ETUDE D’ETHNOMARKETING
SUR LES PRODUITS NUTRITIONNELS: ANGLETERRE, ALLEMAGNE, Espagne, France
Synthèse
1991, D. Desjeux, S. Taponier, Direction scientifique
Objectif de l’enquête : fournir des éléments qualitatifs pour estimer l’avenir des produits nutritionnels en Espagne, France, Grande-Bretagne.
Le rapport comprend trois synthèses détaillées qui rassemblent les résultats des observations et interviews classés en semi-brut.
Le but du rapport global est de faire ressortir les thèmes qui sont comparables entre chaque pays et de faire ressortir les spécificités de chacun, derrière les points communs apparents.
La première grande conclusion est que les produits nutritionnels forment bien souvent un tout embrouillé dans l’esprit du consommateur.
La deuxième est que le produit de référence est surtout:
– l’allégé, dans le domaine des produits laitiers
– mais l’enrichi, avec les produits énergétiques de type céréale, a aussi une image assez structurée.
– Par contre, le nutritionnel substitué à une image beaucoup plus floue (sauf pour l’aspartam, par exemple).
Le rapport présentera donc globalement l’univers du nutritionnel.
La troisième conclusion est que pour la France et la Grande-Bretagne, les produits sont déjà rentrés dans les mœurs, avec des modalités variées, mais que l’Espagne est très peu engagé dans le courant nutritionnel.
La quatrième conclusion est qu’on peut dégager une structure commune de la place du nutritionnel, quand il est utilisé, mais dont les fondements symboliques dans l’imaginaire sont très différents (et dont il faudra tenir compte pour développer des axes de communication).
I – LES ELEMENTS DE BASE DE L’UTILISATION
DU NUTRITIONNEL
Le nutritionnel est utilisé de façon presque exclusive pour des repas informels, peu structurés, et bien souvent à usage personnel plus que collectif. Quelque part, il est d’un usage plutôt solitaire.
Il s’oppose aux repas festifs et conviviaux entre amis et en fin de semaine (sauf en France par exemple pour des amis proches).
Le petit déjeuner est le moment privilégié du nutritionnel énergétique.
Son usage s’oppose aux repas mitonnés ou cuisinés chauds.
Le nutritionnel, c’est le froid et le cru (sauf le lait) contre le chaud et le cuit.
– Le nutritionnel sera utilisé en référence à la santé pour les enfants, voire pour les hommes, et à la santé associée à l’esthétique du corps pour les femmes.
– Le nutritionnel c’est l’univers du fonctionnel, de l’industriel. C’est le rapide.
Il s’oppose au plaisir, au goût, à la nature.
Son utilisation semble très liée à l’accroissement du travail salarié de la femme et à l’usage ou non des plats tout préparés.
En Espagne, qui est proche du point « zéro » du nutritionnel, les plats prêts à l’emploi ont l’air peu développé.
– Le nutritionnel, c’est aussi le chez soi (or, en Espagne, les pratiques du repas sont très liées aux encas (tapas) pris à l’extérieur). C’est une limite potentielle du développement des produits nutritionnels.
II – L’ACHAT DU NUTRITIONNEL:
L’IMAGINAIRE CULTUREL DU PRODUIT
PAYS PAR PAYS
Dans les trois pays, on retrouve une structure de base généralisable à l’ensemble des achats en grande surface: l’achat par routine, par automatisme, fondé sur le gain de temps.
Pour casser la routine, la communication doit donc travailler sur les occasions du nutritionnel (voir les repas dans chaque rapport, pays par pays) et son imaginaire; le merchandising doit unifier les signes du nutritionnel dans les linéaires (le problème restant de savoir s’il faut des rayons à part ou non).
L’imaginaire du nutritionnel, pour :
1 – la culture alimentaire
2 – le corps
3 – la santé
4 – la nature
C’est ici que chaque pays a sa particularité. En faisant ressortir les grands traits de cet imaginaire, on permet d’indiquer les axes de la communication sur lesquels s’appuyer. L’hypothèse est que si ces axes sont bons, s’ils correspondent bien à l’univers des consommateurs, ils fournissent l’élément qui permet de faire une prospective sur les chances des produits nutritionnels. S’il existe un positionnement positif, cela joue en leur faveur.
1 – La culture alimentaire est :
– utilitaire en Grande-Bretagne
– fondée sur le convivial et un certain « culte de la bouffe » encore très fort en Espagne et fort en France.
2 – Le corps :
s’alimenter, c’est :
– fonctionnel en Grande-Bretagne : il y a un lien fort entre un corps sain, une apparence saine et un esprit sain. Le culte du corps extérieur renvoie à un culte du corps intérieur, par le sport, qu’on ne retrouve pas du tout en Espagne.
Il y a une notion de spirituel au sens de l’esprit qui doit commander au corps.
Le nutritionnel doit augmenter le contrôle de l’esprit et contribuer à l’amélioration de l’hygiène interne. La minceur des femmes (opposé au « pearshape » du corps anglais), c’est le contrôle de l’esprit sur le corps.
– un plaisir en France : le nutritionnel se positionne autrement, non plus comme un contrôle de l’esprit, mais comme un moyen qui permet de « craquer » à d’autres repas ou pendant les « encas » informels. Le nutritionnel peut rentrer dans une stratégie de contournement de la culpabilité qui peut naître face au plaisir de la « bouffe », si ce plaisir fait grossir.
C’est aussi manger de tout, ne pas faire de chichi, mais c’est aussi faire attention à rester mince. La santé, c’est un peu « la veille technologique », c’est aussi une forme de contrôle de l’esprit mais plus sur l’affectif que sur le corps.
– une esthétique en Espagne : le look permet aujourd’hui encore de repérer les gens socialement. L’esthétique du corps externe, et pas du tout interne, joue un rôle fondamental dans la mise en scène de chacun face aux autres. Le nutritionnel, c’est le moyen de se conformer à l’esthétique sociale attendue (ce qui joue aussi en France).
3 – La santé : pour les trois pays, les maladies alimentaires sont le cholestérol et les risques cardiovasculaires.
– En Grande-Bretagne, cependant, on peut parler de « peur alimentaire » avec les produits ajoutés dans les aliments pour enfants qui entraînent une « hyper activité », la maladie « de la vache folle » ou « la salmonellose », attribués à des produits agro-industriels et donc éventuellement nutritionnels.
La conséquence est un discours brouillé qui fait que les Britaniques ne savent plus qui croire en nutrition. Qu’est ce qui est sain ou non ?
– En France, c’est mangé équilibré et avoir la forme (on retrouve le thème de Monoprix qui s’appuie sur un courant sociologique pour différencier sa marque). C’est être mieux, c’est passer de l’avoir à l’être. Il y a peut-être un courant nouveau que l’on voit poindre en grande distribution avec une demande qui ne se limite pas aux bas prix, mais passe par de l’imaginaire ou du symbolique.
– En Espagne, la population pense que la nouriture est saine, et notament l’huile d’olive. On assiste actuellement au développement d’un discours médical sur le lien entre maladie (cardio-vasculaire, et cholestérol) et le fait de manger trop gras ou pas assez équilibré. Le gros support potentiel du marché du nutritionnel, c’est la médicalisation du discours sur la nutrition (mais il faut éviter le brouillage qui existe actuellement en Grande-Bretagne).
4 – La nature :
– En Grande-Bretagne, il existe un fort courant écologique (peut-être comparable aux « verts » allemands). Il y a un sentiment de responsabilité face à l’environnement. Cela peut jouer contre les produits nutritionnels, trop « chimiques »( le pour étant leur côté pratique, utilitaire, minceur). Mais ceci ne concerne pas les produits complets et les produits sans additifs qui, eux, sont considérés comme naturels.
– En France, le courant écologique a toujours été faible. A la limite, le nutritionnel renvoie d’abord aux exigences de la vie moderne. C’est d’abord une contrainte sociale avant d’être contre nature. On doit vivre avec les produits transformés, même si on regrette les produits naturels au niveau du déclaratif.
– En Espagne, le thème écologique paraît peu important. Par contre, les courants régionalistes sont importants avec les problèmes identitaires qui leur sont liés. Ceci peut renforcer plus un courant « aliment du terroir » qu’un courant industriel international, voire américain, la modernité étant perçue moins positivement aujourd’hui qu’à la mort de Franco.
Aujourd’hui, c’est la CEE qui fait rentrer les « mauvais produits industriels » contre les produits sains espagnols, dans les représentations des consommateurs.
III – QUELQUES ESTIMATIONS SUR LES CHANCES D’AVENIR DES PRODUITS NUTRITIONNELS
1 – En France et en Grande-Bretagne, il peut exister un avenir sur un axe « spirituel » qui signifierait une priorité donnée à l’être (la minceur, la « veille« ) sur l’avoir (manger plus sans recherche d’équilibre entre le corps et l’esprit, l’intérieur du corps et l’extérieur).
2 – Une comparaison Grande-Bretagne/ Espagne :
. un corps musclé et sain . un corps séduisant et bronzé
. peu d’idée d’équilibre
. l’exercice . le paraître
=> produit enrichi (+) => produit allégé (-)
. travail dans le corps avec le . travail sur le corps: travail de sport décoration (bijoux, maquillage)
. importance du look et des . le corps est un signe de
fringues mais sans beaucoup distinction sociale
d’accessoires et de maquillage
(sauf le fond de teint)
=> enrichi et allégé (+) => allégé (+)
. origine écologique : une nature . l’origine terroir : ce qui compte
conservée, construite, qui entraine c’est la nature donnée, sauvage
une culture de la transformation
=> enrichi (+) => peu de succès de l’enrichi, du trop hygiènique (-)
. trop d’informations . on ne comprend pas ce qu’on
contradictoires sur les bienfaits peutalléger : qu’est ce que peut ou les méfaits du nutritionnel être de l’huile d’olive allégée ?
=> il faut un discours de => rôle important du médecin pour communication plus clair, sécuriser en nutrition (+)
plus unifié
3 – En France, les produits nutritionnels peuvent devenir un signe de distinction sociale. Ils pourraient se positionner sur une cible branchée et riche.
4 – Les occasions :
– En France, une tradition de repas à la maison qui donne toute chance au nutritionnel.
– En Espagne : une tradition de repas à l’extérieur, une « culture de l’apéritif » qui limite ses chances (du fait que ce n’est pas le consommateur qui achète et de l’importance des tapas: qu’est ce qu’un tapas ou une tortilla allégée?)
– En Grande-Bretagne, une « culture de l’encas » à l’extérieur (les tea-time au bureau) est plutôt négative, mais le breakfast joue en faveur de l’enrichi.
5 – Un point important pour la France est de fournir des produits nutritionnels avec du goût : retrouver le goût de la bonne nourriture au delà de la nécessaire contrainte pour rester mince, retrouver du plaisir.