2013, D. Desjeux, Les gestions du risque et de l’incertitude : se protéger des risques, attribuer une explication au risque, apprivoiser le hasard pour augmenter sa chance et minimiser les risques

2013, l’émission du jeudi 12 décembre, Athur Dreyfus, Encore heureux http://www.franceinter.fr/emission-encore-heureux-debat-didees-quest-ce-que-prendre-des-risques

2013, D. Desjeux, Les gestions du risque et de l’incertitude : se protéger des risques, attribuer une explication au risque, apprivoiser le hasard pour augmenter sa chance et minimiser les risques

Toutes les sociétés sont soumises à des problèmes de risque et ont développé pour les gérer des dispositifs qui au départ sont des dispositifs religieux ou symboliques.

Se protéger des risques

Par exemple en Afrique le culte des ancêtres, que l’on retrouve à Madagascar dans le retournement des morts ou en Chine ancienne et dans la Chine urbaine d’aujourd’hui, a pour fonction de limiter les risques de maladies, d’accidents ou de mauvaises récoltes grâce à des rituels qui renouent les liens entre les vivants et les morts : à Madagascar la famille remet un linceul nouveau aux ancêtres décédés tous les six à 10 ans ; à Guangzhou Canton en Chine les familles viennent faire brûler de l’encens et déposer des corbeilles de fruits pour honorer les ancêtres dans les temples de la ville.

La pensée magique est universelle. Ce qui varie ce sont les formes de l’expression de la pensée magico-religieuses qu’elle renvoie à l’animisme ou aux religions du livre.

Dans nos sociétés modernes la publicité, et à travers elle, l’importance est accordée à la marque, est une bonne expression de cette pensée magico religieuse. C’est ce que j’ai appelé la transsubstantiation publicitaire, la publicité transformant un produit ordinaire en un produit extraordinaire qui possède une énergie, une promesse, et en une personne dont la marque est l’expression et à laquelle les entreprises demandent aux consommateurs d’être fidèles.

Le principe général du magico-religieux est qu’il essaye d’infléchir le cours de la vie, le cours des événements et de minimiser les risques qui peuvent menacer les récoltes, la santé les familles, et à l’inverse de maximiser les chances de gagner, au jeu par exemple, en cherchant à influencer le hasard et donc à minimiser les risques de perdre.

Aujourd’hui le risque majeur est lié à la crise mondiale associée à la montée de la croissance de la classe moyenne supérieure mondiale qui entraîne une pression internationale autour de l’accès à l’énergie (dont le pétrole, le gaz et l’électricité vs une opportunité à long terme des énergies renouvelables), aux matières premières (cf. la bataille en 2010/2011 pour les « terres rares » entre la Chine et le Japon dont certaines conditionnent la fabrication des téléphones mobiles et les tensions militaires autour des îles de la mer de Chine en 2011/2012 iles Senkaku), aux produits alimentaires (cf les rachats de terre en Afrique, la montée des cours du soja et l’augmentation des prix de la viande, consommation qui rentre en concurrence avec les autres consommations comme le bricolage). Cette pression entraîne un risque de production industrielle de gaz à effet de serre et de pollution notamment à partir du charbon qui est très important en Chine.

Ce que l’on pourrait retenir de tous ces risques modernes c’est que les hommes cherchent plus à gérer et à se protéger des risques collectifs qu’à prendre des risques de façon individuelle.

Le problème se pose quand il faut innover, pour une entreprise par exemple, mais aussi pour une administration ou une O.N.G., sous peine de se voir supplanté par une organisation concurrente. Une partie de l’innovation est menacée par le principe de précaution quand il est appliqué de façon trop générale, trop lié à la peur des risques que ceci soit perçu ou réel, n’est pas toujours facile à distinguer.

Expliquer les risques par des forces cachées

La gestion du risque est au cœur des sociétés modernes et tout particulièrement de la production industrielle et scientifique, comme avec la question du lien qui existe ou non entre le téléphone mobile et les risques de cancer, les ondes électromagnétiques qui peuvent en avoir qui peuvent avoir ou non un effet nocif sur la santé, les dangers perçus du maquillage, les risques avec exploitation des gaz de schiste ou des OGM.

Toutes ces questions sont controversées, même si certaines controverses au complètement disparu comme celle par exemple du risque de cancer lié au téléphone mobile et dont l’enquête internationale et européenne interphone avait montré que pour le moment, jusqu’à aujourd’hui, il n’existait pas de risque. Pour les ondes électromagnétiques, la corrélation entre les ondes et un problème pour la santé n’est toujours pas montrée de façon scientifique, scientifique qui veut dire qu’une expérience qui monte une corrélation entre un danger potentiel et un effet négatif a pu être répliquée deux fois de façon indépendante, ce qui n’est pas le cas pour le moment. Il est même arrivé il y a quelques années que le jour où France Telecom installait des antennes relais, des familles se sont plaintes immédiatement de leurs effets sur la santé de la famille, M6 a fait un reportage, et finalement sa diffusion a été annulée, car France Telecom avait annoncé entre-temps que les antennes n’étaient pas encore branchées et donc ne pourraient pas avoir d’effet. Ces histoires ne sont pas là pour se moquer des vrais ou des fausses peurs, et sont juste là pour rappeler qu’il existe des risques perçus, des risques réels, et qu’il est souvent bien difficile de faire la part entre les deux, d’autant plus que les chercheurs, moi y compris, sont toujours sous contrainte de conflit d’intérêts entre leurs recherches et les financements qu’ils reçoivent des entreprises pour les réaliser.

C’est l’importance des risques perçus qui expliquent la permanence des phénomènes magico religieux, et donc les croyances, qui sont là pour essayer de gérer les forces qui nous gouvernent, ce que l’on appelle le destin, le fatum, la prédestination, le shi, le cours des choses, en chinois, etc. Il y a donc un lien très fort entre eux la gestion du risque et les phénomènes de croyances.

Il faut rappeler que la croyance permet d’attribuer une cause à un phénomène qui n’a pas de sens et donc de le rendre acceptable. Ceci explique par exemple importance de ce que l’on appelle les théories conspiratoires du pouvoir et qui explique les menaces, les dangers ou les risques dans nos sociétés à partir de forces occultes qui manipulent les sociétés de façon cachée. Comme elles sont cachées, elles sont évidemment irréfutables. Croire à la conspiration et aux liens de causalité entre ceux qui agissent et les malheurs du quotidien est un moyen assez simple de donner du sens à sa vie. C’est le mécanisme même de la « sorcellerie », de la conspiration et de la paranoïa. Face à l’inconnu qui est associé au risque, les acteurs partent souvent de deux choses vraies, il y a dans la société des hommes politiques, des entreprises, des militants, des journalistes, des scientifiques, des groupes de pression qui essayent d’influencer le cours des choses d’un côté, et de l’autre la vie quotidienne qui est traversée de nombreux risques comme aujourd’hui le chômage, les problèmes de pouvoir d’achat, les risques de maladies, etc. tous ces malheurs prennent sens si on peut attribuer une source, une origine et donc une cause à l’heure existence.

Apprivoiser le hasard grâce aux croyances et à la recherche d’une excitation « ludique » au sens large

Partons donc d’un constat qu’il n’est pas possible de supprimer le hasard et donc de le « prévoir » puisque par nature le hasard est imprévisible, mais qu’il existe un sentiment qu’il est possible de le « réduire » grâce aux probabilités d’un côté et aux croyances de l’autre.

La plupart des croyances par rapport aux jeux de hasard et éventuellement d’argent, sont associées à la recherche d’une excitation, d’un stimulus et donc d’une émotion. Et bien souvent pour chaque individu plus l’émotion est forte plus cela lui donne le sentiment que sa croyance est vraie. C’est souvent ce que l’on appelle le bon sens, l’intuition, le ressenti, etc. qui sont des émotions très utiles dans la vie quotidienne. Souvent les croyances se construisent petites à petit suivant le principe de progressivité montré par Gérald Bronner dans son travail sur les sectes par exemple. La croyance ne vient pas d’un seul coup elle se construit petit à petit par des signes et jusqu’à un certain seuil au-delà duquel une personne bascule dans une autre logique. Des enquêtes sur les joueurs montrent aussi que certains peuvent jouer un vendredi 13, ou par rapport à une série comme 10/11/12, comme l’an dernier le samedi 10 novembre 2012, non pas parce qu’il croit, au sens de superstition, mais parce que ce jour-là peut représenter un signe qui pousse à jouer et donc à éprouver une excitation sans que la croyance dans la coïncidence soit réelle.

Le plus souvent les croyances sont liées à ce qu’on appelle des biais cognitifs, l’équivalent des illusions d’optique.

Le premier biais pour les psychologues cognitivistes, est le biais de confirmation qui fait que l’on sélectionne les signes qui vont dans le sens que l’on recherche, et on élimine tous ceux qui vont en sens contraire. C’est le principe des coïncidences si de choses arrivent en même temps bien souvent on n’arrive pas à accepter que cela soit simplement dû au hasard l’explication par le hasard est très angoissante parce qu’on n’a aucune prise sur le hasard.

On peut aussi oublier la taille de l’échantillon comme quand on joue au loto et donc que les chances de gagner sont très faibles. En plus comme le rappelle Gérald Bronner notre cerveau est très démuni quand il faut traiter des grands nombres. Et donc face à cette limite les individus ont tendance à sur interpréter, c’est-à-dire à trouver des explications toutes plus cohérentes les unes que les autres en apparence, mais qui sont un moyen de supporter l’incertitude et l’inconnu. Donc toutes ces croyances sont utiles pour nous aider à mieux vivre, mais elles ne sont pas pour autant vraies quand il s’agit d’expliquer le hasard et les probabilités.

Pour le jeu il y a un autre biais qui est très intéressant, qui est le biais de représentativité, et qui fait que si le noir n’est pas sorti depuis longtemps on va essayer de le jouer ou bien si un nombre n’est pas sorti depuis longtemps on pense qu’il a plus de chances de sortir.

Enfin le biais le plus intéressant est celui qui a été découvert par une psychologue Helen Langer en 1975 et qu’elle a appelé l’illusion du contrôle et qui ressemble à ce que Freud appelait le sentiment de toute-puissance de l’enfant. L’illusion consiste à croire qu’on peut maîtriser le hasard. Là encore on a besoin de cette illusion même si on sait qu’il est impossible de maîtriser le hasard.

De toute façon il y a une grande règle dans les comportements humains qui est que ce n’est pas parce qu’on sait, ou qu’on ne sait pas quelque chose, que l’on va se comporter en fonction de ce que l’on sait, ou de ce qu’on ne sait pas.

Les croyances naissent des limites de la rationalité humaine et c’est pour cela qu’elles dureront autant que dureront les hommes. Elles aident à vivre. Elle ne cherche pas le vrai qui est d’un autre ordre, et qui souvent, paradoxalement, n’est pas très utile pour aider à vivre. La croyance est donc humainement nécessaire à la gestion du risque.

Dominique Desjeux, anthropologue

Professeur à la Sorbonne

Université Paris Descartes, Sorbonne Paris cité

dernier livre paru : Fabrice clochard et Dominique Desjeux (éditeurs), 2013, Le consommateur malin face à la crise, (deux tomes), l’harmattan

 

 

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