2006 D. Desjeux, Sophie Alami, Daphné Marnat, les sens anthropologiques de la mobilité, PUF

COUVERTURE VILLE MOBILITE

2006 D. Desjeux, Sophie Alami, Daphné Marnat, les sens anthropologiques de la mobilité, in La ville aux limites de la mobilité, PUF

2006 VILLE MOBILITE

2004, PowerPoint sur la mobilité   2004 V7 PUCA DD FIN le 24 06 04

2005, D. Desjeux, Sophie Alami, Daphné Marnat, Les sens anthropologiques de la mobilité (Avec la participation d’ETEICOS).

Rapport des synthèse pour le PUCA, ministère de l’Equipement, repris pour les PUF dans M. Bonnet, P. Aubertel (éds.), La ville aux limites de la mobilité,

Introduction

La mobilité relève de dimensions et de domaines tellement divers que l’on peut se demander s’il est possible d’en reconstruire aujourd’hui l’unité, voir le sens, sinon l’essence, pour faire un clin d’œil au livre diriger par Asher en 2005, les sens de la mobilité. C’est la conclusion à laquelle pourrait être amenée le lecteur à la vue de l’ensemble des recherches sur la mobilité commandées par le PUCA entre 2002 et 2004. Elles semblent plus ressortir du maelström norvégien que d’un long fleuve tranquille.

Et pourtant il est possible de ramener la compréhension de la mobilité à une double lecture. L’une est en terme d’échelles d’observation. Le nombre de ces échelles est en soi infini mais nous le ramènerons à trois : l’échelle macro-sociale, l’échelle meso ou micro-sociale et l’échelle micro-individuelle. L’autre est en terme de domaine c’est-à-dire de découpages de la réalité sociale.  Nous avons repéré 7 domaines clés de la mobilité. Leur importance et leur signification varient en fonction des échelles d’observation. Ce sont les temps de la mobilité, les espaces de la mobilité, les coûts économiques et énergétiques de la mobilité, les objets de la mobilité, les rapports sociaux de la mobilité, l’imaginaire de la mobilité et la sécurité ou l’insécurité liées à la mobilité.

Notre méthode a consisté à lire et décrire de façon inductive et compréhensive ce que chaque recherche apportait, puis à organiser l’ensembles des résultats des recherches commandées par le PUCA autour des trois grandes échelles d’observation de la ville et de la mobilité, pour montrer enfin en quoi la mobilité est un analyseur de la société et du lien social en ville.

Toutes ces dimensions ne sont pas toutes visibles à toutes les échelles, comme c’est le cas de l’imaginaire qui est absent à l’échelle macro-sociale dans cette série de recherches. Quand elles sont visibles à plusieurs échelles, comme c’est le cas des dimensions d’espace et de temps, nous allons montrer qu’en fonction de l’échelle d’observation les dimensions prises en compte pour le temps ou l’espace sont très différentes que ce soit à propos de la longue ou de la courte durée, ou que ce soit pour la notion de proximité spatiale.

I – Comment lire la mobilité ou la mobilité comme analyseur du social

La première lecture de la mobilité est méthodologique. Elle consiste à repérer les échelles d’observation choisie par les chercheurs pour traiter de la mobilité. Ce repérage permet de montrer comment le sens de la mobilité et du territoire varie en fonction de trois grandes échelles d’observation : macro-sociale, meso ou micro-sociale et micro-individuelle[1].

1 – Les échelles d’observation de la mobilité

A l’échelle macro-sociale la mobilité est un analyseur des flux matériels et de leur régularité. Elle permet de mettre à jour la multipolarité de la mobilité dans un cadre territorial donné qui semble cependant toujours posséder dans les métropoles francilienne et méditerranéenne (région de Toulon à Montpellier) un centre d’attraction [Beroir et Saint-Julien, UMR Géographie-Cités]. Elle est aussi l’échelle des grands clivages sociaux de classes, de genres, de générations et de culture, comme le montre Vincent Kaufmann et alii [LaSur, Lausanne] avec le concept de « motilité » qui lui permet de faire ressortir l’inégale distribution de la mobilité potentielle entre groupes sociaux.

L’échelle micro-sociale est plus un analyseur de l’ambivalence de la mobilité qui est faite à la fois de fluidité et de frein. Elle fait apparaître une dilution relative du centre territorial. Périphérie et centres urbains deviennent plus flous. C’est l’ancrage centré sur le lieu de résidence qui devient plus important. A l’échelle micro-sociale, la mobilité est analysée comme un système d’action au sein duquel les acteurs développent des stratégies et du sens que ce soit en terme de communauté culturelle, de clivage générationnel ou de couple, ou en terme de réseaux sociaux comme le montre Grossetti [CERS, Toulouse]. Elle est donc un analyseur privilégié du lien social, de l’identité et des interactions entre groupes sociaux, que ces liens soient familiaux, amicaux ou professionnels.

C’est à cette échelle que les objets de la mobilité comme la voiture, le tramway, les rollers, la valise ou l’ordinateur, sont le plus visibles alors qu’ils sont souvent invisibles à l’échelle macro-sociale. Ces objets apparaissent souvent comme des marqueurs de passage, et d’appartenance, d’une étape à une autre tout au long du cycle de vie. Ils signifient à la fois un gain d’autonomie, comme avec la voiture pour les jeunes qui remplace les bus collectifs dans le cas étudié à Rouen [Durand et alii, CNRS, Rouen], et l’entrée dans un nouveau système de contrôle social que ce soit celui des pairs, de la vie professionnelles, avec la généralisation de l’informatique dans les processus de production[2] et la demande de conformité corporelle, de coiffure et vestimentaire, ou de la vie en société, avec la multiplication des caméras dans les lieux publiques par exemple[3].

L’échelle micro-individuelle est celle des arbitrages des agents individuels et de la production des effets d’agrégation à l’échelle macro-sociale, comme par exemple avec la conjecture de Zahavi traitée par Crozet et Joly [Lyon 2]. Elle fait aussi apparaître les effets de compétence nécessaire à la mobilité individuelle [Kaufmann et alii, LaSur, Lausanne][4]

Le principe méthodologique général est donc que quand l’échelle d’observation change, la réalité observée change. Une variable indépendante, explicative à une échelle donnée, peut devenir une variable dépendante en changeant d’échelle. Ainsi, une appartenance sociale liée à la profession, au revenu ou au niveau scolaire est surtout explicative à l’échelle macro-sociale. Elle devient le plus souvent une variable dépendante de l’effet de situation à l’échelle micro-sociale. La variation des échelles explique aussi pourquoi le territoire n’existe pas en soi mais qu’il relève autant d’une échelle d’observation que d’une échelle d’action. Les échelles relèvent d’abord d’un principe descriptif qui à son tour va organiser le cadre de l’interprétation.

En terme descriptif, ce qui est donc montré dans les enquêtes micro-sociales c’est de l’espace, privé ou publique, à partir duquel des acteurs concrets, automobilistes, piétons, usagers des transports en commun, rollers, cyclistes, motards, produisent du mouvement c’est-à-dire de la mobilité. Le territoire urbain, celui des aménageurs et des géographes, paraît surtout visible à l’échelle macro-sociale, voire à l’échelle meso-sociale, celle des institutions, des politiques publiques et des systèmes organisés. Cet effet d’observation explique en partie pourquoi les bornes de la ville sont brouillées puisque les frontières qu’elles sont censées indiquer varient en fonction des échelles d’observation. Le brouillage peut donc en partie relever d’un effet d’observation.

2 – Les temps, les espaces et le contrôle énergétique de la mobilité

La deuxième lecture est descriptive et interprétative. Elle montre comment les contenus de la mobilité observés à chaque échelle varient en fonction des grandes dimensions de la mobilité.

a – Les temps et les espaces de la mobilité

Tout d’abord, la lecture par échelle montre comment les pratiques de la mobilité varient en fonction de trois échelles de temps : celle de la longue durée, en terme d’années et de cycle de vie, et qui concerne les mobilité exceptionnelles comme les déménagements, la mobilité liée à l’immigration ou à la délocalisation d’entreprise ; celle de la moyenne durée, en terme de mois ou d’année, qui touche aux mobilités occasionnelles mais récurrentes comme les voyages et les loisirs ; celle de la durée courte, en terme de semaine, de week end ou de journée. Ce sont les mobilités quotidiennes à partir de la résidence pour aller au travail, faire ses courses, pratiquer un loisir ou gérer sa sociabilité et les processus de socialisation et d’apprentissage en fonction des étapes du cycle de vie.

Daris [et alii, CERUR, AUDIAR], rappellent qu’à Rennes 70% des déplacements sont dans une boucle domicile à domicile. Vu du point de point de vue de l’usager la résidence est au centre de son système d’action. Vu du point des politiques publiques de la ville, comme dans le cas de Grenoble analysé par Varlet et Steck (Lyon 3, Université du Havre) la mobilité vers le travail représente moins de 20% de la mobilité mais est la source principale de l’engorgement de la ville. C’est donc la gestion de cette mobilité qui est centrale pour la collectivité locale bien qu’elle soit moins importante en terme de pourcentage. Ceci veut dire qu’en fonction de l’échelle de temps et des actions à mener par les acteurs le centre du système de mobilité peut varier.

C’est en se sens que la mobilité n’a pas de centre, qu’elle fonctionne comme un mouvement perpétuel, – comme une « échelle de perroquet » -, sans commencement ni fin, sans cause première et sans un centre stable et unique. Ce sont les acteur qui définissent un centre, des priorités et à quel moment s’ouvrent les « fenêtres de tir » de l’action les plus opportunes. Le cœur de la mobilité est fondamentalement mouvant même si tout en même temps de fortes régularités sont repérables.

Ensuite, les pratiques de mobilité s’organisent autour de trois grandes échelles d’espace. La petite échelle des géographes est celle des grandes mobilités qui sont le plus souvent exceptionnelles, sauf pour les grands mobiles décrits par Chevrier et Sauvage [LARES, Rennes 2]. Elles concernent les mobilités internationales, nationales et régionales qui s’effectuent à travers des espaces de transit comme les routes de la migration, les aéroports ou les gares. Elles s’effectuent par avion, train et voiture. La moyenne échelle concerne les mobilités occasionnelles pour laquelle la voiture semble dominante. Elle concerne les espaces urbains avec les places dans les villes [Bategay, Boubeker, Lyon 2], les centres commerciaux [Metton, Desbouis, Paris 12], les parcs ou les centres de loisir [Rouca et alii, Paris Val de Seine, Caen]. La grande échelle, celle des micro-mobilités quotidiennes pratiquées grâce à l’usage des « modes doux », des transports collectifs et des voitures, concerne des espaces de « proximité », la notion de proximité géographique devenant de plus en plus relative au profit d’une proximité temporelle, comme le montrent Metton et Desbouis pour les pratiques de mobilité liées aux courses [Paris 12]. Une proximité de 20 minutes de transport peut remplacer une proximité de quelques centaines de mètres dans l’espace.

Au-delà de la seule description par échelle, la mobilité relève aussi d’un constat anthropologique plus général, celui de l’importance accordée par la plupart des sociétés humaines au contrôle des différentes formes d’énergie tout au long de l’histoire des hommes. Or l’énergie est la condition première de la mobilité. La mobilité est la condition première de l’échange, du commerce et de la guerre, et par là des moment historiques successifs de mondialisation depuis plus de 20 siècles.

 b – les enjeux du contrôle de la circulation de l’énergie humaine

L’énergie représente un enjeu, qu’elle soit naturelle, renouvelable ou non renouvelable comme l’énergie pétrolière aujourd’hui, ou qu’elle soit nucléaire ; mais aussi qu’elle soit animale, industrielle ou humaine, et notamment l’énergie humaine que représente la femme dans les sociétés agraires et dans l’espace domestique urbain. Cet enjeu est double. C’est un enjeu de production dans laquelle l’énergie sert de force de travail. Il est aussi un enjeu de mobilité, c’est le contrôle de la circulation de cette force de travail que ce soit pour la fluidifier ou pour la freiner.

Au 16ème siècle, au moment où se rebâtissait une « culture méditerranéenne » et où s’élaborait une « culture atlantique », pour reprendre l’expression d’Emmanuel Berl (1947)[5], les galériens esclaves représentaient la forme de contrôle stratégique de l’énergie humaine pour les pays islamiques et pour l’occident chrétien puisque cela conditionnait la mobilité de la marine de guerre en Méditerranée. Cette mobilité militaire garantissait à son tour la sécurité du déplacement des navires de commerce. La mobilité militaire et commerciale était rendue possible par le contrôle de l’exploitation des forêts par l’Etat. Ce contrôle portait sur la gestion de la reproduction des arbres nécessaire à la construction des navires et donc pour limiter les risques de surexploitation qui aurait à leur tour menacé la construction de nouveaux navires, au moins tel que l’on peut le comprendre en visitant le musée de la Marine de Barcelone, en Espagne.

C’est pourquoi, nous sommes prêt à faire l’hypothèse que l’apparition de la « famille démocratique » décrite par François de Singly dans Libération du 27 juillet 2004 a été rendue possible grâce à l’abondance de l’énergie dans la production et les services d’un côté et dans l’espace domestique de l’autre. Cette abondance a rendu moins stratégique le contrôle direct de l’énergie féminine dans les années soixante, au 20ème siècle[6]. D’après F. de Singly, la famille démocratique se concrétise par l’institution d’un droit des femmes à qui a été attribuée une part de la puissance parentale, au détriment de la seule puissance paternelle ; par un droit des homosexuels par rapport aux hétérosexuel avec la fin de la pénalisation de l’homosexualité et l’instauration du PACS ; et par un droit des enfants (Convention internationale en 1989, etc.). Le tout s’inscrit dans un mouvement plus général de transformation du « mode de production » des enfants que ce soit par la contraception, l’avortement, l’adoption ou les fécondations in vitro, l’énergie de l’homme devenant en quelque sorte elle aussi moins stratégique. Il y aurait donc un lien entre l’abondance de l’énergie, autre qu’humaine, et le développement de la démocratie pluraliste politiques[7].

Le point important à retenir, d’un point de vue anthropologique, est qu’il existe un lien fort entre accès à la mobilité, contrôle de l’énergie et pouvoir politique, économique et social. La distribution sociale de la mobilité est autant un enjeu logistique, qu’en enjeu économique qu’un enjeu d’équité sociale, comme la bien compris Antoine Haumont avec son idée de droit à la mobilité, et comme l’avait déjà montré Patrice Aubertel pour le PUCA dans son rapport sur les accès inégaux à la mobilité et notamment par rapport au permis de conduire à partir notamment des travaux de J.P. Orfeuil.

 

Ce petit détour par l’énergie permet de comprendre que la mobilité relève bien d’une combinatoire complexe qui ne se limite pas à un déplacement physique, ni à des moyens de déplacement : ce n’est pas uniquement une question d’offre de systèmes techniques de transport. La mobilité est une combinatoire d’espace, de temps, de coûts, d’institutions et de rapports sociaux. Ceci explique pourquoi les bornes du territoire de la ville varient. Elles évoluent en fonction de cette combinatoire.

La variation des bornes de la ville s’explique aussi par la gestion diversifiée de la proximité et de la distance. Celle gestion relève elle-même de trois dimensions anthropologiques : spatiale et temporelle d’un côté, sociale ensuite et enfin symbolique, même si cette dernière dimension est plus implicite dans les recherches. Ainsi la proximité des courses varie plus en fonction du temps de déplacement disponible que de la proximité physique [Metton et alii]. De même, la distance et la proximité sociale varient plus en fonction de la fréquence des rencontres, de l’importance des services rendus, de l’intensité émotionnelle et de l’intimité entre les acteurs, que de la proximité spatiale [Grossetti, Cers, Toulouse]. Dans tous les cas l’arbitrage en faveur de telle ou telle mobilité, qu’elle soit de proximité ou sur la longue distance, va être organisé par la conception que les acteurs se font de la distance et de la proximité qu’ils ont à gérer, sous contrainte des conditions « socio-logistiques » dont ils disposent.

3 – Quelques constats socio-anthropologiques de la mobilité

Pour conclure cette première partie il est possible de tirer quelques grands constats sur la mobilité, constats qui ne se limitent pas aux effets d’une seule échelle mais que l’on peut retrouver à plusieurs niveaux de la réalité.

La mobilité est un phénomène plutôt constant dans l’histoire. Par contre, les formes et l’intensité de la mobilité évoluent à travers l’histoire. Aujourd’hui, à un niveau mondial d’observation la mobilité paraît constante en durée et tournerait d’après la conjecture de Zahavi autour d’une heure par jour [Crozet et Joly, Lyon 2]. Ceci recroise en partie le constat anthropologique. Mais c’est un constat qui est contesté et discuté surtout si l’on change d’échelle et que l’on sort d’une méthode fondée sur une moyenne pour faire ressortir des diversités plus fortes.

En effet, au niveau plus local la courbe de la mobilité est moins stable. Pour l’agglomération rennaise par exemple [Darris et alii, Cerur-Audiar, Rennes] la mobilité passe de 62 min de temps de déplacement moyen par personne en 2000 [source : enquête ménages de Rennes Métropole, Certu] à 70 min en 2002 [enquête Cerur-Audiar]. De même, toujours au niveau local, la mobilité évolue aussi en terme de nombre de déplacements par jour, soit plus 37% entre 1979 et 2000 dans l’agglomération rennaise [ibid.], et plus 19% entre 1975 et 1999 en région francilienne [Berroir et alii, ENS Lyon & PARIS 1 et 7]. Le lieu de résidence, enfin, paraît le point de départ principal de la mobilité. Ainsi comme nous l’avons vu, pour la métropole rennaise, 70% des déplacements se réalisent dans une boucle de domicile à domicile [Darris et alii, Cerur-Audiar, Rennes].

Si le temps de la mobilité apparaît en partie constant, en moyenne, à l’échelle macro-sociale, les moyens de la mobilité ont par contre beaucoup évolués, et tout particulièrement avec l’essor de la mobilité motorisée. En 30 ans, les contours de la proximité se sont modifiés avec un passage d’une proximité définie en fonction du mode pédestre (@ 10 min.) à une proximité motorisée (@20 min). Ainsi, 75 % des actifs travaillant à Rouen et résidant à l’extérieur du centre effectuent leur migration en voiture particulière [Durand et alii, CNRS, Rouen]. On constate cette même prédominance de la voiture dans l’agglomération rennaise. En 2000, 58% des déplacements sont réalisés en voiture, 28% par la marche à pied, 10% en transports en commun et 4% en 2 roues.

Cet essor de la mobilité serait lié aux temps libres, au glissement des flux de déplacements de la sphère du travail, du travail domestique, du temps personnel (hygiène, sommeil), vers celle du temps libre. Le gain de temps libre serait d’1h15 par jour en 20 ans pour chaque Français (4h30 de temps libre par jour) [Potier – Zegel, INRETS]. La mobilité entre le domicile et le travail représenterait moins de 35% de l’ensemble des mobilités intra-métropolitaines [enquêtes générales citées par Berroir et alii,  Paris 1 & 7, Lyon].

A l’inverse, en 2002, 50% des kilomètres parcourus par semaine par personne relève des loisirs [Potier – Zegel, INRETS], l’augmentation des distances parcourues pendant la semaine à partir du domicile pour des activités de loisirs est de 33% entre 1982 et 1994.

Enfin 20% des kilomètres parcourus en une semaine concerne des activités de sociabilité (relations famille / amis). Il apparaît de plus que lien familial est plus pris en charge par les femmes que par les hommes. Ceci confirme que la mobilité est bien l’expression d’un rapport social et que son usage, ses pratiques, son organisation ne sont pas neutres socialement, que ce soit en terme d’efficacité ou d’équité sociale.

La mobilité est un phénomène ambivalent. Elle a la plupart du temps été marquée par une dynamique de collaboration et de tension entre « nomades » et  « sédentaires ». Elle a toujours fonctionné suivant un double principe de fluidité et de « rugosité ».

Enfin, la mobilité est un rapport social. Elle ne se limite pas à la seule question des moyens de déplacement, même si cette question est bien évidemment stratégique, c’est aussi un principe actif de la société. Changer la mobilité en transformant les modalités de son fonctionnement et les règles de son accès, c’est jouer sur la nature du lien social ou des liens entre strates sociales. 

 II – La diversité des déclencheurs plus micro-sociaux de la mobilité urbaine

 

La mobilité s’organise autour de quatre pôles principaux qui forment comme un grand système d’action de la production à la consommation jusqu’aux déchets et à l’environnement : la production, la distribution, les loisirs et la sociabilité, à laquelle se rattachent la socialisation et les cycle de vie.

Mobilité et production : le poids de la mondialisation

La première mobilité liée au travail relève de la migration internationale que ce soit par les déplacements des cadres [Hilal et alii, Lyon 2][8] ou ceux des travailleurs immigrés [Battegay – Boubeker, Lyon 2]).

La deuxième cause de mobilité est liée aux délocalisation d’entreprises du fait d’un besoin en espace, d’une nécessité de se rapprocher d’un bassin d’emplois, ou des clients ou des fournisseurs, ou de désengorger l’accès au site ou encore d’améliorer l’image de l’entreprise, par souci de sécurité [Moati & Van De WALL, CREDOC].

La troisième cause de mobilité est due aux changements de rythmes de travail du fait de la RTT ou de nouvelles formes de travail comme le télétravail.

La quatrième cause est directement liée à la carrière professionnelle elle induit des déménagements pour soi ou pour suivre son conjoint. Elle relève aussi de la nature du travail, sous forme de missions notamment [Chevrier & Sauvage, LARES, Rennes 2] – [Sencebe & alii, Dijon, INRA/ENESAD/Lyon 2].

Mobilité et distribution : relativité de la proximité et importance des « communautés »

La mobilité consumériste est en partie liée aux effets d’appartenance et de différenciation sociale. Elle renvoie aux déplacements vers les commerces de proximité. Surtout elle concerne les déplacements vers les centres commerciaux qui sont plutôt en périphérie [Metton et Desbouis, Paris 12], et en fonction du parcours des déplacements contraints séparant lieux d’activités et domicile [Sencebe et alii, INRA/ ENESAD/ Lyon 2], ce qui tend à relativiser la notion de proximité géographique.

Dans ce pôle distribution, une partie de la mobilité des consommateurs peut provenir, paradoxalement, de la vente à distance (VAD) qui semblait a priori jouait en faveur d’une moindre mobilité. Ceci est tout particulièrement vrai pour les étapes de l’itinéraire d’achat qui ne passent pas par Internet comme celle de la livraison par les points relais au lieu d’une livraison à domicile. La SAV (Service Après Vente) peut aussi produire de la mobilité [Charbit et Rallet, Paris 11 – ENST Paris]. Ceci tendrait à confirmer la dimension constante de la mobilité : les nouvelles technologie ne conduisent pas automatiquement vers une diminution mais provoquent plutôt de nouveaux agencements de la mobilité.

Une deuxième source de la mobilité est celle de l’approvisionnement « ethnique » que ce soit pour les produits halal, la télécommunication avec le Maghreb, les transporteurs ou les biens et services du mariage communautaire. Cet ensemble de pratiques finit par constituer une « centralité immigrée » qui s’organise à partir de la consommation. [Battegay & Boubeker, Lyon 2]. Le développement de l’ethnic-business et des pratiques de consommation communautaire est une source importante de nouveaux agencements de la mobilité.

Mobilité et loisir : la place de la transgression

L’augmentation du temps libre suite à la RTT, la diminution du nombre d’enfants dans les familles, l’accroissement du célibat et l’allongement du temps de retraite va jouer fortement sur la mobilité liée aux loisirs [Darris et alii, CERUR-AUDIAR, Rennes]. Cette mobilité se réalise pendant les temps libres. Elle est liée à des activités hors domicile, et notamment à des activités physiques, culturelles, de détente, de repos ou liées aux médias  [Pottier et Zegel, Inrets]. Elle vise des espaces dédiés et ouverts, comme pour les rollers, ou des équipements de loisir plus organisés comme les piscines [Rouca et alii, Paris Val de Seine-Caen].

Elle est aussi liée à l’accompagnement des enfants à l’école et vers leurs activités de temps libre. C’est une pratique plutôt féminine [Pottier, Zegel, Inrets].

La mobilité liée aux loisirs est donc très diversifiée sur le plan des objectifs, des modalités de déplacement et des pratiques. Elle est une des éléments significatifs du maelström « mobilitaire ».

Surtout la mobilité liée aux loisirs permet de faire apparaître une fonction sociale, moins visible dans les autres découpages, celle de la transgression et de la rupture d’avec le quotidien grâce à une enquête sur la mobilité des adolescents [Buffet, Cerlis – Paris 5] et une autre sur les raves [Epstein et alii, ACADIE].

Mobilité et Cycles de vie : la dynamique de l’autonomie et du contrôle social

La mobilité est une des modalités de la sociabilité et de l’entretien du lien social. Ainsi comme le montre Grossetti [CERS, Toulouse], une mobilité résidentielle importante bénéficie plutôt aux liens forts et donc favorise la concentration des liens sur la sociabilité familiale au détriment des liens faibles.

La mobilité est aussi sensible aux stratégies résidentielles qui structurent en grande partie l’organisation des liens forts. Cela va se traduire par des déménagements[9] qui seront l’expression de stratégies de replis ou de stratégies offensives pour revenir dans sa région d’origine par exemple. Cela va aussi se traduire par un désir d’accession à la propriété et principalement par l’habitat en maison individuelle [Sencebe et alii, INRA/ENESAD, Lyon 2] [Jaillet et alii, Cirus, Toulouse] ou par le souci d’échapper à la pollution, à l’insécurité, au manque d’espace et « de vert » [Jaillet et alii, Cirus, Toulouse], ou au problème d’encombrement et de stationnement [Carles, Sareco]. A l’opposé, les contraintes financières et le coût du foncier « au centre » vont conduire certains à une mobilité en périphérie [Sencebe et alii, INRA/ENESAD, Lyon 2].

Mais surtout, la mobilité est très sensible aux effets de cycle de vie, de la naissance au décès, en passant par les étapes de l’adolescence, de la jeunesse, de la mise en couple, puis des séparations, des changements de carrière, puis de la mise à la retraite. Ainsi pour les adolescents la mobilité permet l’accession à un processus d’autonomisation à travers la recherche d’un espace « pour soi » qui permet d’échapper au contrôle des parents [Buffet, Cerlis-Paris 5]. C’est ce processus d’autonomisation et de construction identitaire que l’on retrouve avec Elsa Ramos [Cerlis-Paris 5] quand elle décrit la tension entre la sociabilité familiale et celle liée au groupe de pairs. La mobilité apparaît comme un enjeu majeur dans le jeu social qui se joue en permanence entre les acteurs sociaux, celui de l’autonomie et du contrôle.

Conclusion

En agrégeant l’ensemble des informations produites aux différentes échelles, il apparaît que la mobilité peut s’analyser à la fois comme un transformateur des rapports sociaux, comme un opérateur des dynamiques identitaires, comme un facteur de différenciation sociale, et comme un producteur de recomposition territoriale.

Mais la mobilité possède aussi une dynamique en partie imprévisible. C’est la diversité des déclencheurs qui explique cette imprévisibilité, ainsi que la diversité des bornes et la flexibilité des territoires de la ville.

Cette dynamique s’inscrit dans une tension constante entre fluidité et freinage de la mobilité. Ainsi dans le sens des freins à la mobilité, nous trouvons le cas des adolescents de quartiers défavorisés et de leurs parents à travers lequel nous découvrons comment les adolescents cherchent à fluidifier leur mobilité et les parents à la freiner, avec un frein encore plus important pour les filles [Buffet, Cerlis-Paris 5][10]. De même, par rapport à la mobilité des immigrés et du « bizness », la politique d’immigration et le droit français limitent les pratiques informelles de « survie » [Battegay et alii, Lyon 2]. Ou encore, les gendarmes, policiers et propriétaires des lieux squattés constitue eux aussi un frein à la mobilité [Epstein et alii, Acadie, Paris]. De même certaines villes freinent la mobilité en favorisant des embouteillages sur les voies publiques pour décourager l’usage des voitures, ou en instaurant des péages comme à Londres.

A l’inverse, il existe des pratiques de fluidification de la mobilité. Ainsi pour les voyageurs « Grands Mobiles », les objets du voyage sont vécus comme des freins, d’où des pratiques de routinisation et de normalisation de l’environnement matériel pour fluidifier la mobilité [Chevrier et Sauvage, LARES, Rennes 2]. De même la fluidification de la mobilité dans les lieux publics pour piéton comme aux Halls et dans le métro à Paris sera rechercher pour limiter les points de freinage (H. Thomas, Paris 5) ou encore avec les autoroutes, la fluidité sera favorisée par la mise en place d’automates aux péages pour le paiement par carte bancaire.

Ces exemples rappellent qu’au-delà des questions de droit, de légitimité et de transport logistique que la gestion de la mobilité ne va pas de soi. Chaque société construit ce qui lui paraît être une « bonne » mobilité, celle qu’il faut fluidifier, et une « mauvaise » mobilité, celle qu’il faut freiner. Ce sont les critères implicites de cette « bonne » ou « mauvaise » mobilité qui en font un analyseur social et politique très stratégique.

 


[1] Sur les échelles d’observation, cf. D. Desjeux, 2004, Les sciences sociales, Paris, PUF, Que-sais-je ?

[2] J.P. Durand, 2004, La chaîne invisible, Paris, Seuil

[3] Cf. D. Desjeux, « La cathédrale, le caddy et la caméra : les voies cachées de l’institutionnalisation de la consommation » , Agrobiosciences, almanach 2003, pp. 72-75

[4] Cf. Chevrier et Juguet dans leur enquête sur les usagers des réseaux de bus parisiennes et rennais, in Sciences Humaines de janvier 2004.

[5] E. Berg, 1947, Histoire de l’Europe. L’Europe classique, Paris, Gallimard (éd. 1983)

[6] D. Desjeux et alii, 2001, « La nuit, la consommation et le contrôle social », in Consommations et sociétés n°1, Paris, l’Harmattan

[7] L’eau courante et rare a classiquement produit des Etat autoritaire en vue de garantir à tous, en amont et en aval des système agricole, l’accès à l’eau (cf. D. Desjeux et alii,  1985, L’eau quels enjeux pour les sociétés rurales, Paris, l’Harmattan)

[8] Cf. Anne Catherine Wagner, 1998, Les nouvelles élites de la mondialisation. Une immigration dorée en France, PUF

[9] Cf. D. Desjeux, Anne Monjaret, Sophie Taponier, 1998, Quand les français déménagent. Circulation des objets domestiques et rituels de mobilité dans la vie quotidienne en France, Paris, PUF

[10]  Cf. sur la gestion différenciée des garçons et des filles dans les différents types politiques de familles maghrébines, Nancy Venel, 2004, Musulmans et citoyens, Paris, PUF

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