Consommation
Virginie Diaz, 2007, Commerce équitable et organisations de producteurs. Le cas des caféiculteurs andins au Pérou, en Equateur et en Bolivie, Paris, l’Harmattan (préface de D. Desjeux). Un travail de terrain qui part du Pérou, de l’Equateur et de la Bolivie pour remonter à la distribution en France. Une étude fine sur la réalité du commerce équitable.
Virginie Diaz, 2007, Le commerce équitable dans la France contemproraine. Idéologies et pratiques, Paris, l’Harmattan (préface de Alain Caillé)
Le livre de Virginie Diaz, Commerce équitable et organisations de producteurs. soutient une thèse difficile à entendre par rapport aux demandes fortes qu’une partie de la société française faite aux sciences humaines en terme de croyance, de jugement et plus généralement d’enchantement de la réalité que ce soit sur un modèle idéal-libéral ou idéal-social, c’est-à-dire de prêt à penser.
Elle montre en effet que la commerce équitable qui pose la question de la possibilité de créer un ordre marchand plus juste n’est ni « l’enfer » décrit par les critiques néo-libérales en terme de concurrence déloyale, comme celles de Philippe Chalmain, un très bon expert du marché des matières premières, ni celle des écologistes au nom d’une décroissance soutenable qui demande une baisse de la consommation, ni celle des institutionnalistes qui estiment que les partisans du commerce équitable sous-estiment le poids du politique dans le fonctionnement du marché, toutes critiques qui possèdent une part de vrai, ni le « paradis » des tenants du commerce équitable dont une des qualités est d’être malgré tout très réalistes.
En choisissant d’aller sur le terrain, au Pérou, en Bolivie et en Equateur pour aller discuter avec les paysans andins, leurs représentants et les acteurs des organisations chargés de mettre en place les normes de qualité du café et donc de remonter la filière du café équitable, Virginie Diaz montre l’ambivalence de la réalité sociale, à la fois « enfer » et « paradis » pour continuer la métaphore réaliste de tout fonctionnement en société.
De façon peut-être plus imprévue son constat qui aurait pu être froid, comme celui d’un entomologiste, est une description chaude et vivante de toute une série de mondes humains. On y découvre l’histoire du café et celle de la crise de 1990 qui conduit à une dérégulation des cours et donc à poser la question d’un commerce plus juste pour les producteurs. On y voit les producteurs de café, très organisés et fortement regroupés au Pérou (25% des producteurs de café), ce sont le plus souvent des métis, dispersés et organisés en petits groupes coopératifs en Bolivie (20% des producteurs), ce sont surtout des indiens Aymaras ou Qechuas et enfin en train d’émerger en Equateur (5% des producteurs). Ces paysans se demandent s’il faut accepter de nouveaux arrivants dans leurs associations de producteurs de café équitable au risque de diluer le bénéfice économique qu’ils tirent de leur organisation.
On y retrouve la trace de l’histoire récente dans la structuration des communautés paysannes et notamment de l’Eglise catholiques qui touche plus de 90% de la population andine et dont le rôle a souvent été moteur dans l’organisation du paysannat.
On y découvre le rôle de la tradition avec les « rondas » groupes de paysans qui assurent la sécurité des villages pour pallier aux manques de l’Etat et qui accompagnent les responsables des organisations équitables quand ils transportent de fortes sommes d’argent en liquide.
On sent le poids des deux grandes bourses mondiales sur le fonctionnement des stratégies paysannes, celle de NewYork pour le café Arabica, et celle de Londres pour le café Robusta.
Au final, le monde du commerce équitable apparaît sous la plume de Virginie Diaz complexe, humainement et économiquement, avec ses grandeurs et ses petitesses. Il apparaît comme un monde humain « normal », avec la concurrence entre ONG, les éventuels détournements de fond de quelques dirigeants, le dévouement de certains et surtout la difficulté à fixer dans l’absolu un juste prix qui dépend de l’image du café dans chaque pays, – l’Equateur ayant l’image la moins favorable comparée à celle très positive de la Colombie -, des coûts de production très diversifiés et de la diversité des formes de versement de la prime de développement reversée au nom du commerce équitable entre les trois pays.
Economiquement il est soumis au même problème de confiance que n’importe quel produit qui s’échange sur un marché. Il doit créer les signes de la qualité recherchée par les consommateurs. Pour ce faire FLO International (Fairtrade Labelling Organizations) a mis au point des normes de qualité du café équitable qui sont vérifiés par des inspecteurs, ce qui ne va pas sans tension avec les paysans andins.
Le commerce équitable touche un million de producteurs dont 750 000 producteurs de café sur 25 millions de producteurs, ce qui n’est pas négligeable pour cette profession, mais l’ensemble ne représente que 0, 01% des échanges commerciaux dans le monde, ce qui est très peu. Et pourtant le commerce équitable a une porté théorique beaucoup plus forte que ne pourrait le laisser penser son faible poids économique. Le commerce équitable nous aide à réfléchir sur les logiques sociales de construction d’un marché, en ce sens ce livre relève donc de l’anthropologie économique, et sur l’importance qu’il faut accorder aux instances de régulation, comme l’OMC, dans le fonctionnement du marché. Pour ce faire, Virginie Diaz va mobiliser un nombre impressionnant d’auteurs de Parsons à Crozier et Friedberg, de Malinovski à Godelier, de Bauer à Boltanski, et tout cela avec clarté et aisance afin de faciliter au lecteur la compréhension des thèses en présence. Il y a dans ce livre une véritable œuvre pédagogique.
Le livre de Virginie Diaz, un livre important comme le lecteur l’aura compris, nous aide peut-être à comprendre que la critique qui est faite au commerce équitable, de n’être qu’un correctif du marché, est probablement plus le procès du réformisme et du pragmatisme que celui de ses limites en terme de justice et d’équité. Ce qui est sûr, c’est qu’une fois que vous l’aurez lu vous comprendrez encore mieux pourquoi vous achetez votre café Max Havelaar à Monoprix !
Dominique Desjeux
Professeur d’anthropologie sociale et culturelle à la Sorbonne (Paris 5)
2006, La consommation, PUF, Que sais-je ?
Paris le 13 09 2006