Internationale
1999, La méthode des itinéraires : un moyen de comparaison interculturel de la vie quotidienne
L’exemple de Guangzhou en Chine
Dominique Desjeux[1],
(Zheng Lihua, Desjeux Dominique, Chine-France. Une approche interculturelle, L’Harmattan)
En entrant dans un quartier proche de la Gare ouest de Guangzhou, nous pénétrons, pour notre prochain entretien[2], dans un passage étroit et sombre bordé de haut immeubles de type « grands ensemble » et dans lequel nous apercevons quatre personnes âgées en train de jouer au Mah-Jong. Des fils électriques, apparemment en désordre, relient les appartement. Toutes les fenêtres sont protégées par des grilles en fer forgé. La plupart des balcons sont fleuris. Des vêtements sèchent sur de longues perches à l’extérieur des logements. Rien de spectaculaire de prime abord. Pas de vision « exotique » de la Chine. Seul apparaît un cours ordinaire des choses.
Et pourtant petit à petit ; en partant d’une enquête sur la vie de tous les jours, nous entrons dans le quotidien de la Chine, celui des logements concentrés mais plus spacieux qu’il y a 20 ou 30 ans, comme nous l’on raconté les interviewés de 40 ans et plus. Ils ont connu les dortoirs collectifs et la chambre du couple avec un enfant isolée par une couverture. Le mari pouvait travailler à plusieurs centaines kilomètres. Les enfants pouvaient être dispersés. Il ressort des observation actuelles l’émergence d’un nouveau confort, au moins en ville et pour les classes moyennes.
Aujourd’hui les plus âgés sont dans la rue. Ils jouent ou fond des exercices de Qi Kong. Ils sont toujours présent dans la vie familiale : bien souvent ils gardent et promènent l’enfant du couple. Ils aident à tenir l’intérieur de la maison pour le linge, le ménage ou la cuisine.
Les fils électriques signifient le développement de l’électricité et des objets électriques du quotidien qui lui sont liés : le néon, l’air conditionné, le réfrigérateur, la machine à laver, le micro-onde, le « rice cooker »électrique (pour faire cuire le riz), la hotte contre la fumée, le stérilisateur pour la vaisselle et les baguettes, la bouilloire électrique pour obtenir de l’eau potable, mais aussi l’ordinateur, le téléphone mobile ou le pager (Tam-tam ou b b ji) et la télévision, c’est-à-dire tout l’équipement qui caractérise les classes moyennes, voire moyennes supérieures, urbaines en Chine du Sud aujourd’hui. La Chine évoque l’Europe des années cinquante et soixante, au moment où elle entre dans le processus de massification de la consommation de l’immédiat après guerre[3], le téléphone mobile et la télé couleur en plus. Les grilles aux fenêtres, les portes renforcées et l’interphone symbolisent le besoin de protection de ces biens, la montée de l’espace privé et probablement l’apparition d’une plus forte différenciation sociale.
Notre hypothèse est que la consommation, et par là les objets du quotidien, est un analyseur des rapports sociaux et de leur évolution dans la plupart des société aujourd’hui. C’est une hypothèse méthodologique qui ne postule rien du bien ou du mal fondé de l’économie de marché ou de la consommation, sinon que la consommation est un phénomène social inhérent à toute société : sans consommation, c’est-à-dire sans échange, il n’y a pas de lien social, comme il n’y a pas de création de valeur sans production[4]. La méthodes des itinéraires est un moyen d’observer les pratiques et les représentations de la consommation en partant non pas des motivations ou du seul arbitrage lié aux achats, mais de l’observation des usages des objets et services dans l’univers domestique et familial. Une partie de cette circulation relève de la sphère marchandes, les objets achetés au marché, en grande surface ou dans un magasin de quartier, et les autres de la circulation non marchande, les cadeaux ou la transmission de certains objet usagés du quotidien[5].
1. La méthode des itinéraires[6].
Le principe d’application de la méthode des itinéraires est simple. Il consiste, en partant des usages des objets, à considérer l’acquisition d’un objet, par achat ou par don, comme une suite d’interactions entre acteurs familiaux ou amicaux et comme un processus dans le temps comprenant un certain nombre d’étapes à reconstruire et à affiner en fonction des cultures. La méthode des itinéraires est une approche micro-sociale d’observation de la réalité[7]. Elle ne dit donc rien des institutions et des effets de domination sociale d’un coté qui relève du macro-social, ni des motivations ou des arbitrages psychologiques d’achat qui relèvent du micro-sosial. En terme de découpage elle est plus centrée sur les pratiques et l’imaginaire que sur le sens que chaque acteur donne à son action.
En prenant systématiquement cette méthode appliquée aux classes moyennes, moyennes supérieures et universitaires, pour des pays aussi variés que l’Algérie, le Bénin, la Chine, le Danemark, l’Espagne, la France, la Grande Bretagne, l’Italie, les Pays bas, la Turquie, les USA[8], il devient possible à la fois de mieux comprendre les différences culturelles fondées sur l’observation des usages mais aussi de les relativiser pour se focaliser plus sur l’observation du différentiel entre les pratiques et les représentations, que sur « l’essence », « l’âme », voire la « pureté » introuvable d’une culture. C’est une approche peu spectaculaire, mais solide, qui permet de rendre apparent les « évidences invisibles » du quotidien.
Elle postule à la fois une dynamique des cultures et une approche stratégique des interactions sociales[9], mais aussi une approche structurale des codes sociaux qui organisent l’usages et la place des objets dans l’espace. Structurellement, à un moment donné de l’histoire du pays et de l’évolution de la dynamique sociale, l’espace domestique peut s’organiser suivant trois sous espaces : intimes, privés et publics. L’approche comparative montre que la distinction entre intime et privé serait forte en France, entre la chambre à coucher ou la salle de bain (intime) et la cuisine (privé), qu’elle se distribue différemment aux USA (la cuisine est un espace mi-privé, mi-public) et qu’en Chine la principale distinction semble être entre le public (le salon) et le privé (les autres pièces), les toilettes pouvant relever du public dans certains espaces hors de la maison. De même les usages des objets et leur place de rangement sont structurellement organisés, de façon évolutive, suivant trois codes : le prescrit (une obligation de faire), le permis (une possibilité) et l’interdit. C’est la combinatoire de ces structures qui évolue en fonction des cultures, mais aussi faudrait-il rajouter en fonction des âges, des sexes et des classes sociales.
Un bon exemple est celui du papier toilette dont les places prescrites ou permises en France sont les toilettes, la salle de bain ou un placard spécifique. Sa place de rangement relève de l’univers intime ou privé. Il doit être « caché » au public. Il est « interdit », au sens de code implicitement admis, de le mettre en évidence dans le salon. Au contraire à Guangzhou, le papier toilette n’est pas frappé d’interdit spécifique. Il peut être rangé bien en vue dans le plus beau meuble du salon, sous la télévision et le téléphone, ce qui montre qu’il a une autre valeur et un autre usage : il peut autant être utilisé comme papier toilette, que comme mouchoir que comme papier « essuie tout », trois usages qui en France ou aux USA renvoient à trois papiers différents (papier toilette, mouchoir en papier et papier « essuie tout » ou « Sopalain »).
Cela dit, ce mélange peut se retrouver en France pour des jeunes où le papier toilette a plusieurs usage, dont celui du mouchoir en cas de besoin. Ceci montre la relativité de l’effet culturel par rapport à l’effet générationnel, sexuel ou social, au moins dans l’univers de la vie quotidienne. Ceci montre aussi que le sens d’un objet change quand il passe d’une culture à une autre, ce qui réaffirme aussi l’existence des différences culturelles. Relativiser la culture c’est donner de la place aux universaux, mais montrer les effets de différence est une des conditions de reconnaissance de l’autre et de ses particularités.
A titre d’exemple, je décrirai dans ce texte le cas d’un processus marchand lié aux comportements alimentaires, qui est un des itinéraires les plus facile à observer et quasiment générale à toutes les cultures urbaines, nous pouvons reconstituer sept grandes étapes. Mais l’itinéraire s’applique à de nombreux processus sociaux du quotidien, comme le déménagement, et de la vie professionnelle, comme pour les processus d’innovation.
La première étape est celle des discussions à la maison et de la façon dont est décidé l’achat de tel ou tel produit : avec qui, à la suite de quelles transactions au sein du couple ou avec les autres générations, avec ou sans liste, etc. A Guangzhou, la plupart des courses se font sans liste, sauf quand il y a des objets très spécifique ou que les achats se font en grande surface avec de nombreux objets à acheter. La valorisation sociale de la mémoire, mais aussi la fréquence des courses, tous les jours et avec peu de produits, expliquent en partie le faible usage de la liste [10].
Nous observons ensuite la façon dont chacun va faire ses courses, c’est la deuxième étape. Aux USA, c’est en voiture, l’usage du coffre étant stratégique : il permet de faire de grosses courses. En Chine, c’est plutôt à pieds ou en vélo, comme aux Pays bas pour les jeunes étudiants. Ceci peut avoir des implications non négligeables soit sur le « packaging » (l’emballage), petit ou grand, lourd ou léger, qui doit tenir compte du mode de transport, un sac ou un coffre, soit sur l’organisation de la grande surface qui vient s’installer en Chine ou au Vietnam, avec le risque de construire un parking automobile surdimensionné et une place inexistante pour les vélos.
La troisième étape est celle des courses et du moment de l’achat. C’est l’étape la plus observée par le marketing. Pendant cette étape, sont mobilisées implicitement les grandes catégories du propre et du sale, du cher ou du bon marché, du frais ou du non frais, des signes de la confiance ou de la méfiance, etc.[11].
La quatrième de l’itinéraire est celle du stockage ou du rangement des produits. Elle est bien connue dans les études sur le monde rurales avec la question des greniers notamment. Elle l’est moins pour le monde urbain. Cette étape est plus facile à gérer aujourd’hui quand un réfrigérateur ou un congélateur est présent dans le logement. Bien souvent, son inexistence demande la mobilisation d’autres techniques de conservation, comme le séchage ou le salage, tout comme cela provoque une plus grande fréquence des courses. Ces petits exemples du quotidien permettent de mieux comprendre l’importance des fils électrique décrits en introduction[12] : ils conditionnent toute l’organisation de la vie domestique, et principalement celle des femmes. L’électricité devient un analyseur des frontières entre sexes et générations au sein de l’univers domestique.
La cinquième étape est celle de la préparation culinaire. Elle est très peu étudiée par les sciences humaines dans les sociétés urbaines, au contraire des sociétés rurales autour d’Igor de Garine, en ethnologie pour les sociétés « exotiques »[13].. C’est une étape plus au moins stratégique en fonction des cultures. Aux USA, c’est une phase souvent courte, sauf le jour du Thanksgiving, alors qu’elle peut être très longue, une à deux heures en Chine, en France ou en Algérie, pour une partie des repas ordinaires et plus formels. Cette observation permet de mieux comprendre le paradoxe des comportements alimentaires américains dont il est souvent dit qu’ils ne s’intéressent pas à la nourriture alors qu’ils passent, en pratique, beaucoup de temps pour manger ou grignoter. En Floride où nous avons menée des enquêtes exploratoires, nous pouvons même dire qu’une partie de la vie sociale est organisée autour de la voiture, de la mobilité et de l’accès aux restaurant à tout heures du jour et d’une partie de la nuit. Aux USA certains sociologue parlent même de « grazing », de « broutage » c’est-à-dire de mouvement continue de quête de l’alimentation. Si le moment de la préparation culinaire n’est pas important, comme aux Pays bas, comparé avec la France ou la Chine, le fait de s’alimenter, avec des produits frais, c’est-à-dire pour un américain sous cellophane et avec une date de péremption, ou sans gras, est lui très important.
La sixième étape est celle de la consommation et des manières de table, la plus culturelle et la plus étudiée par l’anthropologie[14]. La dernière étape, encore peu étudiée aujourd’hui, mais qui devient stratégique avec l’urbanisation, est celle des restes culinaires et des déchets, et donc de comment les familles ont l’habitude de les gérer[15]. Les pays du Nord de l’Europe ont une tradition plus ancienne de gestion des ordures et de l’usage de plusieurs poubelles en fonction du verre, du papier ou des déchets organiques au contraire de l’Europe du Sud[16]. Certains pays du tiers monde ont développé des activités économiques importantes à partir des aires de stockages des déchets urbains comme à Alexandrie ou à Tananarive à Madagascar[17]. La gestion des déchets relèvent d’une différence culturelle en pratique et en valeur.
Pour le moment nos enquêtes sur la Chine en sont à une phase descriptive, micro-sociologique et ethnographique. Elles permettent peut d’interprétations et encore moins d’explication. Pour le moment nous nous appuyons sur les travaux de Zheng Li Hua (1995, 1998)[18], d’Anne Cheng (1998) [19] ou de François Julien (1992)[20] pour voir si l’on peut retrouver des liens entre les pratiques observées dans le quotidien et une partie des valeurs historiques de la pensée chinoise, ou même s’il est possible d’observer l’émergence de nouvelles pratiques ou de nouvelles valeurs.
2. Vie quotidienne et espace domestique à Guangzhou
L’itinéraire que nous allons décrire est celui d’une jeune femme de 25 ans, universitaire, mariée, sans enfant. Il concentre une partie de ce que nous avons observé au cours des autres entretiens. Certaines pratiques relève de la « généralisation qualitative limitée »[21], comme le fait de couvrir avec un tissus quelques objets du quotidien comme la télévision, le téléphone ou le climatiseur, pratique générale, avérée et vraie, mais non quantifiée. Elle ne relève donc pas d’une pondération et de l’évaluation du degré de généralisation statistique quantitative.
L’observation démarre en bas de l’immeuble. Il y a un interphone qui commande l’ouverture de la porte, ce qui semble assez fréquent. A l’intérieur, en bas de l’escalier, il y a une dizaine de vélo.[22]. Les fils électrique vont dans tous les sens, mais ils existent. L’important est plus aujourd’hui, dans cet immeuble, d’avoir accès à l’électricité que d’assurer la sécurité ou de produire de l’esthétique.
Nous retrouverons cette tension entre utilité et esthétique à l’intérieur des logements entre la place accordée au néon dans le salon et l’importance accordée petit à petit à l’esthétisation du logement. Dans les logements les plus esthétisés, les fils électrique sont cachés, alors que dans de nombreux logements ils restent apparents. Des familles introduisent un lustre au centre de la pièce, à coté du néon. Puis apparaît l’éclairage indirect associé à la suppression du néon, voire du lustre. La source électrique, les files, doivent se cacher. Ils ne relèvent plus ni de l’utilité ni de la mise en scène sociale. Ils vont être petit à petit frappés d’interdit.
La porte de l’appartement donne directement dans le salon. C’est le premier lieu qui a un rapport avec l’alimentation, car, comme on le verra, il n’y a pas de salle à manger. Il fait autour de 12m2. Il n’y a pas de sas d’entrée, ni de couloir. Les chaussures sont posées par terre et sur un petit meuble, près de la porte[23]. L’interphone est à droite, juste au-dessus d’un interrupteur électrique dont les fils sont sous baguettes, une esthétisation intermédiaire entre les fils nus et les fils encastrés.
Le long du mur de droite, en partant de la porte, se trouve le meuble de télévision, un des meubles les plus imposants de la pièce. La télévision est recouverte d’un tissus rouge. Dans d’autres logements la télévision évoque un autel bouddhiste, ou en tout cas un objet important, comme les télévisions en France dans les années soixante. En France elles étaient souvent recouvertes d’un napperon, avec des bougies, des photos ou des petits objets décoratifs. Comme il y a 40 ans en France ou en Suède, la télévision est un objet valorisé qui commence sa « vie sociale » dans le salon, avant de terminer peut-être par terre dans une chambre ou un bureau, dans un grenier ou dans un sous sol avant de repartir pour une nouvelle vie grâce à l’équivalent de ce que serait une association « Emmaüs » en Chine. Même, si la raison la plus souvent invoquée pour expliquer les tissus sur la télévision, le téléphone et le climatiseur est la présence de la poussière à Canton, le besoin de protection de ces objets confirme leur importance.
Dans le meuble à télévision sont rangées les photos du mariage, un des souvenirs important dans beaucoup de familles. Ce qui varie ce sont les vêtements et l’environnement. Dans le logement d’un couple autour de la cinquantaine, la photo des jeunes mariées, placées sur la table de nuit prêt de leur lit, les montre en « costume Mao » austère. Le livre de photos montre des groupes d’amis à l’usine ou en voyage. Par contraste, l’album de photo du jeune couple comprend plusieurs dizaines de photos de costumes et de robes de mariage différentes. Les deux photos exposées sur le meuble montre le couple dont la femme porte sur l’une une robe de mariée occidentale blanche et sur l’autre une robe de mariée chinoises rouge. Le livre de photo peut coûter plusieurs milliers de Yuan, pour un salaire de 6 à 700 Yuan par mois. Les seuls photos que nous avons vu, en dehors de celle du mariage, étaient plus centrées sur la vie du couple, ses voyages, que sur les amis. C’est peut-être un signe d’évolution du couple et de la famille, vers une « nucléarisation » ?
Des objets utilitaires et décoratifs sont aussi rangés dans le meuble de télévision. Dans un autre logement, celui d’un couple autour de la cinquantaine, toutes les étagères étaient remplies d’objets qui étaient des cadeaux données par la famille ou des amis de passage, des anciens collègues de travail, le plus souvent. Une place était occupée par un Bouddha, cadeau d’une ancienne amie de travail. Dans une autre pièce il y avait aussi un bouddha, avec un autel et des pommes. Cette présence du Bouddha, déjà très forte dans les commerces et les restaurants sous la forme de petits autels, correspond bien à quelque chose de vivant si l’on en juge par l’observation de l’importance de la fréquentation des pagodes à Guangzhou et ce que nous ont déclaré une partie des cantonnais interviewés au cours de notre enquête sur la mémoire, sur l’importance qu’ils accordaient à la pratique religieuse (prières, jeûnes, offrandes, célébration des fêtes, culte des ancêtres, etc.).
Vers le mur de gauche, toujours dans le salon, se trouvent la machine à laver le linge et le réfrigérateur, plutôt de couleurs pastelles, avec des napperons, des fleurs et des « magnets » sur la porte du réfrigérateur. Pour un occidental cela peut paraître « bizarre », mais outre que cela peut correspondre à un manque de place, comme chez les jeunes en France entre 18 et 25 ans quand ils vivent dans moins de 20m2 et que les objets de la cuisine sont dans le salon, cela montre aussi l’importance qui est accordé à ces objets électroménagers. Par contre, ce qui choque un américain, c’est de mettre la machine à laver dans la cuisine, comme c’est souvent le cas en France, à côté des objets de l’alimentation : ce n’est pas très hygiénique pour lui [24]! Il semble, vu les observations d’autres appartements, que cette place est fréquente, mais que quand l’espace s’agrandit, avec des logement plus récents, le réfrigérateur se retrouve dans la cuisine, ainsi que la machine à laver
Au fond, en face du meuble de télévision, il y a un canapé en cuir, signe de la « jeunesse », par rapport aux canapés en bois, qui font « plus vieux », moins « à la mode ». Il n’y a pas de salle à manger. Une table pliante fait office de table de salle à manger et de bureau. La table pliante sera utilisée pour notre déjeuner après que nous ayons fini les courses et l’observation de l’itinéraire. La table pliante est un objet fréquent du quotidien. Les salles à manger que nous avons vu se situent surtout dans les nouveaux appartements de Guangzhou. Elles semblent être un signe de statut social. La salle à manger est peu utilisée comme telle, un peu comme aux USA et dans certaines familles françaises. Aux USA, nous avons observées des salle à manger sans grande fonction utilitaire, mais avec une forte valeur de décoration et de mise en scène.
Tout le dernier mur, à droite du meuble de télévision, est occupé par une grande bibliothèque à 6 panneaux, signe de l’importance accordée au travail intellectuel par sa propriétaire. Elle est remplie de livres et de dossiers. Ce n’est pas un objet neutre. Cette bibliothèque la suit dans ses déménagements[25].
Les quatre murs du living semblent symboliser la modernité et l’entrée dans la société de consommation, avec la télévision et les objets électroménagers, la mode avec la canapé et le lien avec la partie noble de l’histoire chinoise, avec la bibliothèque. Ce qui frappe le plus, même si elle n’est pas sur valorisée au niveau du discours, c’est l’importance accordée aujourd’hui à tous ces objets, photos, électroménagers, télé, livres, objets cadeaux, par contraste avec tout ce qui nous a été raconté sur la révolution culturelle et sur son souci de détruire une partie de la mémoire collective et celui ascétique de limiter les objets au minimum.
Le second lieu de l’alimentation est la cuisine. Elle ait entre 2 et 3 m2. Elle est assez étroite, mais bien équipées avec une gazinière, une hotte aspirante et un micro-onde, et trois étagères remplies de sauces, signe qu’on est bien dans l’univers de la cuisine cantonaise, et de nombreux pots pour faire des « soupes » ou des décoctions « médicaux-alimentaires », comme souvent dans la Chine du Sud. Le lien santé et alimentation est très fort et très vivant : chercher à équilibrer le ying et le yang, le chaud et le froid, reste une préoccupation de tous les jours pour beaucoup. Les cuillères, les bols et les baguettes complètent l’équipement de base de la table. Fourchettes et couteaux sont quasi inexistants.
Les trois objets de base de la cuisine de Guangzhou sont présents : le wok, le « couteau hachoir » et la planche à découper ronde et en bois épais. Découper en petit morceaux, ce qui est nécessaire du fait notamment de l’usage des baguettes, et faire sauter résume assez bien une partie de la cuisine cantonaise familiale. Par contre, comme dans la plupart des cuisines chinoises que nous avons observées, il n’y a pas de four.
Le troisième lieu indirecte de l’alimentation sont les toilettes : un des lieux des déchets. Ils sont à la « turque », comme nous l’avons observé dans d’autres appartements, avec un robinet pour remplir une bassine d’eau en plastic bleu qui sert de chasse d’eau et une balayette. Ils sont dans le même espace que la salle de bain, comme dans les pays anglo-saxons, scandinaves ou du Maghreb, mais contrairement à beaucoup d’endroits en France où salle de bain et toilettes sont séparées. La salle de bain fait 3m2. Ce qui frappe, comparativement aux salles de bain françaises ou américaines, c’est le très faibles nombres d’objets liés aux soins du corps ou au nettoyage de la maison : un shampoing, du dentifrice, un lait corporel, des verres à dent, du produit pour laver par terre, deux seaux, un balai, la bouteille de gaz pour le chauffe eau, le chauffe eau et le tuyau de douche, soit entre 10 et 20 objets.. Plusieurs fois, nous avons vu aligner dans la salle de bain, trois verres à dents et trois brosses à dent, symboles de la nouvelle famille chinoise, faite du père, de la mère et de l’enfant. Comparativement, nous avons pu compter plusieurs dizaines d’objets, voire plusieurs centaines d’objets, dans des salles de bain occidentales[26].
La chambre à coucher est ici un espace gagné sur la terrasse. Elle fait autour de 6m2. Le matelas est par terre, à coté du lecteur de CD. Elle n’entre pas dans l’espace alimentaire.
3. L’itinéraire alimentaire : le départ, l’accès, l’achat, la préparation et la consommation
Au moment de partir faire ses courses, madame Xu[27] prend 200 Yuan qu’elle met dans la poche arrière de son short. Son salaire tourne autour de 700 yuan, c’est donc une somme non négligeable nécessaire pour les courses de la semaine et le déjeuner du jour.
A l’étape de l’accès, elle prend un panier à course et se dirige à pieds vers le marché de son quartier, soit un quart d’heure de marche. Tout au long du parcours les petits commerces sont très nombreux. Ils sont le plus souvent aux pieds des immeubles ou des habitations. Ils ne sont pas concentrés dans des quartiers spécifiques.
Au moment de l’achat, le marché commence par les étales de viande, comme en Afrique ou dans les marchés de rue en France : la viande est présentée sans être « protégée », ce qui est très « choquant » pour un américain en terme de propreté et de garantie de qualité.
Puis vient le marché aux poissons et fruits de mer. Les poissons et les crevettes sont vivants, dans des bassines d’eau oxygénées grâce à des petits tuyaux en plastique branchés sur des compresseurs. Etre vivant est un signe de confiance fort. Il semble peu pensable d’acheter des poissons morts qui inspirent la méfiance[28]. De même pour les poulets, ils doivent être achetés vivants. Ils sont présentés dans des petites cages comprenant une dizaine de poulets. Proposer des produits vivants comme signe de la confiance et de sa qualité est une constante que nous retrouverons dans tous les marchés, à Qin Ping, comme dans les autre marchés de rue, et à l’entrée des restaurants où sont proposés au choix, des lapins, des faisans, des serpents ou des poissons[29]. Le marché fini par l’achat des légumes qu sont présentés sur des tables ou par terre posés sur des sacs, et par celui des œufs où une ampoule dans une petite boite permet de mirer les œufs pour vérifier s’ils sont frais.
Pour le stockage et le rangement, moment du retour à la maison, les produits vont être divisés en deux, ceux pour la cuisine du jour et ceux pour la semaine. La viande de la semaine sera découpé sur le billot de bois et mise au frigidaire dans un sac plastique.
Pour la préparation culinaire, la viande du jour sera lavée sous l’eau froide, puis découpés en morceaux. De même les légumes seront lavés et coupés en morceaux. La préparation culinaire va prendre plus d’une heure et demi pour cinq plats et une soupe. Ce n’est pas un repas ordinaire, mais un repas pour recevoir des invités. Ce qui frappe c’est l’organisation très « rationnelle » des étapes culinaires dans un espace étroit entre l’évier et l’espace de travail (50cm2). Pour chaque plat, les produits sont lavés, posés sur le billot, découpés en petits morceaux, mis à sauté dans le « wok » (poêle chinoise ronde et profonde) sur la gazinière, puis déposé sur les étagères, ou par terre, dans la cuisine. A la fin de chaque plat, tout est nettoyé. Quand la préparation culinaire est finies, rien ne traîne dans la cuisine, tous les plats sont prêts à être servis.
Au moment de la consommation, l’étape des manières de table, les plats sont mis tous ensemble sur la table pliante. Il n’y a pas « d’ordre » des plats au sens français ou anglo-saxon. Chacun peut se servir dans n’importe quel plat[30]. Ils sont pour tout le monde. Les baguettes sont posées sur la table avec le bout qui sera utilisé pour saisir les aliments en dehors de la table, sans la toucher, par mesure d’hygiène. Il n’y a pas de nappe. Les déchets sont posés sur la table et seront ramassés à la fin. Chacun avec ses baguettes va chercher l’aliment qu’il veut manger. Pour le riz, le bol est approché de la bouche ce qui facilite l’usage de baguettes. Pour ceux qui veulent plus de riz, la casserole est placé sur un petit tabouret dans un coin de la pièce. La maîtresse de maison ira remplir les bols de ceux qui en veulent plus. A la fin les femmes débarrassent la table, nettoient les déchets et vont faire la vaisselle à la cuisine. Des cure dents permettent de se nettoyer les dents. Le déjeuner aura durée autour d’une demie heure. Nous ne restons pas autour de la table pour discuter une fois le déjeuner fini, comme cela pourrait se faire en France. La table est rangée. La salle à manger redevient salon.
Conclusion
L’itinéraire est « fini », même s’il peut être considéré comme sans fin. Pour le moment notre approche est surtout descriptive. D’autres analyses qualitatives sont en cours sur la confiance, la mémoire, le sens de l’alimentation, la famille, etc. Seul l’accumulation de données qualitatives centrées sur les pratiques pourra nous permettre de donner leur donner un sens. L’important est de montrer ici l’utilisation possible de la méthode des itinéraires en fonction de cultures différentes. Sur le plan pratique, celui de l’anthropologie appliquée au marketing, il est déjà possible de comprendre que si une entreprise veut lancer un produit qui doit se cuire au four ou se couper avec un couteau sur la table, il y a peu de chance pour que cela marche : un nouveau produit est encastré dans un système de pratiques, une culture matérielle et un sens qui lui préexiste. Sur le plan théorique, cette enquête relativise l’importance de la culture en soi, comme facteur explicatif des comportements, au profit d’une approche « différentialiste » qui met l’accent sur la situation de contact entre deux cultures, entre deux systèmes de pratiques et de modèles de résolution des problèmes[31]. Elle accepte comme analyseur de cette différence l’expression des sentiments négatifs mais en leur assignant un statut stricte de perception d’une différence, sans contenu essentialiste ou normatif, ce qui demande une forte ascèse professionnelle qui n’est pas toujours atteinte, ni acceptée. Ce n’est qu’une fois la situation décrites et interprétée par rapport à sa logique propre que nous allons chercher une explication plus causale qui relève de la culture ou de l’histoire, sans postuler pour autant que la culture est fixe ou immuable.
En mettant l’accent sur les pratiques, nous sous-valorisons les différences culturelles ou de sens, pour nous centrer sur les différences « objectivables » celle des pratiques et de la culture matérielle. C’est pourquoi nous avons retrouvé des points communs entre des pratique chinoises et française, notamment en terme d’efficacité organisationnelle : certains managers français gèrent leur entreprises « à la chinoise », en suivant la « propension des choses », en utilisant les opportunités du terrain. Des managers chinois peuvent « planifier » à la française.
Avec cette perspective, l’observation de la culture change de sens : au lieu de se centrer sur les valeurs en soi et de postuler qu’elles influencent les comportements de façon assez immédiates, nous partons des usages, des pratiques, des modèles de résolution des problèmes, c’est-à-dire des effets de situation, – ce qui est au fond assez chinois !- pour montrer leur importance dans l’explication des comportements.
Ceci crée un double effet d’observation, diminution de l’importance des valeurs dans l’explication des phénomènes et sur valorisation de la description des mécanismes sociaux universaux, comme les rapports de pouvoirs, l’existence de réseaux sociaux, la recherche de l’efficacité, etc. Ce qui varie entre les cultures ce sont les formes que peuvent prendre ces mécanismes, ces variation pouvant ou non dépendre des valeurs.
Les valeurs perdent donc leur pertinence en soi au profit d’une analyse socio-anthropologique en situation. Elles prennent un statut de représentation de la réalité, c’est-à-dire ce qu’une société à sélectionné au cours de son histoire et qui lui paraît important de transmettre ou de mettre en scène, mais ceci avec un relative indépendance par rapport aux comportements concrets de la vie quotidienne domestique, professionnelle ou politique. Les comportements sont la résultante d’un mélange entre les effets de situation, les contraintes du jeu sociale et les normes incorporées, et donc en partie des valeurs, mais en partie seulement.
Ceci est un raisonnement sociologique, et donc avec ses limites, ses découpages et ses postulats, mais dont j’ai souvent eu l’impression qu’il était « spontanément » plus proche de la « pensée chinoise » du fait de l’importance qu’elle accorde à l’effet de situation que de la « pensée américaine ou scandinave », plus centrée sur les motivations individuelles, au moins au niveau de ses représentations. Elle est aussi plus proche de la « pensée africaine » du fait de sa dimension « spontanément » collective[32]. L’intérêt d’une approche ne se mesure pas uniquement par la qualité de son contenu, c’est une condition scientifique nécessaire, mais aussi par le décalage du regard qu’elle permet. C’est un des objectifs de la méthode des itinéraires, décaler le regard centré sur les valeurs et le sens, pour lui faire observer le banal et le quotidien.
[1] Professeur d’anthropologie sociale et culturelle à la Sorbonne (Paris V), directeur adjoint du CERLIS/CNRS-Sorbonne, directeur de la collection « Sciences sociales et société » aux PUF, directeur scientifique d’Argonautes et professeur invité à Tampa (USA), Guangzhou (Chine), Odense (Danemark).
[2] Ce travail est le fruit d’une collaboration avec le département de français et du centre de recherche sur l’interculturel dirigés par monsieur Zheng Li Hua, de l’université des Etudes Etrangères du Guangdong, avec la collaboration de Yang Xiao Min, assistante au département de français, actuellement doctorante à Paris V-Sorbonne et chercheur associé au CERLIS CNRS. Notre enquête qualitative de terrain a été réalisée entre octobre 1997 et janvier 1999 auprès de 10 familles, sur la base d’entretiens semi-directifs, d’observations dans les logements et de prises de photos systématiques de toutes les pièces et de tous les objets. Les entretiens ont été mené en français, par Dominique Desjeux, avec des discussions et des traductions en chinois par monsieur Zheng Li hua et des étudiants chercheurs du département de français, et en chinois par monsieur Zheng Li hua, avec la collaboration de madames Xie et Yang Xiao Min, enseignantes au département de français et de Fanny et Jeanne, étudiantes au département de français. De plus quatre animations de groupe ont été réalisées en français et en chinois au département de français et qui ont plus particulièrement portées sur les représentations de la confiance (Argonautes, financement de la Mission de la Recherche de la Poste dans un objectif comparatif des conditions de la construction sociale de la méfiance ou de la confiance) ; cf. D. Desjeux, Zheng Li Hua, 1998, « Objets du quotidien et espaces de vie à Guangzhou », in Antrhoepotes, volume III n°1, pp. 27-30. Une enquête sur les pratiques et les représentations de la mémoire en Chine a ensuite été réalisée entre octobre et décembre 1998, sous la direction de Dominique Desjeux, Sophie Taponier et Zheng Li Hua, avec la participation de 7 jeunes étudiants chercheurs du département de français et de Séverine Enjolras, doctorante à Paris V Sorbonne (Argonautes, financement du laboratoire Beaufour Ipsen,). Parallèlement Séverine Enjolras a réalisé une mémoire de DEA sur l’espace domestique et la vie quotidienne à Shanghai (Paris V-Sorbonne, 1998). Que tous, financeurs et chercheurs, chinois et français, soient ici remerciés pour leur participation, leur enthousiasme et leur compétence professionnelle.
[3] Cf. sur cette période en France, Kristin Ross 1997, Aller plus vite, laver plus blanc. La culture française au tournant des années soixante, Paris, Edition Abbeville, coll. « Tempo », 223 p. (1995, pour l’édition anglaise)
[4] Cf. sur la consommation, Cabin Philippe, Dominique Desjeux, Didier Nourisson, Robert Rochefort, 1998, « Comprendre le consommateur », Auxerre, Sciences Humaines, 76p.
[5] Cf. Sur la circulation des objets, Arjun Appadurai (éd.), 1986, The Social Life of Things. Commodities in a Cultural Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 329 p. ; Dominique Desjeux, Anne Monjaret, Sophie Taponier, 1998, Quand les français déménagent. Circulation des objets domestiques et rituels de mobilité dans la vie quotidienne en France, Paris, PUF, 266p.
[6] Cf. sur la méthode des itinéraires, Desjeux Dominique, 1997, « L’ethnomarketing, une approche anthropologique de la consommation : entre fertilisation croisée et purification ethnique », UTINAM n°21-22, juin, Paris, L’Harmattan, pp.111-147
[7] Cf. sur les échelles d’observation, Dominique Desjeux, 1996, « Tiens bon le concept, j’enlève l’échelle… d’observation », UTINAM n° 20, Paris, L’Harmattan, pp 15-44 ; Dominique Desjeux, 1996, « Scales of Observation: a Micro- sociological Epistemology of Social Science Practice », Visual Sociology, volume 11, n°2, pp 45-55 ; Dominique Desjeux, 1993, « La décision, entre stratégie consciente et forces aveugles », Sciences Humaines, hors série n°2, pp. 43-46 ;
[8] Nous avons monté un programme de recherche international depuis trois ans, sur le quotidien et sur les comportements alimentaires, dans le cadre des recherches d’Argonautes, du CERLIS/CNRS, du programme d’été du Magistère de sciences sociales appliquées aux relations interculturelles de Paris V-Sorbonne avec la collaboration de Nicoletta Diasio (Rome, Italie), Tine François (Odense, Danemark), Mohamed Mebtoul (Oran, Algérie), Isabelle Garabuau-Moussaoui (Paris France), Marc Neumann, Christine Probes (Tampa, USA), Sophie Taponier (Paris, France), Catharina Witte (Nijemigen, Pays Bas), Zheng Li Hua (Guangzhou, Chine). Un livre est en préparation sous la direction de Dominique Desjeux, Isabelle Garabuau-Moussaoui et Elise Palomares aux éditions l’Harmattan.
[9] Dominique Desjeux (en collaboration avec Sophie Taponier), 1991, Le sens de l’autre. Stratégies, réseaux et cultures en situation interculturelle, Paris, UNESCO, 169 p., (1994, l’Harmattan)
[10] Cf. la recherche conduite sous la direction de Dominique Desjeux, Sophie Taponier et Zheng Li ua sur Les pratiques et les représentations de la mémoire en Chine, Guangzhou, Argonautes, Centre de Recherche sur l’Interculturel, contrat Beaufour Ipsen, 250 p multig., 1998
[11] Cf. sur la méfiance, Dominique Desjeux, Sophie Alami, Olivier Le Touzé, Isabelle Ras, Sophie Taponier, Avec la collaboration d’Isabelle Garabuau-Moussaoui et l’aide d’Elise Palomares, 1998, « La construction sociale de la dynamique de la méfiance et de la confiance entre La Poste et ses clients. Une approche structurale des stratégies d’acteur », Université de Rouen, Journée d’étude, GRIS, Mission de la Recherche de La Poste, METIS-CNRS, 11 décembre, 19p. mulitg.
[12] Cf. sur l’électricité, Dominique Desjeux, Cécile Berthier, Sophie Jarraffoux, Isabelle Orhant, Sophie Taponier, 1996, Anthropologie de l’électricité. Les objets électriques dans la vie quotidienne en France, Paris, L’Harmattan, 220 p.
[13] Cf. pour le travail de base sur l’alimentation, Igor Garine (de), 1991, « Les modes alimentaires : histoire de l’alimentation et des manières de table », Jean Poirier (éd.), Histoire des moeurs, tome I, Paris, Gallimard, coll. « La pléiade », pp. 1447-1627 ; Isabelle Garabuau, Dominique Desjeux, Sophie Taponier, 1996, Recherche sur les processus d’héritage et d’innovation dans les comportements alimentaires et culinaires des jeunes en France, Paris, Argonautes, ministère de l’Agriculture, ministère de la Recherche, Nestlé Sopad, 268 p. (multig.) ; Isabelle Garabuau-Moussaoui, sur les comportements culinaires des jeunes, thèse en cours à Paris V-Sorbonne
[14] Cf. les travaux de Françoise Saban sur les comportements alimentaires en Chine et notamment, « As-tu mangé ? Bonjour », in L’Etat de la Chine, P. Gentelle (éd.), Paris, La Découverte, 1989
[15] Cf. le travail de recherche en cours de Lionel Panafit, sur « Les ménages et leurs déchets : enjeux et transactions », thèse en cours à Paris V-Sorbonne
[16] Dans mon bureaux et dans mon logement au Danemark, à l’université d’Odense, il y a deux poubelles, l’une pour les papiers, l’autres pour les autres déchets, ce qui n’est le cas ni en Chine, ni en France. Dehors, dans la rue ou dans les parking des grandes surfaces, en plus des poubelles pour séparer les papiers, les verres et les autres déchets, des containeurs pour vêtements à jeter sont placés à coté. Le rapport aux déchets, à l’environnement et à la nature est une forte variable culturelle dont l’évolution semble liée à l’urbanisation et au problème des décharges.
[17] Cf. Le livre de Martine Camacho sur Les Poubelles de la survie, Paris, l’Harmattan
[18] Zheng Li Hua, 1995, Les chinois de Paris et leur jeux de face (préface de Louis-Jean Calvet), Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 300 p. ; Zheng Li Hua, 1998, Langage et interactions sociales. La fonction stratégique du langage dans les jeux de face, Paris,L’Harmattan, coll. « logiques sociales », p.
[19] 1998, La pensée chinoise, Paris, Seuil, p.
[20] Julien François, 1992, La propension des choses. Pour une histoire de l’efficacité en Chine, Paris, Seuil, 282 p.
[21] Cf. sur la notion de « généralisation limitée », Dominique Desjeux, Anne Monjaret, Sophie Taponier, 1998, Quand les français déménagent. Circulation des objets domestiques et rituels de mobilité dans la vie quotidienne en France, Paris, PUF, 266p.
[22] Tout se passe comme s’il y existait des cultures « avec vélo », la Chine, les pays Scandinaves, les Pays Bas, où l’espace de circulation est organisé en fonction de son existence, et les cultures « sans vélo », comme la France, l’Italie ou les USA, plutôt organisée autour de la voiture
[23] De nombreuses cultures, en Asie ou autour de la Méditerranée ont l’habitude de faire enlever les chaussures dans la maison. Cette pratique peut être associée à celle du tapis, fréquente au Moyen-Orient et autour de la Méditerranée.
[24] Toutes les observations interculturelles sont tirées des séminaires du programme d’été que nous animons à la Sorbonne, avec Marc Neumann et Zheng Li Hua, et des séminaires à Guangzhou.
[25] Les discussions en séminaire ont fait ressortir l’émergence d’un nouveau service, celui de déménageurs. C’est l’indication d’une forte évolution de la culture matérielle chinoise et d’une nouvelle importance accordée aux objets comme décoration du logement et peut-être dans l’avenir, comme patrimoine transmissible. Il est aussi possible que se développe des services de petites annonces sur des objets à céder entre particuliers. Il existe aussi une rue de antiquaires à Guangzhou dont il serait intéressant d’observer le sens qu’elle a pour les chinois et pour quelle couche sociale.
[26] Cf. Claire Marie Levesque s, 1998, Reflets aquatiques et expressions corporelles. Etudes des pratiques et des représentations de l’espacee tdu corps dans la salle de bain, Paris, mémoire de maîtrise, Paris v Sorbonne, Magistère de Sciences Sociales, 163p.
[27] Le nom est fictif.
[28] . A l’opposé, quand j’ai montré ces photos à des américaines, elles m’on demandé qui tuait les poissons, c’est-à-dire qui garantit la qualité hygiénique de ces poissons en amont de l’approvisionnement du marché, sans compter un sentiment de « dégoût » de devoir tuer sois même les crevettes ou le poisson. Dans les enquêtes interculturelles, il est intéressant d’utiliser ses sentiments de répulsion comme analyseur de la différence, sans bien sûr rien inférer en terme de bien ou de mal (cf. dominique bouchet, 1996, Avoiding Cross Cultural Misunderstanding, Odense, Forlag AFVEJE, 71 p.). C’est un bon moyen de faire apparaître les interdits incorporés dans chaque culture et d’éviter l’idéalisme des approches culturelles fondées sur la seule compréhension de l’autre comme solutions aux difficultés de la relation interculturelle : la compréhension de l’autre se heurte aux frontières de chaque culture. C’est cette différence qu’il faut gérer, et non la supprimer car c’est impossible sous peine de se nier soi-même. C’est ce qui explique l’intérêt des approches stratégiques dont l’objectif est de mieux appréhender la gestion de la différence en tant que telle et non de changer ou d’idéaliser la culture ou le comportement de l’autre (cf. D. Desjeux, S. Taponier, 1991, op. cit.)
[29] Le thème de la confiance est un bon exemple des limites des approches trop culturalistes, c’est-à-dire qui prennent la culture comme une essence en soi. Une partie de l’anthropologie américaine classe la « culture » chinoise dans la catégories des « cultures de méfiance », au contraire de la culture américaine qu elle serait une « culture de confiance ». Ceci est relatif, pour ne pas dire faux, puisque pour les chinois ou pour les français les américains, en affaire, participent d’une culture de la méfiance à la vue de la taille des contrats qu’il faut signer et qui cherchent à se protéger contre tous les aléas possible. Faire un contrat écrit est souvent perçu en Chine un signe de méfiance. Ceci montre que la confiance et la méfiance n’existe pas en soi mais que la catégorisation utilisée pour décrire l’autre, ne dit pas grands chose sur l’autre, mais dit beaucoup sur la différence de gestion de résolution des problèmes du quotidien. Les américains ont des bonnes raisons de faire des gros contrats écrits vu les risques qu’ils ont de se faire attaquer par un « lawyer » (juriste), mais on ne peut dire qu’ils sont confiants ou méfiants en soi. La confiance ou la méfiance sont des comportements construits socialement e fonction du risque perçu, notamment, et dont la perception relève de l’histoire et de l’expérience.
[30] Cf. sur l’ordre des plats, Zheng Li Hua (1995)
[31] Cf. Dominique Desjeux, 1998, « Les enjeux de l’interculturel », in J.F. Dortier (éd.), La communication appliquée aux organisations et à la formation, Paris, DEMOS, pp. 107-117
[32] J’ai travaillé 8 ans à Madagascar et au Congo, entre 1971 et 1979, puis par la suite j’ai mené des enquêtes e Afrique Centrale et de l’Ouest (Sénégal, Burkina Faso, Niger, Cameroun, Centre Afrique) et au Maghreb (Algérie et Maroc)