Aprifel à des élèves de CE1)

 

   Lors d’un atelier animé par Martine Camillieri dont le principe culinaire est le détournement[16], les enfants qui à la base n’aiment pas l’avocat, l’ont préparé,  mangé et l’apprécié sous la forme de « chantilly à la pistache » sur une « gaufre » (en fait du pain grillé). Les arguments utilisés par la cuisinière sont d’ordre esthétiques : « Tu veux que je mette un peu de vert [purée d’avocat] sur ta gaufre pour faire joli ? ». Et les enfants entrent dans le jeu. Par exemple, ils appellent le mélange de mangue et de petits suisses de la « mayonnaise » et des bouts de pommes deviennent des « frites ». Au lieu d’aborder les fruits et légumes sur le mode de la santé et de l’obligation, elle l’aborde par le jeu, la farce, l’esthétique. Et cela semble bien fonctionner avec les enfants.

                     D’autres enfants, qui normalement (chez eux et à la cantine) ne goûtent pas quand ils ne connaissent pas, ou bien doivent être forcés pour le faire, goûtent d’eux-mêmes leurs productions :

« (…) j’ai tout mangé. (…) Oui même si j’ai pas trop aimé la crème d’avocat. Je me suis un peu forcé. » (Hyppolite, CM2, moyen)

 

Alors que chez lui, sans la pression de ses parents, il ne goûte pas :

« [Mais t’aurais pas goûté si tes parents ne te l’avaient pas demandé ?] Non [Tout seul, tu ne goûtes pas?]  Non.» (Hippolyte, CM2, moyen)

 

La dégustation à la fin de la séance semble avoir été également très appréciée, car les enfants mangent ce qu’ils ont eux-mêmes fait :

« [J’ai préféré] La cuisine, j’aimais bien manger ce que je faisais (…) » (Hugo, CM2, moyen)

 

Les enfants semblent également satisfaits d’avoir appris de nouvelles façons de préparer les aliments, d’autant que cette nouvelle connaissance est valorisée par les parents :

 « Ça m’a appris des recettes que je connaissais pas, l’avocat, les tartines caramélisées, mes parents ils ont dit que c’était bien. » (Timothée, CM1, oui)

 

                    Mais un élément qui est fort apprécié par certains enfants, c’est la liberté de manœuvre qu’offre l’atelier, de faire les choses soi-même :

« La cuisine c’est mieux parce que on le fait nous-mêmes ! » (Annama, CM1, oui)

 

On retrouve ici le désir d’autonomie :

 

« [J’ai bien aimé l’atelier cuisine] parce que tu peux inventer des choses sans aide. [T’aimes bien faire les choses tout seul ?] Oui » (Jules, CE1, oui)

 

Les enfants peuvent cuisiner loin de la tutelle familiale. Néanmoins, dans la pratique les ateliers sont complémentaires à la cuisine pratiquée à la maison. Les enfants vont réutiliser chez eux les savoirs appris à l’atelier

5.2.2. Intégration de l’atelier dans le cercle familial

 

Certains enfants ramènent une partie de leurs œuvres culinaires chez eux après l’atelier pour les faire goûter à leurs parents :

« J’ai bien aimé. Et mes parents aussi. Ils ont mangé ce que j’avais fait. C’était bon ! » (Leia, CE1, cantine)

 

         D’autres, ayant tout mangé sur place, se décident à le cuisiner chez eux :

« [Tu en as ramené à tes parents ?] Non, je leur en ai fait après. » (Hugo, CM2, moyen)

 

Certains enfants qui ne cuisinaient pas avec leurs parents avant l’atelier, envisagent désormais de le faire :

« [Après l’atelier] J’ai demandé à mon père si je pourrai cuisiner avec lui et il a dit oui ![Ta mère cuisine aussi ?] Oui c’est que ma mère qui cuisine d’habitude [Mais c’est avec ton père que tu vas faire la recette ?] Oui, parce que il adore les avocats. » (Meyriam, CM1, non)

 

Ceux qui cuisinaient déjà avec leurs parents ont introduit les nouvelles recettes auprès des membres de leur famille :

« J‘ai fait les pains au caramel et avec ma mère et ma mamie on a fait la glace et avec ma maman on a fait l’avocat. [Donc t’as tout refait ?] Oui »  (Timothée, CM1, oui)  

Ils ont envie de faire goûter à leur famille ce qu’ils savent faire. Leurs nouveaux savoirs faire sont ainsi valorisés :

« J’ai réessayé toutes les recettes chez moi. [Et tu as fait goûter à qui ?] Bah à ma petite sœur qui a pas aimé l’avocat par contre. Mais elle a bien aimé le sorbet à la banane et surtout les tartines ! (…)Elle en a pris 5 ! (Elle rit) j’ai cuisiné chez mon papa. Et j’en ai refait à ma mère parce que elle adorait. (…)» (Marianne, CM2, oui)

 

Certains parents encouragent leurs enfants à refaire les recettes apprises à l’atelier :

« J’ai pas refait le sorbet pour l’instant parce que on n’a pas de sorbetière.[ Et les autres recettes tu les as faites ?] Oui. [Même avec l’avocat (Marisol déteste l’avocat)?] Si ma mère elle a voulu le refaire, mais j’en n’ai pas mangé. » (Marisol, CM2, oui)

Des enfants manifestent leur désir de transmettre les nouveaux savoirs et saveurs qu’ils ont appris à l’atelier :

« Oui j’ai tout mangé, mais à la maison j’ai tout laissé aux autres. Parce que je savais déjà quel goût ça avait. [Tu ne voulais pas en manger aussi?] Si, mais je me suis dis que c’était mieux de leur faire apprendre, goûter. » (Timothée, CM1, oui)

 

                     L’atelier semble donc avoir des effets conséquents sur les pratiques et représentations des enfants par rapport aux fruits et légumes. Non seulement il leur propose une nouvelle approche, hors du cadre familial, avec d’autres pairs mais de plus le savoir acquis est ensuite actualisé par les enfants chez eux, avec la complicité de leurs parents. Et les ateliers cuisine semblent avoir une influence sur la consommation des enfants, puisqu’ils goûtent et parfois apprécient des fruits et légumes qu’ils refusaient auparavant de goûter.

 

Une suggestion néanmoins pour améliorer encore ces ateliers : faire parler les enfants de ce qu’ils mangent, leur faire décrire les différentes saveurs des aliments qu’ils sont en train de manger. En effet «  Les mots ont la vertu de contenir l’angoisse de l’omnivore : ils sont appris dans un système culturel en situation d’interaction sociale et servent ainsi de tremplin vers le monde du connu, du sécurisant. Construire une image verbale de l’aliment est un moyen de le faire passer du stade d’Objet Comestible Non Identifié à celui d’Objet Comestible Identifié : nommer donne du sens à ces objets externes que nous allons devoir mettre à l’intérieur de nous . » (Rigal 2000 : 131)

CONCLUSION

 

Il y a certes un facteur biologique dans la formation du goût de l’enfant ; suivant son hypo- ou hypergustativité l’enfant aura plus ou moins de problèmes à aller vers les fruits et légumes. A cela s’ajoute l’attirance naturelle des enfants pour le sucre et les aliments nourrissants. Catégories dont les légumes sont exclus.

 

Mais dans l’acte de manger entrent aussi des facteurs culturels, symboliques et psychologiques. Etudier les rapports que les enfants ont aux fruits et légumes, c’est aussi étudier le rapport que l’enfant a avec lui-même, avec son identité et son histoire familiale.

Dans cette étude apparaissent constamment les thèmes de la volonté d’autonomie et de la nécessité de la dépendance. En affirmant ses goûts et dégoûts, l’enfant se construit, affirme sa filiation ou son indépendance aux normes familiales et aux normes de ses pairs.

Les fruits et les légumes sont particulièrement révélateurs, car de par le statut d’aliments santé, ils représentent un enjeu entre les enfants et leurs parents et peuvent alors devenir des « aliments-symptomes ».

 

Face au refus de l’enfant que faire ?

 

De nombreux sociologues et psychologues ont montré que l’enfant refusait de manger les aliments qui ne lui étaient pas familiers. Car manger un aliment étranger c’est incorporer quelque chose d’extérieur à soi-même, ce qui peut provoquer une certaine peur. Pour dépasser cette peur, il faut que l’enfant se familiarise avec ces « Objets Comestibles Non Identifiés ». Les présenter à table, les faire goûter et les cuisiner avec l’enfant semble être le meilleur moyen pour dédramatiser ces aliments et les rendre familier à l’enfant.

 

Néanmoins pour que cela puisse fonctionner il faut que le contexte soit favorable. Gare aux disputes, tensions et non-dits ! Car le rapport à l’alimentation est très marqué par l’affectif.

Pour les enfants, la cuisinière semble être plus importante que sa cuisine dans leur évaluation du repas. Le repas doit à la fois combler leurs besoins biologiques mais aussi affectifs. Pouvoir échanger de la nourriture et des paroles avec les personnes aimées dans un climat de confiance semble être l’étalon de valeur le plus important dans le ressenti du repas par les enfants. L’enfant aura probablement un rapport plus détendu aux aliments qu’il mange si le contexte est chaleureux. Et inversement.

 

Mais le repas familial n’est pas le seul où les enfants sont confrontés aux fruits et légumes, il y a aussi le repas scolaire. Là les normes changent et l’on assiste au triomphe du goût enfantin et de l’influence des pairs.

 

Les repas semblent donc bien être le moment où les normes vont être intégrées ou rejetées, les liens familiaux et amicaux se fortifier ou se désagréger et l’enfant affirmer sa personnalité en mettant en scène ses goûts et dégoûts.

 

                    Au lieu d’aborder les fruits et légumes uniquement sur le mode de la santé et de l’obligation, il semble qu’il soit plus efficace pour les enfants de l’aborder par le biais du plaisir, de la convivialité et du jeu.

 

Les ateliers d’éducation alimentaire APRIFEL semblent très bien s’intégrer dans cette logique où au discours de la diététicienne sont liés la pratique de la cuisine, le maniement des aliments, le plaisir de création et de manipulation et la fierté de manger et faire goûter son oeuvre. Cela permet aux aliments de devenir à la fois bons à penser et à manger ! Ainsi «  Le véritable équilibre alimentaire pourrait être l’équilibre entre les différentes fonctions de l’alimentation : nutrition, convivialité, plaisir et symbolisme. »  (Boggio  2002 : 90)

 

Néanmoins pour que les effets de l’atelier soient pérennes, il faut la coopération des parents, qu’ils reprennent et développent les recettes de l’atelier, que l’enfant se sente valorisé par cette activité et puisse la développer dans sa famille.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

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Pratiques et représentations autour de la préparation d’aliments

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POULAIN Jean-Pierre, [2002] 2005, Sociologies de l’alimentation. Les mangeurs et l’espace social alimentaire. Paris : Quadrige/PUF

 

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CHIVA Matty, 1985, Le doux et l’amer, Paris : PUF

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PUISSAIS Jacques, 1987, Le goût et l’enfant, Paris : Editions Flammarion.

 

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L’éducation alimentaire des enfants

 

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CARON LAHAIE L., 1984, « Influence de l’éducation en nutrition sur le comportement alimentaire », Cahier de Nutrition et de Diététique, XIX, n°4

– CHIVA Matty, 1995, « L’enfant et la nutrition. Comment apprend-on à manger? » Information diététique, 2, 27-31

– PUISAIS J., MAC LEOD P., POLITZER N., 2005, « Propositions pour une pédagogie du goût », Lettre Scientifique n° 110 (décembre 2005)

– RIGAL Nathalie, 1996, La mise en place des répertoires alimentaires chez l’enfant. Approche culturelle, thèse sous la direction de CHIVA

Autres…

– BOURDIEU Pierre, 1980, Le Sens Pratique,  Paris : Les Editions de Minuit,

– BOURDIEU, Pierre, [1998] 2002, La domination masculine, Paris : Editions du Seuil

 

ANNEXES

 

1. Tableau récapitulatif des origines sociales et culturelles des enfants interrogés

 

  • CM1-CM2

 

Filles Garcons
Meyriam  non

Père : réceptionniste de nuit

Mère : au foyer

Origine : indienne

CSP –

 Daniel   moyen

Père : au foyer

Mère : au foyer

Origine : Kazakhstan

CSP-

 

 Annama   oui

Père : au foyer

Mère : femme de ménage

Origine : indienne

 CSP-

  Timothée  oui

 Père : boulanger (propriétaire)

Mère : boulangère

CSP intermédiaireHippolyte  moyen

Père : instituteur

Mère : patronne d’une société sur l’Afrique

CSP intermédiaire

 Marianne   oui

Mère : suit des études pour être orthophoniste

Beau-père : travaille avec des architectes

Père : journaliste

Belle-mère : journaliste

CSP +David moyen

Père : dans la publicité

Mère : marketing

Belle mère : marketing

CSP +Marisol oui

père : banquier

mère : journaliste

CSP +Hugo   moyen

Père : juge d’instruction

Mère : juriste

Frère de Emma

 CSP +

 

 

 

 

 

 

 

  • CE1
Filles Garcons
Emma   oui

Père : juge d’instruction

Mère : juriste

Sœur de Hugo

CSP +

 Daouda    non

Père : « fait des travaux »

Mère : « fait des travaux »

Origine : subsaharienne

Vit dans un hôtel social

 CSP –

 Rosalie  oui

Père : travaille

Mère : travaille avec l’université

CSP + Arthur  oui

Père : commerçant  parti  en Australie

Mère : psychologue

CSP intermédiaire/+Jules   oui

Père : travaille

Mère : travaille

CSP + Eline  non

Père : professeur de mathématiques à l’université

Mère : organise des expositions

CSP +Yannice  oui

Père : absent (à Lyon)

Maman : étudiante (très jeune)

Origine : maghrébine

CSP – 

 

 

 

 

Légende :

       : déclare ne pas aimer les légumes                                 ex : Meyriam  non 

      : déclare aimer les légumes                                             ex : Yannice  oui 

     : : déclare aimer mais très modérément                 ex : Hugo  moyen 

       : Classe Sociale Professionnelle inférieure                       ex :  CSP- 

     : : Classe Sociale Professionnelle supérieure                      ex : CSP + 

       : Classe Sociale Professionnelle intermédiaire      ex :  CSP intermédiaire

 

 

 

2. Guide d’entretien

 

 

I- Présentation

  1. 1.           Comment t’appelles-tu ?
    1. 2.           Quel âge as-tu ?
    2. 3.           En quelle classe es-tu ?
    3. 4.           As-tu des frères et sœurs ?
    4. 5.           Si oui, combien et quels âges ont-ils ?

II-          Atelier et son « niveau » de cuisine, son rapport à la cuisine en général

Tu as fais un atelier sur les fruits et légumes en 

6.      Est-ce que c’était la première fois que tu cuisinais ?

Si oui :

7. A. Est-ce que tu as aimé ça ?

8. A. Qu’est-ce que tu as bien aimé ?

9. A. Est-ce que tu vas recommencé chez toi ?

10. A. Avec qui ?

Si non :

7. B. Est-ce que tu aimes cuisiner ?

8. B. Est-ce que parfois tu cuisines ?

9. B. Qu’est ce que tu cuisines ?

Desserts, gâteaux/ Entrées / plats

10. B. Avec qui ?

R : Parents / Amis / Frères et sœurs

11.    Est-ce que tu as bien aimé l’atelier ?

12.    Qu’est ce que tu as préféré ?

R : Atelier cuisine/ Atelier Diététicienne

13.    Pourquoi ?

R : Intéressant / Amusant/ Ennuyeux etc…

14.    Tu as mangé ce que tu as fait ?

R : C’était bon ? Tu en avais déjà mangé avant ? Est-ce que tu en as gardé pour ta famille / tes amis ?

15.    Est-ce que tu voudrais faire d’autres ateliers comme ça ?

16.    Si c’était toi le chef tu voudrais faire quoi ?

III-       Son rapport aux fruits et légumes

17.    Combien de légumes connais-tu ?

R : lesquels ?

  1. 18.       Combien de fruits connais-tu ?

R : Lesquels ?

19.    Quels fruits et légumes aimes-tu ?

  1. 20.       Pourquoi ?

R : Sucré / Joli/ Amusant/ Facile à manger

  1. 21.       Est-ce que tu en manges souvent ?
  2. 22.       Où ?

R : A la maison ? Chez des amis ? A la cantine ?

  1. 23.       Avec qui ? Qui d’autres aiment ça dans ta famille ?

R : Mère / Père / Frère / Sœur / Grand-parent/ Cousin / Oncle-Tante

  1. 24.       Comment les préfères-tu ?

R : Cru / Avec du sucre, de la sauce, du jus/ cuit

  1. 25.       Est-ce que tu demandes à ta maman/papa d’en acheter ?

R1 : Si oui : souvent ?

R2 : Si non, pourquoi ne leur demandes-tu pas ?

  1. 26.       Est-ce qu’ils le font ?

R : Si oui, souvent ?

R2 : Si non, pourquoi d’après toi ?

  1. 27.       Est-ce que tu fais les courses avec eux ?

R1 : Si oui, pourquoi y vas-tu ?

R2 : Si non : c’est toi ou eux qui ne veulent pas ?

28. Quels fruits et légumes détestes-tu ?

30.  Pourquoi ?

R : C’est le goût ? l’odeur ? la couleur ? les souvenirs qui y sont rattachés ?

31.  Quand est-ce que tu en as mangé pour la première fois ?

R : C’était où ? Avec qui ?

32.    Est-ce qu’il y en a souvent à table ?

33.    Est-ce qu’on t’oblige à en manger ?

R : Incitations / obligations

34.    Est-ce que tes parents en mangent ?

35.    Est-ce que tes frères et sœurs en mangent ?

36.    Si tu étais un fruit ou un légume tu serais ?

37.    Pourquoi ?

R : C’est joli / Rigolo/ Intéressant etc…

Famille

38.    Comment se passe les repas chez toi ?

Bien / bof/ pas bien

39.    Qui mets le couvert ?

R : Toi ? Tes parents ? tes frères et sœurs ?

40.    Qui fait le repas ?

41.    Est-ce que vous regardez la télévision ?

Souvent ?

42.    Est-ce que tu parles avec tes parents lors du repas ?

R : De quoi parles tu ?

43.    Si tu devais qualifier le moment du repas, tu dirais que c’est : bien / pas bien  amusant/ ennuyeux ?

44.    Quel est ton plat préféré chez toi ?

45.    Quel est ton repas préféré ?

R : Petit déjeuner , Déjeuner, diner

46.    Pourquoi c’est ton repas préféré ?

R : Les aliments ? les personnes ? Le lieu ?

47.    Comment se passent tes autres repas ?

R : Tu les prends avec qui ? Ça se passe comment ?

Ecole

48.    Est-ce que tu manges à la cantine ?

R : Souvent ?

49.    Si oui, est-ce que tu aimes ça ?

50.    Pourquoi ?

R : Ambiance / Qualité de la nourriture/ Récréation/ Les amis/ les animateurs

51.    Quel est ton plat préféré à la cantine ?

R : Pareil / différent de celui de la maison

 

3. Guide d’observation pour la cantine

 

  • Etudier choix des aliments par les enfants
  •  Pour les entrées : si légumes ou fruits choisis, quels types ?
  • Pour le plat de résistance 
  • Pour le dessert : si fruits choisis, lesquels ? sous quelles formes (nature / en compote, en gâteau) ?
    • Etudier interactions entre les enfants durant le repas
    • Discussions entre les enfants
    • Non discussion
      • Etudier contact avec la nourriture
      • Joue avec la nourriture
      • Ne joue pas avec la nourriture
        • Contexte
        •  Plan de la cantine
        •  Environnement sonore
        •  Temps pour manger
          • Promotion des fruits et légumes
        • Affiches / Publicités
        • Incitations des surveillants/cantinières
        • Nombre de fruits et légumes disponibles à manger
          • Entretiens éclairs :
        • Avec les animateurs
        • Avec le personnel de la cantine
        • Avec les enfants
        • Individuellement
        • En groupe

4. Guide d’observation pour l’atelier cuisine

v      Atelier cuisine

  • L’enfant participe ou non
    • Prend des initiatives
    • S’amuse
    • Sollicite la cuisinière ou ses pairs
    • L’enfant goûte ou non
      • Mange tout
      • Ne mange pas
      • Goûte
      • En garde pour sa famille

v      Atelier Diététicienne

  • L’enfant participe ou non
    • Répond aux questions
    • Sollicite la parole
    • Répond
    • Se met à l’écart / ne participe pas

v      Entretiens éclairs avec les enfants

  •            Cuisine
    • C’est la première fois que tu cuisines ?
    • Si oui :

– Alors quelles sont tes impressions ?

– Tu aimes ?

  • Si non :

– Tu cuisines souvent ?

– Tu cuisines quoi ?

– Tu cuisines avec qui ?

  • Fruits et légumes

 

  • Tu aimes les fruits ?
  • Tu aimes les légumes ?
  • Pourquoi ?
  • Tu en manges souvent ?
  • Atelier
    • Tu as bien aimé l’atelier ?
    • Qu’est-ce que tu as aimé ?
    • Qu’est-ce que tu n’as pas aimé ?
    • Pourquoi ?
    • Est-ce que tu as appris quelque chose ?

 

 


[1]Site de Doctissimo  (filiale de Medcost, société de services spécialisée dans le secteur santé) http://www.doctissimo.fr/html/nutrition/aliments/articles/8813-fruits-enfants.htm

[2] Faisant mon stage chez APRIFEL et ce mémoire étant financé par cette agence, je dois en partie mettre en place ces ateliers et surtout les évaluer. Nous travaillons avec une école primaire, c’est pourquoi ce mémoire est consacré aux enfants de 6 à 11 ans.

[3] «  La température des aliments est importante : chacun des nombreux constituants d’une odeur présentant des tensions de vapeurs différentes, leur proportion relative et donc leur odeur (…) variera avec la température. Mais, d’autre part, les réponses physiologiques des nerfs gustatifs varient avec la température : le goût sucré de la saccharose est plus intense à température élevée (…). » (Faurion, 1992)

 

[4] : «  S’interroger sur les significations du dégoût et de l’incorporation revient à s’interroger sur les limites (…) du self(…) : sur la frontière entre le self et le monde, le dedans et le dehors, le même et l’autre. Si la peau est la frontière, il faut admettre que la bouche est le poste de douane, le check point de l’incorporation. » ( Fischler 1990 : 71)

[5] Cette notion vient de Pierre BOURDIEU, 1980,  Le Sens Pratique, Paris : Editions de Minuit

[6] Suivent ensuite : les fruits (92%)  le jus d’orange, les pâtes, et les glaces (ex æquo 86%), le chocolat et les croissants (ex æquo 84 %), les gâteaux et le poulet (ex aequo 83%),la pizza (81%), le Nutella (80%), et les bonbons (78%).

[7]  « le ‘goût enfantin’ est caractérisé par la prédominance des produits sucrés et nourrissants et par le rejet des légumes, surtout entre deux et dix ans, période également marquée par le phénomène de néophobie (refus d’aliments inconnus, ou cuisinés d’une manière nouvelle). » (Regnier, Lhuissier et Gojard 2006).

[8]La famille de Marianne : son père et sa belle-mère sont journalistes dans un grand quotidien, son beau-père est architecte et sa mère suit des études d’orthophoniste

La famille de David : sa mère et sa belle-mère travaillent dans le marketing, son père est dans  la publicité

La famille de Hugo : sa mère est juriste, son père est juge d’instruction

[9] LESTRADET H., cité dans LECERF  Jean-Michel, 1996, La nutrition, Toulouse : Privat, p. 64

 

[10] Comme par exemple l’étude de la recherche de Stratton (1997) qui montre que les parents jouent un rôle déterminant. Selon cette étude  les choix alimentaires des enfants sont influencés à hauteur de 32% par les parents, puis les pairs (31%) et les amis (6%)

[11] « [Le repas du soir] C’est bien ! (…) parce que on mange et parce que on parle. » (Emma, CE1, oui) :

 

[12]“Try it, you’ll like it. Effect of information on willingness to try novel foods », Appetite, 24, 153-166

[13]Although it may not be consciously articulated, the food expresses the affection and identity of the giver, and when it is rejected, so too is the giver” (Lupton 1996 : 54)

[14]  La violence symbolique est une violence : « qui s’exerce par les voies purement symboliques de la communication et de la connaissance ou, plus précisément, de la méconnaissance, de la reconnaissance ou, à la limite, du sentiment. » (Bourdieu 2002 :12)  Bourdieu me semble approprié dans ce contexte car le goût, que l’on présente comme une donnée biologique, naturelle, résulte en fait, comme nous l’avons vu, d’une construction sociale.

[15] CAMILLIERI Martine, Petite cuisine au fond du jardin, Paris : Tana, 2006

[16] «  Moi, je détourne le quotidien. Or ce qu’il y a de plus quotidien c’est la nourriture. » Mme Camillieri lors de son animation de l’atelier cuisine

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