2009, Consommation : cité du commerce et de la consommation
Modes de production et de consommation: uniformisation ou différenciation?
- Hervé Baculard – Associé de Kea&Partners
- Michel Gardel – Président de Toyota France
- Guy Latourrette – Président du directoire de Devanlay
- Feargal Quinn – Président d’Eurocommerce
- Li Hua Zheng – Professeur de sociolinguistique à l’Université des études étrangères du Guangdong, directeur du CERSI
La globalisation massive des années 90 s’est affinée dans l’organisation des méthodes de travail. Les consommateurs locaux désirent à la fois ce que consomme le reste du monde mais exigent aussi que l’on prenne en considération leur valeur culturelle. Les entreprises doivent trouver la bonne combinaison pour les satisfaire. Exemple de deux entreprises : Lacoste et Toyota.
Le mimétisme en interne pour optimiser les coûts. Les multinationales continuent d’opter pour une rationalisation et une concentration de leur back office pour optimiser leur distribution. En 1999 la situation était très critique pour le crocodile vert. Lacoste vendait pour les golfeurs âgés au Japon, la marque était moribonde aux Etats-Unis, accaparée par les adolescents de banlieue en France, coupée de sa chic clientèle habituelle et à contrario très select en Italie… Le logo vert Lacoste avait perdu son centre de gravité à l’heure de la mondialisation en se morcelant pays par pays. Son image était floue. Au moment de sa recapitalisation, en 1999, le groupe Devenlay décida de réorganiser toute la chaîne de production en concentrant l’ensemble des activités (création, distribution, communication, fabrication) au sein de la même unité. De 2000 à 2008, sa croissance bondit de 300 à 900 millions d’euros grâce à une réorganisation des quatre fonctions. Côté distribution, Devenlay racheta toutes les franchises pour imposer une stratégie de vente uniforme. Il fallait également se différencier des magasins Ralph Lauren, placés sur un créneau identique, qui avaient la même apparence que les magasins Lacoste. Devenlay engagea une équipe de designers pour rajeunir un concept en bois vieillissant et copié par d’autres marques. La nouvelle identité physique est en couleur avec une moquette et des détails qui rappellent le logo. Cette apparence plus dynamique des lieux de vente permit d’augmenter le chiffre d’affaire de 15 % avec une clientèle rajeunie et féminine. La communication était aussi aléatoire et sans politique commune. Il fallait lui donner une impulsion et la rendre plus contemporaine en faisant appel à Remi Babinet et Mercedes Erra qui conçurent un visuel rappelant la figure emblématique de René Lacoste aux côtés de jeunes venant des cinq continents. Le message d’une marque de sport conçue pour les jeunes mais en référence à son créateur refaçonna une image ancrée dans de solides fondations mais se projetant aux côtés d’une jeunesse mondialisée. Les centres de fabrication ont dû eux aussi répondre à des normes plus rigoureuses et respectant à la lettre les modèles dessinés par les créateurs. Même si l’univers de l’automobile est très différent du textile, Michel Gardel (président de Toyota France) observe de son côté que l’uniformisation du système de production reposant sur deux piliers (travailler à flux tendu et un système de contrôle extrêmement exigeant) est la garantie d’une distribution cohérente à l’échelle de la planète. En interne Toyota met l’accent sur l’écoute de ses salariés qui ont souvent des perspectives de carrière qui les poussent à rester dans l’entreprise et à s’investir. Les usines de Toyota Japon enregistrent 93 suggestions par employé et par an qui permettent d’améliorer le process dans les habiletés manufacturières. Ce système est conçu comme une organisation apprenante, constamment perfectible et concevant les voitures du futur en adéquation avec les préoccupations contemporaines. L’une des pierres angulaires de Toyota, à présent, est sa politique concernant le développement durable et en particulier l’hybridation (association d’un moteur électrique et d’un moteur thermique) qui est le support de cette stratégie. Les voitures Toyota seront écologiques à l’avenir et en phase avec les préoccupations environnementales.
Différenciation dans les méthodes de vente. Si la production et la gestion en interne doivent être homogènes les multinationales veillent aux différences culturelles de leurs clientèles locales qui les accusent souvent de devenir fades dans leur uniformisation à outrance. L’exercice périlleux des entreprises consiste donc à maintenir un parti, une vision claire de la marque à l’échelle globale tout en segmentant les méthodes de vente, l’exposition de certains produits plutôt que d’autres en fonction des goûts et des besoins locaux. L’essentiel dans le front office étant de s’adapter et d’être à l’écoute des fondements culturels de la zone de vente visée. Ainsi Lacoste peut concevoir des polos taillés différemment suivant les goûts spécifiques mais les styles sont validés centralement et la gestion commerciale est laissée au soin de chaque filiale qui doit cependant respecter un cahier des charges plus strict qu’auparavant. Toyota France de son côté n’importe que 18 voitures sur les 98 conçues au Japon, organisant sa propre communication, choisissant son type de sponsoring, offrant un service après vente adapté à la spécificité de sa clientèle sur place.
« Il faut savoir écouter la rivière si on veut pêcher des poissons » (proverbe irlandais).
L’internationalisation de la distribution demeure un véritable obstacle encore aujourd’hui. Feargal Quinn président d’EuroCommerce, dont le siège social est à Bruxelles, représente 6 millions de magasins, 31 millions d’employés et 493 millions de clients. Feargal Quinn est d’abord fondateur de Super Quinn en Irlande qui compte 25 magasins, 4000 employés et 200 000 consommateurs chaque semaine. Selon lui l’enjeu principal pour un distributeur est de trouver des stratégies non pour gagner des nouveaux clients mais pour les choyer, les fidéliser. Ici aussi il faut savoir écouter les goûts des consommateurs et ne pas leur imposer des produits qui ne rentrent pas dans leurs habitudes et n’ont pas de rapport avec leur identité culturelle. Fergal Quinn résume finalement cette problématique de bon sens par le vieux dicton irlandais « Il faut savoir écouter la rivière si on veut pêcher des poissons ». En Europe différents commerces ont réussi à traverser les frontières mais les exemples d’échecs sont aussi nombreux comme Tesco en France, Carrefour au Royaume Uni, et Wall Mart en Allemagne. Pour Li Hua Zheng, professeur de sociolinguistique à l’université de Canton, la consommation est aussi affaire de culture et d’identité. A l’exemple de Peugeot qui a échoué, à la fin des années 80, dans son implantation en Chine pour ne pas avoir compris que le pays encore très traditionaliste était dans une dynamique d’ascension sociale à travers l’acquisition d’une voiture. A cette époque avoir une voiture c’était avoir une bonne image sociale, « avoir de la face ». Cette face était personnalisée par une joliesse dans les détails comme par exemple posséder un enjoliveur. Mais Peugeot eut une position trop intransigeante en refusant de doter ses voitures chinoises des « détails » que réclamait cette nouvelle clientèle enrichie. La marque française comprit au bout de deux ans la spécificité du marché chinois mais ce retard la pénalisa durement et elle dû se retirer du marché qui représente pourtant un énorme potentiel économique. Les années 2000 ne sont donc plus seulement celles de la glocalisation (penser global agir localement) mais finalement celles d’un paradigme où il faut continuer à agir globalement mais en apprenant localement.
2009 03, Marion Msika-Jossen, journaliste