2009 09, D. Desjeux, les travailleurs indépendants démunis, post face

Vie quotidienne

Post face à la recherche sur les demandes d’aide au RSI par Jérôme Huguet
www.le-rsi.fr

Dominique Desjeux, anthropologue, professeur à la Sorbonne, université Paris Descartes, directeur scientifique de l’enquête

consommations-et-societes.fr

 

Le travail de fond et de qualité réalisé par Jérôme Huguet fait ressortir une conclusion qui peut paraitre contre intuitive  par rapport à une affirmation que l’on peut retrouver dans de nombreuses analyses de la société française qui serait que la France serait un « pays d’assistés ». En effet, grâce à une restitution sensible du discours des interviewés, on découvre d’une part que pour certains travailleurs indépendants relevant du RSI cela ne va pas de soi de demander une aide et donc que demander une aide demande une compétence et un apprentissage. Demander de l’aide n’est ni spontané, ni naturel, voire même est perçu comme une pratique honteuse et négative.

Surtout on découvre d’autre part que demander de l’aide relève de deux grands effets sociologiques : un effet d’appartenance sociale, le fait d’être un « héritier », un travailleur indépendant de génération en génération, ou le fait d’être un « alternatif », un salarié qui a choisi de devenir un travailleur indépendant et qui pourra éventuellement redevenir un salarié ; et un effet de cycle de vie ou de carrière depuis l’installation jusqu’à la retraite puis le vieillissement et la disparition.

Cette trajectoire de vie n’est pas linéaire. Elle est elle-même scandée par de nombreuses périodes de transition ou de ruptures liées aux accidents ou aux événements déclencheurs de changement comme un accident, une maladie, un deuil, un divorce ou les études des enfants.

Mais le changement inattendu  peut aussi provenir d’un changement de marché comme la mondialisation qui entraine une nouvelle concurrence par les prix bas sur un marché jusque là plutôt national, la destruction d’une barre d’habitation qui détruit la zone de chalandise, des travaux routiers d’utilité public qui détourne la clientèle pendant plusieurs mois voire plusieurs années, un changement de pratique générationnelle qui change la nature du commerce, l’implantation d’une grande surface ou celle d’une voie de contournement de la ville ou du village. Tous ces changements sont marqués du sceau de l’incertitude et de l’imprévisible. Ils peuvent conduire à la disparition du commerce indépendant.

Ces incertitudes ne sont pas nouvelles en soi. C’est le contexte qui est différent. Ce qui semble nouveau c’est l’intensité et la variabilité des incertitudes. Par exemple, pour certains économistes les crises devraient à l’avenir être encore plus nombreuses et les marchés des matières première encore plus instables. Il suffit de penser à l’impact du prix de l’or qui a augmenté de prêt de 40% depuis 2009 sur les commerces de la bijouterie.

Surtout les trente glorieuses, 1945-1975, avaient favorisé la généralisation du salariat en France qui était devenu la norme de fait du travail « normal ». Or cette  « société salariale » est et de plus en plus fragilisée comme le montre Jérôme Huguet en s’appuyant notamment sur les travaux de sociologues comme Robert Castel ou Anne Marie Guillemard.

La conséquence principale est que les cycles de vie sont en train, non de disparaitre, mais de se recomposer. Cette recomposition suit une trajectoire incertaine puisqu’elle ne reproduit pas les cycles de vie du passé. Cette incertitude pèse directement sur le fonctionnement du RSI qui pourrait avoir à prendre en charge des activités nouvelles directement liées aux périodes de « rupture biographique », comme le fait de proposer une aide à l’apprentissage de la gestion, une aide à la reconversion soit vers une autre activité soit vers le salariat, voire une aide à la demande d’aide notamment pendant le cycle du vieillissement et de la dépendance éventuelle, au moment où l’énergie physique est la moins disponible.

Or cette instabilité touche surtout les plus démunis[1], les « border line » du seuil de pauvreté, ceux qui sont fortement endettés, ceux dont les réseaux familiaux ou amicaux sont faibles ou inexistants[2]. Pour gérer cette instabilité, la famille joue un rôle clés non seulement dans le cas des « héritiers » à travers la succession de parents à enfants qui facilite la transmission de savoir gestionnaires mais tout en limitant la capacité à chercher des solutions alternatives en dehors du milieu indépendant, mais aussi pour les alternatifs à travers leur compagne ou leur compagnon. L’importance de la famille par filiation ou par alliance, rend les travailleurs indépendants proches du milieu agricole. La famille au sens large reste encore pour une partie des démunis la base la plus solide de solidarité entre couples et entre générations.

 La population démunis est diverse. En effet, comme le montre le cas de Said, au sein du groupe des démunis git une population souvent « invisible », celle des immigrés arrivés en France entre 1950 et 1980. D’abord européenne, puis maghrébine, sahélienne, turcs et asiatique,  cette population est en train de partir à la retraite. D’après Claudine Attias-Donfut, 60% des personnes immigrées de 45 à 70 ans interrogées dans son enquête souhaitent prendre leur retraite en France[3]. Aujourd’hui la question sociale se double donc d’une question « raciale » et culturelle comme le rappelle Hughes Lagrange dans son livre publié en 2010, Le déni des cultures (Seuil).

La question culturelle en cache elle-même une autre question. De façon inattendue, Hugues Lagrange montre qu’à travers la question culturelle, celle de l’autorité patriarcale dans les familles immigrées, pointe une nouvelle question, celle des femmes et de leur dépendance, comme dans les années soixante dans la France urbaine et un peu plus tard dans la France agricole[4].

La conclusion générale est que le RSI se trouve confronté à un triple problème, celui de la prise en compte de l’incertitude généralisée qui pèse sur ses membres soit du fait de la mondialisation, soit du fait d’un événement imprévisible, soit du fait d’un effet de cycle de vie. La question de comment améliorer les demandes d’aides des travailleurs indépendant démunis relève à la fois de particularités liées à la profession, celle d’entrepreneur, et de caractéristiques générales liées à la société française et à la mondialisation. C’est ce qui rend complexe l’action du RSI  pour savoir comment distinguer ce qui relève de ce qu’il peut gérer et de ce qui relève de la société et sur lequel il a peu de prise. Le fonctionnement interne du RSI est lui-même soumis aux aléas et incertitudes qui pèsent sur la population des demandeurs d’aide potentielle.

Cette incertitude est en partie gérable si on part des ruptures biographiques locales qui traversent de façon aléatoire l’ensemble du cycle de vie des indépendants à bas revenus. Les « cibles » du RSI sont non seulement diversifiées entre des français d’origine ou des émigrés, des hommes ou des femmes, des jeunes ou des vieux, des actifs ou des retraités, des ex salariés ou des héritiers, mais aussi mouvantes du fait des effets de cycle de vie.

Au final, le RSI est pris dans un triangle à trois pôles qui demande de gérer à la fois la diversité des populations démunis, la dynamique des nouvelles trajectoires de vie et l’incertitude qui pèse sur l’action des entrepreneurs. Pour gérer ce triangle cela demande de créer des structures mobiles et flexibles pour pouvoir s’adapter au mouvement et à la diversité. C’est le nouveau défi que le RSI doit relever et il a tous les atouts pour le faire[5].

 

 



[1] Cf D. Desjeux, S. Alami (directeurs de la recherche), G. Brisepierre (coordination), A Bonnet, , M Delbende, J. Darmoni, 2010, La consommation économe en 2010

consommations-et-societes.fr/sections.php?op=viewarticle&artid=756

[2]Dominique Desjeux (directeur de la recherche), Isabelle Garabuau-Moussaoui, Cécile Pavageau, Isabelle Ras, Esther Sokolowski, Paris, 2000, Modes et étapes de la réinsertion sociale des sans-abri : l’anthropologie de la consommation comme analyseur des trajectoires de vie des « SDF ».

consommations-et-societes.fr/sections.php?op=viewarticle&artid=100

 

[3] Claudine Attias Donfut, 2006, L’enracinement. Enquête sur le vieillissement des immigrés en France, A. Colin

[4] Cf. sur les femmes en agriculture

www.webzinemaker.com/admi/m7/page.php3?num_web=22427&rubr=4&id=324572

[5] Merci à Santa Pardineille qui a été à l’origine de cette recherche réalisée par Jérôme Huguet sous la direction scientifique de Dominique Desjeux et avec le soutien du président Louis Couasnon, d’Isabelle Bitouzet et de Frédéric Bergougnoux.

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