Innovations / changements / décision
1991, Enquête anthropologique et recherche action sur les stratégies de différenciation et axes de communication de l’enseigne Champion
(groupe Promodes)
Dominique DESJEUX, Professeur d’anthropologie sociale et culturelle à Paris V – Sorbonne
Sophie TAPONIER, Chercheur au laboratoire d’ethnologie de Paris V – Sorbonne
Isabelle FAVRE, Chercheur
Paris, Juillet,1991
consommations-et-societes.fr
Volume 1 : SYNTHESE
I. IMAGE, CHOIX ET POSITIONNEMENT DU MAGASIN CHAMPION
LES POSTULATS DE L’ENQUETE
1. La recherche de stratégies de différenciation et d’axes de communication demande de distinguer :
– La communication en termes de réalité et de signes au niveau des magasins (propreté, agencement, prospectus, architecture…)
C’est dans ce domaine que l’on trouve le capital image et la compétence de Champion les plus forts, en terme de confort d’achat dans les magasins.
– La communication en termes symboliques et d’ambiance, au niveau de l’enseigne.
C’est la partie faible de l’enseigne Champion, qui ne propose pas actuellement de concepts fédérateurs. Il y a tout un univers symbolique à fonder, qui doit se démarquer des univers traditionnels de la grande distribution.
– La traduction de ce concept d’ambiance en communication publicitaire.
Cet aspect sera le travail d’un service de communication et d’une agence de publicité.
Les propositions que nous faisons sur l’ambiance et les symboles sont de l’ordre de l’évocation, pour stimuler l’émergence de nouvelles idées.
2 – La pertinence de ces univers dépend de la résonance qu’ils vont rencontrer à la fois en interne et en externe.
3 – La réussite de la mise en place d’une politique de communication unique pour l’ensemble du groupe nécessite la résolution de problèmes de management interne.
4 – L’efficacité durable de la communication demande la mise en place de mesures d’accompagnement en formation, en négociation et en prospective.
1 – Les consommateurs
A – Pratiques
L’analyse relativise le caractère rationnel et déterminant des critères de proximité, prix, qualité et choix dans le comportement des consommateurs.
a) Proximité
– ne s’apparente pas forcément à une faible distance physique. L’itinéraire, le temps d’accès, la facilité de desserte ou de stationnement sont des variables importantes, tout comme l’environnement du magasin.
– un critère plutôt pour justifier de la non-fréquentation qu’un critère déterminant
Les consommateurs ne fréquentent donc pas forcément la grande surface la plus proche de leur domicile. La plupart d’entre eux ont une voiture, et disposent de plusieurs points de vente dans un rayon d’une distance kilométrique assez faible. Il y a donc un réel choix de leur part.
b) Prix
L’attention aux prix ne se traduit pas forcément par la recherche des premiers prix, qui n’est qu’un comportement possible.
Elle s’exprime par d’autres stratégies de contrôle du budget et de recherche d’économies.
La première stratégie consiste à contrôler les types de produits que l’on achète, à s’en tenir à ce qu’on considère comme indispensable et à s’auto-contraindre pour ne pas acheter le « superflu ».
La deuxième stratégie consiste à profiter d’occasions (promotions, achats groupés avec d’autres personnes) pour stocker.
– A l’intérieur du magasin, l’attention aux prix des articles et aux promotions varie:
. une faible attention aux promotions
. une attention sélective aux promotions sur les produits que l’on souhaitait de toute façon acheter.
. une attention aux promotions en elles-mêmes, sur des produits que l’on avait pas forcément l’intention d’acheter.
– Les consommateurs mettent en œuvre à des degrés variables des moyens d’évaluation du montant total de leurs courses.
. L’auto-contrôle dans le choix des articles. La liste est dans ce cas une aide assez précieuse au contrôle.
. Le contrôle précis du montant des achats. M. A. par exemple: « je marque les prix sur la liste, plutôt en estimant un prix au-dessus de la réalité, pour ne pas avoir de mauvaises surprises« .
Cette surestimation permet de s’octroyer une marge de liberté. Elle apparait comme un moyen de se redonner du plaisir dans un contexte de contrainte.
– Le paiement en liquide: un moyen de contrôle, qui aide à la gestion du budget: « je vois les billets, je sais ce qu’on dépense« .
– La place de l’affectif est une limite à la rationalité des comportements
L’attention aux prix n’existe pas en soi. Elle varie en fonction de l’occasion d’achat ou de consommation prévue, et des personnes (ou bêtes!) auxquelles le consommateur pense en effectuant l’achat.
c) Qualité et Choix
La qualité: une condition nécessaire que les magasins Champion satisfont.
Le choix : les consommateurs optent pour un magasin en fonction
. des produits qu’ils envisagent d’acheter, et non pas de l’enseigne
. de la variété des choix qu’ils attendent de ce magasin
Les consommateurs attendent des magasins Champion une offre de choix pour les courses alimentaires de base.
Selon les occasions, les magasins Champion ont pour concurrents potentiels :
– l’hyper pour l’achat de fond ou l’achat groupé,
– d’autres supermarchés pour des produits spécifiques,
– le commerce de détail pour la qualité ou le dépannage.
Une déclaration de M. A. illustre bien ce positionnement: « quand j’en ai pour 700 à 800 F, je vais à Champion, pour 50 à 100 F à Shopi, quand ça dépasse 1000 à 15000 F à Continent ».
d) Confort d’achat
Le confort d’achat est pour les consommateurs l’atout central des magasins Champion.
Le confort d’achat place Champion hors de la concurrence des hypers.
Les consommateurs apprécient la taille humaine du magasin. Ils se sentent en sécurité et avec des gens du même milieu.
La clientèle semble finalement un peu à l’image du magasin lui-même, c’est à dire de « bon ton », sans caractère vraiment saillant.
La clientèle de Champion, dit Mme C., « c’est les gens aisés des environs, une bonne clientèle, pas des gens à histoire, des gens bien ».
B – Perceptions
L’image du supermarché a une autonomie relative et une identité propre par rapport aux hypers.
Champion répond aux attentes des consommateurs vis-à-vis d’un supermarché.
L’opinion est contrastée mais plutôt positive sur les prix, le choix et la qualité.
Champion offre un univers de sécurité et de stabilité.
Champion apparaît comme un lieu de sociabilité, proche et familier.
Les consommateurs se sentent reconnus.
Champion doit limiter les changements dans les linéaires, sous peine de toucher à l’identité, voire à la sécurité des consommateurs.
Le choix du magasin ne se fait pas uniquement sur l’image-prix, mais sur l’image de confort, de qualité et de proximité affective du magasin.
Champion, c’est le magasin du quotidien
Conclusion
Perceptions des consommateurs :
Les magasins Champion sont appréciés non seulement pour leur prix, leur choix et leur qualité, mais surtout pour le caractère sécurisant des magasins, qui offrent un univers sans risque, sans surprise et sans agression.
Cette image est positive, mais elle manque de dynamisme.
Le choix des consommateurs se fait par rapport au magasin et aux occasions d’achat, plutôt que par rapport à l’enseigne.
Typologie des consommateurs :
– Les fidèles inconditionnels: ils ne vont qu’à Champion, à l’exclusion de toute autre grande surface.
– Les fidèles structurels: ils vont essentiellement à Champion, pour les courses alimentaires de base.
– Les infidèles structurels: ils vont à Champion parmi d’autres super ou hypermarchés, au gré des promotions par exemple.
– Les distants: ils ne vont jamais à Champion.
Schémas de décision des consommateurs fidèles de façon structurelle au magasin CHAMPION
OCCASIONS MAGASIN COMPORTEMENT ELEMENTS
PAR RAPPORT AUX PRIX SIGNIFIANTS DU CHOIX
———————————————————————————————————
Courses CHAMPION – Attention systématique aux Taille humaine
alimentaires promotions, qui influencent Confort d’achat
de base l’achat d’articles non prévus Environnement
sécurisant
– Attention sur certains articles
prévus à l’achat . Le consom-
mateur profite de la promotion
pour acheter en plus grande
quantité et stocker
– Faible attention aux promo-
tions. Attention à la marque
———————————————————————————————————
Courses HYPER Idem Prix bas
alimentaires Achats groupés
de fond Gain de temps
ou achat non
alimentaire
———————————————————————————————————
Opportunité SUPER Idem Gain de temps
liée à un
déplacement
———————————————————————————————————
Peu de EPICERIE Peu d’attention aux prix Facilité, proximité
courses Dépannage
———————————————————————————————————
Achat de PETIT Peu d’attention aux prix Contacts humains
produits COMMERCE Sécurité de qualité
frais Ambiance
———————————————————————————————————
Achat d’un MAGASIN Peu d’attention aux prix Spécificité et
article SPECIALISE caractère unique
spécifique du commerçant
2 – L’interne
A – La culture Promodès
Promodès, ce n’est pas « le brillant » ou « la poudre aux yeux », mais:
– la compétence financière
– la solidité d’une tradition de négoce
– la sécurité d’un grand groupe pour des partenaires fragiles
– la qualité donnée aux consommateurs, plus que des bas prix, liée à son adaptabilité et à sa diversité.
Promodès est solide, modeste, chaleureux, vis-à-vis des franchisés. Le confort, c’est d’abord rassurer.
Promodès, c’est toute une culture, des hommes, une organisation, qui sont sans cesse en éveil, sur le qui-vive.
Ce sont les coulisses qui permettent de garantir une sécurité, une régularité, un bon prix, et une variété de produits.
B – Le positionnement de Champion et la concurrence
Les cadres s’entendent sur le choix global d’accorder une priorité à la fois aux prix et aux services, mais une hésitation quant au terme sur lequel centrer l’axe dominant de communication, entre les prix ou les services.
Ils ont en commun un référent constant à la culture française du bas prix.
La politique de Champion est claire dans l’esprit des cadres: « une politique basée à la fois sur le prix, tout en n’étant pas au niveau des moins chers car on veut se donner les moyens d’apporter du bien-être« .
Champion se situe entre le hard discount et la distribution haut de gamme.
Ils perçoivent précisément le champ de la concurrence
– Le hard discount: une concurrence à la marge.
– Le magasin de proximité/dépannage: une concurrence potentielle
– Les centres de vie et les magasins spécialisés: une concurrence faible.
– Le discount: le cœur de la concurrence. La menace est surtout perçue du côté de Leclerc et d’Intermarché.
La stratégie de positionnement du magasin consiste à se centrer sur le frais et l’alimentaire tout en fournissant des services d’appoint qui permettent le confort d’achat: ne pas courir à trente six endroits et trouver des boutiques ou des rayonnages agréables pour flâner.
IMAGE, CHOIX ET POSITIONNEMENT DU MAGASIN : RESUME
– L’image de Champion comme magasin est bien structurée, positive, mais peu dynamique.
– Le positionnement de Champion dans le champ de la concurrence, comme magasin discounter de proximité, est clairement perçu en interne.
– Par contre, l’image de Champion comme enseigne est pâle, en interne et en externe.
– Les cadres expriment le souhait d’une image forte.
– Les consommateurs ne se posent pas la question.
Conclusion principale : place à accorder au confort d’achat
Le confort d’achat est l’atout principal de champion et ce qui permet d’expliquer la fidélité des consommateurs aux magasins.
Par rapport à l’enseigne, le confort d’achat devient un concept dangereux à utiliser, du fait de sa connotation peu dynamique, molle et passive.
II – RECHERCHE D’UN CONCEPT D’AMBIANCE FEDERATEUR
Les trois principes de la communication
– le contenu du message publicitaire doit prendre en compte des valeurs communes à l’interne et à l’externe, pour que les consommateurs comme le personnel de Promodès puissent s’y identifier.
– dans ce message, il faut choisir l’objet sur lequel centrer la mise en scène:
. sur le consommateur
. sur le produit (le magasin)
. sur la marque (l’enseigne)
Dans le cas de Champion, si la direction veut créer une dynamique, il faut se situer au niveau le plus large, et c’est l’enseigne qu’il faut mettre en scène.
– Ceci implique de construire une campagne de communication fondée sur:
. un concept qui évoque une ambiance
. une symbolique, qui signifie la réalité sans la montrer directement
1 – Les univers symboliques
L’univers symbolique de Champion, aussi bien en interne qu’en externe, est composé de trois thèmes :
– la sécurité
– le confort
– l’agressivité
Aucun de ces thèmes n’est mobilisable seul :
– la sécurité évoque le contrat et la vigilance (grâce au territoire, aux garanties et aux signes), mais avec une trop forte connotation de passivité.
– le confort évoque la chaleur, la liberté et le plaisir, mais aussi l’endormissement et l’accoutumance. Il manque à ce concept un côté « explorateur » pour le rendre dynamique.
– l’agressivité est le thème le plus tonique mais aussi le plus excessif. Il exprime le vitalisme et l’avenir.
2 – Un concept fédérateur : la vigilance
Le concept de vigilance associe les trois thèmes :
– la sécurité, avec la solidité, la discrétion et la compétence
– le confort, avec le propre et l’ordre
– l’agressivité, avec le dynamisme
Il permet de fédérer une communication interne et externe, en étant le support d’une identification pour les consommateurs et pour les cadres.
Quatre symboles sont ressortis de la recherche créative comme des supports potentiels de cette identification :
– le joueur d’échecs
– le chat
– le missile
– le slogan « simplifier la vie ».
3 – UN EXEMPLE DE CONTENU SYMBOLIQUE
Le joueur d’échecs : l’idée est de créer un personnage stratège, dont la vigilance est une des qualités centrales.
L’intérêt est que ce personnage renvoie au triple niveau des consommateurs, du magasin et du groupe Promodès-Champion, à une réalité spécifique sur laquelle Champion peut communiquer.
Le concept de vigilance:
– permet de fédérer une communication interne et externe.
– signifie l’idée de compétence de l’enseigne en matière d’achat de produits.
– symbolise la prise en compte d’une double exigence des consommateurs:
. la qualité des produits et services
. être pris au sérieux, pouvoir faire confiance, « ne pas être pris pour un gogo ».
La vigilance permet à chacun de s’identifier:
– pour le consommateur, à travers des pratiques comme: la gestion du budget, le contrôle de la liste d’achats, la lecture et la comparaison des prospectus.
– pour le directeur et le personnel du magasin, dans le contrôle de la bonne tenue du supermarché (propreté, variété des produits, agencement des linéaires).
– pour le groupe Promodès-Champion, à travers la logistique au sens large, depuis les finances jusqu’au sas du magasin, en passant par les négociations sur les prix avec les fournisseurs ou l’extension internationale.
III – LES PREALABLES A LA REUSSITE DU LANCEMENT D’UNE CAMPAGNE DE COMMUNICATION NATIONALE SUR L’ENSEIGNE CHAMPION
1. La mise en place d’une communication nationale demande l’acceptation d’une politique commune de groupe.
Les moyens de pression existent en interne par le biais des carrières dans le groupe.
Les moyens de pression sont plus faibles avec les franchisés du fait des conditions de recrutement :
– un recrutement moins draconien que Leclerc ou Intermarché favorise le succès de la politique d’expansion externe de Champion
– l’effet pervers est qu’en étant moins draconien à l’entrée, il existe moins de moyen de faire pression.
=> Comment raisonner autrement le recrutement ou la négociation avec les partenaires pour aboutir à une politique de communication forte.
2 – La double culture (négoce et commerciale), la double filiation (intégrés et franchisés), le triple niveau de décision (central, régional et local) expliquent les difficultés de choix d’un axe de communication central et d’une stratégie unifiée de management.
Le problème est :
– de trouver les lieux de régulations et de négociations entre tous les acteurs, les intérêts en présence, et les valeurs minimums mobilisables par tous.
– de continuer à améliorer la négociation sur la marge tout au long de la filière
. entre le magasin et l’entrepôt
. entre l’entrepôt et la centrale d’achat ou les fournisseurs
. entre la centrale d’achat et les fournisseurs.
=> Jusqu’où peut-on aller dans la clarté sur les marges de l’entrepôt
=> Comment favoriser l’achat par tous les magasins dans les entrepôts régionaux, une des conditions de la baisse des prix
III – LES PREALABLES A LA REUSSITE DU LANCEMENT D’UNE CAMPAGNE DE COMMUNICATION NATIONALE SUR L’ENSEIGNE CHAMPION
1. La mise en place d’une communication nationale demande l’acceptation d’une politique commune de groupe.
Les moyens de pression existent en interne par le biais des carrières dans le groupe.
Les moyens de pression sont plus faibles avec les franchisés du fait des conditions de recrutement :
– un recrutement moins draconien que Leclerc ou Intermarché favorise le succès de la politique d’expansion externe de Champion
– l’effet pervers est qu’en étant moins draconien à l’entrée, il existe moins de moyen de faire pression.
=> Comment raisonner autrement le recrutement ou la négociation avec les partenaires pour aboutir à une politique de communication forte.
2 – La double culture (négoce et commerciale), la double filiation (intégrés et franchisés), le triple niveau de décision (central, régional et local) expliquent les difficultés de choix d’un axe de communication central et d’une stratégie unifiée de management.
Le problème est :
– de trouver les lieux de régulations et de négociations entre tous les acteurs, les intérêts en présence, et les valeurs minimums mobilisables par tous.
– de continuer à améliorer la négociation sur la marge tout au long de la filière
. entre le magasin et l’entrepôt
. entre l’entrepôt et la centrale d’achat ou les fournisseurs
. entre la centrale d’achat et les fournisseurs.
=> Jusqu’où peut-on aller dans la clarté sur les marges de l’entrepôt
=> Comment favoriser l’achat par tous les magasins dans les entrepôts régionaux, une des conditions de la baisse des prix
Volume 2 ANALYSE
L’objectif de notre étude est d’élaborer les fondements d’une stratégie de différenciation de l’enseigne Champion et d’en formuler les axes de communication.
Notre hypothèse est que cette stratégie et ces axes ne pourront être efficaces que s’ils entrent en résonance (c’est à dire ont une part minimum de cohérence) d’une part avec les pratiques et perceptions des consommateurs, et d’autre part avec la réalité interne du groupe Promodès.
Le premier chapitre de notre analyse est consacré aux consommateurs, et vise à comprendre d’une part ce qui organise leur choix du magasin Champion, et d’autre part l’image qu’ils ont de l’enseigne.
Le deuxième chapitre est consacré au groupe Promodès, à l’étude de son organisation, du positionnement de l’enseigne Champion et de son image interne.
Cette double approche nous permet, dans le troisième chapitre, de dégager sous forme d’hypothèses des lignes directrices et quelques concepts forts communs à la culture interne de Promodès, à l’enseigne Champion et aux consommateurs, et de présenter des conclusions de la recherche créative que nous avons mené à partir de ces thèmes.
Cet exposé présente donc dans le détail l’analyse des différentes étapes de notre travail, dont les conclusions ont fondé les propositions et préconisations que nous venons d’exposer en synthèse.
CHAPITRE I : PRATIQUES ET PERCEPTIONS DES CONSOMMATEURS
Nous avons travaillé avec des consommateurs d’une part lors de deux tables rondes, visant essentiellement à recueillir leurs opinions et leurs perceptions du magasin Champion et de l’enseigne, et d’autre part lors de dix « observations participantes aménagées », centrées davantage sur leurs pratiques[1].
L’objectif est de comprendre ce qui guide leur choix de fréquenter tel ou tel magasin, et de cerner les représentations qu’ils se font les différentes enseignes.
I – LES PRATIQUES DES CONSOMMATEURS
Les dix personnes avec qui nous avons mené des observations participantes aménagées ont des comportements variés[2], tant en ce qui concerne le choix d’un magasin, qu’à l’intérieur du magasin le choix des produits.
Les dix personnes sont clientes de Champion, mais de façon plus ou moins régulière. Mme Z. (obs. 2), qui fréquente Champion parmi d’autres grandes surfaces, et Mme F. (obs. 3), qui fréquente exclusivement Champion, représentent les deux comportements extrêmes. Les autres personnes vont au magasin Champion en priorité, et dans d’autres enseignes occasionnellement.
Les lieux d’approvisionnement parallèles à Champion sont également variés : certains consommateurs vont plutôt en petits commerces, d’autres plutôt en hyper, d’autres enfin dans des supermarchés d’enseigne différente (Leclerc, Intermarché…).
Dans le magasin, certains consommateurs ne s’intéressent pas aux promotions, et portent peu d’attention aux prix (Mme M., obs. 10), alors que d’autres comme Mme R. (obs. 4) établissent leur liste de courses en fonction des promotions repérées sur prospectus.
Dans ce contexte, notre étude a cherché à comprendre ce qui guide le choix du magasin Champion, et dans le magasin, ce qui guide le choix des produits.
A – DE LA MAISON AU MAGASIN CHAMPION : LE CHOIX DE CHAMPION POUR LES COURSES ALIMENTAIRES DE BASE, EN RAISON DE SA QUALITE, DE SA TAILLE HUMAINE ET DE SON CONFORT D’ACHAT
Les professionnels de la grande distribution rapportent classiquement la fréquentation d’un magasin ou d’une enseigne à quatre critères rationnels présentés comme indépassables : proximité, prix, qualité, choix. L’analyse détaillée des pratiques nous montre que les arbitrages des consommateurs sont plus complexes. Tout en confirmant l’importance de ces quatre critères, l’analyse remet en cause leur caractère rationnel et déterminant.
1 – La proximité : un critère alibi pour justifier de la non-fréquentation plus qu’un critère déterminant
La proximité entre le domicile et le magasin est une source de liberté pour le consommateur. Elle permet des achats au jour le jour: « Avec Champion, je peux faire les courses quand je veux, comme je veux. Je peux y aller quatre fois dans la journée » nous dit Mme F. (obs. 3). Elle permet aussi le dépannage ou l’improvisé puisque pour Mme Z. (obs. 2), Champion « remplace un peu le petit commerçant chez lequel on va pour consommer immédiatement ».
La proximité permet la facilité, et Mme C. (obs. 9), qui travaille à Intermarché, y fait ses courses, même si par ailleurs elle préfère Champion: « je ne vais pas faire deux supermarchés, alors je vais à Intermarché ».
La nécessité pour le magasin d’être à proximité du domicile du consommateur est effectivement une contrainte, spécialement lorsque celui-ci ne dispose pas de véhicule particulier.
Mme G. à Vanves (obs. 6) est une illustration de l’influence de la proximité, dans ce cas à l’avantage de Champion: lorsqu’elle avait une voiture, elle fréquentait Champion qui est quasiment sous chez elle, et d’où elle peut ramener ses courses en caddie, et le marché, qui est plus loin, pour les produits frais. Aujourd’hui, sans voiture, elle ne va plus au marché qu’exceptionnellement, et est contrainte de tout acheter chez Champion, à son regret.
Mais la proximité, même pour Mme G. qui ne possède pas de voiture, ne doit pas être appréhendée uniquement en terme de distance géographique. Ainsi cette personne se déplace beaucoup en bus, sur une ligne unique, et il faut dans ce cas raisonner non en proximité physique mais en facilité de desserte. Ce sont les commerces qui se trouvent sur cette ligne qui ont le plus de chance d’être fréquentés.
Ainsi Mme G. se rend régulièrement aux Puces par la ligne 58, et sur le chemin du retour il lui arrive de s’arrêter chez Picard. Il est certain dans cet exemple qu’elle ne se rendrait pas dans ce magasin s’il n’était pas sur la ligne de bus.
La proximité peut être également entendue comme proximité « d’itinéraire » ou proximité en « temps ». Les consommateurs, même s’ils sont relativement fidèles à un magasin, ont souvent le souci de grouper leurs achats et d’éviter les détours.
Ainsi par exemple certaines personnes font leurs courses dans un commerce sur la route lorsqu’elles rentrent d’achats en centre ville. De même, un magasin sera plus proche en « temps » s’il n’y a ni feux ni encombrements pour s’y rendre, même si la distance géographique est plus importante.
La proximité est à mettre aussi en regard avec la nature du trajet qui relie le domicile au magasin. Si le parcours est agréable, le consommateur peut accepter une plus longue distance.
Inversement, le parcours peut rebuter.
Mme G. (obs. 6) nous en donne un exemple avec Intermarché. Non seulement elle n’apprécie pas ce magasin, mais elle trouve en plus que « c’est sinitre pour y aller, il ne se passe rien dans cette rue ».
L’agrément du parcours, sans être forcément une donnée première, est une des variables qui peut renforcer la fréquentation ou la non fréquentation d’un point de vente.
Nous voyons donc que la notion de proximité est très relative, et qu’elle ne s’apparente pas forcément à une faible distance physique. L’itinéraire, le temps d’accès, la facilité de desserte ou de stationnement sont des variables importantes, tout comme l’environnement du magasin.
Mme D. (obs. 5) nous donne un exemple du caractère relatif de la proximité : elle habite près d’Intermarché à Vanves, mais elle a pris l’habitude de fréquenter Champion qui est plus loin, car il est proche du biblioclub où elle emmène ses enfants. Champion est d’après elle d’une meilleure qualité globale, mais elle apprécie aussi qu’il soit installé dans une galerie marchande, et elle fréquente opticien, journaux, et ludothèque.
Mme J. (obs. 7) est un autre exemple, qui fréquente aussi Champion plutôt qu’Intermarché pour sa qualité et pour sa facilité de parking.
D’une manière générale, les consommateurs ne fréquentent donc pas forcément la grande surface la plus proche de leur domicile. La plupart d’entre eux ont une voiture, et disposent de plusieurs points de vente dans un rayon d’une distance kilométrique assez faible. Il y a donc un réel choix de leur part.
Mme V. (obs. 1) dit bien que pour elle, Auchan n’est pas beaucoup plus loin que Champion (« car pour Champion, il y a les feux »), qu’Attac est en face de chez elle, et que Leclerc est à la même distance que Champion. Donc elle se rend à ce magasin par choix. La proximité n’est qu’une variable qui vient renforcer une décision, et l’éloignement semble plus un prétexte qui justifie la non fréquentation qu’un obstacle à la fréquentation : ainsi Mme R. ne va pas à Casino car c’est trop cher, « et de toute façon, ce n’est pas sur ma route ».
2 – Le prix : une attention aux prix qui ne se traduit pas forcément par la recherche des premiers prix, mais par une stratégie globale de l’économie
Les professionnels de la grande distribution posent le prix comme un des quatres critères déterminants qui caractérisent un magasin ou une enseigne. Ils ont raison, dans la mesure où la plupart des consommateurs rencontrés d’une part sont attentifs aux prix et ont un système de gestion de leur budget, et d’autre part se forgent une « image-prix » de chaque enseigne.
En revanche, l’interprétation de cette constatation nous semble à relativiser.
Les professionnels déduisent en général de cette attention des consommateurs aux prix la nécessité indépassable pour une enseigne d’avoir les meilleurs indices de prix et une image de prix bas.
L’analyse détaillée des observations permet d’infirmer le caractère inéluctable de cette conclusion, et propose d’autres interprétations possibles.
a) L’image-prix
Par leur propre expérience de fréquentation des grandes surfaces, par la publicité et par le bouche à oreilles, les consommateurs se forgent une représentation d’un niveau de prix global qui va pour eux caractériser chaque enseigne. Ils établissent ainsi une échelle de prix, objective ou non, entre les grandes surfaces : Géant Casino est plutôt cher et de qualité, Leclerc est le plus fort sur les prix, etc…
Si cette image-prix, en partie subjective, est bien réelle pour le consommateur, elle ne signifie pas qu’il recherche pour autant à fréquenter l’enseigne qui, dans son échelle, a la meilleure image prix. Seule une partie des consommateurs adopte ce comportement.
En effet, d’une part l’image-prix n’est pas absolue, et les consommateurs ne s’attendent pas systématiquement à trouver les prix bas d’un hypermarché dans un supermarché. Ceci signifie que l’image du supermarché a une autonomie relative et une identité propre par rapport à l’hyper[3]. D’autre part, nous verrons que d’autres critères peuvent être importants, comme la qualité ou le confort d’achat.
Ne pas fréquenter l’enseigne qui a la meilleure image-prix ne signifie donc pas que le consommateur ne porte pas d’attention aux prix, mais indique simplement qu’il est attentif à d’autres critères d’achat, objectifs ou non, qui viennent relativiser le critère prix.
b) L’attention aux prix et la gestion du budget
Les consommateurs rencontrés ont, par rapport aux prix, des comportements assez variés. Mme C. (obs. 9), qui prévoit son budget de courses en notant le prix article par article et qui compare précisément ses prévisions et les prix réels, nous donne l’exemple d’un fort contrôle. A l’opposé, le cas de Mme M. (obs. 10) illustre un comportement plus libre par rapport aux prix.
Les personnes portent donc un degré plus ou moins fort d’attention aux prix. Ceci est compréhensible puisque le prix, bien que relatif selon les individus (leur niveau de vie, leur appartenance sociale, etc…), n’est jamais neutre.
Mais ce que montrent les observations est que l’attention aux prix ne se traduit pas forcément par la recherche systématique du premier prix, même pour les personnes qui ont de toute évidence un budget très limité. L’achat au prix bas n’est qu’un comportement possible dans la recherche d’économies.
Ainsi parmi les personnes rencontrées, seules Mme J. (obs. 7) et Mme Z. (obs. 2) semblent varier leur choix de magasin en fonction des promotions que chacun propose. Si les autres personnes sont sensibles aux promotions, celles-ci ont une influence sur le choix des produits[4], mais ne semblent pas suffisantes pour détourner de la fidelité à une enseigne.
Sur ce thème, Mme C. (obs. 9) déclare à propos des prospectus de promotions: « il faut qu’il y ait vraiment quatre ou cinq produits qui m’intéressent, s’il y en a un sur dix, je n’irai pas dans un super différent, et ça n’arrive pas souvent parce que je reprends toujours les mêmes choses ».
Par ailleurs, le souci du prix ne signifie pas forcément une évaluation produit par produit. Dans de nombreux cas, les consommateurs se construisent une estimation globale de la somme dépensée pour un caddie.
L’attention aux prix s’exprime pour la plupart des personnes rencontrées par la mise au point d’un système de gestion et de contrôle du budget, qui fait intervenir d’autres stratégies d’économies que l’achat des produits les moins chers.
La première stratégie consiste à contrôler les types de produits que l’on achète, à s’en tenir à ce qu’on considère comme indispensable et à s’auto-contraindre pour ne pas acheter le « superflu ».
Mme V. (obs. 1) par exemple n’achète jamais de produits tout prêts, pas de patisseries, mais uniquement des produits de base à cuisiner.
De la même façon Mme R. (obs. 4) veille à ne pas acheter de superflu, contrairement à son mari qui achète des boissons sucrées ou des biscuits apéritifs. Selon elle, « si on ne fait pas attention, on a vite fait de doubler le prix du caddie, et avec pas grand chose en plus pour finir ».
La deuxième stratégie consiste à profiter d’occasions (promotions, achats groupés avec d’autres personnes) pour stocker.
Le stock sur promotions est très fréquent, spécifiquement semble-t-il sur la viande: Mme V. (obs. 1) achète par exemple des épaules de mouton en promotion, qu’elle farcit. Elle donne une partie des préparations à ses enfants ou à ses amis, et elle congèle le reste. Mme R. (obs. 4) achète aussi la viande en grosses quantités lorsqu’elle est en promotion, la débite au couteau électrique et la congèle.
L’achat en gros ou directement au fournisseur est un autre moyen d’avoir des prix plus bas : Mme V. (obs. 1) achète par exemple son vin directement au producteur, puis le met elle-même en bouteille. Mme C. (obs. 9) achète, avec sa mère ou sa soeur, des animaux entiers: « j’achète rarement de la viande, ou alors des caissettes de viande moins chères que je congèle, et je fais rentrer pas mal de viande en achetant des veaux ou des porcs entiers ».
Nous voyons donc que les personnes qui ont des ressources limitées ont recours à des moyens variés pour tenter d’économiser et de gérer au mieux leur budget.
Ces moyens sont à comprendre en référence à une culture et à la place symbolique qu’occupe la nourriture dans cette culture.
Le cas de Mme V. (obs. 1) donne l’exemple semble-t-il d’une culture traditionnelle populaire, dans laquelle la nourriture est un élément fondamental. L’attention au prix ne se traduit pas par la recherche systématique de premiers prix, mais davantage par le choix des produits.
L’achat d’aliments peu chers mais de bonne qualité et nourrissants, la préparation de tous les plats à la maison, la préparation de la « gamelle » du mari qui est obligé de déjeuner à l’extérieur, le fait de cuisiner en grande quantité pour donner aux enfants ou aux amis sont autant de formes d’économies, qui sont de plus valorisées socialement et culturellement.
De même Mme R. (obs. 4), qui porte beaucoup d’attention à l’équilibre de la nourriture, ne sacrifie pas la qualité au prix, tout en étant très attentive à ce dernier, et par exemple, « pour les nouilles je fais attention aux marques, parce qu’il y en a vraiment qui collent ».
M. A. (obs. 4) achetera dès que possible financièrement des produits peu chers mais de qualité: « maintenant qu’on a deux salaires, j’achète des produits que je n’achetais pas avant. Je prends du filet de boeuf à 80F. Ce n’est pas cher pour du filet, mais avant, on ne pouvait pas s’en acheter. Cela fait plaisir de voir nos enfants le manger comme cela », et « le repas c’est important, bien manger, manger correctement ».
La nourriture peut avoir une place symbolique moins importante, comme l’illustrent les cas de Mme J. (obs. 9) ou de Mme Z. (obs. 2), pour qui cuisiner est une corvée.
Mais ce qui semble commun à l’ensemble de ces personnes qui adoptent des stratégies d’économies est que celles-ci entrent dans une culture globale de la « débrouille » : achat aux entrepôts des « défauts d’aspect » ou récupération du mobilier dans les containers (Mme J. obs. 7), achats aux Puces (Mme R. obs. 4), dons de vêtements par la famille (Mme R. obs. 4 et Mme C. obs. 9), négociation avec sa banque ou organisation de son temps pour se mettre de côté des moments libres (M. A. obs. 8), bricolage, ou encore placement d’un panneau publicitaire sur la maison en échange de cadeaux en électro-ménager (Mme V. obs. 1).
Nous pouvons constater que ces stratégies sont fondées sur la constitution d’un réseau social important, qui semble assez homogène culturellement et qui fonctionne sur des bases de solidarité.
Bien que l’échantillon des personnes rencontrées ne permette pas de dégager des régularités, ces stratégies d’économies et d’attention aux prix semblent plus le fait des groupes sociaux situés en bas de l’échelle.
3 – La qualité : une condition nécessaire que les magasins Champion satisfont
L’ensemble des consommateurs rencontrés est sensible à la qualité des produits, et Champion répond à leurs attentes.
Les comportements de Mme D. (obs. 5) et de Mme J. (obs. 7) illustrent une recherche de qualité, puisque ces deux personnes fréquentent le Champion de Vanves alors qu’elle habitent plus près d’Intermarché.
Il semble que le magasin Intermarché de Vanves soit objectivement en-dessous des normes de qualité mimimum qu’attendent les consommateurs, et cet exemple démontre que la qualité est une des conditions nécessaires à la fréquentation pour une catégorie de consommateurs.
Bien sûr les opinions des consommateurs varient suivant les magasins et les produits, et la notion est donc relative. Mais dans l’ensemble, ils fréquentent Champion en partie pour la qualité de ses produits, et Champion (l’enseigne comme les magasins) a donc une bonne image à ce niveau.
Certaines personnes néanmoins préfèrent, pour des achats relativement exceptionnels, des petits commerçants à Champion. C’est le cas de Mme G. (obs. 6) ou de Mme M. (obs. 10) par exemple, qui lorsqu’elles veulent de la viande pour recevoir, l’achètent chez leur boucher « on a un service différent, on a les pièces coupées comme on veut » (Mme M.).
Nous pouvons également noter que des produits de qualité ne signifient pas des produits de luxe. La qualité n’est pas forcément intrinsèque au produit mais peut résider dans la préparation. Ainsi un plat de fête pour Mme V. (obs. 1) est composé avec des aliments « quotidiens », et dont l’aspect festif tient dans leur préparation éborée et mijotée.
4 – Le choix : le magasin Champion offre le choix pour les courses alimentaires de base
Le choix est un critère important dans la fréquentation de telle ou telle surface. Les consommateurs optent pour un magasin en fonction des produits qu’ils envisagent d’acheter, et donc de ce que celui-ci propose.
Les observations montrent que selon la composition de leur « liste », les personnes se rendent plutôt en hypermarché, en supermarché, en magasin spécialisé ou en commerces de détail.
Champion a donc pour concurrents potentiels, selon les occasions, tous ces types de magasins.
a) La concurrence avec l’hyper : l’achat de fond ou l’achat groupé
Mme F. (obs. 3) ne va qu’à Champion. Mais elle représente une exception parmi les personnes rencontrées, qui toutes, si elles sont relativement fidèles à Champion, fréquentent également d’autres commerces, et notamment des hypermarchés.
Champion peut n’offrir pas suffisamment de choix en achat alimentaire de fond, et les consommateurs se rendent alors en hypermarché, comme Mme Z. (obs. 2): « chaque magasin a des choses intéressantes: Auchan pour le fond de la maison, Intermarché pour les animaux ».
Mais pour l’alimentaire de fond, plusieurs personnes rencontrées (Mme V., Mme G.) ont changé leurs pratiques. La réduction du nombre de personnes dans leur foyer (départ des enfants) leur ont permis d’abandonner les hypers au profit de Champion.
Par ailleurs, Champion n’offre pas le choix nécessaire lors d’achats de produits non alimentaires.
Champion, pour ces produits (bricolage, jardin…) a une fonction de dépannage, et les consommateurs fréquentent donc à ces occasions des hypers. Si les personnes recherchent des articles assez précis, elles veulent être sûres de tout trouver au même endroit.
Elles peuvent se rendre alors directement dans un hyper ou une grande surface où elles sont sûres de trouver ce qu’elles cherchent (Mme V. (obs. 1) se rend par exemple à Prisunic pour trouver la mercerie, et M. A. (obs. 8) va à Continent pour trouver le phosphate pour son jardin).
Elles peuvent aussi se rendre dans des grandes surfaces spécialisées, qui se trouvent en général dans les centres commerciaux.
Les consommateurs, dans un souci de gain de temps, cherchent alors à regrouper leurs achats, et vont donc dans l’hyper à proximité.
Ainsi Mme V. (obs. 1) fait ses courses à Auchan les jours où elle doit se rendre à Leroy Merlin pour trouver des outils, car les deux commerces se trouvent dans le même centre commercial. De même Mme M. (obs. 10) fait ses courses alimentaires à Carrefour lorsqu’elle se rend pour des achats à Castorama: « quand on a besoin de bricolage, par exemple d’une chaise longue ou d’un parasol, on organise les autres courses en fonction ».
b) La concurrence avec d’autres supermarchés: une concurrence de produits plus que d’enseigne
Les personnes rencontrées sont des consommateurs relativement fidèles à Champion, qui fréquentent donc assez peu les autres enseignes en supermarché, à l’exception de Mme Z. (obs. 2) et de Mme C. (obs. 9).
Lorsque c’est le cas, il semble que c’est la recherche d’un produit spécifique qui les attire dans un autre magasin, comme les produits pour animaux à Intermarché pour Mme Z. (obs. 2), la charcuterie en promotion à Intermarché pour Mme J. (obs. 7), le bricolage à Intermarché pour M. A. (obs. 8).
c) La concurrence avec les commerces de détail : l’ambiance, les relations personnalisées ou le dépannage
Champion est pour beaucoup de personnes rencontrées en concurrence avec les commerces de détail, car il s’apparente à un commerce de proximité, comme à Vanves par exemple.
Le premier type de concurrents dans le commerce de détail réside dans la vente de produits frais.
A ce niveau, Champion est en concurrence essentiellement:
– avec le marché: Mme R. (obs. 4) y achète le poisson, le fromage et le frais en général, alors qu’elle se rend par ailleurs quasiment tous les jours à Champion
– avec les petits commerces : boulanger, boucher, maraîcher, poissonnier, cours des halles. La plupart des personnes achètent leur pain en boulangerie. Mme V. (obs. 1) prend son poisson chez un marchand ambulant qui vient deux fois par semaine. Mme G. (obs. 6) et Mme M. (obs. 10) achètent leur viande pour les repas festifs chez le boucher. Mme M. (obs. 10) achète ses oranges au cours des halles, car « elles sont belles, bien calibrées ».
Le deuxième type de concurrents est représenté par la petite surface, l’épicerie.
Les personnes achètent dans ce type de magasin lorsqu’elles ont besoin de peu d’articles. Mme D. (obs. 5) achète à l’occasion à Franprix ou à Shopi, « pour le plaisir, c’est agréable, aéré ». A Vanves, l’épicerie « arabe » permet de s’approvisionner le soir, et est utilisée en dépannage, car les produits sont unanimement décrits comme deux fois plus chers qu’à Champion.
Le troisième type de concurrents sont les magasins spécialisés. Certains produits que n’offre pas Champion sont achetés dans des magasins spécifiques : Mme G. (obs. 6) achète ses épices dans un magasin indien et Mme R. (obs. 4) se fournit en articles chinois dans le 13ème arrondissement de Paris.
Le concurrence se semble pas dans tous les cas être basée sur le critère du choix. Ce critère joue par rapport aux hypers, aux supermarchés, voire par rapport aux magasins très spécialisés. En revanche, il s’agit plus pour l’épicerie de souplesse d’horaires, de facilité et de proximité. Champion est alors en concurrence sur sa fonction « dépannage » (qui n’est pas la fonction première de l’enseigne mais qui est néanmoins importante).
La concurrence sur les produits frais ne semble pas due non plus à un problème de choix, mais plutôt au fait que les consommateurs estiment ces articles de moindre qualité à Champion. Il s’ajoute à cela le plaisir du contact et de l’ambiance au marché, et le plaisir d’être reconnu dans le petit commerce spécialisé.
Les observations confirment donc le positionnement de Champion, en concurrence potentielle avec le marché comme avec l’hyper selon les occasions. Cette concurrence est perceptible dans les pratiques.
En revanche, les consommateurs assignent une place claire à l’enseigne, que nous pouvons définir comme « les courses alimentaires de base ».
Une déclaration de M. A. (obs. 8) illustre bien ce positionnement: « quand j’en ai pour 700 à 800 F, je vais à Champion, pour 50 à 100 F à Shopi, quand ça dépasse 1000 à 15000 F à Continent ».
5 – Le confort d’achat : une variable qui place Champion hors de la concurrence des hypers
Les consommateurs assignent une place spécifique à l’enseigne Champion, car un supermarché est doté pour eux d’une réalité propre: les occasions de le fréquenter sont spécifiques, et son image-prix est distincte de celle d’un hypermarché.
Si le supermarché peut avoir une image-prix moins bonne que l’hyper, c’est parce qu’il offre d’autres avantages qui sont premiers aux yeux du consommateur. Les observations menées montrent que ces avantages, pour Champion, résident essentiellement dans la taille restreinte du magasin et un souci d’aménagement, qui permettent un confort d’achat.
De nombreux exemples, dans les comportements des personnes rencontrées, illustrent l’importance de ce critère de confort d’achat, qui relativise fortement le critère prix.
Mme C. (obs. 9) est de toute évidence attentive aux prix, puisqu’elle les note scrupuleusement article par article. Et pourtant sa préférence va à Champion, même si les prix sont un peu plus élevés: « Intermarché est moins cher, mais je préfère Champion. Je n’aime pas Leclerc: ils ont les prix les moins chers mais c’est trop mal indiqué. Champion est beau, il donne envie d’acheter. Intermarché est vraiment moche ».
Il semble important, lorsqu’on est déjà dans un univers de contrainte financière, de ne pas en rajouter et au contraire de les alléger par un environnement d’achat agréable, qui, comme dit Mme C., « donne envie d’acheter ». D’où l’importance de rayons bien présentés, de produits qui attirent l’oeil, même si le consommateur sait qu’il ne les achète pas. « Champion ça me plaît, le rayon fruits et légumes est beau, et le frais, c’est ce qui fait un magasin. Les gens viennent pour ça souvent, même moin qui n’achète pas beaucoup de frais » (Mme C.).
Le confort d’achat de Champion et la taille humaine des magasins est souvent opposé aux hypers, qui, eux, paraissent inhumains: « les vraies grandes surfaces, c’est monstrueux, inhumain, des notes de 1500 F, c’est une corvée. Si on veut faire tous les rayons, on y passe la journée, il faut une liste, on fait des allers et retours » (Mme D. obs. 5). Selon Mme R. (obs. 4), « les grandes surfaces, on s’en dégoute vite, car on est confronté à trop de choix ». Alors que dans les petites surfaces, « on prend le temps de vivre » (Mme C.)
Deux des personnes rencontrées ont d’ailleurs changé leurs pratiques dès qu’elles ont été moins contraintes financièrement.
Ainsi Mme R., lorsque ses enfants étaient à la maison, allait chez Auchan: « on faisait des caddies pleins ». Aujourd’hui qu’ils ne sont plus que deux ou trois, elle a moins de contraintes, et elle privilégie le confort d’achat en allant chez Champion. Elle continue à acheter pour ses enfants, mais seulement par plaisir, lorsque l’occasion d’une promotion intéressante lui en donne l’envie.
De même Mme Z. (obs. 2) allait à Carrefour « au temps où il était moins grand et où la maison marchait à plein. Je ne crois pas que les prix sont plus intéressants. Carrefour, c’et inhumain, je suis perdue, stressée ».
D’une manière générale, les magasins Champion semblent estimés sur ce critère de confort d’achat. Les consommateurs apprécient la qualité de leur ambiance, la présentation de leurs produits. D’ailleurs, plusieurs personnes ne fréquentent pas d’autres supermarchés concurrents parce qu’ils sont « moches » ou « sinistres ».
L’ambiance globale des magasins semble donc déterminante dans le choix de l’enseigne Champion, et peut parfois placer un magasin hors de concurrence de ceux d’une autre enseigne.
Pour illustrer ce fait, citons Mme C. (obs. 9) qui répond à la question sur les magasins concurrents de Champion: « c’est tout le monde: Leclerc, Maxicoop… Intermarché je ne pense pas, ce n’est pas un magasin clean ».
6 – Les rapports humains : la sécurité du consommateur, qui se sent parmi les siens
La qualité des rapports humains que les personnes peuvent avoir dans un magasin Champion participe au confort d’achat.
Selon Mme F. (obs. 3), la taille humaine du magasin donne la possibilité d’établir des rapports personnalisés avec les vendeurs: elle échange une adresse de coiffeur avec la vendeuse du rayon fromage, « c’est un rapport qu’on ne peut pas envisager à Carrefour ».
Les consommateurs peuvent établir également des contacts avec les autres clients, car « on rencontre beaucoup de gens du quartier » (Mme M.), « on voit souvent les mêmes têtes » (Mme G.) Ils recommandent facilement Champion à leurs amis ou à leur famille, leurs voisins fréquentent le magasin, et ils se sentent donc en terrain de connaissance et à l’aise dans le magasin.
Cette possibilité de contacts est importante, car elle permet de sécuriser le consommateur. Ainsi d’après Mme F. (obs. 3), Champion a été pour elle un moyen de se resocialiser.
La clientèle semble finalement un peu à l’image du magasin lui-même, c’est à dire de « bon ton », sans caractère vraiment saillant. La clientèle de Champion, dit Mme C. (obs. 9), « c’est les gens aisés des environs, une bonne clientèle, pas des gens à histoire, des gens bien ».
Nous avons donc étudié dans cette première partie la façon dont les consommateurs rencontrés choisissent d’aller dans le supermarché Champion.
Nous avons vu que la proximité et le prix sont des critères importants, mais dont le caractère déterminant est à relativiser. Quant au choix et à la qualité, les attentes des consommateurs varient surtout selon l’occasion d’achat et les articles qu’ils souhaitent se procurer. Champion semble donner satisfaction aux clients pour les courses alimentaires de base.
Enfin, nous avons mis en évidence un critère important qui guide le choix de l’enseigne, qui est le confort d’achat du à la « taille humaine » du magasin, à la qualité de son agencement et à l’homogénéité de sa clientèle.
Nous pouvons donc maintenant nous interroger sur le choix des produits eux-mêmes. Une fois dans le magasin Champion, quels sont les facteurs qui influencent le consommateur dans le choix des articles, et comment son achat s’organise-t-il ?
B – A L’INTERIEUR DU MAGASIN CHAMPION : ENTRE L’AUTO-SANCTION ET LA LIBERTE
Les observations dans les magasins permettent d’affiner ce que nous avons déjà pu mettre en évidence, notamment sur le prix et le contrôle du budget. Elles confirment le caractère à la fois important et relatif du prix, et fournissent plusieurs exemples de stratégies de contrôle.
1 – L’attention aux prix des articles et aux promotions : des comportements contrastés
Les personnes rencontrées ont des comportements variés par rapport aux prix des articles.
Les promotions ne semblent avoir un rôle déterminant sur le choix de l’enseigne que pour Mme Z. (obs. 2) et dans une moindre mesure pour Mme J. (obs. 7). En revanche, elles ont un rôle plus important dans le choix des produits en magasin.
Nous pouvons distinguer plusieurs types de comportements :
– une faible attention aux promotions : cette attitude est représentée par Mme G. (obs. 6) ou Mme M. (obs. 10), qui sont davantage fidèles aux marques. Ainsi par exemple, Mme M. préfère le café San Marco au café en promotion :« c’est vrai que ce n’est pas cher, mais moi, j’ai ma marque ».
– une attention aux promotions sur les produits que l’on souhaitait de toute façon acheter. Le consommateur profite alors de la promotion pour achèter en plus grande quantité, comme Mme V (obs. 1) qui achète dans ce cas l’emmenthal par trois ou quatre kilos, ou plusieurs personnes qui prennent la viande par caissettes.
– une attention aux promotions en elles-mêmes, sur des produits que l’on avait pas forcément l’intention d’acheter. Ainsi Mme R. (obs. 4) établit en partie sa liste de courses en fonction des promotions qu’elle repère sur prospectus. Par ailleurs, il arrive que dans le magasin, elle essaie des articles qu’elle voit en promotion. Mais s’il ne sont pas à son goût ou à celui de ses enfants, elle ne les reprend pas.
Ces attitudes ne sont pas systématiques, et dans la réalité les comportements des consommateurs varient, notamment selon le type de produits.
Ainsi Mme M. par exemple, qui est peu attachée aux promotions, est sensible à une baisse de prix sur le saumon et en profite pour l’acheter en grande quantité.
Inversement, les consommateurs peuvent être sensibles aux promotions, tout en étant attachés à certains produits de marque, qui différent bien entendu selon les personnes : ainsi Mme V. (obs. 1) n’achète que des yaourths Kremly ou Yocco de chez Chambourcy , Mme R. (obs. 4) achètent des pâtes Lustrucru ou Rivoire et Carret, Mme J. ne prend (obs. 7) que la marque coca.
2 – La gestion globale du budget : des stratégies de contrôle et d’octroi de marges de liberté
Outre le contrôle des prix des articles, les consommateurs mettent en oeuvre à des degrés variables des moyens d’évaluation du montant total de leurs courses.
Certains consommateurs, comme Mme D. (obs. 5) ou Mme G. (obs. 6) semblent assez peu contrôler le montant de leur budget. D’ailleurs Mme D. en fait une évaluation assez peu probable, visiblement fortement sous-estimée. Ces deux personnes ne font pas non plus de liste. Mme G. trouve que la liste, « ça m’empêche d’acheter ce font j’ai besoin, de passer dans les rayons », et elle prend donc les articles au gré de son inspiration.
D’autres personnes en revanche contrôlent globalement le montant de leur caddie.
Ce contrôle peut être approximatif, et basé essentiellement sur le choix de produits qui évite le « superflu ». Les consommateurs s’auto-contrôlent, comme Mme V. (obs. 1), ou opèrent un suivi approximatif en additionnant grossièrement les articles, comme Mme R. (obs. 4): « je sais toujours pour combien j’en ai dans mon caddie, à 30 ou 40 F près. Au fur et à mesure que je mets les articles, j’additionne ».
La liste est dans ce cas une aide assez précieuse au contrôle. Elle permet de ne rien oublier, mais aussi de ne pas acheter trop de choses. Mme R. s’autorise un dépassement mesuré de sa liste, qu’elle « dépasse toujours un peu, mais pas trop ». Mme J. (obs. 7) suit également sa liste, et n’achète en plus que des produits en promotion.
Certains consommateurs enfin contrôlent précisément le montant de leurs achats. M. A. par exemple: « je marque les prix sur la liste, plutôt en estimant un prix au-dessus de la réalité, pour ne pas avoir de mauvaises surprises ».
Cette surestimation permet de s’octroyer une marge de liberté. Elle apparait comme un moyen de se redonner du plaisir dans un contexte de contrainte.
La pratique de Mme C. illustre également cette stratégie : elle met au point un budget hebdomadaire extrémement fixe, et elle prévoit le prix de chaque article de sa liste (légèrement surestimé). Dans le magasin, armée d’une calculette, elle note les différences de prix, même si elles sont minimes. La différence totale est considérée comme une économie, qui est une espèce de récompense symbolique avec laquelle elle achète « quelque chose pour elle ».
Le paiement en liquide est un moyen important de contrôle, qui aide à la gestion du budget : « je vois les billets, je sais ce qu’on dépense » (Mme R.). Cela contraint à ne pas dépasser sa liste. Il est vrai que certains consommateurs trouvent des stratégies pour se donner l’illusion de faire des économies et se déculpabiliser de l’achat pour soi. Mais l’auto-contrôle, voire la sanction, restent forts, comme l’illustre cette déclaration de M. A: « quand je remplis mon caddie, je calcule plus ou moins, surtout quand je paie en liquide. Je n’aime pas qu’il manque 50 F. Si cela arrive, je laisse un article, mais c’est un peu honteux. Mais ce n’est pas plus mal de laisser un article, car cela me montre que j’ai dépassé mon budget ».
3 – La place de l’affectif : une limite à la rationalité des comportements
Si l’attention aux prix est réelle, s’il existe bien des mises en oeuvre de stratégies de contrôle du budget, les comportements des consommateurs n’en sont pas pour autant entièrement rationnels. Les observations montrent que l’attention aux prix est beaucoup moins stricte lorsqu’une part d’affectif entre dans l’achat. Ainsi les personnes attentives à des prix bas relâcheront leur contrôle si l’article est destiné à faire plaisir à quelqu’un.
Le contrôle semble moindre lorsqu’il s’agit des enfants : Mme J. par exemple achète de l’Orangina et du jus de pomme de marque pour eux, M. A. achète les saucisses qu’ils préfèrent (c’est vrai qu’elles ne coutent que dix centimes de plus que les ordinaires).
Le contrôle est moindre aussi lorsqu’il s’agit des animaux. Il est frappant de constater que plusieurs personnes qui sont très sensibles aux prix bas relâchent totalement leur attention pour la nourriture de leurs animaux : Mme C. (obs. 9) achète pour ses chats des produits plus chers, « parce qu’ils sont tellement difficiles ». Mme J. (obs. 7) n’achète pas le premier prix pour le chat et les lapins, « car le chat est difficile ».
Nous pouvons donc constater que l’attention aux prix n’existe pas en soi, et varie en fonction de l’occasion d’achat ou de consommation prévue, et des personnes (ou bêtes!) auxquelles le consommateur pense en effectuant l’achat.
II- LES PERCEPTIONS DES CONSOMMATEURS
L’analyse des perceptions nous permet de recouper sur un grand nombre d’aspects les conclusions obtenues quant aux pratiques des consommateurs. Il semble que d’une manière générale, il y ait peu d’incohérences, dans le cas de Champion, entre la façon dont les consommateurs pratiquent le magasin, et la perception qu’ils en ont.
A – Champion et la spécificité d’un supermarché: l’image du supermarché a une autonomie relative et une identité propre par rapport à l’hypermarché
A travers la perception de l’enseigne Champion, nous constatons que les consommateurs distinguent bien le supermarché des hypers. Chacun renvoie à des images spécifiques, en terme de choix, de taille, de prix et de proximité.
Ainsi, les consommateurs considèrent que l’enseigne Champion offre des produits de qualité très satisfaisante, avec un choix et des prix corrects compte tenu de la superficie des magasins. Les consommateurs ont en effet bien conscience qu’un supermarché ne peut offrir une gamme et des prix aussi performants qu’un hypermarché. Champion étant le supermarché du quotidien, il est normal qu’il ne propose pas tous les produits.
Ils conçoivent Champion comme une moyenne surface, et ne désirent pas l’assimiler à un hypermarché et ils apprécient le magasin pour sa « taille humaine ».
« C’est le magasin du quotidien, s’il y avait tous les produits, ce serait trop grand, comme Carrefour ou Auchan. »
Leurs attentes vis-à-vis d’un supermarché diffèrent de celles qu’ils ont vis-à-vis d’un hypermarché. Par exemple, ils n’apprécient pas d’y trouver les mêmes marques-distributeur.
« Ce qui choque, c’est qu’on est dans un magasin Champion qui fait des produits Continent : Continent, j’évite parce que c’est la fatigue, la confusion, la recherche… »
« J’avais arrêté Continent parce que je n’aimais pas, et je retrouve Continent. »
Les marques-distributeur symbolisent une confusion entre hyper et super, entre gros et petit. Cette confusion gène le consommateur et menace l’image « humaine » qu’il avait de Champion. De plus, les clients ne s’estiment pas tenus au courant de ce qui concernent leur magasin et ont le sentiment qu’on leur cache quelque chose.
« Ce n’est plus Champion, j’aurais préféré voir des produits Champion, ou des produits génériques, comme avant5. Je ne savais pas que Champion, c’était Continent. Le consommateur est toujours le dernier au courant« .
Enfin, les consommateurs demandent à un supermarché d’être proche de leur domicile, de leur lieu de travail, ou de loisir.
« Il doit être proche de chez moi. »
« Sur le chemin de mon travail ou du week-end. »
Cependant, nous avons constaté qu’en fait les consommateurs ne vont pas toujours au supermarché le plus proche, et qu’ils disposent souvent à petite distance d’une gamme de supermarchés.
La proximité semble autant jouer dans un sens géographique (gagner du temps), que dans un sens de proximité « affective », où d’autres critères entrent en jeu.
B – Prix, choix et qualité chez Champion: une perception autonome, mais contrastée
– En ce qui concerne le prix, certains pensent que :
« Champion a les prix les moins chers, »
alors que d’autres soutiennent que
« les produits ne sont pas bon marché, en particulier le poisson et les surgelés. La poissonnerie est chère, petite et sans beaucoup de choix. »
– Pour ce qui est de la variété, les participants peuvent penser qu’
« Elle est importante vue la taille du magasin »
ou l’inverse :
« Le choix est vraiment restreint, beaucoup de produits n’y sont pas »
– Le consensus semble plus large en ce qui concerne la qualité :
« Les produits sont de bonnes qualité, surtout les fruits et légumes. »
« Les fruits et légumes sont de première qualité : c’est important, ça attire beaucoup, on tombe dessus quand on entre. »
« La charcuterie est très bonne, comme à la campagne, très parfumée. »
La variété des perceptions déclarées confirme le caractère subjectif des critères, que l’on pense a priori objectifs, que sont le prix, le choix et la qualité. C’est cette subjectivité qui donne les marges de manoeuvres de la communication. Elle permet de jouer sur des signes qui influencent le consommateur dans sa représentation du prix, du choix et de la qualité.
D’autres paramètres, d’après le discours des consommateurs, semblent importants :
– Les occasions: les promotions, les anniversaires et les tirages au sort apparaissent comme des événements marquants pour la clientèle. Ils représentent à la fois les occasions d’aller chez Champion, et des moments qui ponctuent l’année, moments matérialisés par les « rayons saisonniers » : rayon jouets à Noël, rayon vêtements et papeterie à la rentrée scolaire… Pour certains, les promotions sont les uniques occasions d’achat (« je n’achète que les produits en promotion ») , et pour d’autres elles sont beaucoup plus secondaires.
Cependant, ces moments ne sont pas toujours distingués de façon positive : pour certain, ils sont certes :
« Une ambiance de fête, des cadeaux, de l’animation, de la musique, on peut gagner »
mais pour d’autres,
« C’est très pénible d’acheter : on dirait que l’animation chez Champion est surtout faite pour les animateurs. Ce sont les semaines à éviter. Un magasin agréable est un magasin où il n’y a pas d’animation. »
Il y a donc une ambiguïté dans l’animation : un attrait certain : « on peut tout de même gagner », mêlé à une répulsion : « c’est vulgaire, ça fait foire, ça prend la tête. »
– Le choix des produits au-delà du pur utilitaire : les consommateurs acceptent que Champion, supermarché du quotidien, ne propose pas « tous » les produits. Ils s’attendent à trouver l’alimentation et la droguerie, et en faible quantité notamment le bricolage, la mercerie, l’électroménager, les vêtements (« mais il n’y a pas de cabine d’essayage« ), les affaires de bébé (« je ne les achète pas: elles sont de mauvais goût« ) et le jardinage.
Ceci ne signifie pas qu’on doive supprimer les rayons secondaires.
Au contraire:
» Je n’achète pas grand chose, mais j’aime bien y passer« .
« C’est important pour le dépannage« .
« Ils n’ont pas grand chose en matériel automobile, mais c’est bien pensé, mon mari achète souvent là« .
« Avant, il y avait le quotidien, maintenant ils ont recentré sur l’alimentaire, en supprimant les vêtements. C’est pour ça que je vais chez Leclerc« .
On comprend bien alors le sens de quotidien: il ne s’agit pas uniquement de l’alimentaire et de la droguerie, comme on pourrait le penser de prime abord. Les consommateurs entendent par quotidien tous les éléments qu’ils utilisent de façon quotidienne, et donc également les vêtements « quotidiens ».
Les critères de choix, qualité et prix sont fondamentaux, mais aussi manipulables. De plus, ils se combinent avec d’autres critères également importants: l’organisation et l’ambiance du magasin; la communication forme un tout, depuis la publicité jusqu’à la forme architecturale du magasin, en passant par les vêtements, l’arrangement des piles de fruits, ou le sourire des caissières.
C – L’organisation du magasin Champion: favoriser l’autonomie de l’acheteur grâce à un univers de sécurité et de stabilité
1 – La propreté, un impératif
En premier lieu un supermarché doit être propre, dans les rayons ou de par la présentation du personnel :
« S’il y a des boîtes cabossées, je ne les achète pas. »
« Le rayon fruits et légumes, c’est essentiel qu’il soit propre et attirant. »
« Champion est très propre : il n’y a jamais de fruits écrasés ou de boîtes renversées, ou alors, c’est nettoyé tout de suite. »
« La vendeuse qui sert la charcuterie et le fromage ne change pas de gants. »
Ceci n’est qu’un rappel des contraintes « évidentes » et des attentes classiques des consommateurs. Dans les familles françaises, on connaît l’importance que les mères accordent à la propreté de leurs enfants comme signe de bonne éducation et de respectabilité de la famille.
2 – L’agencement, fonctionnel et sans heurt
Même si le plaisir, la flânerie, voire la rêverie, ne sont pas absents des courses chez Champion, les consommateurs cherchent en premier lieu l’efficacité et le confort des courses.
Le supermarché doit avoir:
– des espaces dégagés
« des allées larges, dans lesquelles deux chariots puissent se croiser. »
Les usagers ne sont pas satisfaits lorsque
« les allées sont encombrées par les promotions et le personnel. »
– « Des rayons bien approvisionnés, attractifs, propres, bien étiquetés, visibles de loi. » Ils doivent également permettre de « sélectionner, de comparer, de se repérer, de remplacer le vendeur et donc d’avoir plus le temps de réfléchir. »
– « Des chariots légers, pratiques, propres, mobiles, ni lourds, ni encombrants. »
Les consommateurs soulignent cependant les aspects dangereux des rayons et des chariots :
« Les chariots sont dangereux pour les enfants et les chevilles. »
« Les rayons peuvent être dangereux : parfois il y a des barres de fer qui dépassent, des barrettes de prix tordues, ou alors on prend un produit et tout vient... »
Mais globalement, on peut dire qu’à Champion
« C’est assez facile de se déplacer, les chariots marchent bien, les rayons ne sont pas trop hauts, et les prix sont bien indiqués, bien visibles sur le présentoir. Il y a un grand parking, et l’essence est à proximité. »
Tous ces éléments facilitent l’autonomie d’achat qu’un consommateur attend d’un libre-service: espaces aérés, matériels en bon état de marche, linéaires « sans danger ». Il peut se déplacer en toute sécurité dans le magasin. Il recherche aussi un magasin bien fléché, même si, chez Champion, « il y a toujours un vendeur à proximité si on a besoin d’un renseignement. »
Mais surtout, le consommateur demande un univers stable :
« Il ne faut pas non plus que les rayons changent toujours de place: c’est vraiment ennuyeux. »
« C’est important que les produits soient stables : on sait où sont les choses. »
Le changement est souvent considéré comme quelque chose de négatif : soit parce qu’il perturbe le déroulement habituel et fait perdre du temps, soit parce qu’il a eu lieu sans qu’on prévienne les habitués. Il est alors considéré quasiment comme une trahison.
3 – L’attente aux caisses : un handicap, à bien différencier de la possibilité de flâner dans les rayons
La troisième qualité demandée à un supermarché est qu’il permette la rapidité :
« Champion l’intérêt, c’est d’y aller pendant les heures creuses car il n’y a pas d’attente aux caisses. »
« Ce qui est négatif, c’est l’attente aux caisses. Il n’y a pas de caisse rapide. «
« On attend beaucoup aux rayons charcuterie et fromage. Il manque de personnel, la même vendeuse sert trois rayons. »
Cette demande de rapidité coexiste avec une demande de liberté, et n’est pas contradictoire avec l’idée avec l’idée de flânerie si l’attente aux caisses est systématiquement un défaut, elle n’est pas synonyme de courses « express ». On doit pouvoir flâner dans les rayons si on en a envie.
D – Champion: un lieu de sociabilité, proche et familier
Les éléments que nous présentons ici peuvent paraître secondaires par rapport au prix, au choix et à la proximité. Cependant, ils représentent ce qui permet « de faire la différence » entre les supermarchés.
1 – La taille
La taille, du point de vue des consommateurs de Champion, n’est pas un handicap : le fait que les magasins Champion soient de surface moyenne implique un choix plus limité qu’en hypermarché. Mais la taille restreinte de Champion en fait une grande surface à taille humaine, proche et familiale, avec un choix qui reste satisfaisant.
« C’est une grande surface, mais pas trop grande. «
« Tout est petit, c’est ça qui fait le charme, la dimension humaine »
Cette dimension humaine qui est le propre de Champion fait que l’on en dit :
« Il est amical, familial, il convient à ma personnalité »
« C’est un supermarché adapté aux enfants, ils ne sont pas perdus car il n’est pas trop grand : ils peuvent y aller seuls. »
Champion représente le bon intermédiaire entre l’hypermarché, trop grand, éprouvant, et le magasin de proximité, épicerie de quartier ou de type Shopi, trop cher.
2 – Les services
Ce qui fait la « personnalité » de Champion c’est, au delà des produits qu’on y trouve, les services qu’il offre par rapport aux autres supermarchés environnants. Il semble bien que ces services jouent un rôle important pour les consommateurs dans leur choix de Champion.
a) les horaires d’ouverture
« Il est ouvert entre 12 et 14 h, et le soir jusqu’à 8 h. C’est très appréciable. On peut y aller pendant les heures creuses ou pour un dépannage. «
Champion, par ces horaires, a donc un rôle situé entre l’épicerie, qui dépanne, « mais les petites épicerie sont trop chères : j’irai plutôt chercher quelque chose chez le voisin » et l’hypermarché qui fait des nocturnes :
« Je fais mes courses hebdomadaires le soir »;
« Pour un dépannage, je ne vais pas courir à Carrefour. Si c’est après 8 h (après la fermeture de Champion), je m’en passe. »
Il est intéressant de noter que, pour ce qui est du dépannage, le substitut de Champion sera plus volontiers le voisin que l’hypermarché ou la petite épicerie. Toutefois, Champion l’emporte à la fois sur la petite épicerie : plus proche mais trop chère, et sur l’hypermarché : moins chère mais qui demande trop de temps.
b) L’environnement de Champion
– présence d’une station service et de gaz :
« On fait l’essence en même temps que les courses »
« L’occasion d’aller chez Champion, c’est quand on doit prendre de l’essence. »
– présence d’une galerie marchande :
« Il y a autour des boutiques de première nécessité, un centre commercial qui complète. Des boutiques appréciables. »
Ces services annexes ne sont pas toujours utilisés de façon régulière. Mais ils constituent cependant un attrait, et un élément qui donne un tour moins utilitaire aux courses quotidiennes.
– caractéristiques du parking :
« Les places de parking sont grandes, et on sait qu’on trouvera toujours de la place près de la porte d’entrée. »
Dans certains cas, on constate que les services ne viennent plus comme un supplément des courses chez Champion, un superflu agréable, mais qu’ils en sont en fait la condition, le déclencheur : on ne saisit pas l’occasion de prendre de l’essence ou d’aller chez le cordonnier en faisant les courses, mais l’inverse : on doit « faire l’essence » ou réparer ses chaussures, et on ira plus volontiers chez Champion car on peut y faire ses courses également.
3 – La présentation
Les consommateurs sont sensibles à la présentation des produits chez Champion :
« C’est agréable, les fruits en pyramide. On voit que les fruits ne sont pas jetés, on a l’air de prendre des égards pour les fruits. On sent qu’on prend soin pour rendre attrayant. «
« J’aime bien que les étiquettes des boîtes de conserve soient dans le bon sens. »
Outre le fait que la présentation du rayon frais en pyramide rappelle manifestement le marché traditionnel6, ce qui est perçu positivement par les clients, l’attention apportée à la présentation du magasin a d’autres significations :
a) Un des signes de la qualité des produits
En effet, l’apparence est l’un des signes par lesquels on reconnait la qualité d’un produit. En témoigne le discours des participants :
« Quand les boîtes de conserve sont cabossées, ou quand la peinture est écaillée, je n’achète pas : j’ai l’impression que ça va rouiller et se percer. »
« Un rayon bien tenu, c’est un signe de propreté. Il ne faut pas qu’il y ait d’odeur en dehors du rayon. »
b) Un élément qui facilite la détente
La bonne présentation de Champion peut également être analysée comme un élément qui facilite la détente du client et réduit sa fatigue : a contrario, une présentation désagréable sera rapidement ressentie comme une quasi agression :
« C’est terrible les odeurs désagréables à jeun : quand je sens l’odeur de paëlla à 9 h…. ou l’odeur de frite devant la porte…. »
« Je déteste les couleurs des lessives : les violets, les jaunes, c’est vulgaire, ça tire, ça agresse. «
« J’ai un Leclerc plus près de chez moi, mais je n’y vais jamais : le parking est trop petit et c’est trop lumineux, on a l’impression d’être plus agressé par les produits. »
Dans le même registre, on a déjà signalé l’ambiguïté des animations dans les supermarchés :
« C’est vulgaire, entendre ça, c’est une corvée. Il n’y en a pas trop à Champion, mais à Monoprix, Leclerc, Auchan, je n’y vais pas. »
Ce rejet ne signifie pas que les consommateurs refusent toute animation ou tout fond sonore :
« Il faudrait un animateur intelligent, qui ne fasse pas de jeux de mots bêtes, avec une voix agréable… »
« Une musique qu’on ne soit pas obligé d’écouter »
L’illustration que l’on donne de cette sorte d’ambiance est celle des Grands Magasins7 :
« Aux Galeries Lafayette, il n’y a pas la même agression : il y a de la moquette, c’est mieux insonorisé, pas de bruit, pas de couleur, même dans le rayon alimentation. »
4 – Le personnel
Il semble que l’un des traits particuliers à Champion soit la qualité de son accueil et du contact avec le personnel : les consommateurs sont très sensibles aux rapports personnalisés, qu’ils ont pu avoir avec le personnel:
« Les caissières sont très serviables : l’une d’elle un jour m’a gardé ma plante pendant que je faisais mes courses. »
« Il n’y a pas assez de serveuses, elles ont souvent beaucoup de travail mais restent toujours charmantes : elles restent toujours souriantes. »
« On nous fait des paquets cadeaux toute l’année : c’est vraiment quelque chose que j’apprécie. »
« A la fermeture, ils laissent entrer pour une plaque de beurre. »
La connaissance et la reconnaissance sont des éléments très importants dans la fréquentation du supermarché :
« On connait les caissières »
« On me connait, on ne me demande plus ma carte d’identité quand je paye par chèque. »
« La demoiselle du fromage à la coupe est toute propre, toute gentille, elle s’appelle Nadège, elle a des grands yeux bleus… »
Et a contrario, les signes que l’on est un inconnu, et donc suspect, sont mal ressentis :
« Le contrôle aux caisses, je n’aime pas ça, j’ai bien failli ne pas y retourner. »
On voit que leur attente vis à vis du personnel n’est pas uniquement motivée par le désir d’avoir une interaction agréable au moment des courses. Il existe chez les clients une préoccupation du bien être du personnel, condition de leur propre bien être :
« les caissières n’ont pas l’air heureux dans leur costume marron, elles font pitié. »
Ils apprécient un personnel stable, agréable et manifestement satisfait de sa situation comme une preuve que leur propre fidélité est justifiée.
Ils apprécient aussi un personnel qu’ils reconnaissent et dont ils sont reconnus constitue un ancrage dans le temps, un signe rassurant d’évolution lente et naturelle, dans laquelle ils sont eux-mêmes compris :
« La responsable, c’est une femme qu’on voit depuis longtemps… »
« Au début, leur costume devait bien leur aller ; mais certaines ont grossi dedans. »
5 – Les clients
Le client chez Champion est loin d’être un individu anonyme et indifférent lorsqu’il fait ses courses :
– lui-même se considère comme un consommateur et adopte un certain rôle en tant que tel,
– il côtoie lorsqu’il fait ses courses d’autres clients, qui ne lui sont pas indifférents car ils le renvoient à sa propre image, puisqu’ils sont, comme lui, clients,
– le supermarché est implanté dans un environnement particulier qui n’est pas neutre quant à son image sociale. Ainsi, selon les participants, Intermarché est
« Dégueulasse, mal entretenu, et dans des quartiers moches, de HLM. »
Géant Casino en revanche a une clientèle
« plus classe, plus chère, mais qui ressemble plus à Champion »
« Champion, c’est la clientèle moyenne, il n’y a personne de gênant. Champion n’a pas d’étiquette sociale, vraiment, c’est pour cela qu’on s’y sent bien »
En fait il est assez clair que moins qu’une absence d' »étiquette sociale », c’est bien d’homogénéité de style de vie dont il faudrait parler, homogénéité qui est l’une des conditions de la tranquillité et de l’inexistence de risque et d’enjeu dans le supermarché.
Dans un autre registre, on découvre que :
« Champion, c’est féminin : les dimensions y sont petites, les femmes s’y rendent seules : on y voit plus de femmes que chez Carrefour, où on voit Monsieur avec Madame. »
Cette spécificité de la clientèle est clairement liée à la taille et à l’environnement des grandes surfaces :
« On voit beaucoup de jeunes couples chez Carrefour : ils sont plus adaptés que nous à ce genre de système, ils ont la pêche. J’y allais il y a dix ans, maintenant, je n’y vais plus. »
« J’y allais quand j’avais 4 enfants. maintenant, on est plus que deux, je n’y vais plus. »
Il est intéressant de constater que les hypermarchés ne présentent pas un attrait pour tous les âges et tous les moments de la vie.
De plus, le client n’est pas uniquement utilitariste dans ses courses quotidiennes ou hebdomadaires : ce moment joue un rôle dans sa vie sociale. C’est l’occasion de voir ses voisins, de sortir si l’on est un peu déprimé, etc.
Pour ces différentes raisons, la clientèle de Champion est fortement connotée affectivement :
« Les clients de Champion sont les gens du quartiers, des environs, on finit par se connaître. Ce sont des gens qui aiment le magasin : il y a des produits autres que l’alimentation, alors on n’y va pas seulement par nécessité, on y va volontiers. «
« Il y a des amis, ou des gens de ma famille que je ne vois que là. «
« Je rencontre mes voisins, mes amis, même ceux qui viennent de plus loin. J’y vais, je me déplace parce que ça vaut la peine »
Sans être un lieu de rencontre, on peut avancer que Champion arrive à être, pour certains de ses consommateurs, un lieu de sociabilité, un peu comme l’épicerie de quartier : c’est en ce sens que Champion est un magasin de proximité :
« On rencontre beaucoup de gens qu’on connait »
« On ne connait pas forcément les nom, mais on se parle. »
« Je rencontre des parents d’enfants qui sont à l’école avec les miens. »
6 – L’ambiance de Champion : un univers sans risque, sans surprise et sans agression
Les différents éléments que l’on vient d’exposer montrent la relativité de l’importance des facteurs prix, proximité, et choix . C’est bien la combinaison de ceux-ci et des facteurs plus « périphériques » qui font que Champion a un caractère propre.
Le propre de Champion est qu’il fait partie d’un environnement connu, familier et sans risque : il n’est pas seulement « à côté de chez moi », il est aussi et surtout « proche de moi ». « Les enfants peuvent s’y rendre, j’y rencontre mes voisins et des connaissances. Chez Champion, on se sent en sécurité ».
C’est un lieu où l’on est connu, où l’on retrouve ses habitudes. Il y a un sentiment de confiance à aller chez Champion, et d’une certaine façon on s’y sent en sécurité : il n’y a pas d’enjeu, on n’y est pas agressé pas les couleurs, la taille et l’anonymat des grandes surfaces, mais on y jouit de plus de liberté que dans une épicerie de quartier ou un magasin de proximité, dans lesquels la pression sociale et les prix sont plus forts :
« Champion est calme, on a jamais l’impression d’être gênés par le monde, par l’entourage. »
« Chez Carrefour, je m’enrhume toujours, à cause de la climatisation. Champion, c’est douillet : oui, on le mémorise vite, on le connait par coeur. »
Ce sont les mêmes thèmes que l’on retrouve évoqués en projectif à travers les animaux auxquels les consommateurs comparent Champion :
« Le chien ou le chat : parce que les dimensions sont humaines, que ce sont des animaux domestiques, proches. Ils se rapprochent de l’être humain. Ils ne peuvent pas faire peur, reposant, rassurant. »
« L’éléphant : car Champion est plus petit que Mamouth et qu’il y a de tout. »
Champion, c’est un peu un espace ou l’on se sent en confiance et en sécurité sans subir de pression sécuritaire, et où l’on se sent libre et autonome sans être perdu ni en danger.
« Il y a un peu un climat d’intimité : c’est moins grand (qu’un hypermarché), les gens y reviennent. C’est un lieu de rencontre, on y papote. »
« Ca me fait penser à un ours : ça en a la tranquillité, le calme, c’est aussi l’ours des enfants. »
« Champion, c’est la chaleur, la terre, notre milieu. Mais c’est aussi terre à terre, c’est le quotidien, on ne pense pas aux oiseaux et aux papillons , pas à la poésie. L’oiseau sert à s’échapper du quotidien. Alors Champion ! »
Cette nuance est importante : si Champion présente bien des qualités qui vont au delà des performances de prix, il ne s’agit pas d’en faire un lieu de poésie et d’évasion : sa fonction reste ancrée dans le quotidien.
C’est pourquoi il est si désagréable aux consommateurs de constater des changements dans la mise en place des rayons : d’une part ils ont un sentiment de frustration de ne pas avoir été prévenus ni consultés, et d’autre part, c’est une atteinte à la stabilité de l’environnement dans lequel ils sont habitués à évoluer.
Les réactions aux changements sont vives :
« A propos des produits Continent, on se demande ce que c’est, c’est quoi, c’est qui, comment se fait-il que les produits Continent se trouvent chez Champion… »
C’est également pourquoi les qualités d’ancienneté et de continuité dans le temps et l’espace sont importants :
« Il n’y a pas assez de Champions : on n’en voit pas dans toutes les régions »
Champion étant un lieu d’habitude et d’accoutumance, les consommateurs comptent retrouver cet élément familier et quotidien partout.
Le discours des clients concernant les changements est très émotionnel :
« On est habitué, et du jour au lendemain ça change. En plus les vendeurs ne savent plus, tellement ça change. C’est un sentiment de frustration, c’est vexant, choquant. Ils disent : Champion, VOTRE magasin. Mais quand ils ont fait ces changements, ce n’était plus MON magasin. »
« On est arrivé en même temps que Champion, il y a dix ans. C’était une clientèle fidèle qui s’est sentie déçue. »
Tout se passe comme si changer quelquechose à Champion, c’était toucher à leur identité, voire à leur sécurité.
CHAPITRE II
PRATIQUES ET REPRESENTATIONS INTERNES AU GROUPE PROMODES
ET A L’ENSEIGNE CHAMPION
Une des premières conclusions de l’enquête interne est qu’il y a fréquemment interférence entre le groupe Promodès et l’enseigne Champion.
Le groupe Promodès est plutôt assimilé à :
– négoce : – CAP pour alimentation
– CIM pour non alimentaire
– dimension internationale
– finance
Champion est plutôt traité comme :
– une image qui manque d’identité
– un supermarché qui doit gérer les rapports avec la clientèle
Le point de départ de la question sur la différenciation de l’image vient de trois problèmes :
– celui de la croissance du groupe par croissance externe nationale et internationale
– celui de l’intégration de la double filière magasins intégrés et franchisés / partenaires
– la baisse de fréquentation de certains magasins
L’objectif est de trouver une image forte, un thème mobilisateur:
– qui attire les franchisés et dynamise les magasins
– qui permette la fédération des deux filières franchisées et intégrées et donc une politique commune forte de communication sur l’image, les prix et les produits, tout en compensant la perte d’autonomie que cela induit au niveau local pour les magasins
– qui fidélise et accroisse la fréquentation des magasins au delà des seules contraintes de prix bas, de qualité et de proximité
Ce thème doit permettre une articulation :
– Promodès / Champion
– Promodès / fournisseur
– Central / local
– Franchisé / intégré
– Enseigne / consommateurs
Cela demande donc de clarifier les processus de décision en interne :
– négociations dans le choix des prix et des marges
– négociations des référencements
– discipline d’achat aux plate-formes Promodès
Le thème mobilisateur doit pouvoir intégrer une triple demande :
– de sécurité
– de confort
– d’agressivité/dynamisme8
Le tout, dans la discrétion
I – Le problème du positionnement de la grande distribution : entre le premier prix et les services
A – Le positionnement à la française: le bas prix
Pour les cadres interrogés, le principe de la grande distribution est américain mais il existe une tradition spécifiquement française lancée par Leclerc en 1965 puis par Intermarché en 1969 (en même temps que les premiers Champion) : un positionnement sur une « image-prix » le plus bas possible. Aussi, depuis 30 ans, la culture de la grande distribution s’organise autour du choix : stratégie discount ou stratégie proximité.
– Le discount, c’est : – des prix bas
– un taux de rotation rapide
– une marge faible
– La proximité, c’est : – une marge forte
– plus de services
Les services, ce sont :
* ceux qui sont propres au magasin :
– un assortiment plus important
– plus de professionnalisme
– plus de rapports humains (comme les « convenient stores » aux USA)
– une amplitude horaire plus forte
– être plus disponible
– mettre la marchandise en sachet pour le client grâce à un « caddy boy » (« le problème des « caddy boys », c’est le SMIC qui contrairement aux USA empêche les boulots étudiants« )
* ceux qui sont « autour » du magasin :
– clef minute
– station service
– « point chaud » (boulangerie en externe ou interne), etc.
Pour la plupart des cadres, la politique de Champion est bien définie: « une politique basée à la fois sur le prix, tout en n’étant pas au niveau des moins chers car on veut se donner les moyens d’apporter du bien-être« . Champion se situe entre le hard discount et la distribution haut de gamme. Cette affirmation d’un choix clair ne veut pas dire que tout le monde est d’accord sur la marche à suivre pour l’appliquer, ni sur la rigueur ou non de son application.
Il faut retenir que pour les cadres, il y a:
– une entente sur le choix global d’accorder une priorité à la fois aux prix et aux services, mais une hésitation quant au terme sur lequel centrer l’axe dominant de communication, entre les prix ou les services.
– un référent constant à cette culture française du bas prix.
B – LE POSITIONNEMENT COMPARATIF DE CHAMPION FACE AUX CONCURRENTS: prix, choix, confort
1 – Le « hard discount » : la concurrence à la marge
C’est nouveau avec Ed et surtout l’Allemand Adli. Ils visent le marché des premiers prix. Adli développe aussi un concept de magasin unique: prix très bas, peu de choix, pas de confort d’achat. La menace n’est pas perçue comme trop forte par les cadres. Le marché semblerait limité à 15% de la population pour les achats de base.
2 – Le magasin de proximité/dépannage : une concurrence potentielle
C’est Shopi le meilleur exemple en province et certains magasins Champion à Paris (« qui jouent les deux fonctions de magasin de proximité et « d’attraction », c’est-à-dire que les gens n’y vont pas seulement parce qu’ils sont forcés« ); plus Casino et Huit à Huit.
Le problème pour Champion est de ne pas être assimilé à un magasin de dépannage. « Il doit couvrir 95% des besoins alimentaires, à des prix qui dissuadent le consommateur d’aller ailleurs, à un niveau quasi égal aux spécialistes des produits frais« . La menace potentielle est qu’une partie des consommateurs l’assimile à un magasin de dépannage. Ceci est jouable, voire même attractif, sur la partie non alimentaire, mais dangereux pour l’alimentation.
3 – Le discount : le coeur de la concurrence
La menace est surtout perçue du côté de Leclerc et d’Intermarché, notamment par rapport aux prix, mais pas uniquement.
Leclerc a une image de prix bas, des services comme l’essence ou les manèges à bijoux, et en plus « ils le disent partout« . Leclerc fait envie pour sa capacité à communiquer (au contraire de Promodès qui s’appuie plus sur des valeurs de discrétion). Leclerc, c’est aussi un grand choix. Il devient de plus en plus dangereux car il a fait de gros efforts sur la propreté, qui est une des images fortes de Champion.
Intermarché a une image de prix bas permanents, mais n’est pas très propre et a un assortiment plus faible. Par contre, vu par les cadres, il a une image d’expansion en France plus dynamique que celle de Champion : il aurait 500 magasins de plus que Champion alors qu’ils ont été créés à la même époque. Cependant, Champion a une meilleure image d’extansion internationale.
Carrefour a l’image d’un hyper clean, large et confortable avec un bon assortiment. Il serait plus « écolo ou BCBG« .
Auchan serait plus proche d’Intermarché pour certains.
Unico (Super U) a une bonne image de convivialité. Il paraît peu menaçant. Il paraît surtout fort régionalement, dans les Pays de Loire.
Dock de France commence à franchiser Attac. De même Casino commence la même stratégie de franchise.
4 – Les centre de vie et les magasins spécialisés: une concurrence faible
Seuls les hypermarchés, du fait de leur surface et de leurs lieux d’implantation, peuvent recréer un centre villageois à la périphérie. Ils ne sont pas perçus comme dangereux.
De même pour les magasins spécialisés comme Fauchon ou Hédiard. Le prix élevé des magasins spécialisés fait que Champion reste concurrentiel sur deux de ses points forts : le frais et le choix de son assortiment.
Le positionnement de Champion paraît donc précis, même s’il est complexe :
– « un magasin de proximité
– qui veut se donner l’image d’un discounter
– mais avec des compléments de service : produits frais, moins d’attente, agrément d’achat
– le consommateur doit se sentir à l’aise
– l’ambiance doit être douce, claire, mais sans que cela soit clinique
– il doit respirer la vie, être un magasin inorganisé mais organisé ».
C – CHAMPION, UN DISCOUNTER DE PROXIMITE
Champion doit être un magasin où règne une ambiance de vie mais sans être trop léché, autour de trois priorités: fraîcheur, qualité et choix.
Champion doit donner une ambiance de sécurité aux consommateurs : le consommateur doit savoir où se trouvent les produits sur le linéaire, sans avoir à chercher partout. Il ne doit pas être « déboussolé » et doit donc s’y retrouver dans tous les magasins Champion. Si les produits bougent trop d’un linéaire à l’autre, c’est que le magasin se cherche. Le confort d’achat demande d’offrir un environnement stable, sans changement, pendant une période minimum donnée (3 ou 4 ans).
Champion doit faire une sélection dans ses services au niveau du magasin pour des raisons de coût :
– le premier service, c’est le prix, en plus de l’accueil, du conseil et du choix.
– ensuite, il faut des horaires d’ouverture larges.
– il faut limiter la queue au moment du pic de 18 à 20 heures.
– il faut faire les livraisons plus tôt que 7 heures 30 pour avoir le temps de fournir les rayons.
– un centre commercial autour, « c’est très important« , de même que le parking et l’essence.
– en service interne : boucherie traditionnelle, volaille traditionnelle ou poisson peuvent entraîner des surcoûts en personnel ou du fait de marchés insuffisants. Mais ils sont un plus.
– Seraient souhaitables : location de cassettes, bijoux et montres, développement photo, etc…
La stratégie de positionnement interne du magasin consiste à se centrer sur le frais et l’alimentaire tout en fournissant des services d’appoint qui permettent le confort d’achat : ne pas courir à trente six endroits et trouver des boutiques ou des rayonnages agréables pour flâner.
D – LE MERCHANDISING: une demande forte
A l’intérieur du magasin, les linéaires doivent à la fois signifier le punch et la sécurité : le punch, c’est le mouvement à travers la refonte des linéaires (« tous les 3-4 ans« ); la sécurité, c’est la stabilité du linéaire.
Le linéaire doit gérer une autre contradiction: diversité et rotation rapide. La tendance est de mettre les produits à rotation lente dans les endroits les moins visibles : le risque est de faire perdre l’image de choix et de variété au profit des produits très demandés.
Enfin, il faut arbitrer entre les décisions d’achat des consommateurs et la marge des produits: vaut-il « mieux mettre en valeur un produit qui rapporte 10% à 1000 unités ou qui rapporte 15% à 200 unités ? »
Le merchandising aujourd’hui est fait « de façon un peu intuitive« . Champion « n’apparaît pas au point en merchandising ».
E – LE PERSONNEL: pour mémoire à la convivialité !
Le confort d’achat dépend de l’ambiance conviviale donnée par la politique du personnel du directeur du magasin : chaleur, compétence, autorité, paraissent conditionner cette ambiance.
Ceci peut poser un problème de formation du personnel en terme d’évolution de carrière, de compétence et de communication. Le choix des partenaires franchisés est déterminant.
F – LES CONTRAINTES DE LA POLITIQUE DE FRANCHISE DE CHAMPION
L’objectif de Champion est de construire une image forte à partir d’une politique nationale de communication, notamment sur les prix par les prospectus nationaux.
Le constat est qu’Intermarché et Leclerc ont une image forte. L’hypothèse que font les cadres est que cette image forte est liée au système draconien de recrutement des nouveaux franchisés, qui donc dès le départ acceptent la contrainte de l’imposition d’une politique nationale. Il faut en effet quatre ans pour entrer chez Leclerc, et le système est aussi contraignant à Intermarché.
Actuellement, la croissance de Champion se réalise grâce à une stratégie de développement externe (recrutement de nouveaux franchisés). Cette stratégie a d’autant plus de succès que Champion n’impose pas dès le départ une politique nationale, et laisse plus libres les franchisés.
L’atout de Champion est d’être moins draconien et donc plus attirant pour le franchisé, mais l’effet pervers est d’avoir du mal, une fois le recrutement fait, à imposer une politique centrale sur le discount notamment.
A cela s’ajoute la concurrence sur la franchise (Casino, Dock de France), qui est un handicap de plus pour imposer une politique nationale.
Conclusion
L’image des cadres sur le positionnement souhaitée, réelle, ou partiellement réalisée de l’enseigne Champion est assez nette: discounter de proximité, dont la force principale est la qualité du service offert et le confort d’achat.
L’écueil serait que la clientèle tire Champion vers le dépannage.
Le danger vient des discounters les plus traditionnels, Leclerc et Intermarché, qu’ils soient super ou hyper.
Champion n’a pas une image forte sur les produits, mais plus sur les services. Or :
* Les enseignes à « l’image de saleté » font des efforts de propreté.
* Le mode de recrutement des franchisés joue indirectement contre la politique des prix bas.
La concurrence, dans l’univers du discount, a changé de règles du jeu : elle ne se limite plus à l’image, mais aussi aux pratiques de management (gérer franchisés et intégrés) et de choix stratégiques (gérer prix et confort d’achat/services).
II – LE GROUPE PROMODES, CHAMPION GROUPE, CHAMPION FRANCHISES : une organisation entre la force centralisée et l’adaptabilité locale
A – PROMODES: la tradition du négoce
Historiquement, la fonction première de Promodès était l’activité grossiste. La tradition culturelle de Promodès, c’est le négoce. La question aujourd’hui est de faire le lien entre la culture du négoce qui privilégie les marges du groupe en amont et donc rend possible la vente de produits aux concurrents du groupe au niveau des entrepôts et la culture commerciale qui privilégie les prix bas aux consommateurs en aval.
Ce lien pose d’autant plus problème que Champion, intégré au groupe Promodès possède des magasins intégrés qui peuvent suivre en partie une politique de groupe et des partenaires franchisés qui eux ont d’abord une stratégie locale. De plus, il semble que les profits les plus forts soient chez les franchisés.
La double culture (négoce et commerciale), la double filiation (intégrés et franchisés), le triple niveau de décision (central, régional et local) expliquent les difficultés de choix d’un axe de communication central et d’une stratégie unifiée de management.
Le problème est de trouver les lieux de régulations et de négociations entre tous les acteurs, les intérêts en présence, et les valeurs minimums mobilisables par tous.
La deuxième caractéristique de Promodès est la diversité stratégique de développement :
– en France, une diversité des enseignes avec Continent, Champion et Shopi notamment
– A l’étranger avec un développement en Allemagne et en Espagne tout particulièrement, plus les USA, le Moyen-Orient et l’Italie.
Ceci fait la grande différence avec Intermarché. Intermarché a été créé en 1969, comme Champion : « en 1991, ils ont 1100 magasins et Champion 500. Il y a un autre dynamisme à ITM, mais fondé sur une autre stratégie« .
B – LES STRATEGIES D’UNIFICATION DE L’ENSEMBLE CHAMPION
Avant le 1er janvier 1991, il y avait deux secteurs :
– un secteur Promodès appartenant à 100% à P.L. HALLEY
– un secteur franchisé
Les magasins du groupe étaient soumis à une forte contrainte du groupe et les franchisés étaient autonomes. Les franchisés étaient suivis par des conseillers.
Aujourd’hui, il y a plusieurs stratégies mises en place au niveau central pour intégrer les deux « filières »:
– livraison commune par les mêmes entrepôts au niveau régional, gérés par des directeurs régionaux
– organisation de groupes de travail, les files, au niveau régional
– développement d’une structure architecturale unifiée pour tous les magasins
– essais de construction d’une politique commune centralisée de communication autour du prospectus notamment (voir ci-dessous)
– limitation des autonomies locales sur l’implantation des rayons et des produits, et sur l’embauche.
La stratégie globale s’organise autour de trois lignes directrices:
– homogénéiser les pratiques locales à partir de concepts communs
– centraliser la communication afin de renforcer l’image de l’enseigne
– lancer une centralisation à deux vitesses: rapide pour les magasins intégrés, plus négociée avec les franchisés.
C – L’ARTICULATION DES FILIERES INTEGRES/ FRANCHISES: la place du régional et des entrepôts.
1 – Les deux filières
En simplifiant, Champion comprend deux filières : intégrés et franchisés (ou « partenaires »)
a) La filière franchisés:
elle comprend 6 directions régionales qui gèrent un élément clé de la politique du groupe: les entrepôts.
Chaque direction régionale comprend une direction logistique, une direction commerciale et une direction marchandise.
La direction commerciale comprend un service de gestion commerciale pour l’établissement des tarifs et des conseillers de franchise d’enseigne qui suivent les magasins franchisés.
L’important est de relever qu’il n’y a pas de lien formel avec la filière des intégrés, sauf au niveau des files régionaux.
b) La filière intégrés
elle comprend un directeur, un directeur opérationnel et sept superviseurs qui sont en contact direct avec les magasins. Les rencontres peuvent être fréquentes : une fois par semaine (« on parle de tout, des embauches, de la propreté, de la tenue du personnel, on contrôle que la check list est bien suivie, etc« ).
Le problème qui peut se poser, c’est quand il y a un fort turn over des superviseurs, ce qui limite la confiance et donc l’efficacité du suivi. On peut noter que certains directeurs intégrés ont le sentiment d’avoir les mains plus liées que les franchisés. Les contraintes en terme de recrutement de personnel par exemple peuvent rendre l’intégré moins compétitif que le franchisé (qui peut par exemple mettre sa femme à la caisse pour avoir des charges fixes de personnel moins élevées). Le contrôle central peut entraîner des coûts fixes, à court terme, plus élevés; mais en contrepartie, le côté « politique rigoureuse » est perçu positivement. Ceci confirme le sentiment de double vitesse, mais ne veut pas dire qu’il est vécu négativement. La fermeté augmente le sentiment de sécurité.
De plus, le sentiment d’appartenance au groupe Promodès est d’autant plus fort que le directeur a une stratégie de carrière affirmée au sein du groupe: sa loyauté, et donc de sa capacité à appliquer la politique du groupe, sont liées à la réponse du groupe à ses attentes.
2 – Une autre liaison en amont: la filière achat
La filière achat qui, de façon simplifiée, part des centrales d’achat Promodès pour descendre aux entrepôts régionaux Promodès qui vendent aux enseignes CONTINENT et Champion, montre encore la place stratégique des entrepôts dans la régulation de l’unification des deux filières (intégrés et franchisés) et des deux cultures (négoce et commerciale).
3 – L’articulation des deux filières: dans les Files et face aux entrepôts.
a) Les files
Ce sont des réunions de travail entre franchisés et intégrés au niveau régional, pour discuter des problèmes d’animation des magasins, du positionnement produit et des prix par rapport aux concurrents. Il y a beaucoup d’informations descendantes. Mais les files ont du mal à vivre et à fonctionner. Cela est peut-être du à leur ambiguïté: lieu d’information descendante et de prise de température de la base plutôt que de négociation. Que peut y gagner un franchisé s’il sent que la file a surtout pour fonction de faire passer les directives centrales? (et pourtant, il faut bien qu’elles passent quelquepart!)
b) L’alliance face aux entrepôts
Les deux filières se retrouvent groupées face aux entrepôts, afin d’obtenir des prix plus compétitifs.
En résumé, la stratégie d’unification à deux vitesses est rendue nécessaire du fait de deux contraintes :
– la différence de marges de manœuvre face aux deux filières et l’accélération du processus de normalisation de la politique commerciale, qui implique:
* priorité d’achat aux entrepôts en contrepartie de meilleurs prix,
* même agencement des produits dans les linéaires,
* gestion du personnel,
* publicité au niveau national.
Cette accélération est perçue positivement par les intégrés, même si cela leur enlève de la souplesse. Ils sentent une politique ferme.
Par rapport aux franchisés, la vitesse d’unification ne peut être que plus lente.
– le rôle des directions régionales avec les entrepôts qui sont prises entre :
* une logique de négoce, vendre au plus grand nombre possible de magasins (suivant un ratio de 1 entrepôt pour 50 magasins) ce qui les conduit à faire des concessions aux franchisés pour conserver leur clientèle.
* une logique commerciale qui demanderait plus de fermeté pour faire appliquer les normes communes, pour augmenter l’impact d’une communication centralisée, mais au risque de perdre des magasins franchisés qui voudraient conserver leur autonomie.
Les appréciations varient quant au poids des directeurs régionaux dans l’ensemble du système Promodès-Champion. Ce qui est probable, c’est que les directeurs régionaux, les entrepôts et la double filière soient au coeur du problème de la mise en place d’une stratégie cohérente.
D – LES FRANCHISES: la base de l’expansion de l’enseigne Champion
L’élément nouveau dans la stratégie Promodès de développement de l’enseigne Champion, c’est la stratégie de franchise. La question de la différenciation de l’image Champion est donc une nécessité pour fidéliser les partenaires franchisés qui demandent une image forte. Mais sa mise en place va à l’encontre d’une autre demande des franchisés : rester autonomes.
A l’origine, le franchisé est bien souvent un cadre de la grande distribution qui décide de se mettre à son compte. Il demande à la fois de la sécurité (il a réalisé tout son pécule pour lancer son magasin), un concept fort (il se franchise pour du discount face à une concurrence très forte) et de garder son autonomie (avant, il était cadre et dépendant d’un patron): « les franchisés n’ont aucun intérêt à devenir intégrés« .
En augmentant le nombre des franchisés, on augmente la visibilité de l’enseigne. La question centrale est la capitalisation de cette visibilité : l’option est de centraliser la communication et la politique commerciale pour qu’en uniformisant les signes de Champion, on augmente la force de leurs impacts.
Conclusion
Pour le moment, une première étape a été franchie : l’acceptation par tous d’un concept commun de magasin.
une deuxième étape consiste à accélérer la centralisation en s’appuyant sur les intégrés.
Une troisième s’appuie sur une nouvelle stratégie des prix et de négociation des marges et de tarifs depuis le magasin jusqu’à la centrale d’achat en passant par les entrepôts.
III – LES PROBLEMES STRATEGIQUES D’UNE COMMU-NICATION NATIONALE UNIQUE DES PRIX ET DES PRODUITS: les enjeux du contrôle et de l’autonomie, de la force et de l’adaptabilité
En partant d’un cas, celui de la question d’un prix national unique par produit, comme révélateur des enjeux et des intérêts de chaque acteur du système Promodès-Champion, nous allons faire ressortir les contraintes qui pèsent sur chacun et donc les enjeux qui jouent en faveur ou en défaveur d’une politique commune de communication.
L’hypothèse est que l’élucidation de ces enjeux9 permet de mesurer l’acceptabilité potentielle des propositions d’axes de communication. Si la communication ne reprend pas en partie les valeurs ou les intérêts des acteurs stratégiques du système, elle a peu de chance d’être efficace.
Le constat de base est que l’obstacle à une politique de communication nationale unique est la diversité de fait des situations locales au niveau des prix (à Paris, Champion est concurrentiel et « pourrait augmenter ses prix« ; dans d’autres régions, comme le Nord, la concurrence est au contraire très forte); et au niveau des produits (exemple: « au Nord de la France, on préfère le café en grain et au Sud, le café moulu« ).
A – COMMENT SE FORME LA REPRESENTATION DU PROBLEME DU PRIX: « l’image prix » du magasin comme enjeu
La question peut paraître saugrenue, mais la question du prix est un mélange d’objectivité et de subjectivité. Tout le monde sait qu’à prix objectivement égal, une enseigne qui a une image prix subjectivement moins bonne verra les consommateurs affirmer que ses produits sont plus chers qu’ailleurs. Ce que nous cherchons à comprendre, c’est à partir de quoi les acteurs du système Promodès-Champion construisent le problème des prix.
Le problème des prix est structuré par deux référents : les concurrents et les consommateurs.
– Les concurrents les plus cités sont, comme nous l’avons déjà vu, Leclerc et Intermarché. Ils sont la référence de base que l’on souhaite imiter ou que l’on cherche à s’en démarquer.
La question ouverte est de savoir si cette référence aux prix qui paraît un absolu n’empêche pas de voir d’autres dimensions et donc de trouver un autre axe de communication.
C’est pourquoi certains pensent que « les gens ne recherchent pas uniquement les plus bas prix, bien que ce ne soit pas une question de classe sociale ou de revenu. Même si toutes les ménagères font attention au budget de leur ménage, du fait que nous soyons dans un pays riche, elles ont d’autres besoins« .
Cependant, il existe bien des produits plus directement sensibles au prix que d’autres: « ceux qui représentent dans le panier de la ménagère des produits forts, dont les prix sont à surveiller de près. On les appelle les prix psychologiques. La ménagère compare beaucoup ces prix là avec la concurrence: prospectus, journaux, … »
En résumé, la façon de poser le problème des prix est influencé par :
– la culture française du bas prix représentée par Leclerc et Intermarché,
– le constat que les consommateurs sont aussi sensibles à d’autres dimensions
– le repérage des prix de produits à partir desquels se forme l’image prix d’un magasin.
La première contrainte d’une communication unique tient donc au fait que chaque directeur de magasin a peur que le prix choisi soit plus élevé que le prix psychologique du même produit dans sa région et donc que l’image prix de son magasin baisse en qualité.
B – LA NEGOCIATION DES MARGES ET DES RISTOURNES: les pratiques de la formation des prix, du magasin à la centrale d’achat
1 – La négociation des marques au niveau régional
Depuis 4-5 ans, le système de fixation des prix a été inversé : avant, « les entrepôts faisaient leur marge, puis revendaient aux magasins qui fixaient le prix de vente public en comptant leur marge. Si le magasin alignait son prix sur le concurrent, il perdait sa marge« .
Actuellement, l’entrepôt part du prix du marché en se calant sur les concurrents. Il se met d’accord sur la marge des partenaires franchisés (soit « autour de 7,5% sur les produits de grande consommation« ). Ensuite, l’entrepôt construit un prix de vente pour le franchisé en fonction de sa marge (15 à 20%).
Premier constat: le premier niveau de formation des prix se faisant sur une base de comparaison régionale, il faut en tenir compte pour un prix unique national.
Cependant, le jeu n’est pas toujours aussi clair. La marge des entrepôts n’est pas annoncée aux partenaires: « oh, vous savez, la vérité des prix, même avec nos partenaires, on n’est pas vraiment clair: on ne leur dit pas quelles sont nos marges sur les plate-formes. Il y a encore des tabous sur la vérité des prix« .
Deuxième constat: un prix unique limite la liberté de manœuvre de calcul de la marge d’un entrepôt.
Pour les intégrés, il semble que le jeu avec l’entrepôt soit différent: ils touchent une ristourne en fin d’année. Ils préféreraint avoir des prix plus bas immédiatement plutôt qu’une ristourne à terme.
2 – La négociation des ristournes au niveau de l’entrepôt
Avec la ristourne, on entre dans la culture régionale Promodès. L’entrepôt peut vendre aux enseignes Promodès ou hors Promodès dans sa région. Il essaye donc d’avoir le plus de clients possibles pour faire baisser le prix de ses achats. Plus la plate-forme est grosse, plus les achats pourront se faire en gros et par un ou deux camions, et donc avec des prix plus bas. L’entrepôt peut acheter aux centrales d’achat CAP ou CIM de Promodès ou à des fournisseurs directement. Le directeur marchandise a trois grandes stratégies possibles (qui vont jouer à la fois sur la formation des prix, mais surtout sur la marge):
– Acheter à la CAP au coup par coup sur le catalogue en négociant quand c’est possible, en profitant des promotions proposées par les industriels et dont les prix sont négociés par la CAP.
– Acheter à la CAP en faisant des calculs annuels plus spéculatifs. Exemple: la CAP négocie les prix d’une promotion qui sera valable quinze jours. Le directeur marchandise peut décider d’acheter pour l’année, s’il estime que les coûts de stockage et financiers seront inférieurs aux marges qu’il pourra faire ensuite en vendant au prix normal un produit acheté au tarif promotion.
– Acheter localement à des industriels. Là encore le prix unique peut jouer contre la marge et le gain des sur-marques, suivant les diversités régionales (mais pas toujours).
3 – Les centrales d’achat
Les centrales d’achat ne voient pas les produits. Elles négocient les conditions. Tout le jeu est d’utiliser au mieux la palette des ristournes: « séquentielles » (le nombre de produit dans la gamme d’un fournisseur: plus il y a de références dans la gamme, plus il y a de ristournes); fidélité, volume; taux promotionnel; nombre de fois où on met la marque sur un prospectus; sans compter les ristournes « off » entre deux PDG au téléphone…
L’autre jeu complémentaire consiste aussi à limiter la concurrence en faisant un chantage à la marque aux fournisseurs qui vendent trop aux hard discounters: ils sont menacés de voir leur marque disparaître des rayons des enseignes. Ceci oblige les fournisseurs à limiter leur vente au hard discount et donc à la concurrence.
Le dernier jeu, dont personne n’a parlé, est celui du coût de référencement demandé aux fournisseurs pour avoir le droit de rentrer sur un linéaire.
En résumé: la formation d’un prix tout au long du système fournisseurs-centrale-entrepôt-magasin est une suite de négociations, de micro-régulations dans laquelle le savoir faire va déterminer un prix, mais surtout un partage de la marge dont la meilleure part reviendra à ceux qui auront su jouer des marges de manœuvre du système. Or, le prix unique sur un prospectus remet en cause (ce qui ne veut pas dire défavorise automatiquement) toutes les stratégies qui sont de l’ordre du savoir faire informel.
C – QU’EST-CE QUI REND DIFFICILE L’EDITION D’UN PROSPECTUS?
1 – Un objectif national
La communication nationale cherche à développer des campagnes communes et uniques pour toute la France; Elle s’appuie sur des stratégies de:
– baisse des coûts de la communication: l’édition du prospectus est actuellement régionale (soit 7 éditions)
– augmentation de la force de l’impact de la communication:
* soit en limitant les déceptions des consommateurs liées à des comparaisons de prix entre des magasins Champion lors de leur déplacements.
* soit grâce aux économies qui permettent d’augmenter le volume de la communication
* soit par l’unicité du message qui favorise son impact du fait de son côté répétitif.
– soutien à la fédération des filières.
Actuellement, le calendrier promotionnel est établi et contrôlé par Promodès. 80% du prospectus est défini par Promodès. Textile et bazar sont plus libres.
2 – Une diversité des situations locales pour les magasins
Les variations de charges fixes : en logistique, les camions peuvent tourner avec 1 à 3 chauffeurs et donc dégager plus ou moins de profit. Pour tourner beaucoup, les camions doivent pouvoir livrer des magasins qui sont équipés de sas, ce qui ne semble pas le cas partout en France.
– Les disparités régionales : le directeur régional doit inclure son risque dans la fixation des prix. Dans le Sud-Est, il y a moins d’hypers, mais plus de richesse vive, donc la distribution fait plus d’argent. Le directeur régional a moins de risques à courir que dans le Nord où les faillites sont plus fréquentes et où il faut les couvrir grâce à un système de prix qui intègre ce risque.
La périodicité du prospectus : si on fait un prospectus pendant les vacances, les magasins des grandes villes financent pour leurs consommateurs en congé qui n’achetent pas dans leur magasin.
Le jeu sur les marges à l’intérieur du magasin : sur les produits sensibles, les marges peuvent être nulles. Il faut donc se rattraper sur d’autres produits, dont le choix peut être là encore limité par un prix unique.
En conclusion, la question d’un prospectus qui proposerait un choix national est le révélateur des enjeux du système Promodès-Champion autour d’une stratégie d’équilibre qui tiendrait entre deux pôles:
– laisser un maximum d’autonomie au niveau des magasins, ce qui augmente leur adaptabilité potentielle aux diversités locales et leur capacité à jouer entre logistique, achat et vente pour optimiser leur marge, et ainsi minimiser leur risque de se tromper. Mais en contrepartie, on perd en force de communication au niveau du groupe.
– choisir une stratégie d’image forte, qui demande un contrôle important de la chaîne des prix et des marges, des signes de la communication (depuis l’architecture des magasins jusqu’aux tenues des vendeurs), et donc une implication dans une stratégie de groupe; on maximise dans ce cas les chances d’obtenir une image forte pour l’enseigne à la fois sur les prix et sur un nouvel axe à fixer. Mais on maximise aussi les risques au niveau local, puisque le magasin perd en adaptabilité éventuellement.
Une fois porté ce diagnostic, il faut en fait chercher:
– ce qui est négociable : peut-être plus de clarté sur les marges tout au long de la chaîne,
– ce qui est imposable : au moment du recrutement des franchisés,
– à créer un seuil de pression critique minimum pour une politique de groupe, en s’appuyant sur les magasins intégrés,
– à proposer un axe de communication fédérateur en plus d’un management des prix et des marges.
IV – IMAGE DE PROMODES-CHAMPION
A – LA COMMUNIATION A CHAMPION: discrète avec peu de moyen
La communication à Champion apparaît à certains beaucoup moins importante et moins visible que dans d’autres groupes (elle ne serait que de 0,20% en cotisation). Certains regrettent que le PDG ne soit pas aussi médiatique que E. Leclerc. D’autres pensent qu’E. Leclerc est inimitable et qu’il faut trouver autre chose. Certains pensent même que la personnalisation est dangereuse et qu’une fois Leclerc mort, ses magasins disparaîtront.
La communication qui consiste à se mettre en avant va à l’encontre des valeurs internes de Promodès : tradition, sérieux, solidité. « Il y a une éthique à respecter« . Unico avec Prévost passe son temps à dénigrer les autres enseignes : « c’est un cafeteur, il donne le dessous du fonctionnement de la grande distribution« , « c’est nous qui éduquons les consommateurs contre nous« .
La communication, c’est d’abord la radio, puis les prospectus, puis quelques opérations médiatiques à la TV comme « Interville » ou « Le juste prix« . Les prospectus sont pris en charge par l’enseigne et au niveau régional par les régions (« dont 0,80% à la charge des franchisés« ).
B – LES AXES DE COMMUNICATION VUS PAR LES CADRES
1 – Dans le passé
Il y a deux ans, Champion a eu une bonne image prix d’après les interviews. Pas de point saillant mais pas de point faible non plus. Il y a même eu une campagne sur le remboursement des produits si l’acheteur trouvait moins cher chez un concurrent. Mais cette politique n’a pas été suivie.
2 – Aujourd’hui
« Champion n’a pas d’identité« , « il faudra trouver autre chose que les prix comme axe de communication. Il m’est arrivé d’être aligné à 100% et d’avoir une image de prix plus cher« . Champion est rentré dans « la spirale des promotions » et ce n’est pas forcément une bonne chose.
3 – Demain
Les thèmes porteurs pourraient tourner autour de :
– la sécurité: « elle n’est pas contradictoire avec la violence et les prix bas; c’est la violence maîtrisée »
– l’attraction, qui est mieux que la proximité
– la douceur : intéressant mais peut avoir une connotation négative: « celle de perdre l’image des prix bas »
– petit est plutôt négatif
– clarté, espace
– « peut-être faudrait-il inventer un autre terme que supermarché, un nouveau concept« .
Si on reprend le terme de sécurité il est relativement riche, au moins au niveau du magasin: « c’est un devoir: prix bas, douceur, confort, fraîcheur, professionnalisme; le tout va donner de la sécurité aux clients« . Il faut donner aux clients l’impression qu’ils ne se font pas avoir: « certains clients comprennent qu’on fait du merchandising, qu’on les attire par les promotions pour leur faire acheter autre chose »
4 – Les effets de la communication: l’inconnu sur ce que pense les consommateurs
En réalité, personne ne sait très bien ce que pense les consommateurs: « on a une image donnée par le SET tous les ans, qui est très intéressante, mais c’est instantané, une fois par an et donc ce n’est pas suffisant« . On ne connaît pas non plus les effets du prospectus. La seule mesure est l’augmentation du chiffre d’affaires après une opération commerciale. On a l’impression que la proximité est le principal facteur de choix.
En conclusion, il ressort de ce premier aperçu sur la communication:
– une lacune en « culture consommateur », sur la connaissance du comportement des consommateurs,
– une politique de communication hésitante de la part de Champion, qui entraîne une attente interne pour un concept fort,
– une impression d’image neutre et indifférenciée de l’enseigne Champion, sans trait saillant, au contraire de l’image du magasin qui est très structurée autour du confort, mais peu impliquante pour les consommateurs.
CHAPITRE III
LA CREATIVITE : RECHERCHE D’UNE STRATEGIE D’IMAGE IMPLIQUANTE POUR L’ENSEIGNE CHAMPION
L’objectif de la recherche est bien de trouver une image forte et différenciée pour l’enseigne Champion puisque tout le monde dit en interne que Champion n’a pas d’image.
En réalité, il faut faire deux distinctions:
– l’image de Champion pour les consommateurs et son positionnement pour les cadres,
– l’image de Champion comme enseigne et celle de Champion comme magasin
Le positionnement de Champion est clair pour les cadres, comme nous l’avons vu: proximité, discount, confort d’achat.
L’image des magasins Champion pour les consommateurs est aussi très structurée autour de la taille humaine, de l’intimité, du confort d’achat, de la sécurité et du bon ton.
Mais on peut se demander si une image structurée est une image forte et dynamisante.
Il y a donc une image du magasin Champion, mais ceci ne signifie pas qu’il y ait une image d’enseigne. Celle-ci, en terme de valeur ou de thème mobilisateur et unificateur des magasins et des deux filières paraît donc floue et peu structurée, voire inexistante.
Il n’existe pas d’image symbolique et mobilisatrice de l’enseigne Champion au niveau national. Les consommateurs, mais aussi les cadres, parlent d’abord des magasins Champion.
Or, cette absence empêche de créer une identification des consommateurs à l’entité abstraite qu’est l’enseigne, et limite donc les impacts d’une campagne nationale de communication.
Pour communiquer, Champion a trois stratégies possibles: il peut choisir de mettre en scène les consommateurs, de mettre en valeur les produits ou de construire une image symbolique au niveau de l’enseigne.
– La stratégie-cible permet aux acheteurs de s’identifier aux personnages du support publicitaire. Le problème est qu’il existe une multitude de cibles qui fréquentent les grandes surfaces et qu’il y a donc un fort coût à communiquer pour chaque cible.
– La stratégie-produit, ici le magasin, axe la communication sur le choix, le prix et la qualité, c’est-à-dire avec un discours rationnel qui met en avant les qualités du produit magasin ou ses bas prix. L’inconvénient, dans le cas de Champion, est que cette image n’est pas assez dynamique et qu’elle ne permet pas de fédérer l’ensemble des magasins.
– La stratégie-marque, ici l’enseigne, qui vise à communiquer sur l’ambiance, la mission ou les compétences du groupe Promodès-Champion. Cependant, il faut savoir que la communication sur la marque s’appuie en général sur une implication affective forte du consommateur, que l’on trouve facilement pour des produits de luxe ou à forte connotation traditionnelle par exemple. Cette implication est plus difficile à déclencher dans le cas de la grande distribution: produit banal, de grande consommation, souvent associé à une corvée au pire, à une activité fonctionnelle et utilitaire au mieux, et jamais à un acte poétique.
L’hypothèse centrale est que cette communication sur l’enseigne doit s’organiser autour de trois sous-thèmes:
– la sécurité
– le confort
– l’agressivité,
sans préjuger de leur hiérarchie, de leur liaison ou du concept fédérateur à inventer. A la fin, nous ferons des propositions ouvertes sur des idées possibles de support mobilisateur en terme de:
– personnage
– d’animal
– d’objet
– de slogan.
La seconde hypothèse est qu’il faut dynamiser les images de confort, de douceur ou de petit que possèdent les magasins Champion, sous peine:
– de s’enfermer dans un système de communication qui valorise le comportement passif des consommateurs, ce qui paraît une impasse dans l’univers de la distribution.
– de ne pas entrer en résonance avec la demande d’un concept fort et dynamique émise en interne.
La troisième hypothèse est qu’il faut aller rechercher en partie dans la culture originelle de Promodès les principes dynamiques et impliquants pour le consommateur, tout en intégrant des dimensions plus modernes qui prennent en compte les cultures consuméristes.
I. LES UNIVERS DE LA SECURITE, DU CONFORT ET DE L’AGRESSIVITE DANS L’IMAGINAIRE DES CREATIFS ET DES CONSOMMATEURS
A – L’UNIVERS DE LA SECURITE
La sécurité, c’est:
– un territoire
– des garanties
– des signes, une ambiance
– Le territoire donne la sécurité quand il est délimité et stable, quand le volume de l’espace est équilibré.
On retrouve ici les signes de la sécurité que doivent donner les bâtiments des magasins Champion.
– Les garanties, ce sont:
– la force (militaire, police)
– le contrat (qui garantit la continuité)
– Les signes, une ambiance:
– les lumières (qui protègent des zones d’ombres)
– la chaleur
– les racines
– la poche, la grotte, le cocon
La sécurité, c’est la protection qui plonge loin en dessous, qui entoure, qui réchauffe, qui est bleue.
Mais le danger de la sécurité, c’est:
– de figer
– la contrainte
– la mort
– la non existence.
L’univers de la sécurité peut donc autant renvoyer à un univers du cocooning, de la chaleur du foyer, du repli sur soi, qui est de l’ordre de la régression et de la passivité, qu’à un univers du contrat, de la vigilance qui correspond à une demande consumériste fréquente sur la vérité, la transparence, la crainte d’être trompé (la campagne Champion sur le remboursement en cas de produit plus cher qu’un concurrent renvoie à ce sous univers). C’est un univers plus actif.
La sécurité, ce n’est pas uniquement la chaleur et la stabilité passive, c’est aussi la vigilance active du magasin et du consommateur.
B – L’UNIVERS DU CONFORT
Le confort évoque un sous-thème autour du luxe, de la sensualité, de l’esthétique dans lequel l’implication affective est trop forte pour correspondre avec l’univers du quotidien que représente Champion.
C’est un thème complètement ambivalent autour de:
– chaleur, moelleux
– liberté
– ouverture
– souplesse.
Mais aussi de:
– endormissement
– accoutumance
– figé.
Or, c’est un des points forts de l’image des magasins Champion: clean, confortables, agréables, propres; à taille humaine, proche, petit; intime, mignon, familier. C’est un bon petit magasin qui sécurise, qui dépanne, qui est proche, où on se sent bien, à qui on est fidèle. Si c’était un film, Champion serait « Un long fleuve tranquille ».
Le confort, s’il est hautement apprécié pour Champion, s’appuie sur une valeur de passivité, de stabilité qui paraît dangereuse dans son utilisation symbolique (ce qui veut dire que les magasins doivent continuer à fournir le confort, mais que c’est un thème dangereux à utiliser en communication)
Avec le confort, il manque un côté explorateur, plaisir ou vie active, voire un côté jeu qui tire trop Champion vers un univers de la retraite, de la famille sans enfant (qui compose d’ailleurs une partie de la clientèle Champion). Sa partie la plus dynamique se retrouve dans le sous thème de la simplification: simplifier la vie, simplifier l’aspect corvée des courses (c’est cet aspect qui est utilisé dans la stratégie confort d’achat que l’on trouve à Champion et qui est nécessaire au niveau de la réalité pratique et de l’organisation matérielle du magasin).
C – L’UNIVERS DE L’AGRESSIVITE
C’est le thème le plus tonique mais aussi le plus excessif. Il symbolise à la fois la vie, la mort et la violence.
C’est le domaine des passions et de l’extrême tout autant que celui du fanatisme, de la culpabilité et de la peur.
Il évoque la survie, la curiosité, la vitalité, la franchise, l’aventure mais aussi le bruit, la bêtise, les CRS, l’agression.
C’est un univers détonant, difficile à utiliser seul, mais qui représente l’ingrédient indispensable à une communication mobilisatrice: le vitalisme et l’avenir.
II. LES RACINES CULTURELLES DE PROMODES
On retrouve dans la culture interne les trois dimensions d’agressivité, de sécurité et de confort.
A – LA SECURITE
La sécurité à Promodès:
– c’est la prise de risque mais sans impulsivité.
– c’est aussi le côté international. On en est très fier. C’est sécurisant parce que cela signifie la diversification des risques. Tout n’est pas concentré en France comme chez Intermarché. Le dévelop-pement international donne le sentiment d’un groupe dynamique.
Par contre, en France, on est moins fier parce que l’enseigne pèse de peu de poids face à Leclerc ou Intermarché, et du fait de la discrétion du patron de Promodès.
Promodès, c’est aussi le bon ton (que l’on retrouve chez les consommateurs), pas de scandale, pas de vulgaire (comme sous entendu, Leclerc), pas de dénigrement (comme Unico). Promodès, c’est une éthique, c’est le règne de la pondération. On retrouve toutes les valeurs un peu passives qui existent dans l’esprit du consommateur.
Promodès, c’est aussi l’adaptabilité, du fait:
– de la diversité des enseignes, de Continent à Shopi en passant par Champion,
– de l’interculturel avec le développement à l’étranger qui peut montrer les capacités de Promodès à s’adapter à toutes les situations.
Cette dimension internationale n’est pas forcément facile à utiliser en communication en raison de la nature très « locale » des populations. Seul le succès éventuel des rayons internationaux (anglais, allemand ou indien) pourrait donner un indice de l’écho que pourrait avoir une campagne de communication interculturelle (cf. dans un autre univers, le succès de Benetton).
B – L’AGRESSIVITE
L’agressivité à Promodès est surtout associée à agressivité financière. Promodès, en terme d’image, c’est le capitalisme, les investissements, le chiffre d’affaires, au contraire du consumérisme de Leclerc (dans le groupe de créativité, deux participants très « consuméristes » étaient complètement séduits par le discours de M.E. Leclerc, ce qui est un tour de force fantastique).
C’est une agressivité solide. Promodès est plus gagneur que fonceur ou battant.
C – LE CONFORT
Le confort n’est pas tant par rapport aux consommateurs que par rapport au côté rassurant de Promodès vis-à-vis de ses magasins intégrés ou de ses partenaires. Promodès est solide, modeste, chaleureux, vis-à-vis des franchisés. Le confort, c’est d’abord rassurer.
Promodès, finalement, ce n’est pas le brillant ou la poudre aux yeux, mais:
– la compétence financière
– la solidité d’une tradition de négoce
– la sécurité d’un grand groupe pour des partenaires fragiles
– la qualité donnée aux consommateurs, plus que des bas prix, lié à son adaptabilité et à sa diversité.
A partir de ces éléments, il est possible d’ouvrir une piste d’axe de communication: montrer les coulisses de la grande distribution.
Il s’agit de montrer que faire arriver à bon port un produit sur le linéaire, à bon prix et de qualité, ne va pas de soi et qu’il faut:
– de la compétence
– une organisation solide
– une ouverture internationale pour toujours être en éveil sur les cours mondiaux ou les idées nouvelles.
La sécurité, une régularité, un bon prix, une variété de produits, c’est, en coulisse, toute une culture, des hommes, une organisation qui sont sans cesse en éveil.
III. LA RECHERCHE D’UN CONCEPT D’AMBIANCE QUI DYNAMISE L’ENSEIGNE CHAMPION: LA VIGILANCE
Si Champion s’appuie sur l’image de ses magasins et la culture Promodès, il doit rechercher un axe de communication qui s’oppose au clinquant symbolisé par la communication de Leclerc.
Cet axe doit donc s’appuyer sur:
– la solidité, la discrétion, la compétence
– le dynamisme, l’agressivité
– le confort, le propre, l’ordre, la sécurité.
Le concept d’ambiance qui pourrait englober les valeur du groupe et des consommateurs pourrait s’organiser autour du thème de la vigilance.
Nous ne préjugeons pas ici du contenu concret de cette communication (qui sera l’objet du travail du créatif en communication), ni de son support: campagne radio, publicité à la télévision, support papier, logo…
Nous proposons un axe dont la mise en scène doit pouvoir se décliner:
– en externe auprès des consommateurs
– en interne auprès des cadres, personnels et partenaires du groupe.
L’hypothèse est qu’il faut positionner cette image dans un autre champ que celui des prix, du confort, ou de l’écologie et de la forme (Monoprix).
Cette image doit par contre signifier symboliquement que Champion, dans la réalité des produits présentés dans les linéaires du magasin, c’est le confort, des prix concurrentiels, et des produits de qualité.
Nous proposons ci-dessous, à titre d’hypothèse de recherche, quatre pistes symboliques pouvant servir de support à l’axe de communication: la vigilance.
La question posée au groupe de créativité était: qu’est-ce qui est à la fois sécurisant, agressif et confortable?
Une des réponses spontanées: « un bon vendeur, agressif, dynamique et efficace. Le confort, c’est qu’il met le client à l’aise. La sécurité, c’est que la personne est sûre après avoir signé le contrat de ne pas avoir de problèmes« . Les participants ne savaient pas dans quel univers concret ils fonctionnaient. C’est donc d’autant plus intéressant qu’ils aient fait une référence commerciale.
A – LE JOUEUR D’ECHEC: CALCUL ET STRATEGIE
L’hypothèse est qu’il est possible d’utiliser le joueur d’échec sur ce qu’il représente dans une campagne de communication.
La créativité portait d’abord sur ce que les gens imaginaient dans les coulisses de la grande distribution. L’idée est venue d’utiliser les valeurs internes et la tradition du « trader » qui devait exister dans la distribution. Le trader est un « héros » (comme celui de Jacques Vabre) qui fait ressortir la compétence du groupe.
Mais surtout, ce héros est ressorti au travers de la symbolique du joueur d’échec: une stratégie et un tacticien.
Il est toujours bien informé, il se faufile.
Le joueur d’échec est capable de faire plusieurs parties simultanément et a le don d’ubiquité, comme le négociant.
Il est comme un chevalier: il s’engage, il est fair play, il est loyal, il est incisif, il est aigu, observateur et a de l’acuité.
Quelquepart, il remplit une mission. Il occupe même un espace qui manque, celui du spirituel, c’est-à-dire la priorité à l’être sur l’avoir.
Il a un côté teigneux. Il est indépendant du magasin. Il peut jouer le rôle « d’ombudsman », d’intermédiaire entre les clients et la distribution.
On voit son intelligence: grosse-tête, stratège dans son fonction-nement.
Il est comme un chien truffier qui déniche les bonnes affaires: les petits trucs, les bas prix ou les choses chères mais originales.
Il se balade: « il rabat du gibier pour la centrale d’achat« .
L’idée est de créer un personnage stratège, comme le joueur d’échec, dont la vigilance est une des qualités centrales.
L’intérêt est que ce personnage renvoie au triple niveau des consommateurs, du magasin et du groupe Promodès-Champion, à une réalité spécifique sur laquelle Champion peut communiquer.
La vigilance s’exprime:
– pour le consommateur, à travers des pratiques comme: la gestion du budget, le contrôle de la liste d’achats, la lecture et la comparaison des prospectus.
– pour le directeur et le personnel du magasin, dans le contrôle de la bonne tenue du supermarché (propreté, variété des produits, agencement des linéaires).
– pour le groupe Promodès-Champion, à travers la logistique au sens large, depuis les finances jusqu’au sas du magasin, en passant par les négociations sur les prix avec les fournisseurs ou l’extension internationale.
Le concept de vigilance permet de fédérer une communication interne et externe.
B – LE CHAT: UN CAMELEON QUI S’ADAPTE
La deuxième évocation est celle du chat qui est un animal paradoxal.
– C’est le confort: mouvement, ronron, forme.
– La sécurité, c’est son instinct: « il est en empathie avec son environnement » (comme le commercial).
– Le chat peut être « à sa mémère », tout autant qu’il peut être agressif. Le chat, c’est un caméléon qui s’adapte à tous les territoires (cf. l’adaptabilité de Promodès). Il retombe toujours sur ses pattes.
C – LE MISSILE: LA CONQUETE TRANQUILLE
Il symbolise l’agressivité à travers:
– la conquête
– l’extension
– l’efficacité.
Il est sûr, efficace et confortable d’utilisation. Il symbolise la conquête tranquille.
D – UN SLOGAN: « SIMPLIFIER LA VIE »
C’est la face dynamique du confort, au delà de la passivité. Champion favorise un déroulement sans heurt de la partie routinière des achats: stabilité des produits, fléchage, confort d’achat, etc.
La symbolique générale tourne autour de l’idée que Champion donne à la fois:
– la sécurité et le confort pour les achats routiniers, quand on ne veut pas calculer et jouer,
– des opportunités qui laissent des ouvertures à l’imprévu, au plaisir, au désordre.
D’où l’idée de vigilance: de même que le consommateur équilibre ses achats entre la routine, l’improvisation et le calcul pour arriver à boucler son budget, de même Promodès dans les coulisses développe toutes ses compétences stratégiques pour obtenir à temps, de façon régulière, un produit de qualité ou original.
L’implication du consommateur vis-à-vis de l’enseigne viendra de la capacité de Champion à créer une image dynamique autour de ces trois dimensions de confort, de sécurité et d’agressivité dynamique et maîtrisée.
CONCLUSION
En conclusion de notre étude sur les pratiques et les perceptions des consommateurs, nous pouvons dégager, en ce qui concerne les pratiques, quatre types de comportements :
– les fidèles inconditionnels : ils ne vont qu’à Champion, à l’exclusion de toute autre grande surface
– les fidèles structurels : ils vont essentiellement à Champion, pour les courses alimentaires de base
– les infidèles structurels : ils vont à Champion parmi d’autres super ou hypermarchés, au gré des promotions par exemple
– les distants : ils ne vont jamais à Champion.
Nous avons donc travaillé dans cette étude essentiellement avec les personnes au comportement « fidèle structurel ».
Nous pouvons reconstruire, pour ces consommateurs, les modèles selon lesquels ils décident de choisir tel ou tel point de vente, en fonction des occasions d’achat et du type d’articles qu’ils envisagent de se procurer.
Ce schéma, sous forme d’arbre, permet d’identifier les principaux concurrents de Champion.
De la même manière, une fois dans le magasin, nous pouvons reconstruire des modèles de comportements par rapport aux prix, et dégager pour finir les éléments principaux sur lesquels, dans chacun des cas, les consommateurs arbitrent pour choisir.
Ce raisonnement nous permet d’élaborer le schéma présenté page suivante.
Il est évident qu’il représente une synthèse schématique, et que les arbitrages sont toujours plus complexes, comme nous l’avons montré tout au long de cette étude.
Schémas de décision des consommateurs fidèles de façon structurelle au magasin CHAMPION
OCCASIONS MAGASIN COMPORTEMENT ELEMENTS
PAR RAPPORT AUX PRIX SIGNIFIANTS DU CHOIX
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Courses CHAMPION – Attention systématique aux Taille humaine
alimentaires promotions, qui influencent Confort d’achat
de base l’achat d’articles non prévus Environnement
sécurisant
– Attention sur certains articles
prévus à l’achat . Le consom-
mateur profite de la promotion
pour acheter en plus grande
quantité et stocker
– Faible attention aux promo-
tions. Attention à la marque
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Courses HYPER Idem Prix bas
alimentaires Achats groupés
de fond Gain de temps
ou achat non
alimentaire
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Opportunité SUPER Idem Gain de temps
liée à un
déplacement
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Peu de EPICERIE Peu d’attention aux prix Facilité, proximité
courses Dépannage
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Achat de PETIT Peu d’attention aux prix Contacts humains
produits COMMERCE Sécurité de qualité
frais Ambiance
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Achat d’un MAGASIN Peu d’attention aux prix Spécificité et
article SPECIALISE caractère unique
spécifique du commerçant
En ce qui concerne les perceptions des consommateurs, nous avons vu qu’elles étaient relativement cohérentes avec leurs pratiques, et que les magasins Champion sont appréciés non seulement pour leur prix, leur choix et leur qualité, mais surtout pour le caractère sécurisant des magasins, qui offrent un univers sans risque, sans surprise et sans agression.
La première question que l’on peut poser à ce propos est de savoir si cette image est assez dynamique. Ainsi sur l’image de l’ambiance, le marché, qui offre sécurité et en même temps imprévu, semble un fort concurrent symbolique de Champion.
La deuxième question est relative au rapport entre les magasins et l’enseigne. Les représentations recueillies semblent se rapporter davantage à la réalité physique des magasins. Le jugement global du magasin se forme à partir d’un ensemble de critères, qui, combinés, constituent une « bonne forme ». Il ne faut pas négliger à notre avis l’importance des rayons périphériques (fleurs, laine, rayons diététiques, vins régionaux) dans la constitution de cette image.
Néanmoins, il ne semble pas que ces réalités de magasins soient suffisantes pour créer une image d’enseigne, laquelle, d’après l’étude, reste assez pâle.
[1] Voir Annexe « Methodologie »
[2] Voir Annexe « Observations », dans laquelle sont relatées l’ensemble des observations et où un tableau donne de façon synthétique les caractéristiques des personnes rencontrées.
[3] Nous développerons ce point dans la deuxième partie de ce chapitre consacrée aux perceptions et opinions des consommateurs.
[4] Voir infra I.B
5 On note d’ailleurs que les clients croient que les produits Continent sont les équivalents des produits génériques, et donc des premiers prix. En conséquence, ils sont désagréablement surpris quand ils s’aperçoivent qu’ils peuvent être assez chers.
6 On constate d’ailleurs que certaines personnes appellent le fait d’aller faire leurs courses chez Champion « aller faire le marché »
7 Bien que l’image d’une ambiance feutrée, même si elle est positive en elle-même, puisse être associée à cherté
8 C’est ce qui sera analysé dans le chapitre III sur la créativité
9 Le mot enjeux signifie que plusieurs acteurs en situations différentes ont des intérêts particuliers différents. L’enjeu est la dynamique qui se crée autour de l’activité collective pour l’orienter dans le sens de ses intérêts.