2020 11, Un nouveau genre littéraire : la littérature de confinement, Dominique Desjeux

Un nouveau genre littéraire est né, la littérature de confinement.

La mise en marge de la population française a eu comme résultat inattendu l’édition d’une nouvelle forme d’écrits entre la littérature et le témoignage, associé à une réelle qualité d’écriture et de sensibilité humaine.

 Le premier ouvrage que j’ai lu, en août 2020, est celui de Mazal Ankri, dont je suis proche, Je vous écris de Paris. 55 billets de confinement, chez l’Harmattan. Dans son joli style, elle écrit le 15 avril 2020 : « Au petit matin, le ciel bleu translucide et un soleil levant prometteur m’accueillirent au balcon. Puis un chiffre tomba, aussi glacé que l’air, 762. Sombre record, hier, de décès du Covid en 24 h en France. Un peu atténuée par la décrue faible, mais continue du nombre de personnes en réanimation, et la baisse du nombre de morts dans la moitié des départements français (confinement égal = moins de travaux risqués ? Moins d’accidents de la route ? …) […] Une personne chère m’a conseillé d’écouter Bach plutôt que les informations. Cela m’est impossible […] C’est alors que j’ai eu l’idée de téléphoner au Carrefour Express de la rue : quelle joie insolite, et je l’admets, démesurée au regard de son objet, de reconnaître la voix d’un être humain identifié, le gérant, quinqua dynamique et au sourire mélancolique, qui a fait revivre cette bonne vieille épicerie, avec du bio ni punitif, ni trop cher, du service, et un brin de causette. »

Le deuxième ouvrage est celui de Fang Fang, Wuhan, ville close. Journal, publié chez Stock en septembre 2020. Son témoignage est aussi poignant : « depuis hier, le nom d’Ai Fen [la directrice de l’hôpital central de Wuhan qui avait lancé une première alerte] ne cesse de circuler sur Internet. La suppression de l’article la concernant a suscité la colère des internautes qui, en représailles, n’arrêtent pas de le retransférer […] Certains modifient un peu le texte en y glissant quelques caractères alphabétiques, parfois des émojis, ou trouvent d’autres moyens d’empêcher qu’il soit identifié et intercepté, si bien que les modérateurs ne parviennent pas à le faire disparaître, à éteindre l’incendie. Dans cette course à qui effacera ou transmettra le plus vite, conserver cet article est devenu une mission sacrée. »

Grâce à ces deux livres, tout est dit sur le lien social à la fois source de chaleur et de contrôle. Tout concourt à montrer que nous ne sommes pas en pratique dans des sociétés individualistes que l’on soit à Paris à Wuhan, à l’encontre de ce que pourraient laisser croire les sondages d’opinion. S’ils sont fidèles aux représentations des populations, ils manquent bien souvent la réalité de la vie en société, à l’inverse de ce que la littérature de confinement nous dévoile.

Paris le 28 novembre 2020, Dominique Desjeux, anthropologue, Professeur émérite à la Sorbonne, Université de Paris

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