2009 03 TR 16 : Durable, équitable : produire et consommer autrement

Consommation : cité du commerce et de la consommation

Durable, équitable : produire et consommer autrement

 

  • Stéphane Comar – Economiste des filières agricoles et spécialiste de la gestion d’entreprise et d’organisation de filières Co-fondateur de la Scop Ethiquable (Société coopérative de production ) spécialisée dans la conception, la fabrication et la distribution de produits alimentaires issus du commerce équitable et labellisés Max Havelaar: 130 produits distribués dans 3500 points de vente, première entreprise de commerce équitable en France ;
  • Susan George – Ecrivain, Présidente d’honneur et membre du Conseil scientifique de ATTAC France, présidente du  CA du Transnational Institut ;
  • Maxime Guillon –  Créateur et directeur général de la marque Nu – jeans éthiques en denim biologique ;
  • Chantal Jaquet – Consultante, administratrice de l’Association Good Planet et de l’Institut Européen de l’Ecologie et ancienne directrice du Développement durable à la direction du groupe Carrefour (créatrice de la gamme Carrefour Bio) ;
  • Alain Capestan –  directeur général de Voyageurs du Monde, directeur général délégué de Terre d’aventure, PDG de Nomade aventure et de Comptoir de voyage ; agence et tour opérateur au sein duquel il s’est occupé de développement durable.  

 

 

La crise économique nous force à réviser tous nos comportements. Les producteurs doivent à présent mettre en place des modèles plus respectueux de la nature dont les ressources s’épuisent. Il s’agit à présent de rationaliser la production en chassant le gaspillage. Mais la prise de conscience est encore lente pour les partisans du consommer éthique. Revue de détail de ses acteurs.   

 

Le développement durable sort de sa marginalisation.

Les sondages d’opinion concernant l’écologie, l’intensification des actions politiques et leur médiatisation sont le signe d’une sensibilité croissante du public aux urgences environnementales. Les connaissances se précisent et la conviction qu’il faut changer les modes de consommation est de plus en plus acquise. Mais pour Chantal Jaquet il faut intensifier les interventions. Pour le moment la notion de développement durable est encore simplement comprise comme une protection de l’environnement alors que la prise de conscience doit toucher tous les acteurs sociaux, économiques et politiques. Pour Susan Georges la crise financière et économique est aussi le signe qu’il y a urgence à agir. Actuellement 3 milliards d’êtres humains ne consomment pas et à terme des émeutes de la faim vont se multiplier. L’augmentation des prix alimentaires est en partie due à la spéculation des financiers qui sont passés de la bulle de l’immobilier à la bulle des contrats alimentaires. L’accélération du réchauffement climatique, les problèmes d’approvisionnement en eau vont aussi conditionner les prochains phénomènes migratoires facteurs d’une pauvreté grandissante. Il faut donc, selon Susan Georges, changer radicalement de système, repenser toute la chaîne de production et remettre en question le dogme du libéralisme. Mais cette action ne peut être envisagée à la marge du système. Les pouvoirs publics doivent intervenir. Aujourd’hui la moitié de la monnaie mondiale réside dans les paradis fiscaux, l’intervention de l’Etat en faveur des banques doit s’accompagner de garanties de retour de cet argent. La prise de conscience est aussi au niveau individuel et les consommateurs comprennent que la circulation des fruits et légumes, nuisible à tout point vue (empreinte écologique lourde, produits aseptisés par des agents conservateurs toxiques, main d’œuvre déplacée), a contribué à détruire la paysannerie depuis trente ans. Le succès des AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) est un bon indicateur de cette prise de conscience. Il faudra à terme repenser les systèmes de production et de consommation sur un plan local et pour Susan Georges cette proposition n’est pas incompatible avec l’idée de progrès dont la définition doit aussi être repensée tant la société est aujourd’hui contrainte de prendre en compte l’impact écologique de son économie.

 

Transparence, engagement politique et financier.

Pour Stéphane Comar, l’industrie « classique » change mais ce sont surtout « les consommacteurs » qui lui font prendre de nouvelles initiatives en ce sens : il existe un réel marché à présent. Sa société, Ethiquable, a fait le choix de vendre ses produits dans les rayons des supermarchés non seulement pour pouvoir réaliser des volumes qui bénéficient à un maximum de petits producteurs mais aussi parce que ses conditions de vente sont équitables. Pour Chantal Jaquet, qui fut responsable du  développement durable à la direction du groupe Carrefour et créatrice de la gamme Carrefour Bio, être vendu en grandes surfaces permet à secteur du bio d’être au cœur de l’économie, à l’endroit même où on peut toucher des millions de consommateurs et accélérer les transformations. Ainsi la marge réalisée par la grande distribution est diminuée de 50 % par rapport aux autres produits non équitables. De son côté Maxime Guillon, de Nu , préfère le terme éthique plutôt qu’équitable dans le domaine du textile : il y a trop de niveaux d’interventions (filature, tissage, confection) pour intervenir dans tous les domaines. En revanche sa société s’est dotée d’une charte extrêmement rigoureuse sur le plan environnemental. Il tient également à se démarquer de la stratégie de Max Havelar : les jeans Nu ne sont pas vendus dans la grande distribution. Maxime Guillon souligne que le « bio » peut être tout aussi nuisible par son bilan carbone. Faut-il préférer un jean en coton bio qui a été lavé, « stonewashé » avec 1500 litres d’eau, non recyclée, dont le coton vient d’Ouzebekistan, filé et tissé en Inde, confectionné au Bengladesh avant d’être consommé aux Etats-Unis ou faut il préférer un jean en coton traditionnel venant d’Afrique de l’Ouest, tissé au Portugal et consommé en France ?  La société Nude a choisi le deuxième processus. Si elle  ne fait pas du bio mais favorise une certaine rationalisation.  Mais pour Chantal Jaquet il ne faut pas minorer les effets des pesticides sur la santé. Il faut penser à l’éco conception (que ce soit à la production, dans le transport, dans l’usine, commercialisation et recyclage du produit.

Dans le domaine du voyage il faut envisager l’acte de consommation d’une autre manière. Alain Capestan, Voyageurs du Monde, souligne que le consommateur s’engage volontairement dans un effort supplémentaire que ce qui est habituellement requit pour un achat du quotidien. Le processus de réflexion est plus avancé et le client consent à payer plus cher un voyage. Il veut donner un sens à son séjour qui est généralement plus long que des vacances classiques. Le temps passé auprès des populations est conçu comme une forme d’étude de la vie locale. Il s’agit aussi de « rentabiliser » l’empreinte écologique qui est très lourde : la dépense de CO2 en avion doit se justifier par un temps de séjour plus long. Ce consommateur engagé paye également la traçabilité et la vérification d’un voyage « éthique ». Mais lorsqu’on demande à Alain Capestan  si nous ne sommes pas arrivés au bout de ce qu’il est possible de réaliser en matière de « voyage écolo » tant le cœur du problème reste l’empreinte écologique lourde, il répond que la dépense de CO2 est mal pensée. 30 % de la consommation est issue des avions lors des moments d’attente et de roulage au sol,  non par nécessité mais parce que tout est pensé dans un système où on ne compte pas, où l’énergie est considérée comme illimitée. D’autre part, les contenances des avions s’accroissent et des nouvelles constructions en fibre de carbone, plus légère, permettent de consommer aujourd’hui 10 fois moins.

 

Chasser le gaspillage en repensant la chaîne de production.

Dors et déjà il est possible d’intervenir à la marge en consommant complètement nos prélèvements rappelle Chantal Jaquet. Nous jetons en moyenne 30 % de ce que nous consommons. En Afrique, la FAO constate que si on apprenait à conserver et à transporter, le continent africain pourrait subvenir pour 30 % de son alimentation. Il s’agit donc de repenser toute la chaîne de production, de distribution et de consommation, de penser rigoureusement mais en excluant une logique de low cost. Il s’agit aussi de donner l’essentiel pour moins cher et non moins pour moins cher. Il faut également éliminer le superflu de nos riches sociétés de surconsommation, repenser de manière locale et changer en profondeur les pratiques alimentaires. Ainsi les pays riches consomment trop de viande, source d’obésité, et 70 % des surfaces agricoles sont destinées à nourrir l’industrie animale. Il faut donc rationaliser la consommation, la partager. Chantal Jaquet déplore que depuis 5 ans les marques aient tendance à perdre le sens et qu’elles soient axées sur le seul segment du premier prix. Il faudra résoudre définitivement le problème des subventions attribuées de manière injustes aux pays du nord. Surtout rendre possible l’autonomie alimentaire des pays du sud qui aujourd’hui achètent ce qu’ils pourraient produire à l’exemple de l’affaire du poulet en Afrique. Repenser la chaîne de production c’est, finalement, trouver un sens généreux et utiles à nos actions.

2009 03, Marion Msika-Jossen, journaliste

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