Emperor of the World. Charlemagne and the Constuction of Imperial Authority, 800-1229, par Latowsky Anne A.

Latowsky Anne A., 2013, Emperor of the World. Charlemagne and the Constuction of Imperial Authority, 800-1229, Cornell University Press.

Si vous avez lu Les routes de la soie (2017) et La première croisade. L’appel de L’orient (2019), de Peter Francopan,  Des gaulois aux carolingiens (2013) de Bruno Dumézil (5ème édition 2016), Les royaumes barbares en Occident (2010), de Magali Coumert et Bruno Dumézil (troisième édition 2017) ou encore de Michel Kaplan, 2016, Pourquoi Byzance ? Un empire de 11 siècles, n’hésitez pas à jeter un coup d’œil sur Emperor of the World. Charlemagne and the Constuction of Imperial Authority, 800-1229, par Anne A. Latowsky. L’auteure est professeure assistante à l’université de Floride du sud (USF) et c’est comme cela que j’ai découvert son livre en flânant dans la librairie de l’université à Tampa (FL).

C’est un livre original qui ne retrace pas l’histoire de Charlemagne et de l’empire carolingien à la vie finalement assez courte si on se réfère au travail de Bruno Dumézil sur les gaulois, les mérovingiens et les carolingiens entre le premier siècle de notre ère et le neuvième siècle.
L’ouvrage part d’un récit mythologique, celui du voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople qui prend sa source au neuvième siècle dans le livre d’Einhard, le biographe des carolingiens, La vie de Charlemagne. Il faut rappeler que l’empire romain d’Occident a disparu au cinquième siècle. Seul reste l’empire romain d’Orient avec comme capitale Constantinople. L’Europe ne représente plus grand-chose depuis cinq siècles à l’échelle du monde oriental et chinois, et tout particulièrement vis-à-vis des grandes voies commerciales qui partent de la Méditerranée et dont elle est coupée, depuis que la peste y est devenue endémique à partir du sixième siècle (Bruno Dumézil, 2013, p. 106).

Au neuvième siècle après notre ère, Charlemagne a réussi à créer un ensemble territorial qui couvre une partie de l’Europe de l’Ouest d’aujourd’hui, dont l’Allemagne et la France. Mais il n’ira jamais plus loin que l’Italie. En Italie règne le pape. Nous sommes donc face aux principaux protagonistes qui vont permettre de résoudre l’énigme de ce voyage imaginaire de Charlemagne en Orient.
En Orient, à Bagdad, règne le calife abbasside Haroun al Rachid (765-809). Il contrôle l’accès à Jérusalem. Constantinople représente la suite de l’empire romain et donc les chrétiens d’Orient. À Rome le pape représente un pouvoir religieux qui légitime l’empereur. Les héritiers de Charlemagne se répartissent entre la France et l’Allemagne. Tout l’enjeu est d’être nommé empereur et pour être nommé empereur il faut être reconnu par le pape.

Tout ceci paraît bien pointu et semble relever d’un débat d’experts. En un sens oui. Cependant la portée du livre d’Anne Latowsky est beaucoup plus générale car son livre va montrer l’importance qu’il y a d’analyser la réception de ce récit mythologique en Allemagne puis en France afin de montrer comment les variations du texte nous renseignent sur les enjeux politiques dans la bataille qui oppose les carolingiens de France et d’Allemagne, dont l’empereur Barberousse (1122-1190), et les papes de Rome qui cherche à conquérir et protéger un territoire physique grâce à leur alliance avec le pouvoir politique et tout particulièrement avec celui de la France. Plutôt que de chercher à démontrer que ce texte est une fiction, ce qui est assez évident, Anne Latowsky va chercher à élucider qu’elle en est sa fonction politique. C’est donc sur le plan méthodologique que son livre est très moderne. Elle prend l’imaginaire au sérieux. Elle l’analyse comme un signe, comme un symptôme de la stratégie que les rois mettent en place pour légitimer le fait de devenir empereur ou pour accéder au pouvoir.

Dans cette course à la légitimité, la culture matérielle va jouer un rôle symbolique important. Pouvoir rapporter des reliques, comme un morceau de la Sainte-Croix de Constantinople ou de Jérusalem, voire d’autres monastères, est le signe visible que Dieu nous a choisi. Le roi peut être élu ou coopté par ses pairs pour prend le pouvoir, mais c’est le pape qui en fait un empereur. Le profane et sacré sont intimement liés.

Pour les empereurs d’Allemagne l’enjeu est de faire reconnaître leur filiation avec Charlemagne pour récupérer à la fois le pouvoir politique et religieux. Pour ce faire, ils font canoniser Charlemagne en 1166. La canonisation de Charlemagne qui représente le lien avec l’empire byzantin, fait de l’empereur d’Allemagne le successeur de l’empire romain d’Occident et d’Orient et donc du monde chrétien. Le récit a pour fonction de montrer que ce sont bien les empereurs d’Allemagne qui sont les successeurs de Charlemagne et de l’empire chrétien.

Le récit du voyage de Charlemagne en Orient ne semble pas avoir eu autant de succès en France. Cependant à partir du 12e et 13e siècle, au moment des croisades, le récit de ce voyage devient populaire. Charlemagne est alors présenté comme le premier des croisés.

Pour les Allemands, la figure de Charlemagne doit conduire à renforcer l’image de la toute-puissance de l’empire. Pour les Français la même figure doit fonder la filiation des rois Capétiens qui succèdent aux carolingiens avec la nomination de Hugues Capet en 996.

La restitution du contenu de ce double récit mythologique français et allemand est pleine d’érudition, mais très claire. La leçon que j’en tire et surtout méthodologique. La fiction, où l’imaginaire, n’a pas pour fonction de dire le vrai, elle a pour fonction de donner du sens et dans le cas présent de légitimer l’accession au pouvoir qui va se jouer entre les empereurs ou les rois français et allemands, et le pape. Grâce à ce récit on comprend bien que la conquête d’un territoire, l’importance des techniques militaires, la force des alliances politiques sont intimement liés au pouvoir de l’imaginaire et tout particulièrement de l’imaginaire religieux qui légitime le pouvoir sur terre.C’était vrai hier, c’est encore vrai aujourd’hui. Ce qui varie c’est le contenu de la mise en scène politique, le contenu de l’imaginaire qui légitime le pouvoir, ce que l’anthropologue Georges Balandier avait appelé Le pouvoir sur scène (1981).

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