L’anthropologie moderne est apparue entre le 18e et le 19e siècle au moment où la nouvelle vague de mondialisation déclenchée par l’Europe de l’Ouest à la fin du 15e siècle prend son essor. Elle fait suite à la coupure des « routes de la soie » entre l’Orient et l’Occident. Les Européens découvrent des cultures inconnues pour eux et dont certaines sont très anciennes. Grâce à cette mise en contact, souvent violente, entre deux mondes qui s’ignorent, les anthropologues acquièrent une compétence particulière, se créer des points de repère dans un monde inconnu où tout parait étrange, complexe voire incompréhensible d’un point vu humain, technique ou des croyances. Comprendre le sens de l’autre, c’est-à-dire le sens que l’autre donne à son action en société autant que la capacité à comprendre l’altérité humaine, est au cœur de la pratique anthropologique qui est mise en ligne sur ce site.
Depuis une trentaine d’années, une partie de l’anthropologie s’est rapprochée de la sociologie qualitative, toutes les deux travaillant sur les espaces domestiques, la mobilité, les lieux du travail, la salle de classe, la consommation ou la diversité des organisations. La nouvelle socioanthropologie cherche à comprendre comment les comportements humains changent, comment des techniques, des services ou des formes d’organisation nouvelle apparaissent, comment le réchauffement climatique, la pollution, les risques de guerre menacent la planète si les êtres humains ne transforment pas leurs pratiques. L’expertise anthropologique a réussi à transposer sa compétence à comprendre l’inconnu des « mondes exotiques » vers l’exploration de « Nouveaux Mondes » inconnus, celui des incertitudes du monde moderne.
Son outil principal est l’observation des pratiques sur les lieux mêmes de leur réalisation, dans la cuisine, l’atelier, les open-spaces, la voiture, le supermarché, le laboratoire ou les champs. Une des grandes leçons que l’on peut tirer de toutes ces enquêtes est que pour changer les comportements des acteurs sociaux quels qu’ils soient, il ne suffit de « dire » ou de « savoir » ce qu’il faut faire, ou de penser que parce que la solution proposée est rationnelle ou raisonnable elle sera acceptée, ou de mieux « éduquer » ou « informer » les « jeunes », les « consommateurs » ou le « citoyen », ou encore qu’un « bon système autoritaire » permettra un meilleur changement.
Une autre leçon est que suite à la montée de la classe moyenne mondiale, la consommation est devenue un analyseur central du fonctionnement des sociétés et des tensions internationales, notamment en termes de développement durable.
L’approche anthropologique est empirique, inductive et compréhensive. C’est une approche pragmatique, qui ne dit pas ce qu’il faut faire en soi, en dehors du jeu social, en dehors des contraintes. Elle explique comment à partir de ces contraintes il existe des marges de manœuvre pour mieux agir. Elle ne part pas de théories abstraites pour vérifier des hypothèses. Elle explore de façon inductive le champ des pratiques pour aboutir à des systèmes d’explication, à des théories concrètes. Bien évidemment, l’approche anthropologique n’est ni la seule ni la meilleure.
Un des grands constats de ces observations est qu’il existe un écart entre ce que disent ou pensent les personnes et ce qu’elles font en pratique. L’anthropologie stratégique explique cet écart par les contraintes matérielles, sociales et symboliques qui transforment les intentions en action et en pratiques différentes. Le concept de contraintes est ambivalent puisqu’il peut autant renvoyer à l’idée de frein que de pression pour changer à cause de risques comme la pollution, le réchauffement climatique ou la guerre, liée à la rareté de l’accès aux matières premières, à l’énergie ou aux protéines.
Tout cela veut dire que si l’on souhaite que le consommateur et citoyen change de comportement, il faut commencer par observer sa vie quotidienne et comprendre les problèmes qu’ils rencontrent dans sa vie de tous les jours. C’est pourquoi l’anthropologie est un outil qui est surtout pertinent quand on cherche à explorer ce qui émerge, ce qui est inconnu, grâce à la pratique du détour.