2022, 06, Histoire de l’Harmattan, par Denis Rolland (avec un témoignage de Dominique Desjeux), l’Harmattan

  Comment naît un éditeur ? Cet ouvrage retrace la genèse et les premières années très militantes d’un éditeur atypique. Inspirée par Maspero et Présence africaine, la librairie-édition L’Harmattan a en effet été créée en 1975 par deux anciens prêtres missionnaires, Robert Ageneau et Denis Pryen, entourés d’un petit groupe engagé en faveur des décolonisations et du « tiers-monde ».   Si les éditions L’Harmattan « jouent un rôle fondamental dans la publication des travaux de sciences humaines depuis plus de quarante ans » (Jean-Yves Mollier, préface), elles ont aussi contribué à faire connaître nombre de grands écrivains : qui sait ainsi que Wole Soyinka, premier Africain Prix Nobel (1986) de littérature, n’était alors édité que par L’Harmattan ou que Maryse Condé, « Prix Nobel alternatif de littérature » en 2018, y a publié plusieurs ouvrages ?
  Cette histoire d’un éditeur et libraire « au carrefour des cultures », examinée jusqu’à la scission donnant naissance à Karthala en 1980, apporte une contribution nouvelle à l’histoire de l’édition, à l’histoire culturelle, comme à l’histoire mouvante des représentations du monde.

Un livre d’annexes fait de témoignages donne les sources de la reconstitution historique de l’Harmattan

Dominique Desjeux : « En mars1975, je viens à Paris soutenir ma thèse avec Alain Touraine. Une amie de Madagascar, Marie Georges, liée à la Communauté de Saint-Mandé, me dit que Robert Ageneau et Denis Pryen étaient en train de créer une maison d’édition et que je pourrais y proposer ma thèse de troisième cycle pour publication. J’étais jeune chercheur ; dans mon esprit, à l’époque, on ne faisait pas de livre avec une thèse. Les livres, c’était pour les grands. On s’est vu avec eux et Marie Georges. Et c’est comme cela qu’a été prise la décision de publier ma thèse. En septembre 1975, je suis parti en poste au Congo. Entre 1975 et 1978, j’ai réduit ma thèse pour en faire un livre de 190 pages qui sera publié en 1979. »

 » […] Aider financièrement à l’édition de son livre était un peu honteux à l’époque. C’était une transgression. Mais elle permettait de lever la contrainte économique qui pesait sur le marché très spécialisé, et donc aux ventes très réduites, du livre académique. J’ai toujours été sensible aux contraintes économiques. Dans les années 1970, le milieu universitaire, et moi non plus ne connaissions pas grand-chose à la réalité matérielle de l’édition. Les auteurs confondaient le tirage qui était écrit sur leur contrat et qui pouvait atteindre 5000 exemplaires ou plus, et les ventes moyennes d’un livre spécialisé qui tournaient, à l’époque, autour de 700 ou 800 exemplaires. C’est aussi l’époque (1965-1975) où, à l’inverse, un livre de sciences humaines ou sociales pouvait atteindre des ventes dépassant les dizaines de milliers d’exemplaires. Je pense, notamment, à Montaillou village occitan d’Emmanuel Leroy-Ladurie, sorti en 1975. Tous ces chiffres sont dits de mémoire. Ils seraient à confirmer. Je croyais aussi qu’il était possible d’élargir ce marché. En réalité, la vente moyenne d’un livre n’ira qu’en s’amenuisant jusqu’à aujourd’hui. Le nombre des auteurs ayant énormément augmenté, mais le nombre des acheteurs restant relativement constant, la vente par livre diminue. En même temps, la vente globale des livres de sciences humaines et sociales reste en partie stable. »

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