2002, D. Desjeux (dir.), Sophie Bouly de Lesdain et Sigalit Lavon, Argent, prêt à la consommation et surendettement

Consommations

L’argent en France. Pratiques et représentation du crédit à la consommation. Enquête exploratoire qualitative

 2002, D. Desjeux (dir.), Sophie Bouly de Lesdain et Sigalit Lavon,

 

INTRODUCTION 

Les difficultés de recouvrement que connaissent actuellement les organismes de crédit ont pris une telle ampleur que l’on peut parler de phénomène de société. Ces difficultés sont révélatrices d’un nouveau rapport à l’argent et aux sociétés de crédit à la consommation.

L’objectif du présent rapport est de cerner la diversité des usages et des imaginaires liés à l’argent à travers le discours des consommateurs de crédit. L’analyse porte donc à la fois sur les pratiques et sur les représentations. Les entretiens semi-directifs en face à face se sont déroulés dans trois régions : Nord (3 entretiens), Ouest (3 entretiens) et Région parisienne (6 entretiens) ; et s’ajoutent à une observation de la filière. Dans chaque région, nous avons mené des entretiens auprès de consommateurs : 1- en situation « normale » ; 2- en difficulté passagère (incident de paiement léger) ; 3- en difficulté chronique (incident de paiement lourd). Au total le nombre d’entretiens s’élèvent à 12. Ils s’ajoutent à des  entretiens menés auprès d’experts agissant dans le domaine : bancaire ; défense du consommateur ; judiciaire ; recherche.

La démarche adoptée est qualitative et inductive, c’est-à-dire qu’elle part des pratiques et des représentations pour aboutir à une conceptualisation. L’échantillon ainsi constitué vise à repérer la diversité des formes sociales existantes, et non pas à énoncer des fréquences. Il n’est donc pas représentatif au sens statistique du terme.  Il est significatif de la diversité des pratiques.

Les entretiens menés ont permis de dégager plusieurs grandes tendances qui rendent compte des changements quant au rapport à l’argent et aux sociétés de crédit. Ces tendances peuvent être ramenées à des cycles faisant intervenir différentes échelles d’observation. L’échelle micro-sociologique, qui est celle des entretiens, permet de cerner des logiques d’acteurs. Mais ces logiques s’inscrivent dans un système de contraintes ; dans un paysage social, économique et juridique qui constitue la toile de fond de l’analyse.

Les questions sur les pratiques portent sur le processus de décision de faire un prêt jusqu’à celui de son remboursement, voir de son nom remboursement, sur les objets, les acteurs, les pièces de l’espace domestique qui sont mobilisés tout au long de processus. Cette méthode est dite « des itinéraires ».

Les questions sur les représentations portent sur l’imaginaire relatif à l’argent au cours du cycle de vie, à ses usages et origines, au crédit à la consommation, à la perception de la dépense, de la richesse et de la pauvreté et du remboursement.

PARTIE 1 : DESCRIPTION

I. Les étapes de la vie : le cycle de vie du rapport à l’argent

Le rapport à l’argent varie en fonction des étapes du cycle de vie. Nous avons distingué au travers de l’enquête trois grandes étapes :

  • Ø      l’enfance et l’argent de poche ;
  • Ø      l’adolescence, la jeunesse et la première paie (avec ici un effet générationnel qui fait varier la durée de la jeunesse) ;
  • Ø      et l’étape de l’autonomisation avec le premier crédit, les premiers problèmes d’argent ; pour cette étape, nous distinguerons :

¨      l’autonomisation lié à l’indépendance vis-à-vis des parents

¨      et l’autonomisation due à une rupture positive ou négative.

1. «  J’avais de l’argent de poche mais qu’est-ce que ça représentait je m’en rappelle plus » 

Toutes les personnes interrogées avaient de l’argent de poche étant enfant mais pas toutes de manière régulière.

a. Souvenirs flous et discours positif par rapport à l’argent dans l’enfance

Leurs souvenirs de l’argent pendant la période de l’enfance peuvent être flous :

« J’avais de l’argent de poche mais qu’est-ce que ça représentait je m’en rappelle plus »(F, 54 ans)

Au niveau du discours, ils n’expriment rien qui pourrait laisser entendre qu’ils auraient été marqués par un quelconque manque d’argent, ils considèrent qu’ils avaient tout ce dont ils avaient besoin à la maison. Ils disent que leurs parents ne les privaient de rien d’essentiel :

« Je n’avais pas d’argent de poche jusqu’à 19, 20 ans, après j’avais la bourse du lycée. Mon père était instituteur, j’avais tout ce dont j’avais besoin à la maison, on étais 9 enfants, je suis le cadets et le seul garçon. » (H, 41 ans)

Ils se souviennent qu’ils sortaient et donc que leurs parents devaient leur donner de l’argent de temps en temps quand ils leur demandaient :

« – Vous aviez de l’argent de poche ?
-Non, jamais
-avant, comment vous faisiez pour sortir ?
-je demandais à mes parents un peu d’argent pour sortir je suppose ». (F, 44ans)

Ils expliquent aussi que leurs parents ne leur donnaient pas d’argent de poche régulièrement parce qu’ils venaient d’un milieu modeste, et que, pour certains, leurs parents avaient plusieurs enfants et pas beaucoup d’argent. L’argent était donné en fonction de certains besoins, comme les sorties :

« L’argent de poche c’était à la demande, selon les moyens, étant d’une famille de mineurs, c’était juste une sortie le dimanche. Ils me donnaient quand j’ai commencé à aller au cinéma . » (F, 54 ans)

« Non , j’ai jamais eu d’argent de poche, je suis l’aînée de 5 enfants. J’avais un peu d’argent à Noël »(F, 26 ans)

b. Argent de poche et lien social : les personnes et les occasions du don d’argent de poche

Certains n’avaient pas d’argent de poche régulièrement et formellement.

« Quand j’étais petite fille, j’avais pas d’argent de poche, mes parents ne m’en donnaient jamais » (F, 47 ans)

Une partie des personnes interrogées avaient une petite somme d’argent toutes les semaines.

Une autre partie des personnes que nous avons rencontrées avaient de l’argent de poche seulement aux anniversaires et à Noël ; argent qui leur était donné par des membres de la famille, souvent les grand-parents et les parrains et marraines.

Certaines personnes recevaient de l’argent de manière ponctuelle quand ils ramenaient une bonne note ou aidaient à faire la vaisselle, donc de l’argent lié au mérite.

L’argent de poche pouvait donc être donné par la famille, les parents, les sœurs, les grands parents, les marraines ou les parrains et suivant deux temporalités :

  • Ø      régulièrement, toutes les semaines et/ou à deux occasions précises, Noël et l’anniversaire :

« Quand j’étais petite fille, j’avais pas d’argent de poche, mes parents ne m’en donnaient jamais, j’avais juste l’argent que ma marraine me donnait à Noël »(F, 47 ans)

« Oui, comme famille j’avais mes grand-parents, mon parrain, on savait pas quoi acheter aux gamins on donnait de l’argent »(F, 54 ans)

« J’avais un peu d’argent à Noël, aux anniversaires par la famille, ma marraine et mon parrain » (F, 26 ans)

« Je suis arrivé  en France en 1984, j’avais pas d’argent, mes sœurs m’ont aidé, j’étais un enfant malgré moi, je ne comprenais pas la valeur de l’argent. Je n’avais pas d’argent de poche jusqu’à 19, 20 ans » (H, 41ans)

  • Ø      ponctuellement, quand par exemple l’enfant ramenait une bonne note ou aidait à faire la vaisselle.

L’argent pouvait soit être donné par la famille sans avoir à être demandé, comme ci-dessus, soit demandé par l’enfant à ses parents.

« En Angleterre, je demandais de l’argent à mes parents, mon père avait son imprimerie, alors ça allait. Je me contentais de ce que j’avais et quand je demandais il me donnait car il voyait que je n’abusais pas. Même avant quand je faisais du sport je demandais pour les cotisations à mes parents. Mais non non !, je n’ai jamais eu de problèmes »(F, 56 ans)

c. Les usages de l’argent : lien entre origine de l’argent et nature de la dépense, épargner ou « consumer ».

L’argent des « grandes occasions » (Noël, anniversaire) ne semble pas être dépensé comme l’argent de poche ordinaire, régulier ou ponctuel. Il paraît avoir été davantage épargné dans une tirelire. Cet argent pouvait aussi rentrer dans un circuit spécial de don et de contre don entre générations :

« Je le mettais dans une tirelire et j’achetais des cadeaux à mes parents » (F, 47ans)

« Ben je mettais dans une tirelire pour m’acheter des livres, j’adorais les livres, quand j’étais petite j’économisais, moi je viens d’une famille ouvrière donc on m’a appris que l’argent c’était sacré fallait économiser »(F, 54 ans)

Il semble donc que l’usage de l’argent de poche dépende de son origine, biens  de consommation immédiate pour l’argent ordinaire et biens durables pour l’argent des fêtes.

Son usage semble aussi dépendre de l’intention des parents. En effet, le discours des interviewés sur la dimension sacrée de l’argent laisse entendre que les parents émettaient plus ou moins explicitement une intention, une norme, sur le fait d’épargner ou de dépenser l’argent, ou du moins que l’argent des grandes occasions (Noël, anniversaires) ne devait pas être consumé d’un coup, mais qu’il devait être épargné. Le fait d’épargner correspondrait, pour certains enfants, au désir de se conformer aux attentes des parents vis-à-vis du comportement à avoir avec l’argent.

L’argent de Noël et des anniversaires semble prendre une valeur symbolique de transmission, et donc de durée, qui fait qu’il va être davantage épargné. Tout se passe comme si l’enfant avait une responsabilité à assumer face à cet argent qui ne pouvait être « consumé » comme l’argent de poche ordinaire.

 

Une partie de l’argent de poche ordinaire pouvait aussi être épargnée dans une tirelire (associé au cochon pour l’ancienne génération ce qui n’est plus le cas pour la nouvelle). Parmi les interviewés aucun n’avaient de compte en banque, ni de compte d’épargne pendant son enfance. Le compte d’épargne apparaît pour certains de la vieille génération avec le premier salaire.

L’argent de poche ordinaire, régulier ou ponctuel, semble pouvoir être davantage consumé, en bonbons, en sorties, c’est-à-dire pour un usage immédiat.

Dés l’enfance, au moins pour une partie des interviewés, l’argent circule suivant deux circuits, un circuit « cérémoniel » qui relève de l’épargne, du don et de la longue durée, et un circuit « ordinaire » qui relève de la consumation immédiate, de la courte durée.

Finalement, malgré des souvenirs flous sur l’argent de poche, sur sa fréquence ou son existence pour certains et sur sa quantité, l’argent de poche est quand même lié à des personnes précises et à des occasions festives, le tout permettant un premier apprentissage de la distinction entre épargne et consommation.

2. « je me rappelle mon premier rapport avec l’argent, j’ai commencé à travailler à seize ans »

Le rapport à l’argent se modifie au moment de l’adolescence, de nouveaux besoins, de nouvelles envies vont apparaître. Il n’est plus seulement lié à un don il commence pour certains à être associé à un travail :

«- Vous avez manqué d’argent durant votre enfance ?
-Non j’ai manqué de rien, mais je travaillais un peu pour m’acheter des trucs de marque. J’ai des besoins depuis que j’ai 18 ans » (F, 26 ans)

Les premiers souvenirs d’argent concrets sont donc liés à la première paie, au premier travail, qui à la fois clôturent la période « d’insouciance » de l’enfance où l’argent est un problème de grande personne et en même temps ouvrent la période de l’adolescence. L’argent prend une autre valeur, celle du travail. Elle ne se limite plus à un don familial. Le rapport à l’argent va donc évoluer.

Dans cette enquête exploratoire qualitative, la coupure entre l’enfance et la phase suivante du cycle de vie, dont les frontières et la qualification ne vont pas de soi, c’est-à-dire l’adolescence ou le début de la jeunesse, démarre à :

  • Ø      14 ans pour l’ancienne génération, ce qui correspond à l’âge où l’école n’étant plus obligatoire une partie des interviewés rentre sur le marché du travail.
  • Ø      16 à 18 ans pour la nouvelle génération. L’école est obligatoire jusqu’à 16 ans. Certains vont entrer sur le marché du travail, d’autres non.

a. La dépendance financière familiale de l’ancienne génération

Pour l’ancienne génération, le premier travail n’implique ni l’indépendance financière ni l’apprentissage de la gestion de l’argent. En effet, il fallait être majeur (avoir 21 ans) pour ouvrir un compte en banque et posséder un chéquier, (la carte bancaire n’existait pas). Tant qu’ils étaient mineurs, les jeunes donnaient leur paie à leur parents (au père), et ces derniers leur donnaient de l’argent de poche régulièrement. Ce premier travail correspond donc pour certains au premier argent de poche. Certains parents ne touchaient pas à l’argent et le donnaientt intégralement à leur enfant à sa majorité, d’autres utilisaient cet argent pour les dépenses du foyer. Cela correspondait pour eux à une forme de redistribution au sein de la famille.

Pour les femmes, c’est le mariage qui détermine le premier compte en banque. Il est au nom de leur mari. Il s’agit d’un compte-joint. Il semble que ce soit davantage la femme qui gère l’argent au sein du couple, mais sans exclusive (voir partie II).

« J’ai eu mon premier compte en banque quand je me suis mariée, avant j’étais mineure donc ça allait sur le compte de mes parents, je travaillais et mon salaire allait sur leur compte, ils me donnaient de l’argent de poche. J’ai eu ma première carte au crédit mutuel à 35 ans. Le chéquier je l’ai eu à 20 ans quand je me suis mariée. » (F, 47 ans)

« Autrement l’argent ben moi je me suis mariée jeune, je me rappelle mon premier rapport avec l’argent, j’ai commencé à travailler à seize ans, moi quand je travaillais y’avais pas la question qui se posait, je donnais mon salaire entier à mes parents, mon père me redonnait un peu d’argent pour ma semaine, un genre d’argent de poche. Comme je vivais chez papa et maman, mon père m’en mettait une partie sur mon livret de caisse d’épargne et quand je me suis mariée ça faisait un an que je bossais donc tout ce que j’avais sur le livret de caisse d’épargne j’ai tout pris d’un coup, je suis partie en voyage de noce, j’avais huit cent francs ça représentait une fortune huit-cent francs en 1965, mon premier salaire je gagnais 300 francs par mois. » (F, 54ans)

Ces mêmes femmes acquièrent leur premier compte en banque à leur nom quand elles divorcent (voir partie 1-3).

« -J’ai jamais eu de compte en banque à mon nom jusqu’à ce que je quitte mon mari pour demander le divorce j’ai toujours eu un compte joint avec mon mari. Un compte personnel à mon nom j’en ai pas eu un avant 1986.
-La première carte bleue pareil ?
-Oui, mon mari avait une carte bleue, je m’en servais mais c’était pas à mon nom, j’ai tout eu à mon nom vraiment à partir de 1987 quand j’ai quitté mon mari, j’ai ouvert un compte, et comme je le gérais bien mon banquier m’a donné une carte bleue » (F, 54 ans)

Le divorce comme moment de rupture plonge la personne dans une autonomisation de fait. Celle-ci doit faire alors l’apprentissage d’une nouvelle vie. Certaines femmes acquièrent ainsi un compte en banque et une carte bancaire à leur nom pour la première fois de leur vie.

Certaines de ces femmes ont pu compenser la rupture douloureuse que constitue le divorce en se faisant plaisir, en dépensant , en s’achetant des biens.

Par exemple, cette femme s’est acheté une salle à manger à crédit après son divorce et nous explique que ça lui a fait du bien moralement :

« j’lai fait parce que je voulais être bien chez moi, quand vous venez de divorcer après 18 ans de mariage, c’est très difficile , à Orléans c’est vrai que j’étais bien chez moi, mais à Nantes c’est vrai que j’ai eu du mal à retrouver mes repères »(F, 45 ans).

b. les étapes de l’autonomie financière pour la nouvelle génération : première paie, premier chéquier, première consumation, premier logement

Pour la nouvelle génération, à l’inverse de l’ancienne, le premier travail correspond aussi au premier compte en banque, au premier chéquier, à la première carte bleue et pour certains aux premiers découverts (nous y reviendrons plus loin). C’est un apprentissage de la gestion de l’argent, un premier pas vers l’autonomie financière. La première paie peut être l’occasion d’une consumation ponctuelle, comme un micro-rite de passage entre l’adolescence et la jeunesse ou l’état adulte :

 « -Quels sont vos premiers souvenirs d’argent ?
-Ma première paie que j’ai éclatée en une demi-heure. J’avais 18 ans. C’était le salaire du CNASEA pour ma formation »( F, 26 ans)

 « J’ai eu ma  1ère CB en même temps que le chéquier » (H-34 ans) 

« -Quand avez-vous eu premier compte en banque ?
-quand j’ai eu ma première paie, j’ai toujours le même
-première carte bleue ?
-vers 21 ans » (F, 45 ans)

Le second pas vers l’autonomie financière a lieu quand le jeune s’en va du foyer parental et s’installe dans son propre appartement (ce constat ne s’applique pas aux  jeunes qui font des études longues, ce qui n’est le cas d’aucune des personnes rencontrées).

 « Mon 1er compte en banque c’est à la poste quand j’ai eu 18 ans… Je suis allé vivre seul »( H, 34 ans)

L’acquisition de moyens de paiement propres correspond à une nouvelle étape de prise d’indépendance. Ouvrir son premier compte en banque à son nom, acquérir son premier chéquier, sa première carte bancaire est chargé de sens ; cet acte a une signification symbolique forte qui est le marquage d’une prise d’indépendance et de l’acquisition d’une autonomie, une sorte d’avènement de la vie adulte pour les jeunes.

Acquérir ses propres moyens de paiement, indépendamment de ses parents ou de son mari, peut être assimilé à un micro-rite de passage faisant entrer le jeune dans la vie adulte et d’une manière plus générale la personne dans une nouvelle étape de sa vie, donnant accès à la liberté de consommation.

3 « c’est qu’une étape de ma vie » 

Nous remarquons alors que c’est aussi avec l’autonomie financière qu’arrivent les premiers problèmes, par exemple les découverts et les premières grosses dépenses et donc le premier crédit.

Nous avons ici affaire à deux modèles :

  • ·        l’autonomisation du jeune qui quitte le foyer parental pour s’installer dans son propre appartement,
  • ·        et l’autonomisation due à une rupture positive (mise en couple) ou négative (accident, chômage, divorce).

a. L’autonomisation du jeune qui quitte le foyer parental

Le jeune se retrouve tout d’un coup responsable de sa vie, de son devenir et peut commencer à construire sa vie, son avenir et à accumuler des biens. Il ressent un sentiment de liberté, et  il arrive que cette rupture déclenche chez lui une « fièvre » dépensière. Celle-ci peut entraîner un premier découvert et le crédit pourra alors être la solution à cette « erreur » de jeunesse :

« Ma première paie que j’ai éclaté en une demi-heure. J’avis 18 ans. C’était le salaire du CNASEA pour ma formation »(F, 26 ans)

b. L’ autonomisation de fait, liée à une rupture négative

Il semble que la rupture liée au divorce, notamment pour les femmes, modifie radicalement leur situation financière et leur propre rapport à l’argent :

j’ai demandé le divorce et mon mari s’est suicidé et m’a laissé énormément de dettes donc j’avais pas beaucoup d’argent pour vivre donc j’étais très rigoureuse dans mes dépenses, j’ai galéré pendant deux ans donc je dépensais pas beaucoup, j’avais un budget très séré, je le gérais bien. J’avais jamais un sous de découvert donc le banquier m’a filé une carte bleue mais la carte bleue tu te rends pas compte de ce que tu dépenses, tu fais un achat t’as pas l’impression de dépenser de l’argent. Au début quand arrivait le relevé de carte bleue et ben j’avais bouffé mon mois et c’est là que j’ai commencé à prendre mes premiers crédits pour pouvoir couvrir mon découvert à la banque. »(F, 54 ans)

 «- ça, [crédit pour l’achat d’une salle à manger], j’lai fait parce que je voulais être bien chez moi, quand vous venez de divorcer après 18 ans de mariage, c’est très difficile , à Orléans c’est vrai que j’étais bien chez moi, mais à Nantes c’est vrai que j’ai eu du mal à retrouver mes repères…
-Quand vous étiez mariée, vous n’aviez pas pris de crédit ?
-Non, des paiements en trois fois mais j’appelle pas ça un crédit »
(F, 45 ans)

La rupture négative peut être lié à un accident ou à une accumulation d’ « accidents ». En effet, les personnes peuvent avoir recours au crédit pour gérer un ou des imprévus (la voiture ou le lave-linge qui tombe en panne).

Les personnes contractent leur premier crédit pour combler un découvert, réagir à un imprévu, ou pour se faire un « plaisir ». Ce premier crédit correspond dans les deux cas (combler un découvert et se faire « plaisir ») à l’étape de l’autonomisation financière et donc au fait que dépenser de l’argent est nouveau pour eux . Il s’agit d’une première expérience négative, qui constitue par ailleurs une première phase d’apprentissage (voir partie 1-4).

 « le banquier m’a filé une carte bleue mais la carte bleue tu te rends pas compte de ce que tu dépenses, tu fais un achat t’as pas l’impression de dépenser de l’argent. Au début quand arrivait le relevé de carte bleue et ben j’avais bouffé mon mois et c’est là que j’ai commencé à prendre mes premiers crédits pour pouvoir couvrir mon découvert à la banque. Et mon premier crédit j’avais demandé de me prêter 10 ou 15 mille francs je sais plus, ils te demandent tes déclarations d’impôts sans rien vérifier j’avais demandé 15 mille ils m’ont filé 30 mille francs, alors quand tu te retrouves à la tête d’un capital de 35 mille et que t’as plein de trucs à acheter, c’était en 89, 90 je gagnais en 10 et 11 mille francs par mois avec la retraite de mon mari. Je voulais combler mon découvert parce que mon banquier il gueulait. J’ai trouvé cette publicité de Cofidis, j’ai appelé il me faut ça ,  j’ai signé , j’ai eu les sous rapidement. Seulement quand t’en demande 15 que t’en as 35 tu les dépenses.
-Comment ?
-Ben mon fils il s’est installé avec une copine alors je lui ai acheté une machine à laver, un tapis une table de salon, moi je me suis racheté une machine à laver, des conneries pas des choses inutiles. Je suis partie en vacances ben au lieu d’être un peu serrée de regarder, ben sachant que j’avais cette réserve d’argent j’ai un peu plus dépenser, disons que les 25 mille francs que j’avais en plus c’est parti comme neige au soleil. » (F, 54 ans)

Le recours au crédit coïncide avec une période d’autonomisation qu’elle soit positive (par exemple le mariage ou le déménagement) ou négative (par exemple le divorce). Et s’il y a non-remboursement, tout laisse alors penser qu’il s’agit là aussi d’une étape de la vie où la transgression paraît plus légitime (jeunesse, déception affective, divorce…).

« je ne regrette pas parce que c’est qu’une étape de ma vie » (H, 41 ans)

 « J’ai été interdit bancaire pour un découvert pendant un an, c’était mérité ! Je traversais une période affective difficile, je suis partie dans le sud avec un sac à dos, j’étais clochard, mais j’avais une CB : j’ai flambé ! et puis après c’était pour vivre » H-34 ans

***

 Certaines personnes rangent les papiers relatifs au crédit avec les papiers « identitaires » comme les actes de naissances. Il nous semble que cela est très significatif.

«  Il y a mes factures tous les papiers concernant les crédits, les actes de naissance, les passeport… je garderai toute ma vie ».(H, 41 ans)

Tout se passe comme si l’être et l’avoir était confondus, ou plutôt comme si l’avoir déterminait l’être.

Ce premier crédit correspond donc à une étape de la vie (départ de chez les parents, mariage, divorce, premier enfant). Il s’agit d’une autonomisation liée à une rupture positive (mise en couple) ou négative (divorce). Il semble que les personnes ressentent un sentiment de liberté (autonomie financière) ; dépenser serait alors une manière de se prouver cette nouvelle « liberté » et de la vivre.

4. « J’ai un sentiment d’injustice et de culpabilité aussi » 

Dans tous les cas, les difficultés pour rembourser (quand difficultés il y a), entraînent un sentiment négatif, mais la honte et la peur se transforment en révolte contre soi-même et contre la société globale (et non contre la société de crédit) et prend la fonction d’un apprentissage. Ils transforment leurs sentiments négatifs en sentiments positifs ; ils ne restent pas passifs par rapport à ce qu’ils leur arrivent, ils considèrent qu’ils ont fait une erreur et doivent en tirer les enseignements nécessaires.

C’est ensuite la durée de cet apprentissage qui peut varier, souvent en fonction de l’âge du premier échec (non-remboursement du crédit).

a. L’erreur  formatrice dans la vie du jeune adulte en devenir

Les jeunes semblent réagir très vite, car ça constitue pour eux une phase d’apprentissage d’entrée dans la vie adulte et ils n’ont aucun problème à reconnaître qu’ils ont fait une erreur. Dans leur esprit, c’est une période de la vie où il est normal qu’ils fassent des erreurs, celles-ci étant formatrices.

« -Est-ce que vous referiez un crédit pour rembourser un autre crédit ?
-Non je suis pas si conne, mais racheter un crédit oui, de toutes façons j’aime pas les crédits, c’est vraiment le dernier recours 
»(F, 26 ans)

Les jeunes sont en quête d’indépendance, d’autonomie ; ils veulent alors s’affranchir très vite de leurs crédits.

b. l’apprentissage long et douloureux des adultes face au crédit

L’apprentissage semble prendre beaucoup plus de temps (parfois 15 ans) pour les adultes. Ces derniers ont plus de difficultés à s’avouer qu’ils se sont trompés et ne sont plus dans une logique où l’erreur est positive et formatrice. C’est eux qui développent des sentiment de honte, de culpabilité et de rancœur assez forte contre la société et l’ « Etat ». Ils vont donc multiplier les crédits (4 ou 5) avant de reconnaître que le dysfonctionnement ne vient pas de la société mais de leur propre rapport à l’argent et qu’ils doivent changer de logique pour s’approprier des biens ou pour rembourser les crédits. Il semble que cette prise de conscience arrive vers 40 ans mais là aussi tout dépend de l’âge auquel ils ont contracté le premier crédit.

« C’est la banque des pauvres ; plus on est pauvre, plus on est pauvre… c’est une question de position sociale : ceux qui prennent du crédit Cofidis sont dans une position instable. » ( H,34 ans) 

Cette personne a 34 ans et semble rejeter la faute sur la société globale.

« C’est la perdition. C’est de la merde. Le crédit en général, non ce n’est pas bien » (H, 43 ans)

« C’est dommage parce qu’on peut s’en passer. Je suis honteux quand je n’arrive pas à rembourser, au départ je pensait pas, je suis frustré aujourd’hui, ça me diminue, tu n’es pas comme les autres, t’es un peu à la marge de la société, si j’en suis là c’est qu’il y a eu un mauvais calcul. » ( H, 41 ans)

« Oui, y’a pas d’issue possible. Je m’en veux à moi même, je dois prendre des décisions qui correspondent à mes moyens, je ne dois pas vivre au-dessus de mes moyens. Déjà, est-ce que j’ai le droit de vivre en ville ? J’ai un sentiment d’injustice et de culpabilité aussi. J’aimerai toujours ma chambre même si ça m’a poussé à prendre un crédit, elle gardera toujours sa valeur avec ou sans moi, je suis en mesure de la revendre. »( H, 41 ans)

« J’en veux pas à quelqu’un , j’en veux à la société, à l’Etat. Ils devraient tenir compte des besoins des gens. J’en veux aux politiques, je veux pas voter » (H, 41 ans)

Celle-ci a 41 ans et a un double discours, c’est de la faute de la société mais aussi de la sienne « il y a eu un mauvais calcul », sous-entendu « de ma part ».

 «  Oh ben non alors ! je suis refroidie à vie…C’est la perdition. C’est de la merde. Le crédit en général, non ce n’est pas bien Oh, je regrette ! »( H, 43 ans)

Les personnes plus âgées semblent beaucoup plus nuancées ; le crédit c’est un danger si on ne sait pas le gérer, c’est aussi une chance quand on ne peut pas emprunter à la banque.

« -ça peut être une chance au départ et ça peut devenir un danger à la longue, ça permet de démarrer dans une vie, faut pas en abuser.
-vous en avez abusé ?
-oui
-si c’était à refaire, qu’est-ce que vous ne referiez pas ?
-en prendre autant, a la limite un, admettons un puis c’est tout parce qu’on se dit toujours qu’on peut faire un petit prêt pour s’acheter quelque chose mais bon.
-Vous en voulez à la société de crédit ?
-Non, j’pense qu’on est responsable, plutot à moi. » ( F, 45 ans)

« Ça va me marquer toute ma vie, je ne suis pas prêt de recommencer »(H, 41 ans)

Peut-être pouvons-nous alors parler de cycle de crédit (15 ans), temps nécessaire à l’apprentissage. Il semblerait que les opinions positives ou négatives sur le crédit sont fonctions de l’étape de la vie (âge, situation) et de l’étape dans le cycle de crédit .

***

Nous ne voyons pas au travers de ces entretiens un lien mécanique entre le rapport à l’argent dans l’enfance et celui dans l’âge adulte ; le fait d’avoir eu régulièrement de l’argent de poche ou de ne pas en avoir eu ne semble pas déterminer les comportements liés à l’argent durant l’âge adulte. Nous pensons que l’argent du salaire mensuel est utilisé comme pouvait l’être l’argent de poche hebdomadaire, et il apparaît que ceux qui n’ont pas eu d’argent de poche étant enfant se comportent de la même manière par rapport à cet argent du salaire (argent court), ce qui nous permet de penser que les individus apprennent très bien et très vite, à n’importe quel âge la manière de se comporter avec l’argent.

 

II. Dépenses – ressources

Les ressources des personnes rencontrées se distinguent les unes des autres selon :

leur origine

leur régularité.

Les dépenses, quant à elles, varient en fonction

de leur caractère plus ou moins compressible,

de leur régularité

ou encore s’il s’agit ou non d’investissements.

Les difficultés financières rencontrées tiennent alors à un déséquilibre du budget qui est du soit :

à des ressources inférieures aux dépenses, le déséquilibre est alors plutôt permanent

à des dépenses imprévues

à une « inflation » des dépenses que les personnes rencontrées ne parvienne pas à juguler. Le déséquilibre est plus conjoncturel

1.    Les principales sources de revenus : officiel/officieux ; public/privé ; régulier/irrégulier

Les sources de revenu des personnes rencontrées peuvent se regrouper en cinq grande catégories. Elles sont liées :

à la famille : pension alimentaire, pension d’hébergement, aides, prêts, donation, cadeaux. Le cas échéant, les ressources du conjoint 

au travail : les salaires, qu’ils soient officiels ou non

à l’État : pensions d’invalidité ou de retraite. Les aides : APL, prestations familiales

au crédit marchand

aux jeux d’argent.

 

En fonction de son origine, la source de l’argent peut être officielle ou « au noir » :

J’ai un salaire de 6 000 francs déclaré et je fais des domiciles (épilations à domicile) non-déclarés qui me rapportent entre 1 000 et  3000 francs par mois. (F-26 ans)

L’argent officielle peut aussi avoir une double origine publique, comme celle liée à la retraite, ou privée comme celle liée à la famille :

Mon mari est en pré-retraite, il a eu un problème de santé. Il avait 56 ans, ayant fait 11 ans aux mines, il avait sa pension, la maison était payée on a arrêté [les crédits à consommation]. Il avait arrêté les mines dans les années 1970. Donc il y a sa pension, et puis la participation de la maman (mère de l’interlocutrice) qui vit avec nous. (F-54 ans)

Enfin l’argent peut provenir d’une source régulière, comme la pension ou le salaire, mais aussi une source irrégulière comme le jeu :

Je fais un peu de jeux d’argent : du loto, du tiercé. J’ai gagné 20 000 fcs il y a 10 ans. (H-43 ans)

Les ressources des personnes rencontrées se distinguent donc les unes des autres en fonction de leur origine, de leur source officielle ou officieuse et de leur régularité ou de leur irrégularité.  Or nous verrons qu’il y a un lien important entre l’origine de l’argent et la façon de le dépenser.

2. Dépenses

a. Les dépenses ordinaires obligatoires

Une partie des dépenses ordinaires sont soit régulières, soit irrégulières.

Les principales dépenses régulières, même si la frontière entre régulière et irrégulière peut être souple, comme on peut le voir ci-dessous avec le loto ou l’argent de poche, sont :

les frais de logement : loyer ou remboursement de prêt

les impôts

le remboursement du ou des crédits, que ces crédits soient contractés auprès d’organismes publics ou privés ou de la famille

les dépenses courantes : alimentation, EDF, téléphone, journaux, plus celles qui sont liées à l’éducation des enfants : argent de poche, études.

Q. Quelles sont aujourd’hui vos principales dépenses ?

R. La nourriture, les factures comme l’EDF. Je suis RMIste, j’ai 3250 francs par mois pour vivre et j’ai deux enfants à charge, leur père donne 500 francs pour chacune par mois ça fait 1 000 francs par mois. (F-47 ans)

J’ai trois enfants, et pour l’argent de poche, la plus petite n’a que 2 ans, alors elle n’en a pas et pour les deux autres, c’est avec les bulletins et selon les occasions. (H-34 ans)

Les frais de logement et d’entretien courant peuvent prendre la forme d’une pension que la personne rencontrée verse à un membre de la famille qui l’héberge.

Q. Quelles sont vos principales dépenses ?
R. Le remboursement de mes crédits et la participation aux frais de la maison 2 200 f. par mois, mais là je dois 3 mois à ma mère ; les journaux, et quelques fois un loto. (H-43 ans)

D’autres dépenses sont accidentelles et déséquilibrent le budget familial

En cas de décès, par exemple, les dépenses du conjoint s’ajoutent aux dépenses ordinaires, de façon non prévue. Plusieurs entretiens font ainsi état de dettes qu’aurait contractées un conjoint avant sa mort. Le décès est alors une source de dépenses : il faut régler ses dettes et donc les ressources diminuent.

b. Les dépenses non obligatoires, prêt, don ou d’épargne

Certaines personnes rencontrées peuvent faire des dépenses de prêts ou de don d’argent.

Ce sont donc des dépenses qui sont d’un autre ordre. Elles sont volontaires à fonds perdu ou avec une attente de remboursement en fonction de la proximité ou de la distance sociale entre donneur et receveur, ou en fonction de la difficulté de la situation de l’autre :

Oui, une fois j’ai prêté de l’argent à quelqu’un que je ne connaissais pratiquement pas. J’ai cru que je ne les reverrai jamais. J’avais sympathisé au boulot avec une ou deux nanas, et une m’a demandée de lui prêter, je lui ai prêté 3000 balles, mais les récupérer la galère ! (F-54 ans)

J’ai un rapport particulier à l’argent. J’ai déjà prêté de l’argent, mais quand je prête je n’attends pas à ce qu’on me rende, surtout que je prête à des gens qui sont dans des situations difficiles. (H-34 ans)

Certaines personnes vont épargner

Certains possèdent des assurances vie, Codevi ou toutes autres formes d’épargne. Dans ce cas, la dépense est repoussée dans le temps.

J’ai un plan épargne action ça je ne comprends pas bien le système. J’économise depuis 4 mois (PEA), j’ai un Codevi depuis 22 ans. (F-26 ans)

Je travaille à la CPAM depuis 1969. Avant j’arrivais à mettre de côté, mais plus maintenant. Parce que j’ai ouvert des contrats d’Assurance vie pour la retraite. Les prélèvements c’est des petites sommes, mais régulièrement. (F-56 ans)

Les dépenses se distinguent les unes des autres selon leur régularité ou leur caractère accidentelle, suivant qu’elles sont obligatoires, et donc en fonction de leur caractère plus ou moins compressible, ou volontaires.

Leur poids respectif évolue aussi avec le temps et la situation familiale, tout au long du cycle de vie. Ainsi la mise en couple tend à réduire les frais de logement, qui augmenteront à nouveau avec l’arrivée des enfants ou en cas de divorce.

3. Un équilibre précaire entre les ressources et les dépenses

Les difficultés financières rencontrées sont quotidiennes ou liées à des dépenses imprévues. Dans l’esprit des personnes rencontrées, leurs difficultés financières tiennent à une position sociale qu’ils perçoivent comme défavorable (ex. jeunes, ouvriers), aux difficultés de la région, à une réduction de leurs ressources ou à des dépenses incontrôlables.

a. Des foyers structurellement en difficulté

Les personnes rencontrées attribuent leurs problèmes d’argent à des ressources insuffisantes par rapport aux dépenses à assumer, dont les dépenses scolaires universitaires et la maison :

Oui ! J’en ai tout le temps des problèmes d’argent ! On est dans une région avec beaucoup de problèmes d’argent, et étant ouvriers, et avec 4 enfants qui ont fait des études. Mes garçons ont fait des BTS, c’est pas comme à la fac, ils ne pouvaient pas travailler en même temps. Il y avait la maison à payer, c’est comme ça qu’on fait des bêtises avec des crédits à la consommation et on s’enfonce de plus en plus. Maintenant, on se débrouille avec ce qu’on a et on achète comptant ou le crédit court. (F-54 ans)

Leur situation financière ne leur permet alors pas de faire face aux dépenses imprévues comme les pannes d’électroménager :

Aujourd’hui, c’est au jour le jour, il y a les fêtes, et puis l’eau qui est arrivée avec un mois d’avance, et mon micro-ondes qui est en panne ! Si on a rien de côté, il y a toujours des imprévus ! On se dit qu’on va payer ça et Poum ! Il y a ça qui tombe ! (F-54 ans)

Dans les discours recueillis, la position sociale semble résumer à elle seule les problèmes d’argent rencontrés : être jeune, célibataire ou ouvrier est directement associé à un type de ressources et de dépenses.

Je n’ai pas de problèmes d’argent actuellement. Avant oui car j’habitais à Paris et j’étais célibataire, avec un salaire moins important et je sortais, j’allais au restaurant, je voulais voyager, acheter des livres et j’ai fait beaucoup de minitel et j’ai eu un copain qui en faisait chez moi sans me le dire, et il m’a laissé une note de 5 000 f.  avant de partir. (F-38 ans)

b. Des ressources plus limitées que prévues

La réduction des ressources est liée:

aux accidents de la vie : chômage, divorce, décès du conjoint ;

J’ai quitté mon mari fin 1986, les impôts me sont tombés dessus et m’ont réclamé 150 000 francs donc j’ai galéré pendant deux ans, et quand il est mort on était que séparé de corps mais pas de biens. Donc j’ai dû payer ses dettes (il buvait beaucoup), il avait des crédits qu’il avait jamais payés. On a l’impression de vivre que pour survivre, de travailler pour survivre.  (F-54 ans)

à des entrées prévues mais non reçues : la bourse d’étude du conjoint s’arrête, le conjoint ne retravaille pas, on lui doit de l’argent.

c. Des dépenses incontrôlables ou trop élevées

Enfin, pour certains, les dépenses ont un caractère incontrôlable.

C’est le cas lorsque :

le conjoint “ dépense sans compter ”

l’interlocuteur se dit dépensier, refuse de se priver

qu’il a subi des vols :

 Depuis ma femme travaille alors je peux pas lui dire de ne pas acheter, chacun y va de son côté, c’est pour ça qu’il n’y a pas de gestion véritable. Je sais où on en est mais même si ca va à la catastrophe je ne freinerai pas les dépenses de ma femme. En plus, on est en froid. Je ne lui parle pas des questions d’argent, j’ai le conflit muet. (H-34 ans)

J’ai peut-être des problèmes d’argent parce que je me prive pas… j’essaie de vivre correctement. (F-45 ans)

L’année dernière j’ai logé des gens, on m’a piqué mon chéquier, j’ouvre ma boite et je vois : 7000 francs de découvert. (H-24 ans)

L’absence de contrôle des dépenses tient aussi aux modes de paiement comme, par exemple, à l’usage de la carte bancaire :

Oui, mon mari avait une carte bleue, je m’en servais mais c’était pas à mon nom, j’ai tout eu à mon nom vraiment à partir de 1987 quand j’ai quitté mon mari. J’ai ouvert un compte, comme je gérais bien mon banquier m’a donné une carte bleue, il m’a filé la carte bleue, avant j’avais pas beaucoup de revenus, j’ai demandé le divorce et mon mari s’est suicidé et m’a laissé énormément de dettes. J’avais pas beaucoup d’argent pour vivre donc j’étais très rigoureuse dans mes dépenses. J’ai galéré pendant deux ans donc je dépensais pas beaucoup, j’avais un budget très serré, je le gérais bien j’avais jamais un sous de découvert. Donc le banquier m’a filé une carte bleue mais la carte bleue tu te rends pas compte de ce que tu dépenses, tu fais un achat t’as pas l’impression de dépenser de l’argent au début. Quand arrivait le relevé de carte bleue et ben j’avais bouffé mon mois et c’est là que j’ai commencé à prendre mes premiers crédits pour pouvoir couvrir mon découvert à la banque. (F-54 ans)

Mais j’ai moins de problèmes d’argent aujourd’hui. J’ai eu des gros soucis avec la carte bleue vers 20 ans, je me suis enflammée, ça a été la catastrophe pendant un an, je le gère maintenant très bien. (F-26 ans)

Dans les discours recueillis, le recours au crédit illustre les problèmes d’argent rencontrés :

Si j’ai des problèmes d’argent ? Oh oui ! je suis très dépensier ! A un moment, je prenais un crédit pour rembourser un crédit. Du coup j’ai fait un plan de surendettement en 1996. Il me reste jusqu’en 2006. J’ai démarré à 3 900 fcs par mois et je suis à 1 022 fcs. (H-43 ans)

III. Dépenses et types d’emprunt

Les emprunts contractés servent à financer à la fois :

des investissements (ex. immobilier)

des biens de consommation

de la trésorerie.

1 . Des emprunts pour financer quoi ?

Au moment de l’entretien, les personnes rencontrées disposaient d’un ou de plusieurs crédits servant au financement de l’achat d’un logement, d’une voiture, de meubles, de travaux de rénovation, électroménagers, études-formation, déménagement (ex. location de camion, caution), voyage, découverts bancaires, crédits (dont les crédits à consommation), vie courante… Parmi ces dépenses, certaines relèvent d’une démarche d’autonomie (ex. prêt étudiant, déménagement, installation). L’accès au crédit est alors un facteur d’émancipation qui explique le refus d’emprunter à la famille (cf. « A qui emprunter ? »).

l’achat d’un appartement

Puis, il y a eu le crédit immobilier, on est allé ensemble à la banque après c’était prélevé automatiquement. C’était une société de lotissements qui gérait le crédit. Nous, on a juste dû aller chercher le 1% patronal en mairie de Lens. Mais tout était compris dans le loyer, l’assurance, tout. Une fois que le loyer est payé tous les mois, la maison est à nous… au bout de 25 ans, c’est long. (F-54 ans)

Mon père m’avait donné ma part en 1970, et m’avait dit « si j’étais toi j’achèterais dans l’immobilier », c’est ce que j’ai fait et j’ai pris un crédit pour 15 ans qui c’est fini en 1986. (F-56 ans)

une voiture (symbole de liberté)

Le premier crédit, c’était Cétélem c’était pour acheter la voiture, les banques voulaient pas nous prêter, j’ai eu une pub dans la boite aux lettres et j’ai téléphoné. Le deuxième crédit, c’était Cofidis, c’était pour faire des travaux dans la maison, pour aménager les combles, j’ai vu la pub par les 3 Suisses. (F-47 ans)

un achat mobilier

J’ai acheté la salle à manger, le salon, la cuisine … le crédit je ne me souviens plus, c’était lié au magasin. C’est fini. (F-54 ans)

Le 1er prêt on l’a pris quand on s’est mariés, pour la chambre à coucher qu’on a payé en 3-4 fois. C’est le commerçant qui fait un prêt. On payait chez le commerçant en plusieurs fois, on était payé en liquide, dans une enveloppe, deux fois par mois on faisait la queue et on avait notre paie. Il n’y avait pas de carnets de chèques, ni de maisons de crédit. C’était au début des années 1960, on achetait plus au comptant, ou on s’arrangeait avec le commerçant. (F-54 ans)

des travaux de rénovation

J’ai des petits crédits :

1- Cofidis, libravou, carte 3 Suisse. J’achète des vêtements, je paie 250 f.  par mois j’ai 15 000 f.  de crédit ouvert ;

2- Sofinco depuis 3 ans, j’avais des problèmes d’argent, je ne peux pas mentir. Oh ! Tous les remboursements, c’est échelonné, c’est pas au même moment dans le mois. Le montant total c’est 20 000 f.  je ne me souviens plus pour le remboursement ;

3- Cofinoga : carte Monoprix avec laquelle j’ai acheté ma salle de bain. (F-56 ans)

de l’électroménager

Ben mon fils il s’est installé avec une copine alors je lui ai acheté une machine à laver, un tapis une table de salon, moi je me suis racheté une machine à laver, des conneries pas des choses inutiles. (F-54 ans)

des vêtements

En 1985, j’achetais des vêtements pour les enfants à la Blanche Porte. C’était prélevé sur mon compte. Si j’avais besoin d’argent on envoyait des bordereaux et après ça se faisait par minitel, on demandait des virements. (F-54 ans)

un voyage

 Je suis partie en vacances. Ben au lieu d’être un peu serrée de regarder ben, sachant que j’avais cette réserve d’argent, j’ai un peu plus dépensé, disons que les 25 000 fcs que j’avais en plus c’est parti comme neige au soleil. (F-54 ans)

des dépenses courantes

C’était une décision difficile à prendre parce que je n’aime pas les dettes, mais c’était la seule solution viable pour les enfants, pour qu’ils aient un mode d’existence moins pénible. (H-34 ans)

Le premier c’était pour ma salle à manger puis les autres comme j’avais des difficultés en fin de mois, en fin de compte c’est un cercle vicieux. (F-45 ans)

un crédit (dont un découvert bancaire)

Q. Avez-vous des crédits en cours ?
R. J’ai des crédits, quatre, des sociétés comme Cofidis, Cétélem.
Q. Pourquoi avoir pris ces crédits ?
R. Au départ, c’était pour acheter quelque chose de précis puis après c’était plus pour rembourser. Le premier, c’était pour acheter ma salle à manger. (F-45 ans)

des dettes du conjoint

Quand mon mari est mort, j’ai dû rembourser ses dettes pendant 5 ans je ne suis pas sortie, il avait laissé plusieurs millions (anciens) de dettes en 1983. Comme mes beaux-parents ne voulaient pas m’aider car ils disaient que c’était de ma faute si mon mari était mort, j’ai emprunté. Mon fils avait 12 ans, j’aurais pu sombrer dans l’alcool, la drogue… (F-56 ans)

des études, une formation

Le 1er crédit c’était un prêt étudiant au Crédit Lyonnais. A l’époque, j’avais arrêté mes études de philo, je faisais de la peinture. J’avais un enfant, et je devais travailler, alors j’ai repris mes études pour trouver du travail, et il me fallait un avoir suffisant. J’ai fini de rembourser il y a 3-4 ans. Ca a duré 6 ans, l’emprunt était de 20 000 fcs et je versais dans les 600-700 fcs par mois. (H-34 ans)

Enfin, des interlocuteurs ne se souviennent plus de l’usage qu’ils ont fait des sommes obtenues.

Q. Qu’avez vous acheté avec les crédits ?
R. Ben rien. Là il n’y a rien à montrer, j’ai rien acheté avec. (H-43 ans)

Emprunter n’est pas toujours lié à un projet précis. Une fois le premier crédit obtenu, certains semblent être “ grisés ” par cet “ argent facile ” et le train de vie qu’il permet d’avoir. 

La 1ère fois, j’ai vu la pub dans une revue. J’ai téléphoné et puis après je prenais Cofincarte, Cofinco, la Poste, CNE, Cofidis…. J’avais au moins une dizaine en route. Je me baladais, j’avais beaucoup de copains à l’époque, je payais la tournée. Je m’en sortais plus, je suis allé me renseigner au CCP et j’ai eu un plan de surendettement, mais c’est long. Là je m’en sortais mieux. (H-43 ans)

2. Trois principaux types d’emprunt se dégagent

l’emprunt-investissement (ex. achat d’un logement) ;

l’acquisition d’un bien (ex. électroménager, mobilier, vêtements) ou d’un service (ex. location d’un camion pour déménager, voyage) ;

et enfin, l’emprunt de trésorerie, qui permet à la fois de combler des découverts, de payer des crédits en cours et de faire face aux dépenses courantes.

Ces trois types d’emprunt n’ont pas les mêmes implications financières. L’investissement permet de s’enrichir, ce qui n’est pas le cas du financement de trésorerie[1].

J’ai arrêté le revolving il y a 4-5 ans. Je ne l’ai pas arrêté quand mon compagnon était au chômage, en me disant on ne sait jamais si on a besoin. J’ai arrêté surtout quand j’ai vu les frais de gestion ! (F-38 ans)

Certains ont recours à ces trois types d’emprunt, simultanément ou non ; tandis qu’un même crédit sert à financer plusieurs types d’achat.

3. Les modes de financement répertoriés sont :

les prêts logement (qui couvrent plusieurs types de financement, allant du 1% patronal aux droits au prêt ouverts par un PEL) ;

les facilités de paiement et crédits proposés par les magasins ;

les cartes de crédits à débits différés ;

les cartes de magasin et de VAD ;

les prêts à consommation (bancaires ou liés à un organisme de crédit) ;

les découverts bancaires.

Une partie des personnes rencontrées dispose de cartes de magasin ouvrant des droits au crédit, mais dont ils ne se servent pas : avoir la carte permet d’abord de bénéficier de divers avantages, notamment de promotions.

Dans la pratique, on distingue les crédits affectés de ceux laissant le libre usage des fonds. Ainsi, le choix peut se porter vers un emprunt onéreux, mais laissant la liberté au consommateur d’user comme il l’entend du crédit.

Dans certains cas, on observe le recours à différents crédits (ou ressources), chacun servant au financement d’une dépense particulière. Dans les faits, des prêts peuvent être détournés de leur usage initial. C’est ainsi le cas des prêts étudiants mentionnés plus haut.

De plus, un crédit pris pour effectuer une dépense particulière peut susciter une nouvelle envie de dépense, celle-ci imprévue. Deux cas de figure se présentent alors :

la somme disponible est supérieure aux besoins immédiats, la différence est dépensée, ce qui augmente la dette ;

Et mon premier crédit j’avais demandé de me prêter 10 ou 15 000 francs je sais plus. Ils te demandent tes déclarations d’impôts sans rien vérifier j’avais demandé 15 000 fcs ils m’ont filé 30 000 francs, alors quand tu te retrouves à la tête d’un capital de 30 000 et que t’as plein de trucs à acheter. C’était en 1989, 1990 je gagnais en 10 et 11 000 francs par mois avec la retraite de mon mari. Je voulais combler mon découvert parce que mon banquier il gueulait. J’ai trouvé cette publicité de Cofidis, j’ai appelé ils m’ont fait ça. J’ai signé, j’ai eu les sous rapidement. Seulement quand t’en demande 15 que t’en as 35 tu les dépenses. (F-54 ans)

une carte de magasin demandée pour un achat particulier est utilisée ultérieurement pour d’autres biens, sans que le consommateur n’ait à formuler une deuxième demande supplémentaire. 

C’est comme les cartes de magasin. J’ai eu que la carte CORA pour changer le frigo qui a claqué mais vous êtes tenté de payer les courses avec quand les fins de mois sont difficiles.  (F-54 ans)

IV. Le crédit

Signalons d’emblée le caractère relatif de ce qui, dans l’esprit des personnes rencontrées, relève du crédit. Certains distinguent ainsi les facilités de paiement du crédit, qui est alors associé à un coût financier et nerveux.

Q. Quand vous étiez mariée, vous n’aviez pas pris de crédit ?
R. Non, des paiements en trois fois mais j’appelle pas ça un crédit. (F-45 ans)

En plus je suis inscrit au Moving, c’est 200 f.  par mois, mais je ne le considère pas comme un crédit. C’est facile, ça se voit pas 200 f., et puis ils ne me harcèlent pas (H-24 ans)

Les différentes sources de crédit engagent des liens sociaux de nature marchande (ex. banque, société de crédit) ou non-marchande (ex. famille ou amis), ce qui intervient dans l’attitude face au remboursement.

1. À qui emprunter ? Acteurs et sources du crédit

Les différentes sources d’emprunt se répartissent entre :

la famille et les amis

les services sociaux

les commerces, l’employeur,

les banques,

les organismes de crédit,

En théorie, le type de dépenses à effectuer est lié au choix du mode de financement. Ainsi, les gros achats immobiliers, le financement d’une voiture ou de travaux de rénovation sont engagés avec des crédits destinés à tel ou tel achat. Toutefois tel ou tel crédit dédié peut servir à financer des projets pour lesquels ils ne sont pas initialement prévus.

Mais surtout, ces sources se distinguent les unes des autres par la nature marchande ou non marchande des relations qu’elles impliquent. Ce qui, dans les esprits, n’est pas sans conséquences sur les modalités de remboursement.

2. Crédits et liens sociaux : « la famille c’est une vraie dette ; un crédit bancaire ce n’est pas une dette d’honneur »

Dans un premier temps, on distingue les emprunts contractés auprès de proches de ceux consentis par les banques et par les organismes de crédits.

Les emprunts auprès de proches (famille, amis, employeur) renforcent un lien personnel déjà existant : c’est la nature de la relation et sa proximité affective qui justifie le prêt.

Les emprunts contractés auprès d’organismes bancaires ou de crédits reposent sur un lien plus ou moins impersonnel, basé sur un contrat commercial.

Ne pas demander à sa famille, c’est aussi refuser de parler de ses problèmes d’argent : pour ne pas causer de soucis à ses proches et pour ne pas avoir à se justifier puis à être redevable.

Q. Vous avez emprunté de l’argent à des amis, à la famille ?
R. Une fois à une amie sinon j’appelle maman au-secours, mon amie j’l’ai fais une fois j’trouve que c’est gênant, c’est vrai que c’est plus facile de demander à ma mère. (F-45 ans)

J’ai pas demandé à la famille parce que je voulais régler mes problèmes toute seule. J’ai pas voulu qu’ils me prêtent. Ma mère m’a proposé, mais j’ai pas voulu, ils sont à la retraite, je veux régler mes problèmes toute seule. Et puis elle est veuve avec la pension, alors je veux pas ajouter des problèmes. (F-56 ans)

La famille ils disent tout le temps “ tu avais besoin, on était là ”. Alors j’aurais pas aimé emprunter à la famille. Maintenant, la banque fait du crédit et les maisons de crédit des cartes, alors c’est pareil. (F-54 ans)

Un des interlocuteurs rencontrés résume ainsi ce qui distingue l’emprunt contracté auprès de la famille de l’emprunt bancaire ou pris dans un organisme de crédit :

Les dettes c’est une dépendance à l’égard des autres. Par fierté, je ne pouvais pas emprunter à la famille et aux amis. C’est plus facile d’avoir des problèmes avec quelqu’un qu’on ne connaît pas. Avec la famille, ça tourne toujours à l’aigre ;

– avec la famille, le rapport affectif est au premier plan. Vous devez plus que de l’argent, c’est une vraie dette ;

– une banque ou une société de crédit vous ne devez que de l’argent, c’est pas une dette d’honneur (H-34 ans)

Emprunter à la famille, c’est alors devoir “ rendre des comptes ” ; à l’inverse, ne pas la solliciter c’est affirmer son indépendance. Cette nature de la relation entre les partenaires intervient dans l’attitude face au remboursement.

3.    Remboursement et liens sociaux : « Plutôt payer des intérêts en plus que d’emprunter à des amis ou à la famille »

Q. Si vous avez le choix, vous préférez emprunter à qui ?
R. Oh ! aux organismes de crédit. Au moins, je suis obligé de rembourser, je suis sûr de rembourser parce qu’à un ami ou la famille on n’est jamais sûr de rembourser. (H-43 ans)

Je n’aime pas emprunter à mes amis (…), il faudra rembourser et je ne peux pas dire que je ne sais pas quand je vais rembourser. (H-24 ans)

La possibilité d’emprunt à un proche, parent ou ami, repose sur l’existence de relations antérieures au crédit que pourrait compromettre le non-remboursement de la dette ; à l’inverse dans la dette marchande, le lien entre les partenaires intervient dans un deuxième temps, pour servir la relation. Il est instrumental.

Par le passé, certains ont prêté de l’argent à des amis. Les difficultés qu’ils rencontrèrent alors pour recouvrer leur bien les confortent dans l’idée qu’argent et amitié ne font pas bon ménage.

Ce qui explique que certains préfèrent emprunter sur une base contractuelle commerciale. Les intérêts payés font alors la preuve du registre dans lequel se situe la relation :

Je préfère payer des intérêts en plus plutôt que d’emprunter à des amis ou à la famille. (F-47 ans)

Dans le cadre d’un lien marchand, le non-remboursement ne remet pas en question la relation, qui est alors commerciale :

Q. Vous préférez emprunter à des sociétés de crédit plutôt qu’à des personnes ?
R. Oui, ben c’est plus anonyme, mais mon patron c’était sans intérêts mais d’un autre coté t’es plus tenu de liquider : quand c’était plus mon patron j’ai fait des chèques anti-datés pour tout bien lui rendre. Quand j’étais encore marié on avait dû acheter des meubles et j’avais dit à mon patron que j’avais fait un crédit et il m’a dit : “ t’es bête je te les aurais prêtés sans intérêts ”. Donc l’autre fois que j’ai eu besoin j’ai fait appel à lui. En plus il se disait qu’il pourrait toujours prendre sur mon salaire, il risquait rien. (F-54 ans)

Ce refus de rendre des comptes intervient le choix d’emprunt :

Tous ces crédits sont pareils : le notaire à la succession de mon père a répété des choses qu’il n’aurait pas du. Alors j’ai confiance, mais ça pourrait être divulgué. Je ne demanderai jamais ni à ma famille, ni à mes amis. Parce que c’est des affaires personnelles, c’est mes problèmes. (F-56 ans)

Poser des questions, c’est déjà s’immiscer dans la vie des individus, c’est leur demander de « rendre des comptes ». En cela, les démarches à effectuer auprès des banques et des services sociaux se rejoignent et se distinguent de celles demandées par les organismes de crédit :

J’ai essayé de demander à la mairie, ils m’ont demandé si j’étais propriétaire de mon appartement ! C’est quoi ces questions ? Non seulement je perds quelqu’un et j’ai droit à rien. Alors je suis partie à Sofinco. Je me demandais comment j’allais faire. (F-56 ans)

Les organismes de crédits se différencient alors des banques par la nature des relations qu’ils instaurent : la relation est certes commerciale, mais tout dans les procédures (à distance, avec des inconnus, sans inquisition) “ met à l’aise ”. La relation, physiquement distante (demande par téléphone, par VAD), instaure une relation basée sur un « lien faible » qui minimise le sentiment de dépendance. Une partie de la demande de crédit à la consommation vise ainsi à combler un découvert, et donc à aplanir les relations conflictuelles avec le banquier.

Trois ans après j’ai pris un prêt Cofidis. J’avais un salaire et les indemnités de formation de mon épouse, mais qui se sont arrêtées 6 mois avant la fin de ses études. Donc c’était pas possible avec le loyer et les trois enfants. L’emprunt au Crédit agricole n’était pas soldé alors je pouvais pas leur redemander. Je l’ai fait pour avoir un peu de jeu au niveau du découvert. Tous les mois je devais négocier avec la banque, j’en avais marre. (H-34 ans)

Le choix d’un organisme auquel emprunter se fait en référence à ces liens : certains tentent d’éviter les banques, d’autres au contraire, apprécient d’être connus du banquier qui sera alors “ plus arrangeant ” en cas de problèmes :

Je préfère avec la banque parce qu’il y a une intimité. Il me connaît depuis 5 ans, et mes parents y sont. Même si c’est des voleurs, ils prendront toujours moins qu’une société de crédit. Avec la banque il est toujours possible de s’arranger. (H-24 ans)

4.    Diviser pour mieux emprunter : “trajectoire de crédit” et choix d’emprunt

Dans l’esprit des personnes rencontrées, un premier emprunt limite l’accès au crédit. Il faudra alors diversifier les sources de financement, et s’adresser à un organisme qui ignore l’existence du premier emprunt :

J’ai fait Cofidis parce que j’avais déjà un crédit à la poste, et il fallait que ce soit fini pour en avoir un autre là-bas. (H-43 ans)

Q. La banque vous a refusé des prêts ?
R. J’ai jamais voulu trop demander à ma banque, je sais pas si c’est bien ou pas. Quand on a un peu de découvert on n’ose pas, c’est peut être une fausse idée. (F-45 ans)

Ensuite, j’ai eu le prêt au Crédit Lyonnais pour déménager. Comme je remboursais l’autre, je ne voulais pas demander au Crédit Lyonnais un deuxième crédit, ça c’était pas très bien passé. À l’époque, je vivais dans un quartier difficile et ma femme voulait une maison dans un autre quartier. Alors il fallait louer la camionnette, donner une caution pour le logement… J’ai pris un prêt de 20 000 f., il est passé comme prêt étudiant pour mon épouse. Je ne pouvais pas emprunter à la fac parce que mon parcours universitaire était accidenté. Je l’ai pris au Crédit Agricole car j’étais dans un café en face. Je suis sorti du café, entré dans la banque et ai demandé. J’ai pas calculé combien cela allait me coûter, je voulais juste savoir si c’était possible. C’était possible alors je l’ai pris. (H-34 ans)

Une fois prise la décision d’emprunter, le choix d’un établissement de crédit reste souvent soumis au hasard. Les personnes rencontrées font peu de différence entre les établissements d’une même catégorie et les conditions qu’ils proposent.

V. Choix de la société de crédit et gestion du remboursement

Prendre un crédit c’est arbitrer entre les différentes solutions pour financer un besoin d’argent. Emprunter à Cofidis, c’est d’abord emprunter à une société de crédit, sans que le nom de la société en tant que telle n’intervienne dans ce choix. Les conditions proposées (durée du crédit, taux, mensualités) interviennent dans un deuxième temps, la priorité étant accordée à la possibilité de d’obtenir un crédit, sans avoir à remplir de formalités importantes.

1. Choisir Cofidis pour ne pas emprunter ailleurs

Le choix d’avoir recours à une société de crédit est autant un refus qu’une impossibilité d’emprunter ailleurs.

Pour certains, seules les sociétés de crédit acceptent de prêter aux ménages ayant de faibles ressources : les jeunes, les foyers en situation précaires, …. :

Oui , j’ai la carte 4 étoile depuis 1997 et j’ai un crédit Cétélem depuis 1998, ça c’était pour m’acheter une voiture. J’ai pris Cofidis en revenant de vacances, j’avais un découvert de 10 000 francs, c’était le prêt le plus facile à obtenir, j’avais vu la pub à la télé. (F- 26 ans)

La décision a été facile à prendre, j’ai passé un coup de téléphone et 4, 5 jours après j’ai reçu le chèque. Le deuxième crédit c’était pour acheter la voiture, c’était Cétélem, c’est les seuls qui ont accepté de me prêter avec les mensualités que je pouvais (700 francs par mois), j’avais 22 ans. Et j’ai une réserve de 5000 francs pour faire des travaux dans la maison.  (F- 26 ans)

Le recours aux sociétés de crédits tient aussi aux déficiences de l’État. En effet des personnes rencontrées se sont tournées vers Cofidis faute d’avoir obtenu de l’État une aide (liée à un décès par exemple) ou une subvention, notamment de formation, qui devait leur être attribuée.

Leur truc, le piège, c’est les lettres avec “ vous avez 15 000 f. dispo ! ”. Un jour j’ai eu un besoin et j’ai demandé 10 000f. Je voulais une formation de 4 600 f. et le reste je travaillais pas, je suis parti en vacances. Tu as plus de facilité à avoir un crédit qu’une aide, c’est un truc de ouf [fou] ! (H-23 ans)

De plus, les démarches pour obtenir un crédit sont simples, rapides et s’effectuent à distance, par téléphone. Elles évitent le face à face ce qui est un avantage pour certains :

Pour la banque, il faut que j’ai un rendez-vous. Je préfère par téléphone. Comme j’achetais avec la carte Cofinoga, ils m’ont dit que j’avais droit à un prêt. (F-56 ans)

A partir de ces constats, c’est bien souvent par hasard que le choix se porte sur une société de crédit plutôt que sur une autre :

Q. Pourquoi avoir choisi Cofidis ?
R. Cette société car j’ai trouvé une pub dans le journal TV. J’ai renvoyé le coupon et quelques jours après j’avais le crédit de 20 000 f., avec un remboursement de 600f. par mois. (H-34 ans)

Q. Comment avez vous connu Cofidis ?
R. Par une programme télé, une pub. (H-41 ans)

Q. Pourquoi avoir choisi Cofidis ?
R. Le choix c’est par facilité. J’étais fonctionnaire et célibataire, alors j’avais tout pour avoir un crédit. Oh ! je l’avais vite ! (H-43 ans)

Dans l’esprit des personnes rencontrées, toutes les sociétés de crédit proposent les mêmes services, aux mêmes conditions.

2. Prise de décision et concertation avec le conjoint

La décision de prendre un crédit se fait à deux, au sein du couple, ou revient à celui qui gère les comptes, sans qu’il y ait de concertation. Pour une partie des personnes rencontrées, prendre un crédit relève des « fonctions » de celui qui, dans le couple, assure la gestion du budget (ce qui inclus les femmes n’occupant pas d’emploi rémunéré) ou les ressources du ménages (ce qui concerne en particulier les hommes qui, dans un système conjugal relativement traditionnel, pourvoient aux besoins du ménage[2]).

Mon mari n’était pas au courant. Il aurait été d’accord mais c’était moi qui faisais les comptes. (F-54 ans)

J’ai pris la décision tout seul, elle veut pas s’en occuper. (H-34 ans)

Q. Vous avez demandé conseil à quelqu’un ?
R. J’ai pas demandé conseil, pour le crédit revolving, je ne savais pas le principe, si tu ne paies pas ça devient plus cher, je pensais qu’on pouvait payer plus tard, alors oui je suis frustré. La pub, je la voyais souvent, Cofidis faisait des montants intéressants, des montants élevés. J’ai hésité, mais pas très longtemps. (H-41 ans)

3. La durée du remboursement

Tous ne connaissent pas la durée de remboursement de leur crédit. Ceux qui la connaissent font le lien entre cette durée et le montant des mensualités :

Q. Vous préférez prendre des crédits à long terme ou à court terme ?
R. En général à long terme, ça me coûte moins par mois mais ça dure plus longtemps à rembourser. (F-45 ans)

Ces crédits ça facilite la vie, mais les taux sont exorbitants, ça arrange quand y’a un trou. Cofidis, j’aime pas parce que c’est des petites mensualités donc c’est trop long à rembourser, je préfère payer des grandes mensualités pour m’en débarrasser le plus vite. (F- 26 ans )

La difficulté à estimer la durée de remboursement tient au fonctionnement même du crédit revolving :

Ils disent combien ça va coûter, mais on est tenté, et puis c’est comme une cagnotte qu’on tape dedans et ça prolonge, ça prolonge et puis ils augmentent la somme et on est content, on s’achète des petits trucs. (F-54 ans)

Il n’y a pas de durée. L’an dernier j’avais presque fini de rembourser, cela faisait deux ans, mais mon épouse avait besoin d’une voiture, on a repris sur la réserve. (H-34 ans)

C’est une histoire sans fin, que vous avez remboursé 2 000 f. et ils vous renvoient 2 000 f.  si vous voulez. (H-43 ans)

Q. Vous remboursiez tous les mois.
R. Oui 1300 ou 1400 balles tous les mois puis un jour j’en ai eu marre parce que j’avais La Redoute, j’avais les Trois Suisses, donc quand j’ai pu j’ai fait un prêt, j’ai remboursé tout parce que le problème de ces trucs là c’est des crédits sans fin. C’est des cartes revolving, c’est-à-dire que tu rembourses et t’as toujours de l’argent disponible, alors tu re-pioches dedans, c’est quand même du 15 % d’intérêt c’est cher. (F-54 ans)

4. Coût du crédit

Ignorer la durée totale du crédit limite fortement la connaissance de son coût global :

Q. Combien le crédit vous a coûté ?
R. Plus que sans, c’est sûr ! mais je peux pas dire combien. Là je termine et après on verra. (F-56 ans)

J’avais calculé le coût de Cofidis. Je comptais que ma femme retrouve du travail vite, je connaissais le coût global mais je n’avais pas le choix. (H-34 ans)

Je n’avais pas calculé combien ça me ferait. (H-43 ans)

J’ai pas fait de calcul global parce que c’est la facilité. (F-54 ans)

Le coût du crédit intervient lorsqu’il est question du paiement des intérêts :

Oui, y’a un moment j’avais Sofinco, j’avais Cofidis, La Redoute, les Trois Suisses. Je sais plus. Je me suis retrouvée avec quatre crédits j’avais 4 000 balles par mois de crédit et quand tu fais le compte sur les 40 000 tu rembourses réellement 2 000 et 2 000 f. d’intérêt. (F-54 ans)

Pour les taux j’étais au courant, mais tu ne te rends pas bien compte. Je ne sais pas sur combien  de temps je rembourse. Sur 650 f., tu rembourses 400 f., donc ils te prennent dans les 200  f. (H-23 ans)

5. Remboursement

a. Anticipation : gestion des ressources et des dépenses

Tous n’anticipent pas le remboursement. Dans les discours recueillis, c’est la “ facilité ” à obtenir les crédits qui prime :

Je me suis dis, je peux, je vais essayer. D’un côté c’est une décision difficile à prendre parce que j’avais déjà un petit peu des difficultés, mais c’est une décision facile parce que c’est un coup de fil. C’est pas compliqué, c’est un crédit facile. Je me suis dit, si ma femme travaille et si moi je travaille bien, je peux avoir une augmentation et faire des heures sup et je pourrai rembourser. (H-41 ans)

Ceux qui l’anticipent l’envisagent en fonction de ressources à venir. Ce qui n’exclu pas les problèmes de remboursement.

b. Problèmes de remboursement : « les crédits c’est comme des factures régulières »

Les problèmes de remboursement ne concernent pas toutes les personnes rencontrées :

Non, je n’ai pas de problèmes de remboursement. Je n’ai pas de regrets, c’était la seule possibilité. (H-34 ans)

Q. Est-ce que vous dites facilement que vous avez des crédits.
R. Non, je ne parle pas des crédits. Le crédit c’est normal, c’est une chance quand on n’a pas d’argent d’avance et si tu gères bien t’as pas de problème. Moi je remboursais 500 francs par mois, j’ai toujours payé. Je préfère payer tous les mois, je considère ça comme une facture, quand je fais mes comptes les crédits c’est comme les factures. (F-47 ans)

Une partie des problèmes de remboursement rencontrés tient à la faible marge de trésorerie dont disposent les ménages – et qui, dans certains cas, explique le recours au crédit. A cela s’ajoutent les accidents de la vie qui limitent les ressources :

Quand on compte à la va-vite, on s’en sort tout le temps. On devait avoir 9 100 f. : 1 500 f. de mon club de sport, 5 600 f. de mon emploi jeune et 2 000 f. de la bourse de ma copine. Il faut enlever les 1 500 f. que j’ai pas touché [….] Après la fac lui a coupé sa bourse, et le mec a qui on a sous-loué son appartement il arrivait pas à payer. (H-24 ans)

La tentation, les enfants grandissant, la facilité de paiement, pouvoir faire ça seule sans en parler au mari. Tant que les remboursements se suivaient, ça allait. Mais avec le chômage de mon mari, les prélèvements à dates fixes, la banque qui refuse…. Ils ont étalé le paiement, mais ça n’allait quand même pas. En plus, la banque était stricte et rejetait s’il n’y avait pas d’argent, alors les intérêts d’un côté, de l’autre. (F-54 ans)

c. En cas de problèmes pour rembourser, le crédit passe d’instrument d’autonomie à lien de dépendance : « de la jeune femme gentille au monsieur pas commode du contentieux »

Le changement d’interlocuteur – du commercial au chargé de recouvrement – illustre cette transformation de la relation à l’organisme de crédit :

Mais M. X au contentieux il n’est pas commode, alors que quand j’ai demandé de l’argent, je suis tombé sur une jeune femme gentille qui demande “ vous voulez combien ” ? Ils ne sont pas très conciliant, j’ai payé régulièrement et là j’ai un accident, j’avais promis 300 Euros le 1er janvier et puis je suis pas sérieux, je l’ai pas fait… alors là j’ai promis pour le 01-02. J’ai eu des frais pour les fêtes de fin d’année c’est pour ça que j’ai pas payé.  Après, il m’a dit que si je rembourse pas le plan est cassé, je dois tout rembourser d’un seul coup. Ils l’ont dit. (H-43 ans)

Maintenant, c’est fini, je veux dormir la nuit. Et certains pour les relances de remboursement, ils sont désagréables ! Aïh ! Aïh ! Aïh  ! Enfin, on est dans le tort…(F-54 ans)

Ce qui me fait marrer, c’est que dernièrement, une dame m’a appelé pour me mettre la pression. Je lui ai dit : “ vous savez comment je suis physiquement ? Si vous changé pas de ton, je débarque ”. Vu la somme qui reste à rembourser (4 000 f.), ils vont pas venir chez moi. Je reprendrai plus : si j’étais pas solide, je braquerais. (H-24 ans)

d. Financer le remboursement

Plusieurs solutions se présentent pour faire face au remboursement : augmenter ses ressources, diminuer les dépenses, ou encore échelonner le remboursement, voire ne pas rembourser.

Augmenter les ressources : en contractant un nouvel emprunt, par le jeu, le travail (déclaré ou non), ou encore le vol :

J’ai emprunté à mon père pour avoir un peu d’argent devant moi parce que mon compte était bloqué. J’ai pas remboursé mais c’était pas un don. J’ai piqué des chèques à ma mère…  (H-43 ans)

Dans les banques tu n’as pas de crédits à consommation. Pour les autres organismes, c’est les mêmes taux. Le truc bien c’est Carrefour à 6%. J’ai pensé prendre ça pour rembourser celui à 18%. Mais je sais que je ne l’aurai pas. (H-23 ans)

Ne pas rembourser paraît être la plus honnête des solutions si cela permet d’exclure les pratiques illégales ou moralement condamnées :

Ils t’expliquent au début sur l’échelonnement, c’est par rapport à ce que tu prends, ils te rassurent en disant que tu peux rembourser la totalité. Mais je ne vais pas me prostituer pour rembourser la totalité ! (H-23 ans)

Quand j’aurais de l’argent je rembourserai, mais je vais pas aller braquer pour eux. (H-24 ans)

Q. Est-ce que vous faites ou feriez des trafics pour gagner de l’argent ?
R. Je préfère travailler en plus mais jamais faire de revente de drogue. Mon employeur veut mettre des intérêts sur les acomptes, j’ai pas le choix. (H-41 ans)

Diminuer les dépenses : et pour cela, les personnes rencontrées envisagent de se priver, de quitter leur appartement et vivre en famille, de ne pas respecter l’échéancier du remboursement (plutôt que de voler, se prostituer…), de faire racheter ses dettes par la banque, ou d’avoir recours aux associations caritatives :

Q. De quoi devez-vous vous priver ?
R. Des loisirs, avant je pouvais emmener de temps en temps mes filles à Flunch maintenant je peux plus et la petite réclame. (F-47 ans)

Pour la bouffe, je fais des économies en hiver en allant aux restos du cœur, ils me donnent des boites, des pâtes, ça permet de faire des économies sur le budget bouffe pendant les mois d’hiver. (F- 26 ans)

Diminuer ses dépenses revient parfois à renoncer à son autonomie, ce que tous ne sont pas prêts à faire. Ainsi, l’une des solutions envisagées est de quitter son logement et de se faire héberger par la famille.

 

VI. Régularité, espaces et objets des comptes

1. Régularité et rythme des comptes : apprendre à jongler

La périodicité des comptes est très variable : du rythme journalier (en fin de semaine) ou dicté par la fréquence des relevés bancaires, à une absence totale de règles en la matière. Ce sont les hommes ou les femmes qui s’occupent des comptes. Ils ont un compte commun ou plusieurs comptes. Ceux qui stockent les papiers des comptes les trient à intervalles réguliers, notamment en début d’année civile. Les personnes rencontrées font leurs comptes sur les relevés ou à l’aide d’un carnet, voire d’un ordinateur. Certains font leurs comptes le week-end :

Q. Vous faites vos comptes régulièrement ?
R. Oui, tous les 15 jours quand je reçois mon relevé, je vérifie, j’ai un petit calepin où je note tout.

Q. A quel endroit faites vous vos comptes ?
R. Sur la table de la salle à manger. Et tous les mois quand je reçois mon relevé je fais mon solde.  (F-54 ans)

Q. Quand vous étiez mariée, qui faisait les comptes et qui payait les factures ?
R. C’était moi, on avait un compte commun mais il voulait pas s’enquiquiner avec ça. (F-45 ans)

Je joue avec mes deux comptes, un pour mon salaire, l’autre est un compte joint. J’ai ouvert un deuxième compte car j’ai eu un prêt pour déménager. J’ai jonglé beaucoup quand il n’y avait qu’un seul revenu et le prêt Cofidis. J’étais chargé de jongler avec le découvert. (H-34 ans)

Mon mari n’a jamais voulu s’occuper de tout ça, c’est pour ça aussi qu’il y a eu des problèmes parce que la vie est chère et il ne se rendait pas compte. Il voulait le mieux pour les enfants en disant qu’il travaillait et donc qu’il pouvait dépenser. Je suis d’une génération où les hommes ne faisaient pas tout ça. Maintenant, les deux travaillent, ils se donnent un coup de main. (F-54 ans)

Je fais mes comptes très régulièrement. J’ai un cahier débits-crédits, je fais chaque fois que j’ai un relevé, c’est-à-dire tous les 10 jours. Je garde tous les papiers, tout est classé par année. (H-43 ans)

Les relevés, c’est deux fois par mois, alors je fais mes comptes régulièrement, deux à trois fois par mois. (F-56 ans)

Je fais mes comptes sur ordinateur quand j’ai le temps, toutes les semaines, sinon tous les 15 jours. Je ne les faisais pas avant et puis j’ai eu mes problèmes et je me suis interrogée, et puis on s’est équipé. Mon ami a mis au point un tableau de compte sur Excel que je remplis, mais on a deux comptes séparés, il ne regarde pas les miens. C’est pas que c’est difficile ou non c’est que ça m’emmerde et que ça prend du temps le week end. Mais je le fais pour m’y retrouver par rapport à la banque : j’utilise la carte bleue avec débits différés alors c’est difficile à gérer. C’est une facilité de caisse mais ça plus les chèques que les gens déposent plus tard, quand je regarde mes relevés, on dirait que j’ai plein d’argent ! Moi je raisonne avec l’argent que j’ai, du coup, j’ai un décalage avec la banque, mais cela permet d’anticiper. (F-38 ans)

Certains font ainsi leurs comptes régulièrement, ce qui revient à gérer la pénurie et ne résout pas leurs problèmes d’argent.

Tous les matins pendant que mon café passe je note ce que j’ai dépensé la veille. Ca fait 15 ans que ça dur mais c’est pas pour ça que ça va mieux ! Ni que mes filles elles le font ! Ah ! Elles le connaissent le petit carnet noir ! Elles m’ont toujours vu avec. (F-54 ans)

2. L’espace des comptes courants et celui des archives : de la cuisine, du salon, de la chambre à la cave ou au grenier

On peut parler d’un “ cycle de vie ” des objets des comptes, chaque étape correspondant à un espace particulier : les comptes en cours sont effectués sur la table de la cuisine, dans le salon avec le canapé et la table basse, dans la salle à manger, dans la chambre sur le lit ou le bureau ; puis les relevés sont stockés à portée de main dans un carton ou un classeur, pour être ensuite rangés dans des espaces plus éloignés (ex. couloir, cave, grenier), voire dans un autre logement (ex. logement des parents). Ainsi, plus les comptes sont anciens, plus on les éloigne dans l’espace.

Enfin, pour une partie des personnes rencontrées, les comptes ne s’effectuent pas dans un espace en particulier. Certains demandent ainsi des relevés de situation au guichet automatique de leur banque, qu’ils consultent dans la rue, debout, et à partir desquels ils anticipent sur leurs dépenses à venir :

Dans des chemises en couleur, dans un carton qui est à côté du canapé et après j’archive dans un carton qui est dans le couloir. Je garde tout, les archives c’est dans le placard au dessus dans le couloir, c’est fait pour ça et ça finira dans la cave de ma mère. Les papiers qui sont au courant de l’année, c’est dans la boite à chaussures à côté du canapé. (F-26 ans).

Q. Où stockez-vous vos papiers ?
R. Dans le bureau qui est dans la chambre du fond, c’est dans des classeurs, tout le monde peut y avoir accès, de toutes façons, c’est quand on est riche qu’on a des choses à cacher. Je garde tout, c’est archivé dans le grenier. Et ce qui est en cours, c’est dans la chambre du fond. (F-47 ans)

Dire que je les fais tous les jours, non, c’est plutôt quand j’ai le relevé. Donc deux fois par mois, souvent dans ma chambre, sur le lit, j’étale tout. (F-45 ans)

Je me mets sur le canapé, j’étale tout sur la table basse. (F-26 ans)

3. Les objets des comptes : du classement systématique au rangement en vrac

S’agissant du stockage des papiers ayant trait aux comptes, on observe deux attitudes opposées : ceux qui jettent les relevés au fur et à mesure, et ceux qui rangent les papiers toujours au même endroit. Cette dernière situation recouvre des attitudes contrastées qui vont du classement systématique et régulier au stockage en vrac. Les relevés sont ainsi stockés dans des classeurs, dans des chemises en carton, dans des boites… :

Je garde tout dans une boite, en vrac, si j’ai besoin, mais c’est pas classé. (H-34 ans)

J’ai gardé une partie des relevés dans une boite, de temps en temps je fais un tri. (F-54 ans)

Q. Les factures, papiers concernant les prêts, vous les gardez ?
R. Oui, c’est classé en général par années ou dans une boite. J’ai des cartons, j’ai toujours tout gardé. La seule chose que je jette, c’est les tickets Leclerc et tout ça. J’en ai des cartons depuis le déménagement, dans le couloir. Mais ça prend de la place quand même de tout garder. (F-45 ans)

Je les garde pas des années comme ils disent. Les relevés, je les garde un an et demi. Je me dis que dans les banques ils les ont. Mais les dossiers de crédits, je garde un moment, tous les ans au mois de décembre, janvier, comme y’a plus de place dans les classeurs, quand le meuble il peut plus fermer, je m’installe un dimanche après-midi, j’ai une chemise pour l’eau, une pour EDF, une pour la banque et je classe et quand il y en a de trop vieux je jette. La seule chose que je jette pas c’est les impôts, c’est tout. J’ai tellement eu de galères financières que maintenant je suis très rigoureuse dans mes comptes. (F-54 ans)

Une fois payé je garde les relevés du prêt pendant 2-3 ans. (F-56 ans)

 

VII.représentations

1. « Ils ne peuvent pas grand chose »

a. La peur et le non-remboursement

Plusieurs sentiments peuvent motiver le remboursement du crédit. La peur en est un, qui est en fait une sorte « d’instinct de survie ». Tant que les personnes ont un travail, et d’autant plus si elles ont un CDI, elles ne paraissent pas avoir peur.

« -ça vous fait peur ?
-tant qu’on a un travail, j’ai 26 ans de maison si on me met à la porte ça pourrait arriver mais bon »
( F, 45 ans)

Les personnes rencontrées éprouvent un sentiment de peur lorsqu’elles ont l’impression de devoir « survivre », quand les problèmes d’argent empoisonnent le quotidien, et donc quand se nourrir devient problématique. C’est là que les angoisses vont apparaître, qu’ils ne vont plus trouver le sommeil.

« Ah oui tu dors pas la nuit, quand les impôts m’ont réclamé 150 mille francs j’ai fait des cauchemars, j’ai passé mes nuits à additionner des chiffres et à mettre des queues aux zéros, oui y’a eu des angoisses, les soucis d’argent ça empêche de dormir » (F, 54 ans)

« Maintenant, c’est fini, je veux dormir la nuit » (F-54 ans) 

Si certaines personnes nous expliquent que le non-remboursement des crédits les empêche de dormir la nuit, aucune ne semblent craindre les huissiers. Les personnes rencontrées se sentent assez bien « protégées » par les services sociaux et semblent bien connaître leurs droits. Elles perçoivent davantage l’« Etat » français comme un « Etat protecteur » que comme un « Etat persécuteur ». Les « hommes en noir », les huissiers n’effraient plus. Nous pensons alors que ce n’est pas la peur qui peut motiver les personnes à honorer leurs crédits mais plutôt un sentiment de honte, d’amoralité ou d’échec personnel.

b. citoyens de « droits »

Une partie des personnes interrogées connaissent bien leurs droits. Nous sommes en effet dans une « société de droit » qui protège dans une certaine mesure les individus, ces personnes ont appris à gérer des droits.

« moi j’ai encore plusieurs cartes dont je me sert mais ils ne peuvent pas toucher à mon RMI. Un RMIste n’est pas solvable, ils ne peuvent pas grand chose. A l’époque ils nous ont prêté facilement parce que mon ex-mari travaillait, mais aujourd’hui on est divorcés et je suis au RMI et ils ne le savent pas »(F, 47 ans)

Certains n’éprouvent aucune gêne, aucune honte à utiliser ces services et perçoivent leur situation comme temporaire. Ils profitent alors de tous les avantages de ces services afin de s’en sortir au plus vite, ce qui ne représente pas pour eux un signe de déchéance.

Leur attitude correspond en fait à une « stratégie de consommation » des services sociaux.

¨      Adulte et déclassement social

Une partie des personnes rencontrées a plus de 30 ans et a vécu une rupture du cycle de vie (chômage, divorce, décès du conjoint..). Dans ce cas, cette rupture est bien souvent vécue comme un déclassement social.

« J’ai essayé de demander à la mairie, ils m’ont demandé si j’étais propriétaire de mon appartement ! c’est quoi ces questions ? non seulement je perds quelqu’un et j’ai droit à rien. » (F,56 ans)

¨      Les jeunes et la « consommation » des services d’action sociale

L’autre expérience, elle, concerne des jeunes qui n’ont pas encore trouvé d’emploi définitif. Ils veulent donc combattre l’échec et l’infériorité sociale, ils veulent « s’en sortir ». Ils restent optimistes et multiplient les démarches, et adoptent vis-à-vis des services d’action sociale une attitude de consommateurs.

« Oui, cofidis je regrette à mort, je rembourse 200 francs par moi et y’a 125 francs c’est les intérêts, c’est des intérêts aberrants.. En fait je m’en veux à moi d’avoir été conne » (F, 26 ans)

Ils connaissent bien les ficelles et leurs droits vis à vis des aides financières et n’éprouvent aucune gêne à les demander. Cette attitude tend à les libérer du poids de l’infériorité sociale. Ils restent toutefois conscients de la fragilité de leur situation et vont alors utiliser les services d’action sociale de façon pragmatique.

2. « Quelque part oui c’est une arnaque et quelque part non parce ça rend bien service aux gens sur le moment »

a. le crédit comme une chance

Les personnes rencontrées considèrent le crédit comme une chance, leur seule chance de posséder des biens. En effet, ces personnes contractent des crédits parce que les banques refusent de leur prêter de l’argent.

 « A l’heure actuelle on ne peut pas vivre sans crédit, ça fait l’occasion de dire qu’avec ça on va pouvoir acheter ce qui nous plait »( F, 56 ans) 

Ces personnes n’attribuent pas à la société de crédit la situation financière délicate dans laquelle elles se trouvent éventuellement. Elles s’en veulent à elles-mêmes de ne pas avoir su mesurer le « danger », de ne pas avoir mesurer les risques encourus à prendre un crédit.

Elles en veulent aussi à la société globale, elles se rendent compte que « quand on est pauvre, on est pauvre ».(H, 47 ans)

« J’en veux pas à quelqu’un , j’en veux à la société, à l’Etat. Ils devraient tenir compte des besoins des gens. J’en veux aux politiques, je veux pas voter. Y’a un problème peut-être parce qu’y trop de monde dans la société »(H, 41 ans)

b. le crédit comme une arnaque

Elles reprochent toutefois à la société de crédit de leur avoir prêté trop facilement, de ne pas les avoir mis en garde.

« C’est un danger à notre époque c’est un danger , ces crédits à la consommations c’est cher au niveau intérêt, et on demande aux gens de signer des papiers sur l’honneur, y’a plus d’enquête comme dans le temps au niveau de la banque de France, donc les gens ils en accumulent plus d’un et c’est comme ça que les gens ils ont des problèmes de surendettement, par ce que les organismes qui prêtent cet argent ils sont pas assez vigilants, eux ils s’en foutent si les gens ils disent non j’ai pas d’autres crédits en cours ils s’en foutent ils prêtent quand-même c’est ça qu’est dangereux ils accordent trop facilement des crédits sans vérifier les revenus exacts des gens. »( F, 54 ans)

«  Ces crédits faciles, c’est une chance mais ils devraient demander des garanties, ils devraient contrôler. Cofidis n’aurait pas du accepté de me prêter de l’argent. C’est une arnaque, c’est malhonnête parce qu’ils parlent pas de l’augmentation des intérêts. »( H, 41 ans)

¨      ambivalence des sentiments liés au crédit

Les personnes interrogées n’ont pas une opinion tranchée quant au crédit à la consommation ; leur arguments sont positifs et négatifs. Certains s’en veulent à eux-mêmes de s’être faits « piéger», de n’avoir pas été « adultes », responsables. D’autres parlent d’inégalité sociale produite par la « Société », et auxquelles participent que les crédits : les pauvres sont destinés à rester pauvres.

 « Quelque part oui c’est une arnaque et quelque part non parce ça rend bien service aux gens sur le moment, parce qu’y des gens qui pourraient obtenir des crédits par une banque officielle, et ce genre d’organisme sont un peu moins regardant, et c’est une arnaque parce que les gens dépensent facilement puis bon c’est pas un taux usurier mais pas loin 16% c’est beaucoup… y’en que j’ai remboursé et je leur ai demandé de fermer mes comptes et régulièrement je reçois un relevé que j’ai tant de disponible ils essaient de t’appâter, sur un coup de fil vous avez 30 mille francs de disponible » (F, 54 ans)

« C’est une chance quand on n’a pas d’argent et que les banques ne veulent pas nous prêter, mais ils ne vérifient rien , moi ils continuent à me prêter alors que je suis RMIste » (F, 47 ans).

Quelques personnes accusent la société de crédit qui leur a prêté de l’argent de ne pas avoir vérifié leur solvabilité. En revanche, aucune personne n’attribue sa situation à la seule société de crédits. Pour certains, celle-ci a certes une responsabilité, mais elle est couplée avec la responsabilité personnelle de chaque individu, et garantie ainsi le libre choix et la possibilité de décider seul de ce qui est bien ou mauvais pour soi.

3. « Pour du mobilier, la maison, la voiture, des choses qui ont une durée de vie longue »

a. Le crédit permet de transformer l’argent court en argent long

Pour certains, le crédit est un investissement  : on l’utilise alors pour acheter quelque chose d’ « important », comme du mobilier, une voiture… Des biens qui permettent de paraître moins pauvre. Le crédit permet de posséder des biens, de transformer le revenu en capital.

« -Quelles sont les choses qu’on peut acheter par crédits ?
-Pas la nourriture ou les ustensiles. Pour du mobilier, la maison, la voiture, des choses qui ont une durée de vie longue.
-Bijoux, cadeaux ?
-Pas un bijou, c’est pas ma culture ni pour des cadeaux. »
(H, 41 ans)

 « -Est-ce qu’on peut avoir recours au crédit pour tout (bijou, cadeau) ?
-Non, le crédit, c’est pour quelque chose d’important. »
(F, 47 ans)

 « Je n’achèterai pas de bijoux à crédit, c’est plus pour acheter des gros trucs. » (F, 56 ans)

Cela peut expliquer que les personnes n’utiliseraient pas le crédit pour acheter un bijou ou pour offrir un cadeau. En effet, offrir un cadeau n’augmente pas le capital. En cela, le bijou ne constitue pas pour cette population un capital ; il est plus important d’avoir une belle voiture qu’un beau bijou.

Toutefois, une femme affirme que peut-être elle aurait pu acheter un bijou avec un crédit, peut-être pour elle un bijou constitue un capital symbolique au même titre qu’une voiture ou qu’un salon.

« – Vous utiliseriez le crédit pour faire un cadeau ?
-Non
-Et pour acheter un bijou ?
-Peut-être oui parce que je suis mère bijou et si y’a vraiment un bijou qui me plait mais je sais pas parce que je reste raisonnable dans les prix mais il était une époque où j’aurais été capable de faire un crédit pour m’acheter un bijou…mais maintenant je m’arrange je mets tous les mois de l’argent de coté si j’ai envie ou besoin de m’acheter un truc bon sauf pour les grosses sommes ou je suis obligée de reprendre un crédit, là par exemple je veux mettre des doubles vitrages pour 50 000 francs je suis obligé de reprendre un crédit. »
(F, 54 ans)

Lorsque le crédit a une valeur d’investissement, il est considéré comme de l’argent long, qui ne va donc pas être utilisé comme le revenu (argent court), pour les besoins quotidiens. Le crédit permet ici de transformer l’argent court en argent long.

Quand le crédit est utilisé pour acheter des biens « consumatoires » comme la nourriture (avec une carte magasin par exemple), on peut penser que c’est une partie de l’argent du revenu qui pourra être épargnée et être ainsi transformée en argent long.

« Je suis ce que je possède ». Le crédit permet aux individus de posséder des biens et ainsi de se valoriser, d’augmenter leur dignité sociale. Le crédit est le seul moyen pour ces personnes d’acquérir certains biens. Ce qui suppose que, même si les taux d’intérêts sont élevés, l’argent du crédit subit une plus-value, comme l’explique Bourdieu, en transformant un capital économique en un capital symbolique.(voir partie 5.2).

b.« Je préfère payer des intérêts en plus plutôt que d’emprunter à des amis ou à la famille. »

 L’argent du salaire permet  par le crédit d’acquérir un bien matériel, le fait d’avoir utilisé le crédit pour acquérir ce bien n’est quant à lui pas visible (c’est ainsi qu’il y a création d’une plus-value symbolique). Cela explique aussi que les personnes qui utilisent le crédit à la consommation ne s’en « ventent » pas, n’en parlent pas autour d’eux et nous en ont parlé avec difficulté et réticences (à mots couverts).

« J’en parlais à personne quand je prenais les crédits, je suis secret, ben non alors ! »  (H-43 ans) 

 « Je parle pas de tout ça autour de moi, chacun fait ce qu’il veut. Je suis pas le genre de femme à parler de ses problèmes d’argent. C’est ceux qui se plaignent le plus qui ont le plus. Par derrière ça rentre. Je ne sais pas me plaindre. » (F-54 ans)

« Je ne demanderais jamais ni à ma famille, ni à mes amis. Parce que c’est des affaires personnelles, c’est mes problèmes. »

 « Non, je ne parle pas des crédits. Le crédit c’est normal, c’est une chance quand on n’a pas d’argent d’avance» (F,47 ans)

Emprunter à une société de crédit permet de « cacher » que l’on n’a pas les moyens de s’offrir certains biens. Face aux regards extérieurs, les individus ont alors le bénéfice symbolique de posséder certains objets, sans que le mode d’acquisition de ces objets ne soit connu. Ce qui n’est pas possible lorsque l’on emprunte à la famille ou aux amis.

En effet demander à un proche de leur prêter de l’argent met les individus dans une situation de dépendance vis-à-vis de ce tiers et c’est justement de l’indépendance et de l’autonomie que ces personnes veulent acheter (ex : achat d’une voiture, accession à la propriété).

« Les dettes c’est une dépendance à l’égard des autres. Par fierté, je ne pouvais pas emprunter à la famille et aux amis. C’est plus facile d’avoir des problèmes avec quelqu’un qu’on ne connaît pas. Avec la famille, ça tourne toujours à l’aigre »  (H-34 ans)

« Libravou c’est une indépendance. Je fais ce que je veux. » ( F-56 ans)

C’est aussi avouer que l’on a des problèmes d’argent et là encore c’est l’effet inverse qui est recherché par le crédit : montrer ou se montrer que l’on peut acquérir des biens (ex : la voiture est signe de richesses) et que l’on peut dépenser. Certaines personnes ont emprunté à leur employeur, mais il s’agit à la base d’une relation de domination où l’employeur n’est pas dans l’espace social de la personne, ce n’est pas à lui qu’il faut montrer sa richesse, ce n’est pas de lui qu’il faut s’affranchir. Emprunter de l’argent à un proche contribue à infantiliser la personne, rappelle la période de l’enfance et de l’adolescence où il fallait demander de l’argent à ses parents pour s’acheter quelque chose.

« Je préfère payer des intérêts en plus plutôt que d’emprunter à des amis ou à la famille. » (F, 47 ans)

En cas de non-remboursement, la transgression n’est pas connue des proches, à moins précisément que l’on emprunte à des personnes que l’on connaît personnellement. La personne prend moins de risques socialement en empruntant à une société de crédit qu’en empruntant à sa banque ou à un proche.

« Avec la famille, le rapport affectif est au premier plan. Vous devez plus que de l’argent, c’est une vraie dette »( H, 34 ans)

« une banque ou une société de crédit vous ne devez que de l’argent, c’est pas une dette d’honneur » (H, 64 ans)

Il y a plus-value symbolique que si le mode d’acquisition de capital n’est pas connu (reste invisible). La société de crédit à la consommation permet aux individus de convertir l’argent court en argent long justement parce que la transaction est non-visible  socialement. Le taux d’intérêt élevé paraît être le « prix » à payer pour opérer cette transaction de manière non-visible socialement et ainsi assurer la plus-value symbolique recherchée. Le crédit rend alors la « pauvreté » moins visible.

 

PARTIE 2 : ANALYSE

I. L’argent et la famille

1. « L’argent n’a pas fait l’objet d’un désir infantile »[3]

« Le bonheur est la satisfaction après coup d’un désir préhistorique. C’est la raison pour laquelle la richesse y contribue aussi peu. L’argent n’a pas fait l’objet d’un désir infantile. »[4]

Ceci peut expliquer que les personnes rencontrées ont des souvenirs d’enfance liés à l’argent pendant très flous.

« Les matières fécales ainsi retenues sont réellement les premières « économies » de l’être de devenir, et comme telles restent en corrélation inconsciente permanente avec toute activité physique ou mentale qui a quelque chose à voir avec l’action d’amasser, d’accumuler et d’épargner. »[5]

Dans une perspective psychanalytique et à la suite de Ferenczi on peut souligner le lien qu’entretient le plaisir physique de retenir les selles avec le plaisir psychique de retenir, d’amasser et de conserver sous de multiples aspects. L’auteur explique les mêmes possibilités de déplacement de l’action et du but au niveau de la paire retenir-expulser. A lieu ensuite le passage de l’érotisme anal à l’intérêt pour l’argent : ce plaisir auto-érotique se transforme en amour objectal. Dans ce mouvement, l’intérêt se porte plutôt sur la matérialité de l’argent, en tant qu’objet suscitant le plaisir des sens, que sur sa valeur économique. Pour que l’argent comme « valeur-étalon » ou signifiant-maître (dans la terminologie lacanienne) s’établisse, une autre genèse s’impose dont la continuité est moins directe. Ferenszi remarque que cet investissement de la valeur doit passer par « le respect que les adultes témoignent pour l’argent, ainsi que la possibilité séduisante d’arriver à obtenir par ce moyen tout ce qu’un cœur d’enfant peut désirer ».[6]

C’est en tant qu’objet d’échange entre ses parents et lui, traduisant un mouvement identificatoire, que l’argent acquiert une valeur économique. De ce point de vue, la valeur économique de l’argent s’inscrit davantage dans l’échange entre les parents et l’enfant que dans la matérialité de la monnaie, ce qui rend possible toutes les abstractions financières. (cartes de crédit, chèques…).

« L’enfant ne connaît pas d’autre argent que celui qu’on lui donne, il ne connaît ni l’argent gagné ni l’argent personnel, hérité. L’excrément étant son premier cadeau, il transfert aisément son intérêt de cette matière à cette matière nouvelle qui dans la vie se présente à lui comme le cadeau le plus important ».[7]

Ces deux genèses sont complémentaires et parfois source de conflit ; Ferenczi remarque avec beaucoup de pertinence que « beaucoup de gens signent aisément un document qui les engage à payer d’importantes sommes d’argent et font facilement de grandes dépenses en billets de banque, mais ils se montrent étrangement réticents dès qu’il s’agit de débourser des pièces d’or ou même le moindre sou. Les pièces de monnaie leur « collent » littéralement aux doigts. »[8] La matérialité de l’argent conserverait de ses origines un plaisir érotique relatif aux sens que perdrait l’argent comme valeur économique.

2. « avec une banque ou une société de crédit vous ne devez que de l’argent »

Quand on prête de l’argent à un membre de la famille, on le prête sans intérêt. Et pourtant les personnes que nous avons interrogées ont des réticences à emprunter à un membre de leur famille et préfèrent passer par une société de crédit même si le taux d’intérêt est élevé.

Le désintéressement économique correspond en fait à un intérêt d’ordre symbolique. Des individus font le calcul que ça leur « coûte » moins cher symboliquement de prendre un crédit à un taux élevé à une société de crédit plutôt que d’emprunter à un taux moins élevé à une banque ou à un proche (coût symbolique plus élevé). Emprunter à un ami entraîne un fort intérêt d’ordre symbolique surtout si ce prêt est consentit sans intérêt (économique). L’intérêt circule et se transforme selon la circulation des intérêts eux-mêmes.

Inversement, on peut sacrifier l’intérêt économique, par exemple dans le don, pour accumuler du capital symbolique qui lui-même à la longue permet de réaliser une plus-value économique. C’est ainsi que les parents prêtent sans intérêt à leurs enfants, et leur donnent durant toute la période de l’enfance. Ce qui implique aussi un contre don d’ordre symbolique ou même économique où les enfants devront donner à leurs parents quand ceux-ci seront âgés.

S’il n’est pas économique, l’intérêt est symbolique et inversement. L’intérêt est alors une relation. Il s’agit de maximiser des gains symboliques ou économiques. Dans une économie de l’honneur, on accumule du profit symbolique au détriment du profit économique.

« Avec la famille, le rapport affectif est au premier plan. Vous devez plus que de l’argent, c’est une vraie dette ;

« une banque ou une société de crédit vous ne devez que de l’argent, c’est pas une dette d’honneur » (H, 34 ans)

Dans la famille ou le groupe d’amis, il s’agit d’affirmer que le lien vaut beaucoup plus que le bien, d’insister sur le sentiment, associé au désintéressement. C’est aussi refuser d’être lié, de se sentir lié par le bien reçu, de se sentir dépendant. Triple principe maussien du don : l’obligation de donner, recevoir et rendre selon une logique de la réciprocité. Dans la famille, « le lien vaut beaucoup plus que le bien »[9], et le sentiment est associé au désintéressement. Cela peut donc créer un trouble de la réception, c’est-à-dire un refus d’être lié, comme par l’idée qu’il devra être rendu à la génération suivante. Il s’agit aussi de ne rien recevoir pour n’avoir rien à donner.

La solidarité au sein du groupe d’amis ou au sein de la famille se complique d’une ambivalence : l’aide fournie crée une dépendance et entre donc en contradiction avec la norme selon laquelle être adulte, c’est être capable de se débrouiller seuls. L’entraide familiale peut ainsi rentrer en compétition avec le désir d’épanouissement personnel. Demander à un membre de la famille ou à un ami de prêter de l’argent rentre donc en conflit avec le devoir d’autonomisation. C’est ainsi que des jeunes sont réticents à accepter l’aide de la famille ; accepter l’aide de la famille, c’est prendre le risque de retomber dans la dépendance infantile, de devoir rendre des comptes, d’ouvrir la porte à l’ingérence du donateur, à sa prise de contrôle sur la vie du jeune. A ce niveau-là aussi, la société de crédit prend sa place et son utilité en assurant à la personne créancière une indépendance, une autonomie et une préservation de sa vie personnelle vis-à-vis de son entourage familial ou amical. La société de crédit assure au créancier une émancipation familiale, l’individuation prônée dans nos sociétés moderne.

II. Dépenses, ressources et déséquilibre budgétaire

Les ressources des personnes rencontrées se distinguent les unes des autres selon :

leur origine marchande (ex. salaire), non marchande (ex. famille, État) ou étatique (ex. pension et allocations diverses)

leur caractère public (ex. État et travail) ou privé (ex. famille et amis)

leur régularité

leur caractère officiel ou officieux (travail non déclaré)

Les dépenses, quant à elles, varient en fonction

de leur caractère plus ou moins compressible

de leur régularité

ou encore s’il s’agit ou non d’investissements.

 La structure du budget change avec le temps et la situation familiale. Ainsi, la mise en couple tend à réduire les frais de logement, qui augmentent à nouveau lors de l’arrivée des enfants. Ce point permet de souligner le lien étroit qui existe entre le cycle de vie et la situation financière des individus. Nous reviendrons sur ce lien tout au long de l’analyse.

Les principales sources de déséquilibre du budget sont liées

à des ressources inférieures aux dépenses, le déséquilibre est alors plutôt permanent : leur situation financière ne permet pas aux ménages de faire face aux dépenses imprévues comme les pannes d’électroménager, voire aux dépenses quotidiennes (dont les dépenses scolaires universitaires et la maison). La position sociale ou le lieu de résidence semble résumer à lui seul les problèmes d’argent rencontrés : être jeune, célibataire ou ouvrier est associé à un type de ressources et de dépenses

à une « inflation » des dépenses qui, dans l’esprit des personnes rencontrées, sont devenues incontrôlables (le conjoint « dépense sans compter », l’interlocuteur se dit dépensier, ou a subi des vols). Le déséquilibre est plus conjoncturel.

L’absence de contrôle des dépenses tient aussi aux modes de paiement comme, par exemple, à l’usage de la carte bancaire.

à une réduction des ressources liée aux accidents de la vie (chômage, divorce, décès du conjoint) ou à des entrées prévues mais non reçues : la bourse d’étude du conjoint s’arrête, le conjoint ne retravaille pas, on lui doit de l’argent.

 

III. Dépenses et types d’emprunt

En 1998, plus de la moitié des ménages étaient endettés. Mais cet endettement recouvre des situations économiques diamétralement opposées (Insee, 1998). Ainsi, la structure de l’endettement a évolué au fil du temps, de la conjoncture économique et de la législation.

Des emprunts pour financer quoi ?

Emprunter figure parmi les solutions envisagées pour répondre à un besoin d’argent, qu’il soit ponctuel ou plus régulier.

Les emprunts contractés servent à financer à la fois :

des investissements (ex. immobilier)

des biens de consommation (ex. électroménager, mobilier, vêtements, location d’un camion pour déménager, voyage) 

de la trésorerie (ex. combler des découverts, payer des crédits en cours et des dépenses courantes).

On retrouve là les grandes tendances soulignées au niveau national :

Depuis 1965, le crédit immobilier a connu une très forte progression, favorisée par l’État. Ce qui aboutit à ce qu’en 1996, 54% des ménages soient propriétaires de leur logement, contre près d’un tiers au lendemain de la 2nd guerre mondiale (Conseil Économique et Social, 2000).

En 1998, l’emprunt affecté à l’achat d’un bien de consommation constitue le second motif de recours au crédit (Insee, 1998). Cette catégorie d’achat concerne en priorité les jeunes (30% de moins de 30 ans) et les ménages à revenus modestes.

En 1998, l’endettement des ménages est principalement un endettement de trésorerie : « près des 2/3 des ménages endettés le sont à ce titre, comme cela était le cas pour l’immobilier au début de la décennie » (Conseil Économique et Social, 2000).

Les cartes privatives concernaient alors 7% des ménages ayant en emprunt ; tandis que 6,5% disent avoir un découvert bancaire (Insee, 1998).

En 1996, l’encours de crédits renouvelables s’élevait à 16,88 milliards d’Euros, représentant 24,3% de l’encours total de crédits de trésorerie (Conseil Économique et Social, 2000).

 

Emprunter ne répond pas toujours à un projet précis. C’est la facilité à obtenir des sommes élevées qui amène à dépenser. Les personnes rencontrées éprouvent alors des difficultés à se souvenir de ce qu’ils ont acheté. C’est en particulier le cas lorsque les consommateurs obtiennent un crédit d’une somme supérieure à celle qu’ils ont demandée. Nous reviendrons ultérieurement sur ce point.

Prise de décision et concertation avec le conjoint

La décision de prendre un crédit se fait à deux, au sein du couple, ou revient à celui qui gère les comptes, sans qu’il y ait de concertation.

Pour une partie des personnes rencontrées, prendre un crédit relève des « fonctions » de celui qui, dans le couple, assure la gestion du budget (ce qui inclus les femmes n’occupant pas d’emploi rémunéré) ou les ressources du ménages (ce qui concerne en particulier les hommes qui, dans un système conjugal relativement traditionnel, pourvoient aux besoins du ménage[10]).

Dépenses et cycle de vie

Parmi ces dépenses, certaines relèvent d’une démarche d’autonomie (ex. prêt étudiant, déménagement, installation). Elles servent à financer du mobilier et des équipements électroménagers lors de l’installation hors du foyer parental, des études ou une formation, une voiture (symbole de liberté), un emprunt immobilier… La possession d’objets marque les âges de la vie tandis que le recours à l’emprunt s’inscrit dans le cycle de vie. L’accès au crédit est alors un facteur d’émancipation qui explique le refus d’emprunter à la famille (cf. « A qui emprunter ? »).

Les données de l’Insee (1998) confirment ces résultats et soulignent une structure de l’endettement des ménages qui évoluent avec le temps et les revenus : ainsi, avec l’âge, on passe de l’achat d’une voiture à celui d’un appartement ; tandis que l’endettement est maximum entre 30 et 50 ans – ce qui tient aussi à la part d’endettement immobilier.

Enfin, ces dépenses sont éventuellement imprévues. En cela, le crédit permet de faire face à l’incertitude liée à :

–      aux accidents de la vie (ex. chômage) : ressources limitées

aux dépenses imprévues (ex ; le réfrigérateur tombe en panne) : dépenses supplémentaires, dont celles du conjoint.

Certains gardent ainsi une réserve en cours, « au cas où ». Ainsi, les bénéficiaires des minima sociaux se distinguent de l’ensemble de la population par l’usage qu’ils font des crédits, ceux-ci étant plus souvent destinés à financer des dépenses imprévues (Crédoc, 2001).

Endettement actif et endettement passif : « fièvre acheteuse » et accidents de la vie

Deux principales logiques président à l’endettement :

l’endettement actif, c’est-à-dire une « fièvre acheteuse » et donc d’une perte de contrôle ;

l’endettement passif, quant à lui, est lié à une situation économique précaire ne permettant pas de faire face aux dépenses courantes. Cette fragilité économique est aussi sociale si à la suite de M. Douglas, on définit la pauvreté par l’incapacité à se maintenir dans un réseau social : l’argent, c’est aussi un moyen de développer et de maintenir des liens sociaux. En deça d’un certain seuil de ressources, on ne peut plus participer à la vie sociale du groupe dont on fait partie.

La part respective de ces deux types d’endettement évolue en fonction de la conjoncture économique. Elle n’est pas le seul résultat du comportement des ménages, la part de l’endettement passif augmente pendant les périodes de récession économique ; celle de l’endettement . L’endettement actif a joué un rôle important dans les années 1980. Aujourd’hui, les surendettés sont  d’abord des ouvriers et des employés (55 % alors qu’ils ne représentent que 30 % de l’ensemble de la population), et donc des populations à faibles ressources. Ce qui illustre le caractère non univoque du crédit, celui-ci pouvant être à la fois un facteur d’enrichissement (investissement immobilier) et d’appauvris­sement.

 Argent « chaud » et « argent froid »

L’argent est investi d’une histoire sociale qui intervient dans l’usage qui en est fait. Il n’est donc pas dépensé de manière identique selon son origine, ce qui tient à la valeur qui lui est associée. A cet égard, l’argent du loto s’oppose à l’argent de l’héritage qui cristallise une forte charge affective. Ce qui rejoint la distinction opérée par les africanistes entre « argent chaud » et « argent froid » : la circulation de l’argent entre amis et parents « chauffe » l’argent qui sera alors remboursé plus volontiers que ne l’est l’argent distribué de manière anonyme (par les banques ou les organismes internationaux).

Ces résultats invitent à considérer la nature des relations qui unissent l’organisme de crédit à ses débiteurs.

Quels types d’emprunt pour quelles dépenses ?

Les principaux modes de financement répertoriés sont

les prêts logement (qui couvrent plusieurs types de financement, allant du 1% patronal aux droits au prêt ouverts par un PEL) ;

les facilités de paiement et crédits proposés par les magasins ;

les cartes de crédits à débits différés ;

les cartes de magasin et de VAD ;

les prêts à consommation (bancaires ou liés à un organisme de crédit) ;

les découverts bancaires.

 

On distingue les crédits affectés de ceux laissant le libre usage des fonds. Ainsi, le choix peut se porter vers un emprunt onéreux, mais laissant la liberté au consommateur d’user comme il l’entend du crédit.

On retrouve dans les emprunts marchands la distinction opérée préalablement :

1-     investissement : prêt au logement ;

2-     biens de consommation : facilités de paiement et crédits proposés par les magasins ; les cartes de magasin et de VAD ;

3-     trésorerie : cartes de crédits à débits différés ; prêts à consommation – bancaires ou liés à un organisme de crédit ; les découverts bancaires.

Les « micro-ruses » du quotidien

Dans certains cas, on observe le recours à différents crédits (ou ressources), chacun servant au financement d’une dépense particulière. Dans les faits, des prêts peuvent être détournés de leur usage initial (ex. prêts étudiants qui sont financièrement intéressants).

Ainsi, les dépenses répertoriées correspondent à des modes de financement distincts (ex. études financées par des prêts étudiants, ou les travaux de rénovation par des prêts au logement). Ces règles d’usage des sommes prêtées tolèrent des écarts entre la norme et la pratique. Ces possibilités de réinterprétation de la norme d’usage peuvent être qualifiées de « micro-ruses » du quotidien.

Ainsi, une partie des personnes rencontrées dispose de cartes de magasin ouvrant des droits au crédit, mais dont ils ne se servent pas : avoir la carte permet d’abord de bénéficier de divers avantages, notamment de promotions Ces cartes sont donc détenues par des types de populations qui, par ailleurs, ne possèdent pas de crédit à consommation. Une partie des classes moyennes y a recours par ce biais (les cartes de magasin) et étale ainsi des dépenses sur plusieurs mois. Ce qui peut être associé à des « facilités de paiement » qui, dans les esprits, ne relèvent pas du crédit.

 

IV. À qui emprunter ? « Sphères du crédit » et remboursement

On distingue les sources d’emprunt marchandes (les banques, les organismes de crédit et les commerces) des sources non marchandes (services sociaux, l’employeur, la famille et les amis). La nature marchande ou non marchande de ce lien intervient dans l’attitude face au remboursement.

Crédits et liens sociaux : « la famille c’est une vraie dette ; un crédit bancaire ce n’est pas une dette d’honneur »

Emprunter à de la famille ou à des proches, c’est devoir « rendre des comptes », se justifier sur sa situation financière et renforcer un lien affectif par un lien financier. Ce qui n’est pas compatible avec la démarche d’autonomie dans laquelle s’inscrit parfois le besoin de crédit. Pour tous, le choix d’emprunt est lié à la nature du lien (commercial ou non) sur lequel il repose, et pas uniquement aux conditions financières. Chaque source de crédit est estimée à partir de ce critère d’anonymat ou de son absence, de la nécessité de « rendre des comptes » ou non, de la présence ou de l’absence de liens affectifs.  On retrouve cette tendance au niveau national. Ainsi, lorsqu’ils contractent des prêts, les bénéficiaires de minima sociaux demandent moins d’informations que le reste de la population (Crédoc, 2001).

Dans la famille, le lien affectif se traduit par une solidarité économique, qui redouble des liens existant. Le coût du prêt n’est donc pas que financier. L’argent du crédit, quant à lui, a une valeur marchande, et c’est cette valeur qui en fixe l’accès – et non pas les liens qui unissent les prestataires. Le coût financier d’un emprunt auprès d’un organisme de crédit est élevé ; en revanche, son coût humain ne l’est pas.

Chaque source de crédit est envisagée en fonction de ce double coût, financier et humain. En cela, les démarches à effectuer auprès des banques et des services sociaux se rejoignent et se distinguent de celles demandées par les organismes de crédit.

Des procédures simples, à distance physique

 Les procédures à suivre pour obtenir un crédit illustrent ce point : les démarches auprès des organismes de crédit se font dans l’anonymat, à distance (ex. téléphone ou coupon à renvoyer), et cette relation impersonnelle est signe d’autonomie ; tandis que les relations de face à face, notamment avec les banques, rappellent un lien de dépendance.

En fonction des atouts dont ils disposent et de leur capacité à négocier, les interlocuteurs vont privilégier le face à face ou la relation impersonnelle. Certains tentent d’éviter les banques, d’autres au contraire, apprécient d’être connus du banquier qui sera alors “ plus arrangeant ” en cas de problèmes.

Les organismes de crédits se différencient alors des banques par la nature des relations qu’ils instaurent : la relation est certes commerciale, mais tout dans les procédures (à distance, avec des inconnus, sans inquisition) “ met à l’aise ”. La relation, physiquement distante (demande par téléphone, par VAD), instaure une relation basée sur un « lien faible » qui minimise le sentiment de dépendance.

Choisir Cofidis, c’est d’abord choisir un service

Prendre un crédit c’est arbitrer entre les différentes solutions pour financer un besoin d’argent. Emprunter à Cofidis, c’est d’abord emprunter à une société de crédit, sans que le nom de la société en tant que telle n’influence ce choix. Les conditions proposées (durée du crédit, taux, mensualités) interviennent dans un deuxième temps, la priorité étant accordée à la possibilité de d’obtenir un crédit, sans avoir à remplir de formalités importantes. Les clients ne recherchent donc pas une marque, mais un service. Les procédures d’accès au crédit distinguent des autres sources d’emprunt et font partie de ce service.

Choisir Cofidis, c’est aussi ne pas pouvoir emprunter ailleurs

Choisir une société de crédit en général, c’est aussi ne pas avoir la possibilité d’emprunter ailleurs. Parce que les autres sources de crédits instaurent un type de relations que l’on tente d’éviter (ex. banques), que l’argent et la famille ne font pas bon ménage, ou encore que les services sociaux sont défaillants (ex. circuit de financement des formations trop long, aides d’urgence tardives). Dans ce dernier cas, des témoignages font état du caractère infantilisant des questions posées et de l’attitude adoptée par les services sociaux.

Une partie des consommateurs de crédits est aussi exclue des banques trop frileuses à l’idée de prêter à des personnes ayant de faibles revenus (dont font partie les jeunes) ou un emploi précaire (ex. Contrat à Durée Déterminée). Ce que confirment des enquêtes quantitatives menées auprès de bénéficiaires de minima sociaux (Crédoc, 2001) : les 3/4 de ceux qui ont été interrogés disent que seul le crédit à consommation leur permettait de financer leurs achats.

Multiplier les sources de crédit pour ne pas justifier l’existence d’autres prêts en cours.

La volonté de se soustraire aux investigations des organismes préteurs explique par ailleurs la multiplication des sources de crédit pour ceux qui disposent déjà d’un prêt. De plus, multiplier les sources d’emprunt, c’est envisager que cette nouvelle demande n’est pas légitime. Les discours recueillis font état de cette crainte de se voir refuser le prêt, sous prétexte qu’un autre emprunt est en cours. Ce qui ne peut être restreint à la seule demande de nouveaux crédits. Des recherches antérieures montrent ainsi que les franges de population les plus pauvres ont intégré leur condition sociale au point de ne pouvoir envisager de demander au banquier.  Mais ce point explique aussi qu’une part non négligeable des personnes surendettées possède plusieurs crédits – 80% ont ce type de crédits, et lorsque c’est le cas, ils possèdent 4 prêts en moyenne (Banque de France).

Anticipation et gestion du remboursement 

Tous n’anticipent pas le remboursement. Dans les discours recueillis, c’est la « facilité » à obtenir les crédits qui prime. Ceux qui l’anticipent l’envisagent en fonction de ressources à venir. Ce qui n’exclu pas les problèmes de remboursement.

Choisir une source d’emprunt, c’est aussi anticiper le remboursement

Pour certains, choisir une source de crédit, c’est aussi anticiper les éventuels problèmes de remboursement :

ne pas rembourser des parents ou amis, c’est remettre en question la relation même qui lie les partenaires et qui a justifié le prêt ;

à l’inverse, plus la relation est anonyme, moins les problèmes de remboursement la mettent la cause.

La dette est marchande, et les taux d’intérêt sont là pour le rappeler. En conséquence, pour certains, notamment les plus jeunes, ces taux compensent les délais de paiement accordés.

Les problèmes de remboursement rencontrés tiennent à :

des ruptures et accidents de la vie : divorce, chômage, ressources moins importantes que prévues…

Les difficultés à rembourser marquent une rupture du cycle de vie tout comme elles participent à cette rupture. L’une des solutions envisagées pour faire face au remboursement est en effet de prendre un deuxième crédit revolving, ce qui augmente la dette. On retrouve dans les témoignages recueillis l’incidence de la vie familiale sur la situation financière des ménages : cette fragilité fait partie des grandes tendances économiques et sociales soulignées à l’échelle nationale. Les difficultés de paiement rencontrées s’inscrivent donc dans une tendance plus globale qui dépasse le seul crédit à consommation.

des dépenses imprévues : le crédit permet de couvrir des dépenses imprévues. Il s’inscrit donc dans une gestion de la pénurie qui rend aléatoire le remboursement : un nouvel impondérable, et le débiteur ne peut honorer ses dettes.

On peut aussi envisager, mais il s’agit là d’une hypothèse, que dans les esprits la durée du crédit n’étant pas connue – et si elle l’est, elle demeure extensible –, celle du remboursement peut « logiquement » être étendue.

Le non remboursement des plus jeunes, qui sont de plus en plus nombreux dans les commissions de surendettement (31,4% ont moins de 34 ans et les moins de 25 ans passe de 1,2%  à 5% entre 1990 et aujourd’hui[11]), peut tenir : à une situation financière précaire, à un « effet de génération » allant vers un rapport à l’argent et aux organismes prêteurs nouveau, à un apprentissage de la gestion de l’argent. Dans ce dernier cas, le non remboursement est une étape du cycle de vie.

En cas de problèmes pour rembourser, le crédit passe d’instrument d’autonomie à lien de dépendance. Le changement d’interlocuteur – du commercial au chargé de recouvrement – illustre cette transformation de la relation à l’organisme de crédit. 

La spirale de l’endettement 

Des consommateurs sont « pris » dans une « spirale » de crédits, l’un permettant de rembourser l’autre (endettement passif), tandis qu’un nouveau crédit vise à acheter et encore acheter (endettement actif). Dans ce dernier cas, le crédit est un objet de consommation et non pas seulement un moyen d’accès à la consommation : preuve en est (ou plutôt indice allant dans ce sens) qu’il faut payer pour avoir cet argent (intérêt).

Le crédit à consommation, de « l’argent long » pour des dépenses à court terme

La distinction entre « argent court » et « argent long » éclaire ce point (endettement passif) : « l’argent court » sert à couvrir les dépenses courantes, du quotidien ; « l’argent long » concerne le long terme. S’endetter à long terme (« argent long ») pour financer des dépenses quotidiennes (« argent court ») n’est pas financièrement viable. Ce qui explique les situations de surendettement d’une partie des consommateurs. Ainsi, certains contractent des crédits à consommation sur une période longue, mais pour couvrir des dépenses courantes. Le recours au crédit est alors un moyen de lever momentanément les contraintes financières.

On trouve une logique similaire dans la gestion du découvert bancaire. Celui-ci est un instrument de lissage du budget familial sur quelques mois. Le recours au crédit de trésorerie n’est donc pas une exclusivité des plus démunis, toutefois dans un cas on gère la pénurie, dans l’autre, on joue des découverts et des placements aux plus avantageux.

¨      La « part maudite » ou la spirale de l’endettement

Le fonctionnement du système de crédits favorise une « spirale de l’endettement » :

la facilité des procédures, qui a conduit à prendre un premier crédit, entretient le consommateur dans un système de crédit qui se renouvelle en permanence ;

ce système du crédit introduit un rapport au temps particulier. Ainsi tous ne connaissent pas la durée de leur crédit en cours. La durée du remboursement peut alors être « logiquement » étendue ;

mais surtout, les sociétés de crédits octroient parfois une somme supérieure à celle demandée par le consommateur. Cette « part » supplémentaire n’a pas la même valeur que celle de la somme demandée. Les entretiens montrent en effet qu’elle est dépensée sans que les consommateurs se souviennent à quoi ils l’ont destinée.

 

La façon dont est distribué le crédit est sur le mode du jeu : on demande une somme, et on en obtient une d’un montant supérieur. Sachant que l’argent tient aussi sa valeur de son origine et est dépensé en fonction de cette origine, cette « part » supplémentaire est assimilable à un gain obtenu de jeux d’argent, et elle subira le même sort : elle sera « brûlée ». Mais à la différence du gain obtenu des jeux, il faudra la rembourser. Ce qui favorise dans un premier temps l’endettement actif, puis passif.

C’est ainsi que 80 % des dossiers déposés devant la commission de surendettement comportent des crédits à consommation[12]. Près de la moitié des débiteurs associent deux types de crédits. Lorsque c’est le cas 75% d’entre eux associent revolving et prêt personnel. Lorsque les débiteurs ont souscrit un revolving, on en compte en moyenne quatre par dossier. Le rôle que joue le revolving dans le surendettement est donc indéniable. Toutefois, il ne faudrait pas confondre la cause et la conséquence : prendre un crédit revolving est, comme on l’a vu, l’une des solutions envisagées pour résoudre des problèmes financiers. Cette antériorité de la précarité fait que le crédit ne peut donc en être tenu pour seul responsable des problèmes financiers rencontrés.

Faire face au remboursement : diminuer les dépenses, augmenter les ressources, étaler le remboursement… ne pas rembourser pour ne pas voler

Plusieurs solutions se présentent pour faire face au remboursement : augmenter ses ressources, diminuer les dépenses, ou encore échelonner le remboursement, voire ne pas rembourser.

Pour restreindre les dépenses, une solution envisagée est de rejoindre le domicile des parents. Tous ne sont pas prêts à renoncer ainsi à leur autonomie. D’autant plus que c’est précisément cette prise d’autonomie qui a justifié la prise d’un crédit (pour acheter certains biens et pour ne pas emprunter à la famille).

La faible marge de manœuvre des personnes rencontrées conduit à des stratégies défensives. Parmi celles-ci, des jeunes justifient le non remboursement par leur refus d’adopter des pratiques illégales.

La Commission de surendettement est parfois la dernière solution envisagée. Soulignons qu’avant d’en arriver à une telle extrémité, certains souhaiteraient faire « racheter » leur dettes par un seul et même organisme. 

V. Régularité, espaces et objets des comptes

Face à la gestion des papiers affairant au crédit, on observe deux attitudes opposées :

1- le cycle de vie des  objets des comptes va au-delà de la durée de vie du crédit. Les relevés sont stockés à portée de main (dans des classeurs, des boites prévues à cet effet, etc.) pour être ensuite rangés dans des espaces plus éloignés (ex. cave, grenier), voire dans un autre logement (ex. logement des parents). Ainsi, plus les comptes sont anciens, plus on les éloigne dans l’espace ;

2- les papiers des comptes sont jetés au fur et à mesure, ou stockés négligemment dans des boites, en vrac, et ne sont pas triés.

La régularité des comptes suit elle aussi deux logiques opposées : de très régulière, à intervalles parfois restreints (quotidiens), au rythme des relevés bancaires au « coup par coup », ou en fonction des dépenses à venir.

Les personnes rencontrées font leurs comptes sur des carnets achetés à cet effet, voire sur ordinateur. En règle générale, ceux qui font leurs comptes régulièrement, s’installent toujours dans la même pièce (ex. cuisine, salon, bureau, chambre). La régularité des comptes ne prémunit pas contre les problèmes d’argent ; bien souvent elle consiste en une gestion de la pénurie.

Plusieurs entretiens font état d’un changement de comportement en matière de gestion des comptes à la suite de la prise d’un crédit à consommation : les éventuelles difficultés de remboursement les auraient contraintes à gérer plus rigoureusement leurs comptes.

 

VI. Gestion de la « pauvreté »

1. «Reconnaissance de la paternité de l’Etat vis-à-vis de ces fils citoyens »

Les personnes rencontrées ne semblent pas ressentir de peur, et semblent à la fois se sentir assez bien « protégées » par les services sociaux et connaître bien leurs droits. Elles perçoivent l’ « Etat » français davantage comme un « Etat protecteur » que comme un « Etat persécuteur ». Les « hommes en noir », les huissiers n’effraient plus.

En effet, en France, le « pauvre » est pris en compte, mais au prix d’une surveillance constante. Plus le citoyen est pris en charge, plus il est vidé de sa force d’autonomie. Il ne lui reste plus qu’à développer des formes conscientes ou inconscientes de négociation pour essayer de se libérer en partie de l’emprise de l’Etat.

Le fait d’être reconnu, comme sujet de droits vis-à-vis des services sociaux, a été intériorisé par une partie des individus. Cependant, paradoxalement, cet attribut devient un des seuls patrimoines que les sujets possèdent. Dans ce sens, les nombreux « handicaps sociaux » sont convertis en possibilité de gérer des droits.

En France, on doit noter une « reconnaissance de la paternité de l’Etat vis-à-vis de ces fils citoyens ». Ceci ne veut pas dire que les gens soient contents de cette paternité ou qu’ils ne se sentent pas abandonnés par le père. Mais il y a de la part des citoyens, une « reconnaissance du droit à être fils », une certaine « reconnaissance de la filiation ». Celle-ci donne aux citoyens le moyen de faire valoir leurs droits. Le sentiment qu’éprouvent les défavorisés d’être des citoyens stigmatisés, est compensé par l’existence d’un langage et d’une pratique juridique qui peuvent devenir, s’ils savent se l’approprier, une arme leur permettant de défendre leur identité. Le langage du droit sert à souder les citoyens ou à calmer leur malaise en marge des valeurs centrales de la société ; sur ces langages s’édifieront une série de défenses ayant pour but de camoufler les dévalorisations auxquelles les individus sont confrontés dans leur vie quotidienne[13].

  • ·        L’endettement et la transgression morale

Il y a les usages de l’argent socialement prescrits ou acceptés, et les usages transgressifs (flambe, avarice, vol…). L’épargne est un comportement valorisé dans notre société, c’est le revenu qui devient capital, la non-épargne devient donc un comportement transgressif. Le crédit pour les personnes qui ont un faible revenu peut être un moyen de remplacer l’épargne, de transformer le revenu en capital.

Le surendettement est un mécanisme de perte de contrôle. Il s’agit aussi de faire comme si, de vivre l’expérience de consommer, de pouvoir s’offrir ce que l’on veut (fièvre de dépense, rêve). Il peut y avoir surendettement sans qu’il y ait nécessairement transgression.

« Le monde de l’argent n’a jamais offert tant de chances aux acteurs, mais dans le même temps, il ne les a jamais exposés à des risques aussi élevés. Le recours à l’argent dans les sociétés contemporaines implique la soumission à un risque extrêmement important, lié au fonctionnement global des banques et aux jeux dangereux des finances. Mais cette utilisation signifie également une forte participation, ainsi que l’expression et l’institutionnalisation constantes de nouvelles formes de confiance. Les transformations survenues dans le monde de l’argent permettent à Giddens d’illustrer explicitement l’effet de la double influence, dont les significations sont opposées, que produit le monde de la modernité tardive sur ses contemporains. D’une part les perceptions du risque est de plus en plus aiguë, et, d’autre part les témoignages de confiance envers les institutions chargées de réguler la vie économique se multiplient. »[14]

2. « Un idiot pauvre est un idiot, un idiot riche est un riche[15]

a . Le crédit comme « conversion de capital »

Une partie des personnes rencontrées vivent le crédit comme un investissement. On utilise alors le crédit pour acheter bien souvent quelque chose d’ « important », comme du mobilier, une voiture… Il s’agit d’augmenter son capital symbolique [16](Bourdieu), de paraître moins pauvre. Le crédit permet de posséder des biens, de transformer le revenu en capital. Le crédit permet une conversion de capital, de transformer le capital économique (revenu) en capital symbolique (matériel).

Le capital économique ne peut pas circuler si son usage n’est pas reconnu, légitimé. C’est ainsi que la conversion de capital suppose une « Opération fondamentale de l’alchimie sociale, dont le paradigme est l’échange de dons, la transformation d’une espèce quelconque de capital en capital symbolique, possession légitime fondée sur le possesseur, suppose toujours une forme de travail, une dépense visible(…), de temps, d’argent et d’énergie. » [17] Ce travail de légitimation exige un capital spécifique, le capital symbolique. Le capital matériel autorise les autres capitaux mais assure une plus-value symbolique.

« Je suis ce que je possède ». On peut donc penser que le crédit permet aux individus de posséder des biens et ainsi de se valoriser, d’augmenter leur dignité sociale, leur capital symbolique. L’argent du salaire est ainsi transformé en capital matériel, le crédit permet à l’argent court de devenir de l’argent long plus valorisé socialement. Le crédit est le seul moyen pour ces personnes d’acquérir certains biens, donc même si les taux d’intérêts sont élevés, l’argent du crédit subit une plus-value comme l’explique Bourdieu, en transformant un capital économique en un capital symbolique.

Les mensualités du crédit (et donc une ponction du salaire), permettent d’acquérir des biens matériels, et par là un certain statut social. Le fait d’avoir utilisé le crédit pour acquérir ce bien n’est quant à lui pas visible (c’est ainsi qu’il y a création d’une plus-value symbolique).

Il y a plus-value symbolique que si le mode d’acquisition de capital n’est pas connu (il est non-visible). La société de crédit à la consommation permet aux individus de convertir un capital économique en capital symbolique justement parce que la transaction est non-visible socialement. Le taux d’intérêt élevé paraît être le « prix » à payer pour opérer cette transaction de manière non-visible socialement et ainsi assurer la plus-value symbolique recherchée.

L’argent est une potentialité de richesse, qui est de l’argent matérialisé, transformé en objets.

b. Le crédit et la sphère de l’autonomie du pauvre

Il y a une honte à être pauvre, et en ce sens, avoir recours au crédit permet de rendre la pauvreté moins visible.

De Gaulejac[18] explique que l’argent est un élément central pour se positionner dans le monde, s’affirmer comme sujet, développer sa liberté, étayer l’estime de soi. L’argent est donc un facteur déterminant dans la construction de soi comme sujet autonome et indépendant.

Les pauvres sont immobilisés dans l’espace social (pour Simmel[19], l’argent c’est de l’espace), et en cela, le crédit permet d’abolir l’espace. Pour le pauvre, l’espace est un obstacle. La maîtrise de l’espace et du temps est lié à l’argent. Jean-Philippe Bouilloux[20] nous explique que « l’argent éloigne le pauvre du riche, alors qu’il rapproche entre eux les pauvres des pauvres, comme les riches des riches. L’argent est alors une sorte de « fixateur spatial », qui met dès lors les individus « à leur place », à leur vrai place sociale, qui n’est pas un lieu géographique mais le lieu symbolique de leur situation dans la société. » (entretien expert)

c. Les solidarités inégales et le recours au crédit

Les inégalités sociales se traduisent aussi par des solidarités inégales : l’intensité de l’entraide dépend évidemment des revenus et des milieux sociaux. Plus les ressources détenues sont importantes et plus les pratiques d’entraide vont pouvoir exister, se développer, et inversement. La capacité potentielle d’aide, en argent, en moyens matériels, en capital et en temps, favorise le développement de l’entraide : plus on possède, plus on peut donner et recevoir.

«- vous avez prêté de l’argent ?
-moi, non…on m’a jamais demandé
-vous en prêteriez facilement ?
-si je pouvais, oui »( F, 45 ans 44)

Agnes Pitrou[21] fait une distinction dans les fonctions de protection que l’entraide familiale remplit, l’une de « subsistance », l’autre de « promotion », la première caractérise les couches défavorisées de la population et la seconde les catégories aisées. En ce qui concerne notre population le crédit peut remplir la fonction de « promotion » et remplir le rôle dévolu à la famille dans les sphères les plus aisées de la population.

3. Conclusion

« Ce que l’argent peut acheter, je le suis moi-même, moi, le possesseur de l’argent »[22]

Les points qu’il nous paraît important de retenir sont les suivant :

Þ Les frontières entre la valeur marchande et la valeur idéale sont floues : posséder permet une reconnaissance sociale et de conserver sa dignité, l’estime de soi, même quand on est démunis.

Þ Il y a une identification entre le moi et les objets qu’il peut s’approprier par l’argent. L’argent possède le sujet autant que le sujet le possède. « l’individu est lié par l’origine de l’argent qu’il reçoit. La façon dont il se procure l’argent détermine son essence. L’argent du vol fait de lui un voleur, ; l’argent de la manche fait de lui un mendiant ; l’argent du travail fonde son existence sociale et professionnelle ; l’argent de l’aide sociale le transforme en assisté ; l’argent de l’héritage le transforme en héritier… L’argent est un facteur déterminant dans la construction de soi comme sujet autonome et indépendant. » [23] Marx a montré le rôle central de l’argent dans le rapport de soi au monde. « Ce que l’argent peut acheter, je le suis moi-même, moi, le possesseur de l’argent ».

Þ  L’argent n’est pas un équivalent universel. C’est l’origine de l’argent qui détermine sa valeur et son statut. Il y a un lot de valeurs idéologiques, religieuses… (indemnisation, salaire, héritage, vol). Il y a un niveau moral et un niveau vécu. L’argent n’est pas utilisé de la même manière selon sa provenance (argent du revenu, argent extra). L’argent long (celui qu’on investit par exemple) se distingue ainsi de l’argent court (celui qu’on consume). Il y a le revenu et le capital, ces deux sortes d’argent sont utilisés différemment.

Þ L’argent n’est pas un bien parmi d’autres : c’est l’équivalent de tous. Ce n’est pas un bien réel : c’est l’accès indéfini à tous les biens possibles. L’argent est un pouvoir, c’est un moyen présent d’obtenir un bien futur. Le crédit donne ce pouvoir ; mais un pouvoir qui est aussi une hypothèque sur l’avenir : emprunter, c’est aussi reconnaître que l’on ne dispose pas des moyens d’acquérir aujourd’hui certains biens autrement que par le crédit.

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Sommaire

INTRODUCTION                                                                                                                                                           4

PARTIE 1 : DESCRIPTION                                                                                                                                     6

I. Les étapes de la vie : le cycle de vie du rapport à l’argent                                                    7

1. «  J’avais de l’argent de poche mais qu’est-ce que ça représentait je m’en rappelle plus »         7

a. Souvenirs flous et discours positif par rapport à l’argent dans l’enfance                                                     7

b. Argent de poche et lien social : les personnes et les occasions du don d’argent de poche                            8

c. Les usages de l’argent : lien entre origine de l’argent et nature de la dépense, épargner ou « consumer ».  10

2. « je me rappelle mon premier rapport avec l’argent, j’ai commencé à travailler à seize ans » 11

a. La dépendance financière familiale de l’ancienne génération                                                                        12

b. les étapes de l’autonomie financière pour la nouvelle génération : première paie, premier chéquier, première consumation, premier logement                                                                                                                                                                               14

3 « c’est qu’une étape de ma vie »       15

a. L’autonomisation du jeune qui quitte le foyer parental                                                                               16

b. L’ autonomisation de fait, liée à une rupture négative                                                                                 16

4. « J’ai un sentiment d’injustice et de culpabilité aussi »        19

a. L’erreur  formatrice dans la vie du jeune adulte en devenir                                                                          19

b. l’apprentissage long et douloureux des adultes face au crédit                                                                     19

II. Dépenses – ressources                                                                                                                                   22

1.   Les principales sources de revenus : officiel/officieux ; public/privé ; régulier/irrégulier         22

2. Dépenses     23

a. Les dépenses ordinaires obligatoires                                                                                                            23

b. Les dépenses non obligatoires, prêt, don ou d’épargne                                                                               24

3. Un équilibre précaire entre les ressources et les dépenses   26

a. Des foyers structurellement en difficulté                                                                                                    26

b. Des ressources plus limitées que prévues                                                                                                   27

c. Des dépenses incontrôlables ou trop élevées                                                                                              27

III. Dépenses et types d’emprunt                                                                                                                  29

1 . Des emprunts pour financer quoi ? 29

2. Trois principaux types d’emprunt se dégagent   32

3. Les modes de financement répertoriés sont :     33

IV. Le crédit                                                                                                                                                              35

1. À qui emprunter ? Acteurs et sources du crédit 35

2. Crédits et liens sociaux : « la famille c’est une vraie dette ; un crédit bancaire ce n’est pas une dette d’honneur »     36

3.   Remboursement et liens sociaux : « Plutôt payer des intérêts en plus que d’emprunter à des amis ou à la famille »   37

4.   Diviser pour mieux emprunter : “trajectoire de crédit” et choix d’emprunt   39

V. Choix de la société de crédit et gestion du remboursement                                             41

1. Choisir Cofidis pour ne pas emprunter ailleurs 41

2. Prise de décision et concertation avec le conjoint       43

3. La durée du remboursement   43

4. Coût du crédit      44

5. Remboursement   45

a. Anticipation : gestion des ressources et des dépenses                                                                                45

b. Problèmes de remboursement : « les crédits c’est comme des factures régulières »                                    46

c. En cas de problèmes pour rembourser, le crédit passe d’instrument d’autonomie à lien de dépendance : « de la jeune femme gentille au monsieur pas commode du contentieux »                                                                                                              47

d. Financer le remboursement                                                                                                                          47

VI. Régularité, espaces et objets des comptes                                                                                   50

1. Régularité et rythme des comptes : apprendre à jongler      50

2. L’espace des comptes courants et celui des archives : de la cuisine, du salon, de la chambre à la cave ou au grenier    52

3. Les objets des comptes : du classement systématique au rangement en vrac  53

VII.représentations                                                                                                                                            54

1. « Ils ne peuvent pas grand chose »  54

a. La peur et le non-remboursement                                                                                                                54

b. citoyens de « droits »                                                                                                                                  55

¨ Adulte et déclassement social                                                                                                                55

¨ Les jeunes et la « consommation » des services d’action sociale                                                           55

2. « Quelque part oui c’est une arnaque et quelque part non parce ça rend bien service aux gens sur le moment »      56

a. le crédit comme une chance                                                                                                                          56

b. le crédit comme une arnaque                                                                                                                        57

¨ ambivalence des sentiments liés au crédit                                                                                              57

3. « Pour du mobilier, la maison, la voiture, des choses qui ont une durée de vie longue »         58

a. Le crédit permet de transformer l’argent court en argent long                                                                     58

b.« Je préfère payer des intérêts en plus plutôt que d’emprunter à des amis ou à la famille. »                      60

PARTIE 2 : ANALYSE                                                                                                                                             63

I. L’argent et la famille                                                                                                                                 64

1. « L’argent n’a pas fait l’objet d’un désir infantile »    64

2. « avec une banque ou une société de crédit vous ne devez que de l’argent »   65

II. Dépenses, ressources et déséquilibre budgétaire                                                                      68

III. Dépenses et types d’emprunt                                                                                                                  70

IV. À qui emprunter ? « Sphères du crédit » et remboursement                                              75

¨ La « part maudite » ou la spirale de l’endettement                                                                                79

V. Régularité, espaces et objets des comptes                                                                                    82

VI. Gestion de la « pauvreté »                                                                                                                       83

1. «Reconnaissance de la paternité de l’Etat vis-à-vis de ces fils citoyens »        83

2. « Un idiot pauvre est un idiot, un idiot riche est un riche.»   85

a . Le crédit comme « conversion de capital »                                                                                                 85

b. Le crédit et la sphère de l’autonomie du pauvre                                                                                          86

c. Les solidarités inégales et le recours au crédit                                                                                              87

3. Conclusion  87

Bibliographie                                                                                                                                                          89

 

 


[1] Ce constat concerne les personnes en difficultés financières.

[2] Ce qui n’exclue pas que la femme travaille, mais le statut de ses ressources diffère alors de celui des ressources de l’homme. C’est le fameux « salaire d’appoint » de la femme, qui assure bien souvent une part non négligeable des besoins.

[3] Freud, « Lettre à Fliess du 16 janvier 1898 », La naissance de la psychanalyse, paris, puf, 1956, p.216

[4] ibid

[5] Ferenczi, « ontogenèse de l’intérêt pour l’argent »(1914), psychanalyse, (1913-1919), paris, payot, 1970, p.142.

[6] ibid, p.146

[7] Freud, «  sur les transpositions des pulsions plus particulièrement dans l’érotisme anal »(1917), La vie sexuelle, paris, puf, 1969, p.110

[8] ibi, p.148

[9] Attias-donfut, lapierre, segalen, le nouvel esprit de famille, ed odile jacob, 2002, p.66

[10] Ce qui n’exclue pas que la femme travaille, mais le statut de ses ressources diffère alors de celui des ressources de l’homme. C’est le fameux « salaire d’appoint » de la femme, qui assure bien souvent une part non négligeable des besoins.

[11] Sources : Banque de France, 2002.

[12] Sources : Banque de France, 2002.

[13] Cf. PAUGAM S., La société française et ses pauvres, PUF, 1993

[14] Simonetta Tabboni, « L’ambivalence de l’argent », in Pratiques sociales de l’argent, Revue Internationale de psychologie, n°13, 1999, ed. Eska, p.21

[15] P. Laffite, Jéroboam ou la finance sans méningite, 1920, Paris, Ed. de la Sirène, p.23

[16] Le concept bourdieusien de « capital » désigne toute énergie sociale susceptible de produire des effets. On devra considérer toute énergie susceptible d’être utilisée (consciemment ou inconsciemment) comme instrument dans les concurrences sociales, comme un capital.

Le « capital symbolique » désigne :

          le travail de reconnaissance des autres capitaux c’est-à-dire leur usage conforme,

          les phénomènes proprement symboliques (rituels, stratégies d’accumulation du capital d’honneur et de prestige,

          certaines conversions de capital (par exemple économique) qui dissimulent en transformant le capital,

          la légitimation de l’arbitraire, des relations dissymétriques de pouvoir.

[17] BOURDIEU Pierre, Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980, p. 223

[18] De Gaulejac, Argent, « estime de soi et dignité », in Questions d’argent, Ed. Desclée de Brouwer, 1999

[19] Simmel, Philosophie de l’argent, PUF

[20] professeur de sociologie à l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris.

[21] in Agnès Pitrou, les solidarités familiales. Vivre sans famille ?, Toulouse, Privat, 1992.

[22] Marx Karl, Le Capital,

[23] DeGaulejac Vincent,  « Argent, estime de soi et dignité », in Questions d’argent, op. cit.

 

Dominique Desjeux, directeur scientifique, professeur à la Sorbonne (Paris 5)

Sophie Bouly de Lesdain, responsable d’étude, CERLIS

Sigalit Lavon, chargée de recherche, CERLIS

CERLIS (CNRS, Sorbonne), Paris, 92 p. (multig.)

Contrat pour la société COFIDIS, géré par ACLYS

Paris, Février 2002

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