2009 03 TR8 Class actions, associations, Internet: quel pouvoir au consommateur?

2009, Consommation : cité du commerce et de la consommation

Class actions, associations, Internet: quel pouvoir au consommateur?

 

  • Pierre Bouriez – Directeur général de CORA
  • Alain Chatriot – Chargé de recherche au CNRS, centre de recherches historiques, approches historiques des mondes contemporains
  • François Laurent – Co-Président de l’ADETEM
  • Henri Monceau – Directeur de programme au sein du think tank Notre Europe, consultant politique
  • Anne-Claude Poinso – Directrice marketing de Microsoft Advertising

 

 

Y a il aujourd’hui un télescopage entre le pouvoir des consommateurs sur les entreprises, à travers les associations de consommateurs en Europe, les class actions aux Etats-Unis, et le pouvoir au consommateur dans sa capacité individuelle à agir sur son propre itinéraire d’achat ? Comment expliquer la faiblesse relative du pouvoir des consommateurs en France ?  Quel est l’impact réel des blogs et des sites web sur la réputation d’une marque ? Les class actions ou actions de groupe devraient elles se développer en Europe ?

 

Croissance de la confiance vis-à-vis des forums et des blogs. L’étude d’OpinionWay montre que les sondés ont trois attitudes lorsqu’on leur demande d’évoquer le pouvoir des consommateurs. 21 % considèrent que les consommateurs n’ont aucun poids face au pouvoir des marques ou aux enseignes, 22 %  pensent que le consommateur seul ne peut rien et que l’action collective par le boycott est plus efficace. Il faut cependant souligner qu’une grande proportion (57 %) considèrent que chaque individu a sa liberté et que sans les consommateurs les marques ou les distributeurs n’arriveraient pas à survivre. 36 % des consommateurs déclarent avoir déjà eu recours à une association de consommateurs et 64 % ont déjà boycotté une marque. Signe de la montée en puissance du pouvoir des consommateurs : 77 % déclarent qu’ils pourront boycotter ou faire intervenir une association de défense des consommateurs à l’avenir. Pour François Laurent (Co-Président de l’ADETEM) la notion d’image de marque est très abstraite dans l’esprit des consommateurs même si on retrouve cette référence dans tous les livres de marketing. En revanche, la notion de réputation prend une consistance réelle depuis trois ans avec les campagnes de protestation sur les délocalisations. Nike a une bonne image de marque. Mais même classée 2eme sur l’ensemble des marques mondiales sa réputation sur internet est très mauvaise puisque l’on y dénonce ses délocalisations. Une réputation peut donc user une image de marque et si l’on n’y fait pas attention la marque, à terme, peut perdre des parts de marché à l’exemple de Dell qui vit chuter la valeur de ses actions de 30 % en 6 mois lorsqu’un internaute publia sur son blog sa lettre de mécontentement à propos de la mauvaise qualité du service après vente. La notion de réputation et de pouvoir individuel d’un consommateur est devenue une véritable force de nuisance aujourd’hui. Ce nouveau pouvoir est souvent détenu par quelques blogueurs formant un nœud central dans les nouveaux réseaux d’échange. Pierre Bouriez  (Directeur général de CORA et de Houra.com), constamment en contact avec sa clientèle depuis ses 59 hypermarchés, observe également que les clients sont de plus en plus défiants vis-à-vis des marques. Une étude TNS confirmant que l’appétence des clients pour les marques a baissé de 34 % et selon Pierre Bouriez  il ne faut pas uniquement attribuer cette défiance à la crise financière. Une autre étude de Forester Research datée de 2007 montre qu’aux Etats-Unis 20 % des transactions dans le domaine du non alimentaire étaient précédés de la consultation sur internet d’informations sur les futurs achats. Forester prévoit que ce chiffre se monterait à 40 % fin 2010. Cette étude montre également que les internautes font principalement confiance aux forums, loin devant la presse spécialisée en ligne et les sites des distributeurs ou de marques. En avril 2008 TNS Sofres réalisait une enquête similaire en France pour constater cette même évolution : c’est d’abord l’entourage puis les forums qui sont prescripteurs. La distribution doit donc de plus en plus écouter et tenir compte de ces forums internet.

 

La position stratégique sur Internet. Anne Claude Poinso (Directrice marketing de Microsoft Advertising ) souligne de son côté que les marques ont de plus en plus l’obligation d’être cohérente dans leur campagne publicitaire sous peine d’être reprise par des ONG vigilantes sur l’éthique et la morale et qui ont des moyens de réaction sur internet à l’exemple de Greenpeace dont les notations sont redoutées. Le consommateur n’est plus un récepteur mais aussi un émetteur. Le challenge aujourd’hui pour les marques est de comprendre ce mouvement de fond, ces nouveaux phénomènes de diffusion à l’intérieur des réseaux sociaux de consommateurs et de se mettre à leur niveau. Mais si les internautes ont un pouvoir de nuisance sur les marques, la capacité de rassemblement des consommateurs ne va pas de soi en Europe.

 

Handicap culturel des class actions en Europe. Même si les pratiques de boycott ne sont pas récentes et ont commencé d’abord entre les états, les mouvements de consommateurs se sont développés avec des traditions et des succès très différents. Alain Chatriot (Chargé de recherche au CNRS) rappelle qu’en France la multiplicité d’associations est le signe à la fois d’une diversité mais aussi celui d’une division. Développées dans les années 60 et 70, en même temps que les mobilisations féministes et écologistes, ces formes de mobilisation peuvent sembler aujourd’hui très éloignées des modes de vie actuels plus tournés vers l’individu et l’on peut comprendre cette distance vis-à-vis des associations de consommateurs par cette méfiance générale vis-à-vis des mouvements collectifs. D’autre part l’Etat a toujours considéré avec suspicion les associations de consommateurs qui en cas de litige et dans le cadre d’enjeux judiciaires peuvent modifier le cadre législatif considéré comme une prérogative d’un pouvoir centralisé. L’Etat aurait toujours su organiser le sous financement des associations de consommateurs afin d’amoindrir le pouvoir politique potentiel que représentaient ces forces à la lisière de l’institutionnel. Le peu de reconnaissance des class actions, particulièrement en France, s’explique donc par cette culture très verticaliste du pouvoir. Alors que les class actions sont très développées aux Etats-Unis la France n’en est  qu’à des stades de projets de loi sur cette nouvelle forme d’organisation de l’actionnaire-citoyen tant les enjeux de mobilisations économiques, sociales et politiques sont considérables.

Henri Monceau remarque que la culture politique française fait peu de distinction entre le consommateur et le citoyen. A l’inverse du modèle américain l’Etat français, avec son modèle vertical et plombant, a habitué le citoyen français à faire confiance et à ne pas être dans le regroupement et la défense d’opinion. Cependant les événements économiques récents ont fait progresser la notion de class action en Europe. L’association des petits actionnaires de Fortis ont, de fait, obtenu la création d’un collège d’experts afin de revoir la décision du gouvernement belge concernant le rachat de la banque-assurance belge par BNP Paribas alors qu’il n’existe pas de législation, française ou belge, sur les class actions. Mais à l’échelle européenne les class actions posent aussi la question des types de droit dont la Communauté se dotera à l’avenir. L’harmonisation sera-t-elle celle d’un droit de la consommation qui gèrera les litiges ou bien celle d’un droit de la concurrence ? C’est ce dernier droit qui est très valorisé dans la politique européenne. Un droit auquel la France est peu préparée…

2009 03, Marion Msika-Jossen, journaliste

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